Une infection d'actualit
: la maladie de Lyme
J. FROTTIER*
Lyme disease : an infection.., in the limelight. Rev Med interne
1987 ; 8 : 345-346.
La maladie de Lyme est une infection polymorphe, provoqu6e par Borrelia burgdorferi, dont les manifestations cliniques, tr6s vari6es, souvent graves et prolong6es, vont 6voluer favorablement sous I'action d ' u n e p6nicilline ou d'une t6tracycline. Elle doit son nora/t un Comt6 du Connecticut off est survenue, pendant 1'6t6 1972, une v6ritable 6pid6mie de polyarthrites succ6dant h une morsure de tique, d'ofi le nom d'arthrite de Lyme sous lequel elle a 6t6 rapport6e par Steere (1, 2). Puis y ont 6t6 rattach6es diverses autres manifestations cutan6es, neurologiques, articulaires, cardiaques, justifiant le vocable d6finitif de maladie de Lyme (Steere, 1977) laquelle la s6rologie a permis de rapporter certains syndromes, ant6rieurement d6crits, tels l'Erythema Chronicum Migrans (E.C.M.)(3), les m6ningoradiculites succ6dant ~ une morsure de tique ou encore l'acrodermatite atrophiante chronique de Pick et Herxheimer. En 1982, Burgdorfer soupqonne la responsabilit6 d'une Borrelia transmise par les tiques qui est authentifi6e l'ann6e suivante comme 6tant l'agent responsable (4, 5, 6). En quelques ann6es, la maladie de Lyme est apparue comme tr6s r6pandue dans les r6gions temp6r6es ; elle s6vit dans toute la France, comme l'a montr6 la r6cente enqu~te, effectu6e par E. D o u r n o n et l'Unit6 13 de I'INSI~RM, qui a identifi6 272 cas certains de f6vrier 1985 ~ d6cembre 1986. Elle est transmise ~ l'homme, sans pr6dominance d'gige, par diverses esp6ces de tiques et d'autres arthropodes, ce qui explique sa pr6dominance estivo-automnale. Le r6servoir naturel des Borrelia' est vaste, qu'il s'agisse d'animaux sauvages (rongeurs, oiseaux, chevreuils...) ou domestiques (b6tail, chiens...).
* Service des maladies infectieuses et tropicales, hdpital Saint-Antoine, 75012.Paris et Universit~ Paris VI
Tir~s ~ part: J. Frottier.adresseci-dessus.
La physiopathologie est particuli6re. A la primoinfection, d6termin6e par la morsure et repr6sent6e par l'6ryth6me chronique migrant, succ6de la phase de diss6mination septic6mique au cours de laquelle les Borrelia peuvent 6tre isol6es "~ partir du sang et du liquide c6phalo-rachidien; cette phase secondaire dure quelques mois ~ deux ans et gu6rit spontan6ment mais, plusieurs ann6es apr6s la contamination, sont encore susceptibles de survenir d'autres manifestations tardives, cutan6es, articulaires, neurologiques, repr6sentant une v6ritable phase tertiaire, toujours li6e h la pr6sence des Borrelia dans les 16sions. Cette longue s6quence de localisations isol6es ou associ6es 6voque les trois phases de ta syphilis (Treponema pallidum est antig6niquement proche des Borrelia). C o m m e dans cette infection, l'agent 6tiologique reste directement responsable des 16sions observ6es, m6me si la pr6sence d'immuns complexes circulants s'y associe, en particulier dans certaines formes neurologiques, cardiaques et articulaires. Chez quelques patients, les trois phases de la maladie vont se chevaucher ou m6me se confondre l'occasion de r6infections. Un facteur g6n6tique pourrait intervenir dans la gravit6 et la diffusion des 16sions ; ainsi le ph6notype H L A D R W 2 favoriserait les complications syst6miques. La phase primaire de l'infection, les caract6res de l'Erythema Chronicu/n Migrans (ECM) sont tr6s 6vocateurs du diagnostic et doivent faire entreprendre l'antibioth6rapie (surtout si cette 6ruption succ6de ~ une morsure de tique). La gu6rison est alors d6finitivement obtenue. Mais, chez 30 "& 40 p. 100 des patients infect6s par Borrelia burgdorferi, I'ECM et la morsure de tique ne sont pas retrouv6s l'interrogatoire et la maladie de Lyme est r6v616e par les localisations visc6rales de la phase secondaire, polymorphe et trompeuse si la s6miologie de l'infection n'est pas parfaitement connue du praticien qui les observe. I1 peut s'agir : -- de pouss6es r6cidivantes d ' E C M , -- de manifestations neuro-m6ning6es, fr6quentes (156 malades sur 200 ayant une maladie de Lyme syst6mique et recens6s par E. Dournon):
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La Revue de M~deeine interne Septembre-Oetobre 1987
m6ningo-radiculon6vrites souvent tr6s algiques (7), int6ressant les nerfs p6riph6riques ou les nerfs crS.niens (surtout la 7 eme paire), d6butant 15 5- 45 jours apr6s l'inoculation, plus rarement enc6phalite avec troubles de la conscience, atteinte m6dullaire pouvant 6voquer une scl6rose multiloculaire par son aggravation progressive. -- de rhumatisme, mono ou polyarticulaire (genoux, mains, pieds, articulations temporo-maxillaires) de type inflammatoire, 6voluant par crises br~ves, s6par6es par des p6riodes de r6mission, -- de troubles de la conduction cardiaque (bloc interventriculaire ou auriculo-ventriculaire de haut degr6) engageant le pronostic vital, de p6ricardites, de myocardites aigu~s, -d'uv6ite ou de conjonctivite aiguE. Ces localisations, qui peuvent 6tre isol6es ou s'associer, ne r6gressent qu'apr6s souvent plusieurs mois d'6volution. Enfin, p l u s t a r d i v e m e n t encore, la maladie de Lyme d6termine, chez quelques patients, des manifestations ehroniques dont l'origine infectieuse n'a 6t6 reconnue qu'avec l'aide de la s6rologie sp6cifique : -- 16sions cutan6es : acrodermatite chronique atrophiante, scl6rodermie en gouttes (morph6e), lymphocytome cutan6 b6nin, -alt6rations des fonctions intellectuelles, troubles de la m6moire et de l'humeur, -- rhumatisme inflammatoire chronique. Toutes ces manifestations justifient d'effectuer, dans le cadre de leur bilan 6tiologique, la s6rologie de la maladie de Lyme par le test d'immunofluorescence indirecte, la mise en 6vidence du germe restant r6serv6e 5- quelques laboratoires. La s6rologie 6tudie les IgM et les lgG, d'apparition plus tardive (50 p. 100 de s6rologies positives 5-
la phase primaire). Au stade ult6rieur, ies titres d ' I g G sont 61ev6s (sup6rieurs 5- 1/256). Les anticorps peuvent 6tre recherch6s dans le L C R 06 leur pr6sence est tr+s suggestive d'une localisation neurom6ning~e. Ce s6rodiagnostic est sp6cifique, 5- l'exception des faux-positifs chez les sujets ayant des anticorps dirig6s contre des bact6ries antig6niquement proches (autres Borrelia, tr6pon6mes, leptospires). De nombreux ruraux auraient en outre une s6rologie positive, secondaire 5- des contacts r6p6t6s avec le germe, m6me en l'absence de toute infection apparente. Le traitement antibiotique (8) doit 6tre entrepris soit devant un tableau 6vocateur tel qu'un ECM ou une m6ningo-radiculite succ6dant 5- une morsure de tique, soit chez un sujet ayant une s6rologie positive et un tableau clinique compatible avec le diagnostic. A la phase primaire, il suffit d'un traitement de 10 5- 15 jours par une t6tracycline ou une amino-p6nicilline; les 6checs sont rares (9); les 16sions plus tardives justifient le recours 5. la p6niciiline G 5- de fortes posologies (20 millions d'unit6s/jour par voie intraveineuse pendant 3 5- 4 semaines), mais les t6tracyclines per os ont 6galement fait la preuve de leur efficacit6 en cure prolong6e. L'effet b6n6fique est d'autant plus rapide que les 16sions sont plus r6centes; aux stades secondaire et tertiaire, la r6gression des sympt6mes est lente et peut rester incompl6te. Un traitement anti-inflammatoire est 6ventuellement associ6 aux antibiotiques, en particulier dans les localisations cardiaques, nerveuses et articulaires. Le concept de maladie de Lyme apparait ainsi partic~di&ement remarquable et d6monstratif. I! a, en effet, permis de d6montrer le caract6re curable et r6gressif, sous l'effet d'un traitement antibiotique, de certains syndromes d6crits de longue date mais dont l'6tiologie bact6rienne n'avait pas 6t6 soupqonn6e.
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