Une innovation thérapeutique : les inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération (ITK 2) dans le traitement de la LMC

Une innovation thérapeutique : les inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération (ITK 2) dans le traitement de la LMC

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Synthèse General review

Volume 98 • N◦ 8 • août 2011 John Libbey Eurotext

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Une innovation thérapeutique : les inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération (ITK 2) dans le traitement de la LMC A therapeutic improvement: second generation tyrosine kinase inhibitors (TKI 2) in the treatment of chronic myelogenous leukemia Article rec¸u le 31 mars 2011, accepté le 28 juin 2011 Tirés à part : F.-E. Nicolini

Marine Demarquet, Hélène Labussière-Wallet, Emmanuelle Nicolas-Virelizier, Franck-Emmanuel Nicolini Hôpital Édouard-Herriot, hématologie clinique, 5, place d’Arsonval, 69437 Lyon Cedex 03, France Pour citer cet article : Demarquet M, Labussière-Wallet H, Nicolas-Virelizier E, Nicolini FE. Une innovation thérapeutique : les inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération (ITK 2) dans le traitement de la LMC. Bull Cancer 2011 ; 98 : 859-866. doi : 10.1684/bdc.2011.1408.

Résumé. Les inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération (ITK 2) représentent un progrès certain dans le traitement des leucémies Philadelphie positives et notamment dans la LMC. Ces agents sont une alternative thérapeutique majeure en cas de résistance ou d’intolérance grave à l’imatinib, en phase chronique et accélérée. Ils sont maintenant introduits en première ligne dans la LMC en phase chronique où ils induisent des taux de réponses cytogénétiques et moléculaires précoces jamais observés à ce jour, ce qui est prometteur pour la survie à long terme. Nous proposons ici une revue synthétique des données actuelles sur l’utilisation des ITK 2 dans la LMC. 

Abstract. Second-generation tyrosine kinase inhibitors (TKI 2) represent a recent important improvement in the treatment of Philadelphia positive leukemias. These agents are a suitable major option if resistance or significant imatinib intolerance occurs in chronic and accelerated phase CML. They are now introduced as first line therapy in chronic phase CML where they induce cytogenetic and molecular response rates never seen to date, which is promising for long-term survival. We propose here an analysis of the main current data available for the use of TKI 2 in CML. 

Mots clés : LMC, imatinib, nilotinib, dasatinib, bosutinib, ITK 2

Key words: CML, imatinib, nilotinib, dasatinib, bosutinib, TKI 2

doi : 10.1684/bdc.2011.1408

Introduction Les progrès thérapeutiques de la leucémie myéloïde chronique (LMC) ont été fulgurants au cours de la dernière décennie grâce à l’introduction de l’imatinib mésylate (IM) [1]. L’action spécifique, ciblée, de cet agent a nécessité une révision intégrale des principes de surveillance et de traitement de la maladie à toutes ses phases. L’amélioration des résultats en termes de réponse et en termes de survie sous imatinib a été spectaculaire, mais l’enthousiasme a été quelque peu tempéré par l’apparition de résistances primaires (phases avancées de la maladie essentiellement) ou plus souvent secondaires (phases chroniques plus volontiers) et d’intolérances vraies à l’imatinib Bull Cancer vol. 98 • N◦ 8 • août 2011

[2] renvoyant les patients à l’utilisation des thérapeutiques antérieures d’efficacité moindre et de toxicités plus élevées (interféron alfa, allogreffe). À partir de 2005, une nouvelle génération d’inhibiteurs de tyrosine kinase (dits de deuxième génération, ITK 2) a représenté une nouvelle alternative thérapeutique pour des patients intolérants ou résistants à l’imatinib, au-delà de la première ligne et a nécessité une nouvelle révision des algorithmes thérapeutiques. Ces ITK 2 sont pour deux d’entre eux (dasatinib, nilotinib) commercialisés en première ligne de traitement des LMC en phase chronique depuis fin 2010 [3, 4] et les résultats observés à ce jour laissent espérer un allongement considérable de la survie des patients au prix des toxicités faibles et

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peut-être même des espoirs de guérisons – ou de maladies indétectables indéfinies – chez certains patients. Nous proposons ici une revue de l’utilisation des ITK 2 dans le traitement de la LMC.

Inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération et leucémie myéloïde chronique en phase chronique Trois ITK 2 (bosutinib, dasatinib, nilotinib) ont été utilisés dans le traitement des LMC en phase chronique, intolérantes ou résistantes à l’imatinib depuis 2005 au sein d’essais thérapeutiques, puis en première ligne thérapeutique depuis 2008.

En deuxième ligne Dasatinib (Sprycel® , Bristol Myers Squibb) Cette molécule a trois caractéristiques essentielles qui la différencie de l’IM : – son activité inhibitrice de BCR-ABL in vitro est plus puissante (c’est actuellement, in vitro, l’inhibiteur le plus puissant connu de l’activité phosphorylante de la kinase ABL) ; – son activité inhibitrice de kinases SRC qui sont intéressées dans la genèse de la maladie, tout au moins en situation de résistance à l’imatinib [5], mais ce qui est aussi source d’effets indésirables additionnels ; – une inhibition efficace de la plupart des formes mutées d’ABL (hormis les mutations Q252H, V299L, T315I, F317L) [6]. Le dasatinib a obtenu l’AMM en deuxième ligne en 2006 pour les LMC en phase chronique, accélérée et blastiques. Son efficacité à la posologie initiale de 70 mg fois deux par jour a été démontrée dans un large essai international de phase II ouvert [7], incluant 186 patients intolérants ou résistants sur les plans cytologiques ou cytogénétiques à l’IM. Après un suivi relativement court (huit mois), on observait une réponse complète hématologique (RCH) et cytogénétique majeure (RCyM) respectivement chez 90 et 52 % des patients. Ces réponses se révélaient durables avec 96 % de RCyM maintenues chez les patients initialement résistants à l’imatinib et 100 % chez les patients intolérants. La survie sans progression était très satisfaisante, de 92,4 %. Des analyses en sous-groupes retrouvaient une efficacité y compris chez les patients n’ayant jamais obtenu

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de réponse cytogénétique sous IM (38 % de RCyM) et chez ceux ayant nécessité des doses majorées d’IM (supérieures à 600 mg/j) (44 % de RCyM). Des réponses, au moins hématologiques, étaient observées pour tous les génotypes de BCR-ABL identifiés lors de la recherche de mutations (26 mutations distinctes, présentes chez 46 patients), à l’exception de la mutation T315I, confirmant les données préexistantes de la littérature. La tolérance du dasatinib est globalement bonne dans cette étude avec 16 cas (9 %) d’interruptions secondaires à des effets indésirables et notamment l’apparition d’épanchements pleuraux (19 % des patients traités dont 3 % graves), effet indésirable caractéristique de cette molécule [8]. D’autres effets indésirables extra-hématologiques sont apparus (céphalées, nausées, diarrhée, parfois cytolyse hépatique), mais restent mineurs. Sur le plan hématologique, les cytopénies (neutropénie, thrombopénie, anémie) sévères (grade 3 ou 4) étaient fréquentes (49, 47 et 22 % respectivement) mais généralement réversibles avec des ajustements de dose. En effet dans ce contexte de deuxième ligne, bien des patients continuent leur traitement à des doses variant de 20 à 100 mg/j. Un essai de phase III [9] plus récent suggère qu’une posologie de 100 mg en une prise par jour est mieux tolérée sans incidence significative sur l’efficacité. Cette étude randomisée multicentrique a regroupé 670 patients intolérants, résistants ou en réponse suboptimale [9] à l’IM. Les patients étaient traités soit par dasatinib 100 mg une fois par jour, 50 mg deux fois par jour, 70 mg deux fois par jour ou 140 mg une fois par jour. Les taux de RCH et de RCyM étaient satisfaisants et durables (respectivement 92 et 63 %, dont 50 % de réponses complètes, 89 % d’entre elles maintenues à deux ans), sans différence significative entre les différents groupes. Les résultats en matière de survie sans progression étaient également comparables : 80 % à deux ans dans le groupe 100 mg contre 75 à 76 % dans les autres groupes. Une analyse complémentaire plus récente [10] montre la faible probabilité d’obtenir une réponse cytogénétique complète (RCyC) en l’absence de toute réponse cytogénétique observée à six mois de dasatinib (50 % à deux ans chez les patients en réponse cytogénétique partielle [RCyP] contre 8 % en cas de réponse cytogénétique mineure et 5 % en l’absence de réponse dans groupe 100 mg). Ces faits sont intéressants à prendre en compte pour le clinicien souhaitant évaluer l’efficacité du traitement en pratique quotidienne. La tolérance était significativement meilleure Bull Cancer vol. 98 • N◦ 8 • août 2011

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dans le groupe 100 mg avec notamment des taux moindres de neutropénies (p = 0,034), de thrombopénies grade 3-4 (p = 0,003) et d’épanchements pleuraux (14 % versus 23 à 25 %, p = 0,049). On note globalement moins d’interruptions thérapeutiques dans le groupe 100 mg à deux ans de suivi.

Nilotinib (Tasigna® , Novartis) Cet ITK 2 a deux caractéristiques essentielles qui le différencie de l’IM : – son activité inhibitrice de BCR-ABL in vitro est plus puissante et très spécifique ce qui limite les effets indésirables dits off-target ; – une inhibition efficace de la plupart des formes mutées d’ABL (hormis les mutations Y253H, E255K/V, T315I, F359C/V) [11]. Le nilotinib a obtenu l’AMM en deuxième ligne dans les LMC en phase chroniques et accélérées (mais non blastiques) en 2007. Son efficacité a été démontrée dans un vaste essai de phase II ouvert, multicentrique, à la posologie de 400 mg deux fois par jour [14, 15] et confirmé par l’étude d’extension ENACT [16]. Trois-cent vingt et un patients résistants ou intolérants à l’imatinib ont été suivis au moins 24 mois, 59 % des patients étaient RCyM (dont 44 % de RCyC) et cette réponse était maintenue à la fin du suivi dans 77 % des cas (84 % en cas de réponse complète). De plus, 82 patients obtenaient une RMM (soit 28 %). La survie sans progression était de 64 % et la survie globale de 87 % à 24 mois. Les réponses dépendaient du statut mutationnel d’ABL [11] avec trois mutations, retrouvées chez 17 % des patients, associées à une absence de RCyC Y253H, E255K/V et F359C/V. Les patients atteints de mutation T315I, résistante étant exclus de cet essai. La tolérance non-hématologique était correcte avec peu d’événements grade 3 ou 4 (2 % des patients souffrant de rashs, céphalées ou diarrhée et inférieur à 1 % pour les autres symptômes). Au niveau biologique, les effets indésirables sévères les plus fréquents étaient une élévation de la lipasémie (18 %), une hypophosphatémie (17 %), une hyperglycémie (12 %) et une hyper-bilirubinémie libre (7 %), et 3 à 4 % de cytolyses hépatiques importantes. Sur le plan hématologique, 31 % des patients ont présenté une neutropénie, 30 % une thrombopénie et 11 % une anémie de grade 3-4, globalement bien contrôlés. L’allongement de l’intervalle Q-T supérieur à 60 millisecondes à l’ECG de j8 était très rare (8/321 : 2,5 %). Bull Cancer vol. 98 • N◦ 8 • août 2011

Bosutinib (non commercialisé, Pfizer) Cet ITK 2 est un inhibiteur puissant de la tyrosine kinase ABL mais inhibe également avec une sélectivité importante la principale SRC kinase hyperexprimée en cas de résistance à l’imatinib [5], la kinase LYN. Il y a peu de données disponibles à ce jour pour cet agent non commercialisé. Un essai de phase II est en cours concernant 283 patients intolérants ou résistants à l’imatinib traités par bosutinib 500 mg une fois par jour [12]. Parmi les patients résistants évaluables, on observait 79 % de RCH, 40 % de RCyM dont 24 % de RCyC, et chez les patients intolérants évaluables 76 % obtenaient une RCH, 59 % de RCyM dont 50 % de RCyC avec un recul maximal de 28 mois (durée médiane de traitement 7,7 mois chez les patients intolérants et 4,5 mois chez les patients résistants). Les effets indésirables du traitement sont principalement digestifs avec 8 % de diarrhée grade 3-4 et 5 % de cytolyses hépatiques (ALAT) également grade 3-4. On note également 8 % d’éruptions cutanées sévères, les autres effets indésirables étant plus rares. Sur le plan hématologique, on retrouvait 23 % de thrombopénies, 13 % de neutropénies et 6 % d’anémies grades 3-4. À noter que 44 % des patients ont arrêté transitoirement le traitement à la suite d’effets indésirables et 30 % ont été contraints à des réductions de doses. En résumé, en deuxième ligne, en phase chronique, nous disposons de trois ITK 2 avec des profils de tolérance différents, un spectre d’activité mutationnel différent (hormis la T315I), résumé au tableau 1, et tout confondu, des résultats similaires en termes de réponses hématologiques cytogénétiques et moléculaires qui semblent pérennes dans le temps, résumé dans le tableau 2.

En première ligne Le dasatinib et le nilotinib ont rec¸u en décembre 2010 l’AMM en première ligne de traitement de la LMC en Tableau 1. Profil mutationnel BCR-ABL et sensibilité au nilotinib et au dasatinib [6, 11, 18, 20].

Mutations spécifiques

Moins sensibles au nilotinib

Moins sensibles au dasatinib

Y253H E255K/V F359C/V T315I

Q252H V299L F317L T315I

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M. Demarquet, et al. Tableau 2. Taux de réponses hématologiques, cytogénétiques et moléculaires aux inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération pour les patients atteints de leucémie myéloïde chronique en phase chronique résistantes ou intolérantes à l’imatinib. Attention, ces données ne sont pas le résultat d’études randomisées et ne devraient pas être mises en parallèle. Dasatinib [7]

Nilotinib [15]

Bosutinib [12]

RCH (%)

92

83a /61b

79

Réponses cytogénétiques Majeure (%) Complète (%)

63 50

59 44

40 24

RMM (%)

NC

28

NC

RCH : réponse complète hématologique ; RCyM : réponse cytogénétique majeure ; RCyC : réponse cytogénétique complète ; RMM : réponse moléculaire majeure ; NC : non communiqué. a Sans mutation BCR-ABL. b Avec mutation BCR-ABL.

phase chronique, suite à la publication de deux essais de phase III multicentriques randomisés ouverts évaluent l’efficacité de l’ITK 2 en comparaison à l’imatinib.

Dasatinib L’étude Dasision [4] a évalué 519 patients porteurs de LMC en phase chronique nouvellement diagnostiquée, randomisés en deux groupes, l’un traité par imatinib 400 mg/j (260 patients), l’autre par dasatinib 100 mg/j. Dans le groupe dasatinib on observait 77 % de RCyC confirmée sur deux prélèvements, contre 66 % dans le groupe imatinib (p = 0,007) et de RMM de 46 % pour dasatinib versus 28 % (p = 0,0001) à 12 mois. Ces réponses étaient significativement plus rapides avec le dasatinib, cependant les taux de survie sans progression et de survie globale à 12 mois restaient similaires. La tolérance était globalement bonne, le dasatinib induisant des effets indésirables attendus d’après les essais de phase II avec une toxicité particulière sur le plan hématologique (thrombopénies grades 3-4, 19 % versus 10 %) et 10 % d’épanchements pleuraux modérés chez ces patients très surveillés sur le plan radiologique. Les symptômes de type nausées, vomissements, myalgies, douleurs musculo-squelettiques, éruptions cutanées étaient beaucoup moins fréquentes sous dasatinib.

Nilotinib L’étude ENESTnd [3] a comparé de manière randomisée l’efficacité du Nilotinib (300 mg deux fois et 400 mg

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deux fois par jour) à celle de l’imatinib (400 mg/j) en première ligne et regroupait 846 patients [3]. Les taux de RCyC à un an étaient plus élevés dans les groupes nilotinib (80 % nilotinib 600 mg, 78 % nilotinib 800) que dans le groupe imatinib (65 % imatinib), p < 0,001 et plus rapides. Les taux de RMM étaient significativement plus élevés dans les groupes nilotinib 600 et 800 mg (respectivement 44 et 43 % versus 22 %) que dans le groupe imatinib, p < 0,001. Si la survie sans progression et la survie globale restaient similaires dans les trois groupes, le nombre de cas de progression vers une transformation en phase accélérée ou blastique était significativement plus bas dans les groupes traités par nilotinib (p = 0,01 et p = 0,004), ce qui n’est pas le cas pour le dasatinib avec 12 mois de recul. La tolérance du nilotinib était, comme dans les essais de phase II, bonne avec une toxicité cutanée (rash essentiellement, ∼ 30 % tous grades pour les branches nilotinib versus 11 % pour imatinib et prurit), des céphalées et des perturbations du bilan hépatique plus fréquentes qu’avec l’imatinib, mais peu de rétentions hydriques et douleurs musculosquelettiques. La tolérance hématologique semble meilleure avec le nilotinib (∼ 10 % de neutropénies et de thrombopénies grade 3-4 avec nilotinib seulement) qu’avec l’imatinib (∼ 20 % de neutropénies grade 3-4).

Bosutinib L’étude BELA est un essai multicentrique de phase III randomisé comparant l’efficacité du bosutinib 500 mg une fois par jour (250 patients) à l’imatinib 400 mg/j (252 patients) [13]. Si les taux de RCyC à 12 mois étaient similaires entre les deux agents (70 % pour le bosutinib, 68 % pour l’imatinib, p = 0,6), les taux de RMM étaient plus élevés avec le bosutinib (39 % versus 26 % avec l’imatinib, p = 0,002). Cependant, l’installation de ces critères de réponse était significativement plus rapide avec le bosutinib. Les survies globales et sans progression restaient similaires et les taux de progression vers une phase avancée non significativement différents (p = 0,05). La tolérance digestive du bosutinib reste difficile avec 68 % de diarrhée tous grades (10 % de grade 3-4), 32 % de vomissements tous grades et 20 % de cytolyses hépatiques grade 3-4 ce qui est un obstacle sévère à la commercialisation de cet agent. La tolérance hématologique est bonne, similaire à celle de l’imatinib hormis les neutropénies grade 3-4 qui sont moins fréquentes (∼ 9 % pour bosutinib versus 23 % pour imatinib). Bull Cancer vol. 98 • N◦ 8 • août 2011

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En résumé, le bosutinib, le dasatinib et le nilotinib administrés en première ligne améliorent significativement les taux de réponse cytogénétique et moléculaire et ont un profil de tolérance sensiblement meilleur que celui de l’imatinib sauf pour le bosutinib, mais pour l’instant n’améliorent pas la survie, ce qui nécessitera de nombreuses années pour être démontré. Seul, à ce jour, le nilotinib démontre une réduction significative du nombre de progressions vers une phase avancée. Une synthèse des données en première ligne est proposé dans le tableau 3.

Inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération et leucémie myéloïde chronique en phase accélérée Aucun des ITK 2 n’a l’AMM pour le traitement des phases accélérées en première ligne car il est difficile d’envisager des essais thérapeutiques compte tenu de la rareté de cette indication. Cependant, le dasatinib et le nilotinib ont obtenu l’AMM pour les phases accélérées en cas de résistance ou d’intolérance au traitement par imatinib en 2006.

Dasatinib L’efficacité du dasatinib (70 mg deux fois par jour) a été démontrée dans un essai de phase II multicentrique sur 174 patients en accélération intolérants ou résistants a l’imatinib [18]. Après un suivi médian de 14 mois, on observait 45 % de RCH et 39 % de RCyM

dont 32 % de RCyC. La survie sans progression à 12 mois de ces patients en impasse thérapeutique était de 66 % et la survie globale de 82 %. La tolérance était globalement bonne, avec des effets secondaires similaires à ceux observés en phase chronique, dont 27 % d’épanchements pleuraux (5 % de grade 3-4). Une réduction de posologie était toutefois nécessaire dans 65 % des cas, dont 30 % pour des raisons de toxicité hématologique (76 % de neutropénies grade 3-4 et 82 % de thrombopénies), ce qui est habituel chez les patients en accélération. Une autre étude publiée la même année suggère qu’une posologie de 140 mg une fois par jour est aussi efficace et mieux tolérée, notamment sur le plan pleural (20 % d’épanchements pleuraux) [19].

Nilotinib L’efficacité du nilotinib (400 mg deux fois par jour) a été démontrée chez 119 patients en phase accélérée, intolérants ou résistants à l’imatinib, au sein d’un essai de phase II [20] et confirmée par l’étude d’extension ENACT [17]. On observait des taux RCH de 26 % et des taux de RCyM de 29 % (16 % de RCyC). La survie globale estimée à 12 mois était de 79 % ce qui est excellent dans ce contexte. Le nilotinib est efficace y compris chez les patients porteurs de mutations avec des taux de réponses hématologiques (complètes plus majeures plus retour en phase chronique) comparables chez les patients mutés (48 %) versus non mutés (45 %). De même des RCyM étaient observées chez les patients ayant une mutation (21 %) versus sans

Tableau 3. Taux de réponses cytogénétiques, moléculaires et progression sous inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération pour les patients atteints de leucémie myéloïde chronique en phase chronique en première ligne. Attention, ces données ne sont pas le résultat d’études randomisées et ne devraient pas être mises en parallèle. Dasision [4]

ENESTnd [3]

BELA [13]

Dasatinib 100 mg (n = 259)

Imatinib 400 mg (n = 260)

Nilotinib 300 mg × 2 (n = 282)

Nilotinib 400 mg × 2 (n = 281)

Imatinib 400 mg (n = 283)

Bosutinib 500 mg (n = 250)

Imatinib 400 mg (n = 252)

RCyC (%)

77a

66a

80

78

65

70

68

RMM (%)

46

28

44

22

39

26

b

b

4b

b

Progression (%)

4,3

Suivi médian (mois)

12

b

5,4

43

1<

b

12

1<

b

4

2

12

RCyM : réponse cytogénétique majeure ; RCyC : réponse cytogénétique complète ; RMM : réponse moléculaire majeure. a RCyC confirmée sur deux prélèvements successifs. b Attention la définition de la progression n’est pas identiques dans les essais.

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mutation (36 %). La tolérance était globalement bonne, avec des effets indésirables grade 3-4 rares. Sur le plan hématologique, on retrouvait 21 % de neutropénies et 35 % de thrombopénies grade 3-4, ce qui est assez faible dans le contexte d’accélérations, facilement corrigées par des réductions de doses ou des interruptions transitoires de traitement. Un cas de pancréatite aiguë clinique était observé.

Inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération et leucémie myéloïde chronique en phases blastiques L’introduction de l’imatinib a diminué significativement l’incidence des crises blastiques, cependant celles-ci surviennent encore régulièrement, sans forcément faire suite à une phase d’accélération transitoire. Seul le dasatinib a obtenu l’AMM en phase blastique myéloïde et lymphoïde en monothérapie, en cas de résistance (ce qui est généralement rapidement le cas) ou d’intolérance à l’imatinib en 2006. Le dasatinib (70 mg deux fois par jour) a été testé dans deux essais de phase II chez des patients en transformation aiguë myéloïde (TAM, n = 74) et lymphoïde (TAL, n = 42), résistants ou intolérants à l’imatinib [21]. Même si les taux de réponse hématologique majeure à huit mois sont observés dans 34 % des TAM et 32 % des

TAL avec 31 % de RCyM dans les TAM et de 50 % dans les TAL, ces réponses ne sont pas pérennes dans le temps et la combinaison dasatinib associé à une chimiothérapie conventionnelle semble une stratégie alternative plus satisfaisante [22]. Les toxicités étaient essentiellement hématologiques, bien évidentes dans cette situation, et pleurale (42 % d’épanchements pleuraux). Le nilotinib (400 mg deux fois par jour) a été testé dans cette situation (étude ENACT [17]) et donne des taux de RCH à cinq mois de 7 % en TAM et 14 % en TAL et des taux de RCyM de 12 % toutes phases blastiques confondues (avec 14 % en TAM et 36 % en TAL). La tolérance était particulièrement satisfaisante sur le plan hématologique et satisfaisante sur le plan extra-hématologique. Néanmoins ces deux agents sont à considérer comme un régime préparatoire à une transplantation allogénique de cellules souches hématopoïétiques de quelque mode que ce soit, seul moyen d’induire une réponse durable dans le temps.

Comment choisir ? Le choix de l’ITK 2 va être guidé par les co-morbidités associées présentées par le patient qui orienteront – en partie – le choix de l’une ou de l’autre molécule en fonction de son profil de tolérance. On évitera le dasatinib en cas d’antécédents d’insuffisance cardiaque ou d’antécédents pneumologiques particuliers, on évitera le nilotinib en cas d’antécédents pancréatiques ou

Tableau 4. Mode de calcul du score de prédiction de réponse aux inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération du Hammersmith Hospital [23]. Points à attribuer Meilleure réponse cytogénétique sous imatinib (% de cellules Philadelphie positives au caryotype)

0 % (RCyC)

0

1-94 % ≥ 95 %

1 3

Score de Sokal du patient

Bas Intermédiaire/élevé

0 0,5

Neutropénie sous imatiniba

Oui Non

1 0

Score Hammersmith

Risque

< 1,5 ≥ 1,5 et < 2,5 ≥ 2,5

Faible Intermédiaire Élevé

RCyC : réponse cytogénétique complète. a Neutropénie de grade 3-4, récurrente malgré une diminution de dose d’imatinib.

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Une innovation thérapeutique : les ITK 2 dans le traitement de la LMC Tableau 5. Taux de réponses hématologiques, cytogénétiques, moléculaires et de survie aux inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération pour les patients atteints de leucémie myéloïde chronique en phase accélérée, résistantes ou intolérantes à l’imatinib. Attention, ces données ne sont pas le résultat d’études randomisées et ne devraient pas être mises en parallèle.

tant pour Novartis et BMS. H. Labussière-Wallet est co-investigatrice des essais ENEST, CA 180 086, Nilopeg, Optimdasatinib, imatinib pour Novartis. E. Nicolas-Virelizier est co-investigatrice des essais thérapeutiques dasatinib et nilotinib pour Novartis.

Références

RCH (%) Réponse cytogénétique RCyM (%) RCyM (%) RMM Survie sans progression à 12 mois (%) Survie globale à 12 mois (%)

Dasatinib [18]

[19]

Nilotinib [20]

45

47

26

39 32 NC 66

39 32 NC 68

29 16 NC NC

82

78

79

RCH : réponse complète hématologique ; RCyM : réponse cytogénétique majeure ; RCyC : réponse cytogénétique complète ; RMM : réponse moléculaire majeure ; NC : non communiqué.

dermatologiques graves. En première ligne les deux molécules apparaissent équivalentes pour l’instant en efficacité et d’ailleurs en coût. En deuxième ligne, en cas de résistance ou même d’intolérance, tous les patients doivent être screenés pour les mutations d’ABL et le choix va se porter sur le dasatinib ou le nilotinib en fonction du statut mutationnel (tableau 1) s’il y en a un. Ensuite en fonction du calcul d’un score pronostique de réponse précoce aux ITK 2 (tableau 4 [23]), il est possible d’orienter les patients vers une poursuite de l’ITK 2 ou vers une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques quand elle est possible, en attendant la mise à disposition d’un inhibiteur de troisième génération qui semble très prometteur, le ponatinib (tableau 5).

Conclusion Les ITK 2 représentent un réel progrès dans la prise en charge thérapeutique des leucémies à chromosome Philadelphie et essentiellement la LMC, et donnent des résultats très satisfaisants en deuxième ligne après échec de l’imatinib, et spectaculaires en première ligne pour les LMC en phase chronique malgré un recul encore insuffisant. Leur association possible à d’autres thérapeutiques de type interféron, en première ligne pourrait améliorer encore les résultats.  Conflits d’intérêts : F.-E. Nicolini a été investigateur principal des essais ENACT et ENESTnd pour Novartis Oncologie. Il est coinvestigateur des essais thérapeutiques Dasatinib et Nilotinib pour ce même laboratoire. Il intervient en qualité d’orateur et de consul-

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