Une insuffisance aortique diagnostiquée sous cabergoline

Une insuffisance aortique diagnostiquée sous cabergoline

Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 58 (2009) 189–191 Fait clinique Une insuffisance aortique diagnostiquée sous cabergoline An aortic insuffici...

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Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 58 (2009) 189–191

Fait clinique

Une insuffisance aortique diagnostiquée sous cabergoline An aortic insufficiency diagnosed under cabergoline F. Chagué a,∗ , I. Belleville c , B. Boujon b , J.-M. Petit c a

Centre d’explorations fonctionnelles, hôpital du Bocage, boulevard Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 21034 Dijon cedex, France b Centre de cardiologie, hôpital du Bocage, boulevard Maréchal-de-Tassigny, 21034 Dijon cedex, France c Service d’endocrinologie, hôpital du Bocage, boulevard Maréchal-de-Tassigny, 21034 Dijon cedex, France Rec¸u le 25 juillet 2007 ; accepté le 28 mai 2008 Disponible sur Internet le 3 juillet 2008

Résumé Nous rapportons l’observation d’une patiente chez qui le diagnostic d’insuffisance aortique restrictive a été posé alors qu’elle était traitée pour hyperprolactinémie par de petites doses de cabergoline. Des atteintes valvulaires similaires ont été décrites avec la cabergoline et d’autres agonistes dopaminergiques, traitements auxquels notre patiente avait eu recours plusieurs années auparavant. Cependant la chronologie des évènements rend suspecte la cabergoline, molécule dont les effets valvulaires n’avaient jusque là été seulement décrits qu’avec des doses nettement supérieures. Une telle observation incite à pratiquer une échocardiographie chez les patients sous cabergoline, même prise à faible dose ; cette précaution doit probablement être renforcée lorsqu’il y a eu exposition antérieure à d’autres agonistes dopaminergiques. Enfin, la découverte d’une valvulopathie restrictive doit faire rechercher une origine iatrogène causée par cette classe thérapeutique. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract We report the case of a restrictive aortic insufficiency diagnosed on a 53-year old woman while being treated by low dose of cabergoline for hyperprolactinemia. Such valves involvements had already been described with cabergoline and other dopamine agonists, drugs the patient was previously exposed to. However, chronology of events leads us to suspect cabergoline, although such effects had only been described with much higher doses. This case may recommend to perform echocardiograms upon patients treated by cabergoline, and probably such a caution may be enforced in patients previously exposed to other dopamine agonists. On another hand, the diagnostic of a restrictive valvulopathy may lead to suspect a iatrogenic origin including dopamine agonists. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Cabergoline ; Agonistes dopaminergiques ; Valvulopathie ; Hyperprolactinémie Keywords: Cabergoline; Dopamine agonists; Valvulopathy; Hyperprolactinemia

Largement utilisée dans le traitement de la maladie de Parkinson, le syndrome des jambes sans repos et l’hyperprolactinémie (seule indication retenue en France), la cabergoline a été rendue responsable de valvulopathies [1,2]. Nous rapportons une observation dont l’originalité est la découverte d’une insuffisance aortique lors d’une exposition à une dose nettement inférieure à ce qui a été décrit auparavant.



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Chagué).

0003-3928/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ancard.2008.05.022

1. Observation Madame C, 53 ans n’a aucun antécédent familial de cardiopathie, n’a jamais souffert de rhumatisme articulaire aigu, on ne lui a jamais retrouvé de souffle précordial, et elle ne décrit pas de signes évocateurs de syndrome carcinoïde. Ses seuls antécédents notables sont la réalisation de deux césariennes, une exérèse de tumeur bénigne du sein gauche en 1996, la prise de fenfluramine pendant deux mois en 1987, de dexfenfluramine pendant six mois en 1992 et sept mois en 1994, et surtout la mise en évidence d’une hyperprolactinémie en

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Fig. 1. Aspect en dôme des sigmoïdes aortiques.

janvier 1993. Elle est alors placée sous bromocriptine jusqu’en décembre 2001 puis sous cabergoline à une posologie de 0,5 à 1 mg par semaine, la dose totale cumulée étant de 140 mg environ. Le 20 mars 2007, alors qu’elle est asymptomatique et que son hyperprolactinémie est équilibrée, lui est découvert un souffle diastolique parasterna1 à 2/6, le reste de son examen clinique étant sans anomalie. L’électrocardiogramme est normal, sans notamment de signes de surcharge cavitaire. L’écho-doppler cardiaque (Vivid 7 GE ultrasounds) réalisé par voie transthoracique retrouve une crosse aortique dont les différents diamètres sont normaux. On est frappé par un aspect épaissi et rétractile des trois sigmoïdes (Fig. 1–3) ; il existe une insuffisance aortique centrale partant sous l’épaississement rétractile de la sigmoïde coronaire droite (Fig. 4 et 5) grade 2 (largeur de jet à l’origine 4 mm, rayon d’isovitesse de la zone de convergence 4 mm, temps de demi décroissance 591 ms, volume régurgité 32 ml, effet télédiastolique à 18 cm/s dans la crosse aortique pour une vitesse antérograde de 118 cm/s). Il n’y a pas d’autre valvulopathie, la fonction ventriculaire gauche est normale, (fraction d’éjection 66 % selon la méthode de Simpson sur une cavité non dilatée (diamètre télédiastolique 49 mm), et la pression artérielle pulmonaire, dérivée du flux tricuspide, est normale à 23 mmHg. L’hyperprolactinémie étant d’origine non tumorale et le taux hormonal normalisé,

Fig. 2. Aspect épaissi des trois sigmoïdes aortiques.

Fig. 3. Épaississement rétractile du bord libre de la sigmoïde coronaire droite.

Fig. 4. Insuffisance aortique grade 2.

le traitement par cabergoline est interrompu et il est décidé une abstention thérapeutique sous surveillance. La patiente est revue en octobre 2007 : la prolactinémie est normale, la patiente asymptomatique sur le plan cardiovasculaire et endocrinien, avec des données cliniques et échocardiographiques stables.

Fig. 5. Insuffisance aortique partant sous la sigmoïde coronaire droite.

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2. Discussion Les atteintes valvulaires induites par la cabergoline sont dues à son action sur les récepteurs à la sérotonine 5-HT2B. Ces récepteurs sont nombreux sur les valves cardiaques et leur stimulation entraîne une stimulation de la mitogénèse à l’origine d’un épaississement fibreux [3]. Ce mécanisme expliquerait la similitude des lésions valvulaires observées dans le syndrome carcinoïde et celles constatées lors de l’exposition à des substances ayant une forte affinité pour ces récepteurs, comme certains dérivés des amphétamines (fenfluramine, dexfenfluramine, méthylène DioxyMéthamphétamine [ecstasy]) et de l’ergot de seigle (dihydroergotamine, methysergide, agonistes dopaminergiques, comme le pergolide et la cabergoline) ; inversement, d’autres dérivés de l’ergot de seigle ayant peu d’affinité pour ces récepteurs comme la bromocriptine n’induiraient pas de valvulopathies [3], même si une observation isolée fait suspecter cette molécule [4]. Les atteintes valvulaires liées à la prise de ces agonistes dopaminergiques (cabergoline et pergolide) sont de type restrictif par épaississement et rétraction des valves cardiaques, l’atteinte pouvant être mono- ou plurivalvulaire [3,5,6]. Ces anomalies peuvent dans bon nombre de cas régresser, voire même disparaître après l’arrêt du traitement [1,6]. Le récent travail de Schade et al. [1] étudie, à partir de la base de données de l’United Kingdom General Practice Research Database, la survenue de régurgitations valvulaires (diagnostic clinique, échocardiographique ou angiographique) chez 11 417 patients traités par antiparkinsoniens entre 1988 et 2005 : alors qu’aucun cas n’est apparu sous bromocriptine, la prise de cabergoline multipliait le risque de régurgitation valvulaire par 4,9 avec comme facteur de risque de survenue la durée supérieure à six mois et la dose journalière d’au moins 3 mg/j. Dans le travail échographique également réalisé chez des patients traités pour maladie de Parkinson et publié dans le même numéro du N Engl J Med, par Zanettini et al. [2], la prise de cabergoline augmentait le risque de régurgitation (grade 3 ou 4) de 28,6 % par rapport au groupe témoin ; le risque de survenue d’une insuffisance aortique (au moins modérée) était multiplié par 7,3, et la gravité de la fuite était corrélée à la dose cumulée. Chez notre patiente, l’origine iatrogène de la valvulopathie nous parait très probable, d’une part du fait de l’exposition à différents traitements à risque et, d’autre part au vu des constatations échographiques très particulières qui sont celles décrites dans la littérature [1–3,6–8], notamment l’aspect en dôme des sigmoïdes aortiques [6]. La bromocriptine ne parait guère suspecte au vu des arguments précisés ci-dessus, et le souffle d’insuffisance aortique est apparu douze ans après l’interruption de la fenfluramine et de la dexfenfluramine, ce qui ne plaide pas en faveur de leur culpabilité. La responsabilité de la cabergoline nous paraît envisageable sur des arguments chronologiques puisque la valvulopathie est apparue sous cabergoline et donc plusieurs années après l’arrêt de tout autre traitement. Certes nous ne disposons pas d’examen écho-

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cardiographique antérieur mais les différents examens cliniques répétés par le même praticien s’étaient toujours avérés normaux, y compris trois mois avant le diagnostic. La durée d’exposition au traitement de notre patiente (58 mois) est superposable à ce qui a déjà été décrit [4] mais la posologie (0,5 à 1 mg par semaine) et la dose cumulée (140 mg environ) sont extrêmement faibles de l’ordre de trente fois moins que ce qui est habituellement signalé [1,2,6,7], Waller et al. innocentant les posologies de pergolide (molécule très voisine) inférieures à 1 mg/j [9]. On ne peut cependant exclure l’aggravation sous cabergoline de lésions antérieurement causées par les traitements pris auparavant et, notamment par les anorexigènes dont on connaît la toxicité même lorsqu’ils sont prescrits dans le cadre de cures courtes [10]. Enfin, le faible recul dont nous disposons ne permet pas de présager de la réversibilité éventuelle de la valvulopathie à distance de l’arrêt du traitement. 3. Conclusions La constatation échographique d’une insuffisance valvulaire restrictive doit faire rechercher une prise d’agoniste dopaminergique. La prescription de cabergoline même à faible posologie justifie la mise en route d’une surveillance échocardiographique, au moins chez des patients auparavant exposés à d’autres traitements pouvant occasionner des lésions valvulaires. Chez de tels patients, il serait probablement préférable de choisir une autre option thérapeutique. Références [1] Schade R, Andersohn F, Suissa S, Haverkamp W, Garbe E. Dopamine agonists and the risk of cardiac-valve regurguitation. N Engl J Med 2007;356:29–38. [2] Zanettini R, Antonini A, Gatto G, Gentile R, Tesei S, Pezzoli G. Valvular heart disease and the use of dopamine agonists for Parkinson’s disease. N Engl J Med 2007;356:39–46. [3] Roth BL. Drugs and valvular heart disease. N Engl J Med 2007;356:6–9. [4] Serratrice J, Disdier P, Habib G, Viallet F, Weiller PJ. Fibrotic valvular heart disease subsequent to bromocriptine treatment. Cardiol Rev 2002;10:334–6. [5] Corvol JC, Schupbach M, Bonnet AM. Valvulopathie sous pergolide : revue critique de la littérature et conduite à tenir en pratique. Rev Neurol 2005;161:637–43. [6] Van Camp GV, Flamez A, Cosyns B, et al. Treatment of Parkinson’s disease with pergolide and relation to restrictive valvular heart disease. Lancet 2004;363:1179–83. [7] Yamamoto M, Uesugi T, Nakayama T. Dopamine agonists and cardiac valvulopathy in Parkinson disease. Neurology 2006;67:1225–9. [8] Junghanns S, Fuhrmann JT, Simonis G, Oelwein C, Koch R, Strasser RH. Valvular heart disease in Parkinson’s disease patients treated with dopamine agonists: a reader-blinded monocenter echocardiography study. Mov Disord 2007;22:234–8. [9] Waller EA, Kaplan J, Heckman MG. Valvular heart disease in patients taking pergolide. Mayo Clin Proc 2005;80:1016–20. [10] Shivelly BK, Roldan CA, Gill EA, Najarian T, Loar SB. Prevalence and determinants of valvulopathy in patients treated with dexfenfluramine. Circulation 1999;100:21–7.