Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 133 (2016) 257–258
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Une tumeur jugale夽 C.A. Righini a,∗,b , A. Bailly c , I. Atallah a,b a
Clinique universitaire d’ORL, pôle PALCROS, CHU de Grenoble, hôpital Nord Michallon, CS 10217, 38043 Grenoble cedex 9, France Université de médecine Joseph-Fourier, 38041 Grenoble cedex 9, France c UM d’anatomie pathologique, pôle biologie, 38043 Grenoble cedex 9, France b
1. Cas Une femme, 59 ans, sans antécédent présentant une tuméfaction jugale gauche apparue trois ans auparavant, a consulté son médecin traitant qui a demandé une échographie. Cet examen a conclu à la présence d’un kyste sébacé situé en avant de la glande parotide. La patiente a été adressée à un chirurgien plasticien qui a réalisé un abord chirurgical direct de la masse, sous anesthésie locale. Pendant l’intervention, la masse étant situé au-delà du derme profond, la chirurgie a été interrompue. La patiente a été adressée en ORL avec une tomodensitométrie injectée (TDM) du
massif facial (Fig. 1A). L’examen clinique retrouvait une tuméfaction oblongue de 2 cm, mobile par rapport à la peau, fixée en profondeur, ferme, non douloureuse, non inflammatoire, sans paralysie faciale. Le reste de l’examen ORL était normal. La TDM montrait une masse bien circonscrite, située en avant de la glande parotide, au sein du muscle masseter. La patiente a été opérée par voie de parotidectomie gauche, sans dissection de la glande et du nerf facial mais de 2 branches extra-glandulaires, passant sur le masseter en regard de la masse. L’ouverture du muscle a permis d’extraire une tumeur en monobloc, analysée en anatomopathologie (Fig. 1B).
Fig. 1. A. Tomodensitométrie en coupe axiale injectée. → : muscle masseter ; * : tumeur ; P : glande parotide gauche. B. Coupe histologique (Grossissement × 10, coloration HES). CF : cellules fusiformes ; CDV : corps de Verocay.
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DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2016.02.003. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C.A. Righini). http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2015.11.004 ´ ´ 1879-7261/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv es.
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C.A. Righini et al. / Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 133 (2016) 257–258
2. Réponses L’examen anatomopathologique a confirmé qu’il s’agissait d’un schwannome de type Antoni A, avec un marquage positif en immuno-histo-chimie (IHC) pour la protéine S100 et la vimentine. L’exérèse a été complète. Le suivi a été de 18 mois, sans rechute. Les Schwannomes ou neurilemmomes naissent des cellules de schwann qui forment le revêtement glial des nerfs crâniens, périphériques et sympathiques. Ils sont à distinguer des neurofibromes qui ont la même origine anatomique, mais développés à partir de deux contingents cellulaires, les cellules de schwann et les cellules périneurales, auxquelles s’associe un contingent fibrobastique [1]. Les schwannomes sont des tumeurs bénignes [2]. Macroscopiquement, il s’agit de tumeurs rondes ou oblongues, blanc-nacrées, lisses et entourées d’une capsule en continuité avec l’épinèvre du nerf porteur. Des zones de nécrose, de calcification et de dégénérescence kystique peuvent exister. Elles expliquent l’aspect lobulé de certains schwannomes. Histologiquement, ces tumeurs sont composées exclusivement de cellules de schwann différenciées. Deux types ont été décrits par Antoni en fonction des variations architecturales et en particularité la cellularité : les types A et B. Dans le type A, les cellules tumorales sont fusiformes, avec des noyaux réguliers et adoptent une architecture en faisceaux entrecroisés, tourbillonnants ou storiformes, réalisant des palissades dits corps de Verocay (Fig. 1B). Dans le type B, les cellules sont plus petites, de formes ovalaire ou irrégulière, avec des noyaux polymorphes, mais dépourvus d’atypie ou de mitoses, disséminées dans un gel myxoïde. Leur disposition est réticulaire, sans polarisation. Dans la majorité des cas, ce sont des tumeurs uniques diagnostiquées à l’âge adulte, entre 20 et 50 ans [3,4]. Les signes cliniques diffèrent en fonction de la localisation anatomique. La croissance de ces tumeurs est variable, généralement lente. Le sex-ratio est de 1/1 [4]. Il n’existe aucun facteur étiopathogénique ni prédisposition génétique connus. De fac¸on quasi constante, il n’y a pas de dysfonction du nerf porteur [4]. Les patients consultent lorsque la taille de la tumeur est importante, devenant disgracieuse, associée ou non à des douleurs, celles-ci n’étant pas liées à la tumeur elle-même mais à la compression des structures anatomiques adjacentes [5]. La localisation des schwannomes est ubiquitaire, mais plus de 40 % se situent au niveau de la tête et du cou, dont une majorité au niveau du nerf cochléo-vestibulaire [1]. Trois régions anatomiques sont particulièrement concernées : l’espace parapharyngé rétrostylien, l’étage moyen de la gouttière vasculaire du cou et le creux sus-claviculaire [4]. Les autres localisations sus-claviculaires sont beaucoup plus rares : le scalp, la glande parotide, la langue, la joue au sein du muscle buccinateur ou masseter. Les localisations intramusculaires sont exceptionnelles. Moins de 10 cas de schwannomes masséterins sont rapportés dans la littérature [4,6]. Ces schwannomes se développent aux dépends du nerf massétérique ou une de ses branches, issu du nerf temporo-massétérique,
lui-même branche du nerf mandibulaire (V3). Dans la quasi-totalité des cas, la clinique se résume à une masse jugale, unique, les patients consultant lorsque la tumeur est volumineuse, occasionnant une disgrâce esthétique. Exceptionnellement, s’y associe une extension dans la fosse infra-temporale et l’espace parapharyngé rétrostylien en cas de tumeur polylobée, l’extension se faisant au travers de l’incisure mandibulaire [5]. Dans ce cas la tumeur jugale est associée à une voussure latéro-pharyngée accompagnée ou non de douleurs pharyngées en cas de compression des nerfs crâniens (IX, X). Les examens radiologiques les plus souvent réalisés sont l’échographie, la TDM avec injection et l’IRM [4]. L’échographie est peut contributive au diagnostic. Elle peut être associée à une ponction à l’aiguille fine, généralement difficile et pauci-cellulaire du fait de la densité tissulaire, lui conférant une faible valeur diagnostique. La TDM injectée visualise une masse rehaussée par l’injection, souvent retardée dans le temps en raison du type de vascularisation tumorale (Fig. 1A). En cas de volumineuse tumeur, l’aspect est hétérogène lié à des zones de nécrose, d’hémorragie intratumorale et de dégénérescences kystiques et graisseuses. L’IRM est sans nul doute le meilleur examen pour l’exploration des tumeurs nerveuses. Il n’a pu être fait dans le cas rapporté, la patiente étant claustrophobe. Le signal retrouvé est généralement homogène avec une intensité intermédiaire en T1 et un hypersignal en T2, avec un rehaussement lors de l’injection de Gadolinium. Il peut être hétérogène en cas de volumineuse tumeur pour les mêmes raisons que celles mentionnées pour la TDM. Le traitement de référence des schwannomes est chirurgical. La voie d’abord est adaptée à la localisation de la tumeur. En cas de localisation massetérine, il n’y a pas de consensus et deux voie d’abord sont proposées : l’abord direct trans-jugal ou une voie d’abord type parotidectomie. La seconde nous paraît être la plus appropriée. Le nerf d’origine n’est pas toujours identifiable, comme dans notre cas. S’il l’est, il doit être sectionné en amont et en aval de la tumeur. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Mills S, Gaffey M, Frierson HF. Atlas of tumours pathology. Tumours of the upper aerodigestive tract and ear. AFIP 2000:131–5. [2] Kleinves P, Cavenee W. Pathology & genetics. Tumours of nervous system. Ed. WHO International Agency of Research on Cancer; 1997 [p. 126–28 et 172–8]. [3] Nakamura A, Iguchi H, Kusuki M, et al. Intramasseteric schwannoma in a child. Auris Nasus Larynx 2006;33:347–50. [4] Righini CA, Motto E, Faure Cl, et al. Schwannomas of the neck. About 3 cases, and literature review. Rev Laryngol Otol Rhinol 2007;128:109–15. [5] Ishikawa T, Murakami K, Yasui R, et al. A multifocal schwannoma of the masseteric nerve causing hemicrania. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1991;71:329–32. [6] He Y, Fu HH, He J, et al. Schwannoma arising from intramasseteric region. J Craniofac Surg 2010;21:1998–2001.