Club d’infectiologie
Ann Fr Anesth Réanim 2002 ; 21 : 414-7 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765802006287/FLA
Utilisation des glycopeptides en anesthésie-réanimation R. Gauzit*, le Club d’infectiologie en anesthésie-réanimation (CIAR) et le laboratoire Aventis Département d’anesthésie-réanimation, CHU Jean-Verdier, avenue du 14-juillet, 93143 Bondy cedex, France
RE´SUME´ Dans le but de préciser les modalités d’utilisation des glycopeptides en réanimation, une enquête déclarative d’intention a été effectuée en juin 2001, sous forme d’un questionnaire postal : 742 réponses ont pu être exploitées. L’analyse des résultats montre que 15 % des médecins ayant répondu n’ont pas utilisé de glycopeptide au cours des six derniers mois. La vancomycine est préférentiellement choisie, 65 % des praticiens étant des prescripteurs exclusifs de vancomycine, alors que 1 % d’entre eux ne prescrivent que de la téicoplanine. Pour la vancomycine, une voie centrale est utilisée 9 fois sur 10 et une perfusion continue est préférentiellement choisie (69 % versus 48 %). Une dose de charge est prescrite dans 70 % des perfusions continues (≥ 15 mg·kg–1 dans 69 % des cas) et dans 19 % des administrations discontinues (≥ 15 mg·kg–1 dans 90 % des cas). La posologie moyenne de vancomycine est de 30 mg·kg–1·j–1, avec en cas d’administration discontinue deux (51 %), trois (17 %) ou quatre (27 %) injections par jour. Les objectifs de concentration sont une vancomycinémie résiduelle comprise entre 13,5 et 23,6 mg·L–1 en administration discontinue et une concentration en plateau comprise entre 18,3 et 29,4 mg·L–1 en cas de perfusion continue. La téicoplanine est administrée par voie intraveineuse (92 %) et/ou intramusculaire (34 %). La posologie moyenne est < 10 mg·kg–1·j–1 7 fois sur 10. Une dose de charge est administrée toutes les 12 heures à la même posologie dans 77 % des cas (≤ 3 injections pour 65 % des prescripteurs). La concentration résiduelle de téicoplanine recherchée est comprise entre 14,3 et 25 mg·L–1. Un suivi des concentrations sériques est effectué au moins une fois par semaine dans 97 % des cas pour la vancomycine, et dans 66 % pour la téicoplanine. En conclusion, il semble que les modalités d’utilisation des glycopeptides soient très variables, la grande hétérogénéité des pratiques laissant supposer un manque d’adhésion des prescripteurs aux *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
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recommandations actuelles. Il apparaît également qu’une définition précise des objectifs de concentrations plasmatiques à obtenir en fonction des indications est nécessaire. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS concentration plasmatique / enquête de pratique / glycopeptides / modalités de prescription / posologie / téicoplanine / vancomycine
ABSTRACT The use of glycopeptides in intensive care and anaesthesia. With the objective of clarifying the modes of using glycopeptides in intensive care, a survey with a declared intention was performed in June 2001, in the form of a postal questionnaire; it was possible to exploit 742 answers. Analysis of the results showed that 15% of the doctors completing the questionnaire had not employed glycopeptides within the past six months. Preference was given to vancomycin, and 65% of practitioners prescribed this drug only, while 1% of them only prescribed teicoplanin. For vancomycin, a central route is used in 9 out of 10 cases, with a preference for continuous infusion (69% versus 48%). A loading dose is prescribed in 70% of continuous infusions (≥ 15 mg·kg–1 in 69% of cases), and in 19% of intermittent infusions (≥15 mg·kg–1 in 90% of cases). The mean vancomycin dosage is 30 mg·kg–1·d–1; in the case of intermittent administration this involves two (51%), three (17%) or four (27%) injections per day. The target concentrations are residual serum vancomycin levels of between 13.5 and 23.6 mg·L–1 with intermittent administration or plateau levels of 18.3 to 29.4 mg·L–1 with continuous infusion. Teicoplanin is administered intravenously (92%) and/or via the IM route (34%). The mean dosage is <10 mg·kg–1·d–1 in seven out of ten cases. A loading dose is administered every 12 hours at the same dosage in 77% of cases (≤ 3 injections for 65% of prescribers). The residual teicoplanin concentrations sought are between 14.3 and 25 mg·L–1. Moni-
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toring of serum levels is ensured at least once a week in 97% of cases with vancomycin and 66% of cases with teicoplanin. In conclusion, is seems that the methods of using glycopeptides vary considerably. The great heterogeneity of practices suggests a lack of compliance by prescribing practitioners with current recommendations. It also seems that a precise definition of the target plasma levels to be achieved in different indications is necessary. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS dosage / glycopeptides / plasma concentration / prescribing methods / survey of practices / teicoplanin / vancomycin
Quelles sont les modalités réelles d’utilisation des glycopeptides en réanimation, et sont-elles conformes aux recommandations actuelles ? Pour répondre à ces questions, le Club d’infectiologie en anesthésieréanimation a réalisé une enquête de pratique grâce au soutien des laboratoires Aventis et avec le concours de la société Taylor Nelson Sofres. Il s’agit d’une enquête déclarative de pratique réalisée en juin 2001, par l’intermédiaire d’un questionnaire postal, auprès de 9 801 médecins travaillant en réanimation. Sur les 753 réponses reçues, 742 étaient analysables, soit un taux de retour du questionnaire de 7,7 % et un taux de validation de 7,6 %. UTILISATION D’UN GLYCOPEPTIDE AU COURS DES SIX DERNIERS MOIS Plus d’un prescripteur sur deux (56 %) déclarent avoir utilisé seulement la vancomycine, 29 % la téicoplanine et la vancomycine et 15 % aucun des deux. Seuls sept prescripteurs ont utilisé exclusivement la téicoplanine (1 %). Si on exclut des résultats les 108 médecins n’ayant pas utilisé de glycopeptides dans les six mois précédant l’enquête, le pourcentage d’utilisateurs exclusifs de vancomycine atteint 65 %, contre 34 % pour ceux qui ont utilisé les deux molécules. En cas d’infection documentée à staphylocoque résistant à la méticilline, 84 % des prescripteurs ayant répondu à l’enquête ont recours à des associations d’antibiotiques : systématiquement (51 %) ou souvent (33 %). Ce choix est « rare » dans 13 % des cas et seuls 2 % des médecins interrogés ont déclaré ne jamais avoir utilisé une association d’antibiotiques. Le nombre moyen d’associations citées est de 2,3 (tableau I). Les associations citées comprennent
Tableau I. Associations prescrites dans les infections documentées à staphylocoques résistants à la méticilline. Glycopeptide + aminoside Gylcopeptide + rifampicine Glycopeptide + fosfomicine Glycopeptide + acide fusidique Glycopeptide + céphalosporine Glycopeptide + quinu/dalfopristine Autres associations Jamais d’association Nombre moyen d’associations citées
77 % 50 % 46 % 33 % 12 % 2% 7% 1% 2,3
presque systématiquement un glycopeptide (98 % des cas) qui est le plus souvent associé à un aminoside, à la rifampicine, à la fosfomycine ou à l’acide fusidique. MODALITÉS D’UTILISATION DE LA VANCOMYCINE La voie centrale a été citée par 91 % des prescripteurs et la voie périphérique par 47 % (plusieurs réponses étaient possibles). La voie périphérique semble avoir été utilisée surtout dans les 48 premières heures, en attendant les résultats bactériologiques et la mise en place d’une voie centrale. La perfusion continue est plus souvent choisie que l’administration discontinue (69 % contre 48 %). Administration de la vancomycine en perfusion discontinue La plupart des prescripteurs ont déclaré utiliser la vancomycine à la posologie 30 mg·kg–1·j–1 (72 %) (tableau II). Les utilisateurs d’une posologie plus faible ou plus forte représentent 13 % dans chaque cas. Une dose de charge (≥ 15 mg·kg–1 9 fois sur 10) est prescrite dans 19 % des cas. Chez les sujets à fonction rénale normale, le nombre quotidien d’injections est le plus souvent de deux (51 %) mais respectivement 17 et 27 % des prescripteurs déclarent prescrire la posologie journalière de vancomycine en trois ou quatre injections. Quand elle est utilisée, la dose de charge est le plus souvent unique (76 % des cas) et seuls 8 % des prescripteurs déclarent administrer plus d’une dose de charge (réponses imprécises : 15 %).
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Tableau II. Vancomycine en discontinue : modalités de prescription. Posologie moyenne administrée – moins de 30 mg·kg–1·j–1 – 30 mg·kg–1·j–1 – plus de 30 mg·kg–1·j–1 Nombre d’injections (fonction rénale normale) – 1 injection – 2 injections – 3 injections – 4 injections
Posologie moyenne administrée – 6 mg·kg–1·injection–1 – 6 à 10 mg·kg–1·injection–1 – 10 mg·kg–1·injection–1 Faites-vous une dose de charge ?
13 % 72 % 13 % 1% 51 % 17 % 27 %
}
44 %
Administration de la vancomycine en perfusion continue La posologie moyenne administrée en 24 heures est pour deux prescripteurs sur trois de 30 mg·kg–1 (tableau III). Cette posologie journalière est identique à celle qui est prescrite par les médecins qui utilisent une administration discontinue. En revanche, le pourcentage de prescripteurs qui ont recours à une dose de charge est ici plus important : 70 %. La dose de charge est unique neuf fois sur dix et est ≥ 15 mg·kg–1 dans 69 % des cas (tableau III). MODALITÉS D’UTILISATION DE LA TÉICOPLANINE La téicoplanine est administrée essentiellement par voie intraveineuse (92 %), mais également par voie intramusculaire puisque 34 % des médecins peuvent y avoir recours. La posologie moyenne administrée est de 6 mg·kg–1 par injection dans 64 % des cas, 10 mg·kg–1 dans 24 % des cas, et est intermédiaire dans 8 % (la posologie n’est pas précisée dans 4 % des réponses) (tableau IV). Une dose de charge est pratiquée par 77 % des prescripteurs. Mais il existe Tableau III. Vancomycine en continue : modalités de prescription. Posologie moyenne administrée – moins de 30 mg·kg–1·j–1 – 30 mg·kg–1·j–1 – plus de 30 mg·kg–1·j–1 Faites-vous une dose de charge ? (une injection dans 88 % des cas) Posologie de la dose de charge : – moins de 15 mg·kg–1·j–1 – 15 mg·kg–1·j–1 – plus de 15 mg·kg–1·j–1
15 % 64 % 19 % Non : 27 % Oui : 70 % NSP : 3 % 29 % 53 % 16 %
Tableau IV. Téicoplanine : modalités de prescription.
Nombre de doses de charge effectué – 1 injection – 2 injections – 3 injections – 4 injections – 5 injections et plus
64 % 8% 24 % Non : 21 % Oui : 77 % NSP : 2% 15 % 31 % 19 % 20 % 11 %
}
50 %
une grande variabilité dans le nombre de doses de charge effectuées, avec cependant moins de quatre injections dans 65 % des cas. La répartition exacte est la suivante : une dose de charge : 15 %, deux doses de charge : 31 %, trois doses de charge : 19 %, quatre doses de charge : 20 %, 5 doses de charge ou plus : 11 % (tableau IV). Cette dispersion témoigne du fait que de nombreux prescripteurs s’en tiennent au respect des directives inscrites sur le « résumé des caractéristiques du produit ». SUIVI DES CONCENTRATIONS SÉRIQUES Les dosages plasmatiques de la vancomycine sérique sont réalisables dans 87 % des établissements, alors que ceux de téicoplanine ne le sont que dans un établissement sur deux (51 %). Il ne faut sans doute pas en déduire que la téicoplanine est utilisée sans surveillance des taux plasmatiques, mais plutôt que les dosages sont réalisés dans un laboratoire extérieur à l’établissement. Un monitorage des concentrations sériques de vancomycine est effectué par 96 % des prescripteurs qui utilisent la perfusion continue et 81 % de ceux qui recourent aux injections discontinues. Dans ce dernier cas, c’est dans 35 % des cas la concentration maximale qui est mesurée (pic) et dans 76 % des cas la concentration résiduelle. Une mesure de la concentration d’équilibre (plateau) est paradoxalement citée par 31 % des médecins qui utilisent une administration discontinue. L’objectif déclaré des dosages sériques est la recherche de l’efficacité (70 % des réponses), le contrôle de la toxicité (45 %) et les deux dans
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Utilisation des glycopeptides
15 % des cas. Chez les sujets ayant une fonction rénale normale et ne recevant pas de co-médications néphrotoxiques, la vancomycine est le plus souvent dosée pour la première fois 24 heures (35 %), 36 heures (7 %) ou 48 heures (42 %) après le début du traitement. Le dosage est exceptionnellement réalisé plus tôt (12 heures : 4 %) ou plus tard (plus de 48 heures : 6 %). Par la suite, de nouveaux dosages sont effectués systématiquement par la quasi-totalité des prescripteurs (97 %), le plus souvent une fois (30 %) ou deux fois par semaine (41 %). Pour la téicoplanine, le suivi des concentrations sériques est moins systématique que pour la vancomycine : 65 % des cas seulement. Les dosages plasmatiques mesurent la concentration maximale (15 %), la concentration résiduelle(61 %) et dans 6 % des cas la concentration d’équilibre. L’objectif du dosage est la recherche de la concentration efficace dans 86 % des cas, c’est-à-dire plus souvent que pour la vancomycine, et dans 23 % des cas le contrôle de la toxicité. Dans le même contexte de fonction rénale normale et d’absence de co-prescription néphrotoxique, le premier dosage de téicoplanine est réalisé plus tardivement que celui de la vancomycine : au bout de 24 heures dans 19 % des cas, de 36 heures dans 10 %, de 48 heures dans 38 %. Dans un cas sur trois, le premier dosage n’est effectué qu’après les deux premiers jours. Le suivi des concentrations sériques est également moins systématique : 45 % des prescripteurs ne le prescrivent jamais ou seulement 1 fois par semaine, 35 % deux fois par semaine, 17 % plus souvent. Concentrations cibles Pour la vancomycine en administration discontinue, la concentration résiduelle recherchée est comprise entre 13,5 et 23,6 mg·L–1, alors qu’en perfusion continue la concentration de plateau recherchée varie de 18,3 à 29,4 mg·L–1. Pour la téicoplanine, les méde-
Tableau V. Circonstances cliniques justifiant une recherche de concentrations plasmatiques élevées (% des médecins). – endocardites (50 %) – infection neuro-méningée (41 %) – médiastinite (34 %) – infection ostéo-articulaire (34 %) – Septicémie (28 %) – CMI glycopeptides > 4 mg·mL–1 (25 %) – matériel étranger (25 %)
En moyenne : 3,8 circonstances citées
cins recherchent une concentration résiduelle comprise entre 14,3 et 25 mg·L–1. Pour l’échantillon de médecins ayant répondu, certaines situations justifient une augmentation de posologie des glycopeptides (tableau V). En moyenne, 3,8 situations pathologiques ont été citées par les prescripteurs. Sept situations sont citées par au moins 25 % des prescripteurs. La concentration résiduelle plasmatique recherchée est, dans ces circonstances, de 20 mg·L–1 au minimum pour un pic plasmatique de l’ordre de 30 à 35 mg·L–1. La moitié des prescripteurs ont le sentiment que les concentrations sériques recommandées resteront inchangées dans l’avenir, 25 % pensent que ces concentrations iront en augmentant et seuls 3 % estiment qu’elles iront en diminuant (21 % ne se prononcent pas). CONCLUSION Cette enquête met en lumière la grande hétérogénéité des pratiques quotidiennes vis-à-vis des glycopeptides. Cette hétérogénéité porte à la fois sur les modalités d’administration et de surveillance et sur les objectifs en termes de concentration et laisse supposer un manque d’adhésion des prescripteurs aux recommandations actuelles. Il apparaît également qu’une définition précise des objectifs de concentrations plasmatiques à obtenir en fonction des indications est nécessaire.