Vers la fin des amputations abdomino-périnéales pour cancer

Vers la fin des amputations abdomino-périnéales pour cancer

Annales de Chirurgie 127 (2002) 589–590 Éditorial Vers la fin des amputations abdomino-périnéales pour cancer A step towards the end of abdominoperi...

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Annales de Chirurgie 127 (2002) 589–590

Éditorial

Vers la fin des amputations abdomino-périnéales pour cancer A step towards the end of abdominoperineal resection Mots clés: Cancer du rectum; Conservation sphinctérienne Mots clés: Rectal cancer; Sphincter-saving resection

Au cours de ces dix dernières années, le traitement chirurgical des cancers du rectum a connu des progrès considérables. Le contrôle local est désormais maîtrisé par la technique d’exérèse du mésorectum, les séquelles génitourinaires ont diminué grâce à la préservation des nerfs pelviens et les séquelles digestives sont atténuées par l’association aux anastomoses basses d’un réservoir colique. Un nouveau progrès pourrait venir de la modification de la prise en charge des cancers du bas rectum, autrement dit vers une diminution des amputations abdomino-périnéales. La conservation sphinctérienne constitue, avec l’exérèse du mésorectum et la préservation des nerfs pelviens, l’un des trois principaux objectifs du traitement chirurgical des cancers du rectum. Elle est désormais possible et recommandée pour les cancers des tiers supérieur et moyen du rectum et cette pratique est largement utilisée comme en témoignent les 68 % de chirurgie conservatrice observés en France entre 1990 et 1993 [1]. Pour les cancers du bas rectum définis par la Fédération Francophone de Cancérologie Digestive (FFCD) par les lésions situées à moins de 5 cm de la marge anale ou à moins de 2 cm de l’appareil sphinctérien, les recommandations n’ont pas changé depuis plus de 10 ans. En dehors des petits cancers T1 bien différenciés pouvant être traités par une tumorectomie, l’amputation abdomino-périnéale avec colostomie iliaque demeure le traitement standard. La justification d’une telle mutilation est avant tout d’ordre oncologique et est basée sur « la règle des 2 cm ». Au début des années 1980, l’observation d’une infiltration de la paroi rectale jusqu’à 2 cm sous la tumeur et l’absence de survie chez les patients qui avaient une infiltration à ce niveau a imposé une marge de sécurité distale d’au moins 2 cm [2]. À cette époque, cette nouvelle norme était considérée comme un progrès car elle remplaçait la règle des 5 cm qui générait une amputation pour toutes les tumeurs rectales palpables. Ainsi, force est de constater que © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 0 0 3 - 3 9 4 4 ( 0 2 ) 0 0 8 4 7 - 7

la hauteur tumorale (distance entre la tumeur et la marge anale ou le sphincter anal) a toujours guidé les recommandations et la pratique de la chirurgie conservatrice sphinctérienne. C’est le bon sens, la main venant d’en haut ne peut attraper ce qui est en bas ! En 1995, a été rapportée une étude de 610 pièces rectales montrant, qu’en fait, le risque d’infiltration pariétale sous tumorale était nul ou inexistant (< 1 %) et toujours inférieur à 1 cm dans les stades précoces du cancer rectal, c’est-à-dire les stade I (T1T2) et stade II (T3N0) [3]. Il est donc possible de diminuer la marge de résection distale à 1 cm dans certains cas. C’est ce qui est recommandé par le National Cancer Institute (NCI) pour les tumeurs de petite taille, bien différenciées et sans embols vasculaires [4]. Ainsi, chez un patient à l’anatomie favorable (femme à bassin large) présentant une tumeur de petite taille (un quart ou une hémicirconférence) située entre 4 et 5 cm de la marge anale, une chirurgie conservatrice peut être envisagée. Dans les autres cas, qui constituent en réalité la majorité de notre pratique courante, l’amputation reste actuellement la règle du fait de l’impossibilité technique d’obtenir une marge distale suffisante par voie purement abdominale. Dans cette situation, le seul moyen d’éviter l’amputation est de contourner cette règle des 2 cm. L’apport de la technique de résection intersphinctérienne (RIS), développée surtout dans les pays germaniques [5], permet de sectionner le rectum par voie transanale à distance de la tumeur. Le problème de la marge distale est ainsi contourné par cet abord mixte, abdominal et périnéal, qui permet une dissection anatomique, visuelle et atraumatique de la région anorectale et surtout d’obtenir une marge distale optimale dans tous les cas. Sur le plan technique, après éversion du canal anal, l’espace intersphinctérien est disséqué, ce qui permet de rejoindre le plan de dissection abdominale qui était préalablement menée jusqu’aux releveurs de l’anus. Le niveau où doit débuter la RIS,

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c’est-à-dire le niveau de section du canal anal interne dépend de la hauteur tumorale. Elle commence au niveau ou juste en-dessous de la ligne pectinée pour les tumeurs situées entre 3,5 et 5 cm de la marge anale enlevant la moitié haute du sphincter interne. Elle débute à 5 mm de la marge anale pour les tumeurs entre 2 à 3 cm de la marge anale enlevant la totalité du sphincter interne. On voit bien qu’avec cette technique, le pôle inférieur de la tumeur n’est plus une limite à la chirurgie conservatrice. La seule limite oncologique devient l’infiltration latérale de la tumeur (marge circonférentielle), ce qui justifie l’utilisation de traitements néoadjuvants intensifs et un délai opératoire d’au moins six semaines pour obtenir une régression tumorale maximale. Nous venons de rapporter les résultats de cette stratégie conservatrice combinant la technique de RIS et la radiochimiothérapie pré-opératoire chez 60 patients porteurs d’un cancer avancé T3 ou T4 du bas rectum [6]. La majorité des patients traités par amputation avaient soit des tumeurs fixées (T4) soit des tumeurs qui infiltraient l’appareil sphinctérien strié. Ces tumeurs étaient décelées avant le traitement par l’échographie endorectale et l’amputation était programmée d’emblée. Grâce à cette stratégie, 43 patients ont eu une conservation sphinctérienne, le taux de conservation étant de 94 % pour les tumeurs T3 situées au-dessus de 3 cm de la marge anale. Le traitement a été bien toléré et une régression tumorale (downstaging) a été observée chez près d’un patient sur deux, ce taux de réponse étant le double de celui observé après radiothérapie conventionnelle, c’est-à-dire sans chimiothérapie. La marge distale était de 2,3 cm et les marges (distale et latérale) étaient saines dans 98 % des cas. Avec un recul médian de 30 mois, le taux de récidive locale était de 2 %. Ainsi, l’association d’une technique chirurgicale et de traitements néoadjuvants adaptés à la lésion font que les limites de la chirurgie conservatrice sphinctérienne ne sont plus oncologiques et encore moins liées à la hauteur tumorale. Ce nouveau concept thérapeutique a déjà été rapporté par d’autres avec des résultats comparables [7] et mérite d’être diffusé. Pour cette raison, un essai coordonné par Montpellier et intitulé KBR 01 vient de débuter, le but étant de valider la technique de RIS et de définir le traitement optimal entre radiothérapie à hautes doses et radiochimiothérapie. La limite à la chirurgie conservatrice est donc désormais probablement plus fonctionnelle qu’oncologique. En effet, les résultats fonctionnels des anastomoses colo-anales avec RIS sont légèrement moins bons que ceux des anastomoses colo-anales traditionnelles, même si le réservoir colique améliore considérablement la situation dans ce cas particulier [6]. D’autre part, la qualité de vie après anastomose colo-anale ou colorectale basse serait pour certains moins bonne qu’avec une colostomie iliaque [8]. Il apparaît donc aujourd’hui nécessaire d’évaluer nos résultats en terme de

qualité de vie, d’informer le patient avant l’opération des éventuels troubles fonctionnels digestifs inhérents à la chirurgie conservatrice et de mettre en place des structures de soins postopératoires spécialisées dans le but d’améliorer le confort de l’opéré. En 2002, l’approche thérapeutique des cancers du bas rectum devrait être la suivante : • traitement standard : obtenir 2 cm de marge distale par amputation abdomino-périnéale • Option 1 : limiter la marge à 1 cm pour les T1T2 et les petits T3N0 • Option 2 : optimiser la marge (2 cm) en combinant la technique de RIS et un traitement néo-adjuvant intensif pour les tumeurs plus étendues ou situées très basses. Dans l’avenir, si la technique de RIS peut se divulguer, du moins dans les centres spécialisés, aptes à traiter les cancers du bas rectum, le concept de chirurgie conservatrice sphinctérienne évoluera. Il ne tiendra plus compte de la hauteur tumorale et le nombre d’amputations pour cancers du rectum sera probablement inférieur à 10 %.

Références [1]

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[4]

[5]

[6]

[7]

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Finn-Faivre C, Maurel J, Benhamiche AM, Herbert C, Mitry E, Launoy G, et al. Evidence of improving survival of patients with rectal cancer in France: a population based study. Gut 1999;44: 377–81. Williams NS, Dixon MF, Johnston D. Reappraisal of the 5 centimetre rule of distal excision for carcinoma of the rectum: a study of distal intramural spread and of patients survival. Br J Surg 1983;70: 150–4. Shirouzu K, Isomoto H, Kakegawa T. Distal spread of rectal cancer and optimal distal margin of resection for sphincter-preserving surgery. Cancer 1995;76:388–92. Nelson H, Petrelli N, Carlin A, Couture J, Flesman J, Guillem J, et al. Guidelinesfor colon and rectal cancer surgery. J Natl Cancer Inst 2001;93:583–96. Schiessel R, Karner-Hanusch J, Herbst F, Teleky B, Wunderlich M. Intersphincteric resection for low rectal tumours. Br J Surg 1994; 81:1376–8. Rullier E, Goffre B, Bonnel C, Zerbib F, Caudry M, Saric J. Preoperative radiochemotherapy and sphincter-saving resection for T3 carcinomas of the lower third of the rectum. Ann Surg 2001;234: 633–40. Rouanet P, Fabre JM, Dubois JB, Dravet F, Saint-Aubert B, Pradel J, et al. Conservative surgery for low rectal carcinoma after high-dose radiation. Fonctional and oncologic results. Ann Surg 1995;221:67–73. Grumann MM, Noack EM, Hoffmann IA, Schlag PM. Comparison of quality of life in patients undergoing abdominoperineal extirpation or anterior resection for rectal cancer. Ann Surg. 2001;233: 157–8.

E. Rullier Service de chirurgie digestive, hôpital Saint-André, 33075 Bordeaux, France Adresse e-mail : [email protected]