Thérapie 2015 Mai-Juin; 70 (3): 265–271 DOI: 10.2515/therapie/2014226
T HÉRAPEUTIQUE
c 2015 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
Y a-t-il une place pour le dinitrate d’isosorbide dans l’œdème aigu pulmonaire ? Sébastien Champion1 , Nicolas Deye1 et Alain Cohen Solal2 1 Réanimation Médicale et Toxicologique, Hôpital Lariboisière, Paris, France 2 Service de Cardiologie, Hôpital Lariboisière, Paris, France Texte reçu le 19 septembre 2014 ; accepté le 25 octobre 2014
Mots clés : œdème aigu pulmonaire ; insuffisance cardiaque ; vasodilatateurs ; nitrates ; dinitrate d’isosorbide
Résumé – Objectif. Evaluation prospective pronostique chez 47 patients consécutifs admis en soins intensifs pour œdème aigu pulmonaire traités sur une base libérale. Résultats. Les patients étaient âgés (83 ans) et 60 % avaient une fraction d’éjection ventriculaire gauche préservée (> 50 %). La posologie des traitements n’a pas eu de lien avec l’évolution du score de dyspnée. Malgré l’utilisation limitée des inotropes (6 %) et de l’intubation (9 %), la mortalité hospitalière et à J90 était élevée (19 % et 32 % respectivement). Une mortalité plus élevée a été observée chez les patients ne recevant pas de dinitrate d’isosorbide (p = 0,04). En analyse multivariée, seuls l’âge et la différence entre le brain natriuretic peptide (BNP) à J1 et J0 sont restés significativement associés à la mortalité à J90 (OR 1,13, p = 0,03 et OR 1,004, p = 0,04 respectivement). Conclusion. Le dinitrate d’isosorbide a été associé à une moindre mortalité à J90, mais pas en analyse multivariée.
Keywords: acute pulmonary edema; heart failure; vasodilators; nitrates; isosorbide dinitrate
Abstract – Shall we Follow the Guidelines for Isosorbide Dinitrate in Acute Pulmonary Edema? Purpose. Prospective evaluation of short (dyspnoea) and mid-term outcomes in 47 consecutive patients admitted in the intensive care unit for acute pulmonary edema treated on a liberal basis. Results. Patients were elderly (83 year-old) and 60% had preserved left ventricular ejection fraction (>50%). Dyspnoea assessed by visual analogue score was weakly associated with treatment posology. Despite low use of inotropes (6%) and intubation (9%), hospital and D90 mortality was high (19% and 32% respectively). Higher mortality was noticed in patients receiving no isosorbide dinitrate (p = 0.04). In the multivariate analysis, only age and delta brain natriuretic peptide (difference between BNP on D1 and D0) remained significantly associated with mortality on D90 (OR 1.13; p = 0.03 and OR 1.004; p = 0.04 respectively). Conclusion. Acute pulmonary edema carried a dramatic in-hospital and mid-term mortality in our elderly patients. Isosorbide dinitrate was associated with decreased D90 mortality but not in the multivariate analysis.
Abréviations: voir en fin d’article.
1. Introduction Le traitement médical de l’œdème aigu pulmonaire (OAP) a été pendant des années l’association de diurétiques de l’anse et de vasodilatateurs. [1] Parmi les vasodilatateurs proposés, on retrouve le nitroprussiate de sodium, la nitroglycérine et le dinitrate d’isosorbide (DNIS). [1] Ce dernier est le plus communément utilisé dans notre centre. Récemment, les agents morphiniques ont été signalés comme étant associés à une évolution défavorable, mais sont toujours proposés dans de récentes recommandations. [2,3] Le traitement mécanique de l’insuffisance respiratoire par ventilation non-invasive ou par pression expiratoire positive continue est proposé, même si une grande étude randomisée récente n’a pas
trouvé de diminution significative de la mortalité hospitalière avec ce traitement. [4] La mortalité hospitalière de l’OAP reste d’environ 7 % et à moyen terme reste aussi élevée que 15 %. [4,5] Aucun traitement médical ou mécanique n’a prouvé réduire cette mortalité à moyen terme depuis récemment. La serelaxine a été le premier traitement à prouver une diminution significative de mortalité à 6 mois. [6] Si les diurétiques dans l’insuffisance cardiaque (IC) chronique sont associés à une diminution de la mortalité, ils n’ont pas montré une efficacité en termes de mortalité dans l’OAP. [7,8] Le but de notre étude est d’évaluer l’efficacité à court et à moyen terme (score de dyspnée et mortalité à 3 mois) des traitements de l’OAP, avec une attention particulière sur les posologies utilisées.
Article publié par EDP Sciences
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Champion et al.
2. Méthodes 2.1. Patients Nous avons réalisé une étude prospective monocentrique ayant comme objectif principal d’observer le lien entre la posologie des traitements de l’OAP et l’évolution de la dyspnée et de la mortalité dans une population de « vie réelle » plus âgée que dans les études. D’avril à octobre 2012, tous les patients admis pour OAP dans l’unité de soins intensifs (USI) polyvalente ou cardiaque de notre hôpital universitaire ont été inclus dans l’étude. Notre Centre Hospitalier Universitaire accueille l’ensemble des patients proposés par les urgences ou le Service d’Accueil Médical d’Urgence (SAMU) et ne reçoit pas préférentiellement les patients de seconde main. Notre cohorte représente les patients graves proposés en USI que l’on rencontre habituellement dans toute USI. L’OAP a été diagnostiqué selon le jugement clinique avec les outils radiologiques et biologiques appropriés. Les critères d’exclusion étaient un choc cardiogénique et l’intubation avant l’admission. Les patients ont donné leur consentement éclairé. L’étude est conforme à la déclaration d’Helsinki et approuvée par le comité d’éthique. L’étude a reçu le n◦ IRB00006477 du Comité d’Evaluation de l’Ethique des Projets de Recherche Biomédicale du GHU Nord. Les données démographiques et cliniques ont été enregistrées comme suit : à partir de l’admission à l’USI (H0), puis après 1, 4 et 24 heures ; la fréquence cardiaque ; la pression artérielle (PA) systolique, diastolique qui ont permis de calculer la PA pulsée et la PA moyenne, la saturation percutanée en oxygène (SpO2) et le débit d’oxygène administré ; la diurèse et le score de la dyspnée par l’échelle visuelle analogique (EVA) de 0 à 100 (les valeurs plus élevées indiquant une dyspnée subjective plus importante). [9] La fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) a été mesurée par échocardiographie chez tous les patients au cours de l’hospitalisation et était considérée comme préservée si supérieure ou égale à 50 %. Les événements cliniques ont été notés : arythmies, la profondeur de l’hypotension, l’intubation et la mortalité à l’hôpital ou aux jours 30 et 90 (J30 et J90, respectivement). Les données biologiques (usuelles et le brain natriuretic peptide [BNP]) ont été enregistrées à l’admission (J0) et le lendemain (J1). Nous avons ensuite calculé la différence entre les données biologiques obtenues à J1 moins J0 et appelé cette valeur « delta » (c’est-à-dire delta BNP est la différence entre BNP à J1 et BNP à J0).
Tableau I. Données démographiques des patients.
Sexe femmes/hommes Âge (en années) NYHA FEVG (%) FEVG préservée Cardiomyopathie * – ischémique – hypertensive – dilatée – rythmique – valvulaire Unité de soins intensifs médicale/cardiaque Intubation Inotropes Troponine Ic (ng/mL) Créatininémie (µ mol/L) Durée de séjour en USI (jours) Durée de séjour à l’hôpital (jours) Mortalité hospitalière Mortalité à J90
Population (n = 47) 23/24 83 (69 ; 88) 2 (2 ; 3) 53 (36, 60) 28 (60 %) 16 (34 %) 24 (51 %) 12 (26 %) 26 (55 %) 21 (45 %) 35 / 12 4 (9 %) 3 (6 %) 0,05 (0,02 ; 0,15) 105 (90 ; 141) 3 (2, 5) 14 (5, 20) 9 (19 %) 15 (32 %)
* : peut être plus de 100 %. FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche ; J : jour ; NYHA : New York Heart Association ; USI : unité de soins intensifs.
H0 et H1 ont été additionnés pour donner le traitement à H1, ceux reçus entre H1 et H4 ont été additionnés pour donner le traitement à H4, et ceux reçus entre H4 et H24 ont été additionnés pour donner le traitement à H24. L’adhérence aux recommandations a été évaluée rétrospectivement. Les traitements de l’IC chroniques reçus avant l’hospitalisation et après sortie ont été enregistrés. 2.3. Statistiques Les données sont exprimées en médiane et interquartile pour les variables continues et en nombre et/ou pourcentage pour les variables binaires. Les comparaisons ont été effectuées à l’aide du test t de Student ou de Mann-Whitney pour les variables continues, et de test de chi2 ou de test exact de Fischer, le cas échéant. Nous avons inclus toutes les variables associées à la mortalité en univariée avec p < 0,1 dans l’analyse multivariée par régression logistique. L’analyse statistique a été réalisée avec Statview version 5.0 (Sas Institute Inc. USA). Les valeurs de p < 0,05 ont été considérées comme statistiquement significatives.
2.2. Traitements Les traitements ont été prescrits par le médecin en charge sans protocole prédéfini. Les traitements reçus avant l’arrivée à l’hôpital ont été considérés être reçus à H0, les traitements reçus entre c 2015 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
3. Résultats Pendant six mois, 47 patients ont été inclus dans l’étude (tableau I). La diurèse a été corrélée à la dose de furosémide, mais Thérapie 2015 Mai-Juin; 70 (3)
Dinitrate d’isosorbide et OAP
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Tableau II. Données démographiques et évolution des patients recevant du DNIS (n = 37) ou non (n = 10).
Âge (en années) Antécédent d’IC FEVG (%) OAP hypercapnique paCO2 (mmHg) PA systolique à H0 (mmHg) Furosémide (mg) Delta BNP Assistance ventilatoire Durée de séjour hospitalier (jours) Survie à J90
DNIS (n = 37) 83 (70 ; 89) 22 (59 %) 53 (40 ; 60) 17 (46 %) 45 (37 ; 57) 148 (143 ; 167) 200 (115 ; 240) -33 (-313 ; 231) 29 (78 %) 13 (5, 18) 28 (76 %)
Pas de DNIS (n = 10) 78 (63 ; 88) 7 (70 %) 56 (35 ; 60) 7 (70 %) 57 (40 ; 81) 130 (110 ; 143) 160 (120 ; 200) 148 (-118 ; 604) 8 (80 %) 23 (14 ; 33) 4 (40 %)
Valeur de p 0,4 0,2 0,9 0,2 0,2 0,001 0,6 0,2 0,9 0,02 0,04
BNP : brain natriuretic peptide ; DNIS : dinitrate d’isosorbide ; FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche ; IC : insuffisance cardiaque ; J : jour ; OAP : oedème aigu pulmonaire ; PA : pression artérielle.
la corrélation a été la plus forte entre la dose de furosémide reçue en préhospitalier et la diurèse à H0 (R2 = 0,25 ; p < 0,0001). L’utilisation de bolus de DNIS a été associée à un doublement de la diurèse H1 sans élévation de l’urée sanguine ou de perturbation électrolytique. Comme prévu, le DNIS a été prescrit à des patients ayant une PA systolique supérieure à l’admission. La durée de séjour était plus courte chez les patients recevant du DNIS (USI : 3 versus 8 jours ; p = 0,01 ; hospitalier : 13 versus 23 jours ; p = 0,02) [tableau II]. Les posologies des traitements n’ont eu aucune influence significative sur la dyspnée. L’importance de la dyspnée mesurée par EVA n’était pas associée à une évolution moins favorable.
3.1. Complications Les inotropes ont été nécessaires chez 3 patients et une intubation chez 4 patients (dont 2 patients recevant des inotropes). Ces patients n’avaient pas une mortalité plus élevée, mais une durée de séjour plus prolongée en USI. Une arythmie a été observée chez 29 patients : une fibrillation atriale (FA) : 27 (57 %) et une tachycardie ventriculaire : 2 (4 %). La FA était moins fréquente chez les patients traités par bolus de DNIS (36 % versus 76 % ; p = 0,006). Étonnamment, les hypotensions symptomatiques étaient moins fréquemment rencontrées chez les patients recevant du DNIS (19 % versus 60 % ; p = 0,03), même lorsqu’il était utilisé en bolus. Aucun événement indésirable n’a été rapporté chez les patients présentant une sténose aortique et recevant du DNIS. Les perturbations hydro-électrolytiques n’ont pas été associées avec l’usage des diurétiques, mais ont été moins fréquentes chez les patients traités par DNIS (32 % versus 70 % ; p = 0,03). c 2015 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
3.2. Mortalité La mortalité hospitalière était élevée : 19 %. Les indicateurs pronostiques pour la mortalité hospitalière étaient l’insuffisance respiratoire persistante et le besoin d’une assistance respiratoire (ventilation non-invasive ou de l’oxygène à haut débit) à J1. La cause du décès était toujours d’origine cardiovasculaire : infarctus du myocarde (n = 1), accident vasculaire cérébral (n = 1), IC réfractaire (n = 13, y compris les 9 patients décédés à l’hôpital). La mortalité à 90 jours était de 32 % et les caractéristiques des patients sont résumées dans le tableau III. Les facteurs associés à une mortalité supérieure à 90 jours étaient des patients âgés ayant des antécédents d’IC ou avec une insuffisance respiratoire hypercapnique à l’admission. La PA à H1 était légèrement plus élevée chez les survivants (PA moyenne 96 versus 84 mmHg ; p = 0,03). Fait intéressant, une mortalité plus élevée a été observée chez les patients recevant des opiacés (100 % versus 29 % ; p = 0,04), l’absence de DNIS (40 % versus 23 % ; p = 0,04), et une dose de furosémide différente des recommandations (53 % versus 19 % ; p = 0,02 ; principalement par une dose initiale plus élevée que celle recommandée). Dans l’analyse multivariée, seuls l’âge et le delta du BNP sont restés significativement associés à la mortalité à J90 (OR 1,13 ; IC 1,02 à 1,26 ; p = 0,03 et OR 1,004 ; IC 1 à 1,008 ; p = 0,04 respectivement), avec une tendance pour un traitement par DNIS (OR 0,14 ; IC 0,01−1,5 ; p = 0,1).
4. Discussion Notre étude représente une image de l’OAP dans « le monde réel de l’hôpital ». Les patients âgés présentant une FEVG préservée ont un risque majeur de décès à court et à moyen terme : un sur cinq est mort à l’hôpital et un sur trois à 3 mois. [5] Thérapie 2015 Mai-Juin; 70 (3)
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Tableau III. Différences entre les survivants et les décédés à J90.
Âge (en années) Antécédent d’IC NYHA FEVG FEVG préservée Unité de soins intensifs PA systolique à H1 (mmHg) OAP hypercapnique paCO2 (mmHg) BE (mmol/L) paO2/FiO2 (mmHg) BNP à J0 Delta BNP DNIS Bolus DNIS DNIS à J1 (mg) Furosémide Furosémide à J1 (mg) Adéquation avec les recommandations pour le furosémide Assistance ventilatoire – non invasive – intubation Durée de séjour USI (jours) Durée de séjour hospitalier (jours)
Survivants (n = 32) 75 (66 ; 85) 16 (50 %) 2 50 (35 ; 60) 17 (53 %) 23 (66 %) 145 (129 ; 160) 13 (41 %) 43 (35 ; 53) -1,3 (-4,6 ; 0,9) 283 (210 ; 350) 905 (416 ; 1444) -67 (-359 ; 282) 28 (87 %) 16 (50 %) 13 (2 ; 48) 31 (97 %) 200 (80 ; 240) 26 (81 %)
Décédés à J90 (n = 15) 88 (83 ; 92) 13 (87 %) 2 60 (41 ; 60) 10 (67 %) 12 (34 %) 129 (103 ; 145) 11 (73 %) 57 (43 ; 66) -1.8 (-4,4 ; 3.5) 280 (185 ; 300) 696 (496 ; 1093) 220 (0 ; 466) 9 (60 %) 5 (33 %) 6 (2, 25) 15 (100 %) 200 (160 ; 240) 7 (47 %)
Valeur de p
22 (67 %) 2 (6 %) 3 (2 ; 5) 14 (7 ; 21)
14 (93 %) 2 (13 %) 3 (2 ; 10) 13 (4 ; 18)
0,08 0,4 0,5 0,6
0,002 0,02 0,6 0,3 0,4 0,5 0,02 0,046 0,02 0,8 0,4 0,8 0,01 0,04 0,2 0,6 0,5 0,3 0,02
BE : excès de base ; BNP : brain natriuretic peptide ; DNIS : dinitrate d’isosorbide ; FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche ; IC : insuffisance cardiaque ; NYHA : New York Heart Association ; OAP : œdème aigu pulmonaire ; USI : unité de soins intensifs.
4.1. Dyspnée Comme la dyspnée représente un marqueur de substitution recommandé pour l’évaluation de l’IC aiguë, nous avons apporté une attention particulière à cette variable. [9] Même si cela est cliniquement pertinent, nous n’avons pas trouvé d’association significative entre la dyspnée mesurée subjectivement par EVA et la posologie des traitements, notre objectif principal, ou l’évolution. Gray et al., n’ont trouvé aucune association entre le traitement prescrit en ouvert (nitrates, opiacés ou diurétiques) et l’amélioration de l’EVA dyspnée après ajustement. [10] La nitroglycérine a diminué la pression capillaire pulmonaire par rapport au placebo dans un essai contrôlé randomisé, mais moins qu’avec le nesiritide. [11] Le placebo n’étant utilisé que 3 heures pour des raisons éthiques, il n’a pas été observé de différence d’auto-évaluation de la dyspnée entre la nitroglycérine (posologie variable non protocolisée) et le placebo. [11] À la suite de ces études, les nitrates peuvent paraître efficaces sur le plan hémodynamique à court terme, mais de nombreuses questions persistent c 2015 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
pour l’ensemble des vasodilatateurs. [12] Malheureusement, plusieurs stratégies améliorant la dyspnée à court terme ont été associées à une moins bonne évolution clinique et une surmortalité rendant ce marqueur de substitution facilement disponible d’un intérêt discutable. [13,14] Il est surprenant que même si l’épisode aigu est résolu, les patients atteints d’OAP continuent de mourir. Bien que peu de patients aient nécessité une intubation au cours d’une étude récente sur l’OAP, la mortalité à 30 jours avait atteint 15 %. [4] La plupart des décès étaient d’origine cardiovasculaire, comme dans notre série. [5] L’évolution de l’IC conduisant à la mort après la phase aiguë est un défi qui a peu de place accordée dans les recommandations et est partiellement comprise. [1,3] 4.2. Diurétiques Un des facteurs modifiables est probablement l’usage des diurétiques qui sont connus pour activer le système rénine-angiotensine délétère des mois après l’utilisation aiguë. Thérapie 2015 Mai-Juin; 70 (3)
Dinitrate d’isosorbide et OAP
Malgré la possibilité de facteurs confondants dans notre série, les patients recevant des posologies plus élevées que celles recommandées à la phase aiguë avaient une mortalité à J90 plus élevée. Aussi, les diurétiques ont été indépendamment associés à une évolution moins favorable et une augmentation de la mortalité à moyen terme dans un grand registre, mais le rôle précis des diurétiques dans l’augmentation de la mortalité est encore un sujet de débats. [7,8] Bien que l’enlèvement de fluide soit d’un intérêt particulier chez certains patients, certains pourraient ne pas bénéficier d’une diurèse agressive principalement en raison de l’activation délétère hormonale. La déplétion volémique par d’autres moyens (ultrafiltration) est en cours d’évaluation, mais a donné des résultats décevants récemment. [15] Les mécanismes précis d’amélioration chez les patients recevant du DNIS (en particulier avec bolus) sont hémodynamiques et éventuellement par un effet épargneur de diurétiques avec moins d’effets indésirables dans notre série (rénaux, hydroélectrolytiques et arythmies). Ces explications sont de nature spéculative, mais ajoutent des preuves contre un abus de diurétiques. 4.3. Opiacés Seuls deux patients ont reçu des opiacés dans notre étude et sont tous deux morts. Même si nos résultats sont anecdotiques, d’après les éléments inquiétants de la littérature, les agents morphiniques doivent probablement être abandonnés dans l’OAP jusqu’à preuve de sécurité et d’efficacité. [2,10,16] 4.4. Nitrates Notre étude apporte des éléments en faveur de l’efficacité des vasodilatateurs (DNIS) au cours du traitement de l’OAP, en particulier lorsqu’ils sont utilisés en bolus. Les nitrates ont été considérés comme cliniquement efficaces dans de nombreux contextes cliniques et leur rôle pour diminuer la mortalité a été avancé. Une stratégie de doses élevées de DNIS avec bolus a été montrée être plus efficace qu’une stratégie de doses élevées de furosémide ou avec une ventilation non-invasive par BIPAP dans la gestion à court terme des OAP, mais sans évaluation des résultats à moyen terme, au cours de deux études randomisées ouvertes. [17,18] En contexte préhospitalier, la nitroglycérine est efficace pour le traitement des patients avec suspicion d’OAP, mais pas l’addition de diurétiques ou d’opiacés. [19] Une étude rétrospective de 640 patients avec OAP a montré une association significative entre le traitement avec des nitrates et une diminution de mortalité. [20] Dans l’IC aiguë avec une dysfonction ventriculaire gauche et associée à une sténose aortique, le nitroprussiate a amélioré les performances cardiaques. [21] Dans l’étude 3CPO, (les opiacés ont c 2015 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
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été associés à une amélioration moindre de l’acidose) l’utilisation des nitrates a été associée à une mortalité plus faible, mais pas après ajustement. [4,10] Comme dans notre étude, les patients hypertendus présentant un pronostic moins sévère étaient plus enclins à recevoir du DNIS, réalisant un biais de sélection concernant l’utilisation non protocolisée de vasodilatateurs. Dans une étude rétrospective de patients se présentant au service des urgences avec un OAP, Crane a constaté une augmentation indépendante de la survie (odd’s ratio 3) lorsque les nitrates ont été utilisés chez les patients, rapportant une mortalité à l’hôpital de 23 % et à 1 an de 50 % respectivement. [22] Le nitroprussiate et l’association d’hydralazine et de DNIS ont été associés à une diminution de la mortalité à court et à moyen terme dans des cohortes de patients hospitalisés pour IC évoluée. [23,24] La facilitation de l’institution de vasodilatateur oral à long terme (comme les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine) est une explication à la persistance de la diminution de mortalité à moyen terme. Dans notre petite série, nous avons observé une utilisation des traitements de l’IC identique entre ceux recevant ou pas du DNIS, néanmoins, le nombre limité de patients et la forte proportion présentant une fraction d’éjection préservée ne nous permet pas d’étoffer cette hypothèse. En outre, un avantage substantiel de l’utilisation de nitrates est établi chez les afro-américains et dans d’autres contextes, lors de décompensations moins aiguës d’IC. [25,26] Les fortes doses de nitrates transdermiques ont amélioré les taux de BNP et l’évolution de patients admis en hospitalisation traditionnelle pour IC aiguë. [27] Enfin, une analyse post-hoc de l’étude ALARM-HF a montré une diminution de la mortalité chez les patients recevant l’association de diurétiques et de vasodilatateurs comparés aux patients traités par diurétiques seuls, quelle que soit la PA systolique, par une analyse de propension. [28] Le DNIS semble sûr et efficace lorsqu’il est utilisé en bolus dans notre série et dans la littérature. Son efficacité semble associée à une amélioration même dans le moyen terme. Ainsi, les vasodilatateurs et en particulier les donneurs de NO comme le DNIS ont une grande place (la première ?) dans le traitement de l’OAP, mais sont sous-utilisés : de 6 % à 70 %. [29] Les recommandations stipulent qu’il n’y a pas de preuve solide qu’ils soulagent la dyspnée ou améliorent d’autres éléments cliniques, comme indiqué par une revue systématique récente. [3,30] Toutefois, cette revue n’a inclus que quatre études évaluant les dérivés nitrés contre bras actif (nesiritide, furosémide et autres). Les groupes des différentes études sont hétérogènes et la méthodologie discutable, comme reconnu par les auteurs. [30] Faute d’études bien conduites suffisantes, respectant la méthodologie imposée par la revue systématique, il a été impossible aux auteurs de démontrer une efficacité aux dérivés nitrés (contre bras actif). Pourtant, cela veut-il dire que les dérivés ne sont pas actifs ? De la même manière, les données concernant les diurétiques ne sont guère plus favorables à leur utilisation dans Thérapie 2015 Mai-Juin; 70 (3)
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l’OAP. [7] Les revues systématiques ont le désavantage d’oublier les registres et l’évidence clinique mais permettent de montrer du doigt la faiblesse de justification scientifique d’un traitement. A la lumière d’une abondante littérature, nous pensons qu’il est temps d’envisager une grande étude randomisée et contrôlée évaluant les différentes modalités d’administration de DNIS dans l’OAP. Ces résultats pourraient changer les directives des recommandations et plaider pour l’utilisation de DNIS (y compris l’utilisation de bolus) en tant que premier traitement de l’OAP, sauf contreindication.
insuffisance cardiaque ; OAP : oedème aigu pulmonaire ; PA : pression artérielle ; SAMU : Service d’Aide Médicale Urgente ; SpO2 : saturation percutanée en oxygène ; USI : unité de soins intensifs.
Références 1.
4.5. Limites Comme les traitements ont été prescrits de manière libérale, l’association entre les traitements et les résultats peut être biaisée. Du fait de la faible taille de l’échantillon et de la multiplicité des tests statistiques, un faux positif concernant l’association entre traitement par DNIS et mortalité à J90 est possible. En analyse multivariée, le DNIS n’était plus significativement lié à une diminution de la mortalité et ceci est discutable. Le DNIS a pu être prescrit chez les patients moins malades (comme la PA était légèrement plus élevée chez les patients survivant à J90) ou associé à un facteur confondant. Une autre explication est le faible nombre de patients inclus dans l’analyse et une erreur de type 2. Notre étude représente des patients âgés avec FEVG préservée et nos résultats pourraient ne pas être transposables aux jeunes patients ayant une FEVG altérée. De plus, un biais de recrutement dans notre centre tertiaire est possible mais semble peu probable étant donné le recrutement des urgences de notre hôpital et de l’extrahospitalier géographiquement proche.
5. Conclusion Dans une série de 47 patients hospitalisés en USI pour OAP, la mortalité à l’hôpital et la mortalité à 90 jours étaient élevées (19 et 32 % respectivement) et plus élevées chez les patients plus âgés ou ne diminuant pas leur BNP à J1. Le traitement par DNIS a été associé à une réduction de mortalité à 90 jours. L’usage du DNIS était associé à une amélioration de la diurèse, en particulier lorsqu’il était utilisé par bolus. Nous avons également observé moins d’effets secondaires (perturbation électrolytiques, arythmie et hypotension) avec DNIS. Nous pensons que les recommandations devraient conseiller une place plus large pour la perfusion de DNIS avec la possibilité de bolus, sauf contre-indication.
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4. 5.
6.
7. 8.
9.
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11.
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13.
14.
Conflits d’intérêts. Aucun. Abréviations. BNP : brain natriuretic peptide ; DNIS : dinitrate d’isosorbide ; EVA : échelle visuelle analogique ; FA : fibrillation atriale ; FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche ; IC : c 2015 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
15. 16.
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Correspondance et offprints : Sébastien Champion, 27 rue Lafayette, 78000 Versailles, France. E-mail :
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