Journal de Traumatologie du Sport (2014) 31, 153—160
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Aspects biologiques de la reconstruction du ligament croisé antérieur par une greffe tendineuse autologue夽 Biological aspects of anterior cruciate ligament reconstruction using an autologous tendon graft P. Djian a,∗,b, R. Rousseau c, G. Bellier b, P. Christel a a
Institut Nollet, 23, rue Brochant, 75017 Paris, France Cabinet Goethe, 23, avenue Niel, 75017 Paris, France c Service d’orthopédie la Pitié Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France b
ut 2014 Disponible sur Internet le 12 aoˆ
Introduction La reconstruction du ligament croisé antérieur (LCA) a progressé durant les deux dernières décades et les études histologiques chez l’animal, puis chez l’homme, nous ont aidés à comprendre le phénomène de « ligamentisation » [1] que subissait une greffe autologue placée dans l’échancrure. Actuellement, la greffe la plus étudiée dans la littérature reste le transplant libre de tendon rotulien, véritable « étalon or » de la chirurgie ligamentaire. Depuis quelques années, l’utilisation des tendons ischio-jambiers comme greffe de reconstruction du LCA est devenue très fréquente. Depuis les travaux d’Amiel et al. [2], nous connaissons précisément les différences de structure histologique entre un tendon et un ligament. Que deviennent ces tendons placés dans l’échancrure d’un genou d’un point de vue histologique, biochimique et ultrastructural ? Les changements histologiques sont importants à considérer pour le clinicien en raison des phases de nécrose, de revascularisation et de maturation qui pourront donner une indication quant à la reprise des activités à risque pour le genou opéré [3]. La
夽 ∗
Symposium de la SFTS septembre 2013, Strasbourg. Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P. Djian).
http://dx.doi.org/10.1016/j.jts.2014.07.011 0762-915X/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
revue de la littérature présentée ici va tenter de répondre à ces questions tout en comparant les données récentes sur les ischio-jambiers, aux données déjà connues sur le tendon rotulien.
Structure ligamentaire et tendineuse La structure d’un ligament détermine sa fonction et son habilité à répondre à un traumatisme. Les ligaments comme les tendons sont des tissus fibreux comprenant une base faite d’eau et de protéoglycans, de cellules (fibroblastes), d’éléments fibreux (collagène, élastine et réticuline). Macroscopiquement, ces deux structures sont semblables. Histologiquement et biochimiquement, il en est autrement [2,4—6]. En 1984, Amiel et al. [2] ont montré sur un modèle animal (lapin) les différences entre un ligament et un tendon. Seules des petites différences ont été trouvées entre deux tendons (calcanéen et tendon rotulien) et entre deux ligaments (ligament collatéral du genou et LCA). Dans les ligaments, une seule population de cellules, appelées fibrocytes ou fibroblastes, est présente de fac ¸on dominante. D’autres cellules peuvent exister en plus petite quantité (cellules mésenchymateuses, macrophages. . .). Les ligaments, comparés aux tendons, sont plus actifs d’un point de vue métabolique. Les cellules ont des noyaux plus gros. Les ligaments sont composés d’eau en quantité importante
154 (60 à 80 % du poids net) et de collagène de type I (65 à 80 % du poids sec). La substance fondamentale est faite de protéoglycans qui servent de liant pour l’eau. Les ligaments contiennent en petite quantité de l’actine, de la fibronectine et d’autres substances insignifiantes. D’un point de vue morphologique, les deux structures se ressemblent avec un aspect blanchâtre et ferme à la palpation. Des similitudes histologiques existent : les fibres de collagène sont parallèles à l’axe longitudinal de la structure. Les fibroblastes sont aussi disposés de manière longitudinale en rang. La disposition des fibres de collagène dans les deux structures est sinusoïdale. D’un point de vue ultrastructural, le LCA humain normal est composé de fibres collagènes dont le diamètre varie entre 20 et 175 nm [7,8]. La fréquence de répartition des différents diamètres évolue avec l’âge. Chez l’adulte jeune, la distribution est bimodale avec 56 % des fibres de 25 à 50 nm occupant 25 % de la surface et 42 % de fibres de 75 à 125 nm occupant 66 % de la surface. Les fibres de moins de 100 nm occupent 85 % de la surface. Le tendon rotulien normal est composé de fibres de plus de 100 nm qui occupent 45 % de sa surface. D’un point de vue biochimique, la quantité d’ADN est plus importante dans les ligaments que dans les tendons. Le tendon rotulien et le LCA diffèrent par la nature de leur collagène (crosslinking et types) ainsi que par la quantité de leurs glycosaminoglycanes (GAG). Le LCA normal contient 2 fois plus de GAG que le tendon rotulien. Le nombre de crosslinks du collagène est faible dans le tendon rotulien, élevé dans le LCA. Le LCA et le tendon rotulien sont composés de collagène de type I avec un faible pourcentage de collagène de type III (inférieur à 5 %) pour les structures tendineuses. Au contraire du tendon rotulien, le LCA contient 10 % de collagène de type III.
Autogreffes ligamentaires La biologie du remplacement intra-articulaire du LCA est plus complexe que la cicatrisation primitive d’un ligament rompu. La cicatrisation intra-articulaire d’un ligament est différente de la cicatrisation d’un ligament extraarticulaire, le rôle du liquide articulaire n’étant pas parfaitement connu. Les reconstructions du LCA font appel à des autogreffes ou allogreffes tendineuses (tendon rotulien, ischio-jambiers, fascia lata). Cette greffe va s’adapter à son nouvel environnement aux contraintes différentes et va acquérir une structure proche d’un ligament. Cette « ligamentisation » décrite par plusieurs auteurs [2,9—11] n’est plus sujette à discussion car, maintenant, nous disposons d’études chez l’homme.
Études expérimentales et humaines lors d’une greffe de tendon rotulien Aspect macroscopique Après la mise en place d’un transplant tendineux dans l’articulation, les expérimentations animales et les
P. Djian et al. explorations arthroscopiques itératives [1,9,12—14] ont montré qu’un gonflement œdémateux se produit dans les premières semaines postopératoires avec, à la palpation, une consistance un peu dure et cartonnée. À la quatrième semaine, l’augmentation de la taille du transplant peut atteindre, chez l’animal, 2 à 3 fois la taille originale. Il n’y a aucune synovialisation du transplant à ce terme. Vers la sixième semaine, l’œdème disparaît ensuite progressivement, le transplant retrouve alors sa taille initiale. Une enveloppe synoviale apparaît à cette période. Le liquide synovial de couleur foncée durant les premières semaines s’éclaircit à la sixième semaine. À trente semaines, l’apparence du transplant ne s’est pas modifiée par rapport à la sixième semaine. En aucun cas chez l’animal il n’a été noté de dégradation arthrosique. Ceci suggère que le transplant assure une fonction satisfaisante du ligament croisé antérieur.
Évolution histologique L’évolution histologique peut être abordée sur plusieurs niveaux. Tout d’abord, les transformations intraligamentaires seront décrites puis les phénomènes de revascularisation et, enfin, les phénomènes de réinnervation. Plusieurs auteurs se sont intéressés à cette transformation chez l’animal. Amiel et al. [1] chez le lapin ont observé que dès le 2e jour postopératoire, la densité cellulaire diminue avec une modification de forme des fibroblastes : ceux-ci ont tendance à devenir rond [15]. Au 7e jour postopératoire, seuls quelques rares fibroblastes disséminés sont encore visibles. À 14 jours, plus aucune cellule n’est observable à la périphérie ou au centre de la greffe. À ce stade, seules les fibres de collagène sont encore présentes. À 3 semaines, il existe une prolifération cellulaire dans le péritendon. À 4 semaines, on peut observer une altération de l’ondulation originale des faisceaux de collagène intratendineux s’accompagnant d’une hypercellularité dont la densité atteint celle d’un LCA normal. Après 6 semaines, la densité cellulaire est supérieure à celle du LCA normal ou d’un tendon rotulien et se maintient au moins jusqu’à la 30e semaine [54]. Clancy et al. [16] font les mêmes observations chez le singe et trouvent que les fibroblastes retrouvent leur forme fuselée entre le 9e et le 12e mois postopératoire. À 52 semaines, la greffe a un aspect de ligament natif. Ainsi, les différentes étapes de la transformation de la greffe présentent des variations selon le modèle expérimental utilisé. Chez l’homme, une revue systématique récente a permis de trouver quatre études [4]. Nous avons éliminé de ce travail les biopsies faites après rupture itérative de greffe du LCA [17]. Des biopsies de transplants libres de tendons rotuliens ont été faites par arthroscopie chez des volontaires, à différents reculs [14]. La deuxième étude [18] a été faite au décours d’arthroscopie proposée lors d’une ablation de matériel. Entre 0 et 2 mois, l’observation histologique montre qu’il existe des zones tendineuses viables, de structure non modifiée, alternant avec des zones de tissu collagène acellulaire ainsi que des zones présentant des signes de dégénérescence mucoïde. La néovascularisation est visible dès trois semaines, prédominant à la périphérie du transplant. Des
Aspects biologiques de la reconstruction du ligament croisé antérieur zones d’hypercellularité avec de nombreux fibroblastes et des cellules inflammatoires sont présentes et augmentent avec le temps. Une néo-membrane synoviale entourant la greffe est visible dès la troisième semaine postopératoire. Entre 2 et 12 mois, il existe une augmentation marquée du nombre de fibroblastes dont le maximum est observé à 4 mois. L’activité de ces fibroblastes est très intense de même que la néovascularisation. Le pourcentage de collagène mature est très faible et des zones tendineuses dégénérescentes et acellulaires restent visibles. Entre 12 et 36 mois, il s’agit du stade de maturation de la greffe. La cellularité diminue, le collagène devient plus mature et la vascularisation de la greffe décroît. Au-delà de 3 ans, véritable stade « ligamentaire », il existe très peu de différence histologique entre le transplant et un ligament normal. On ne trouve plus de vascularisation et le nombre des fibroblastes est très faible. L’origine des cellules réhabitant la greffe tendineuse a été bien étudiée par Kleiner et al. [19]. Ces auteurs ont montré, chez le lapin, que la repopulation s’effectue à partir de cellules extrinsèques au transplant. Ces cellules peuvent provenir de la membrane synoviale, de l’hémarthrose opératoire, des produits issus des tunnels osseux ou des reliquats de LCA natif. Elles envahissent le transplant par un processus de diffusion centripète. Cette observation a une implication directe sur la technique chirurgicale : les cellules qui envahissent le transplant étant d’origine extrinsèque, le maintien de la vascularisation de la greffe, lors de l’intervention chirurgicale, n’est donc pas indispensable à sa recolonisation. La revascularisation de la greffe provient du paquet graisseux de Hoffa et du moignon fémoral [20]. Le mésosynovial intercondylien postérieur y contribue à un moindre degré. Les processus de revascularisation débutent à la 2e semaine postopératoire. L’enveloppe synoviale vasculaire périphérique est formée à la 6e semaine. La vascularisation progresse à partir de cette enveloppe vers le centre du transplant. Elle est complète à 8 semaines. La revascularisation amène des métabolites permettant aux nouvelles cellules de la greffe la synthèse de macromolécules [21]. À 3 mois, aucune différence régionale au sein de la greffe ne peut être mise en évidence [22]. Arnoczky et al. [20] ont été parmi les premiers auteurs à étudier la revasvularisation d’une greffe de tendon rotulien chez le chien ; 36 ont eu une reconstruction over the top à l’aide d’un transplant de tendon rotulien laissé pédiculé sur le tibia. Initialement, la greffe est avasculaire. À 6 semaines, elle est enveloppée d’une membrane vascularisée. Tous les auteurs rapportent des variations individuelles concernant la durée de ces différentes périodes. Quoi qu’il en soit, il existe une période de dévascularisation complète de la greffe, plus ou moins longue, au cours de laquelle le transplant tendineux est exposé à des modifications de ses propriétés selon l’environnement biomécanique auquel il est soumis. L’innervation du LCA est essentiellement proprioceptive. Elle est assurée par des ramifications de la branche articulaire du sciatique poplité interne. Deux types de mécanorécepteurs sont décrits : les uns rapides (Paccini) transmettant l’amplitude du mouvement, les autres lents (Ruffini) analysant vitesse et accélération du mouvement. Chez le Rat, après reconstruction du LCA par tendon rotulien, une innervation de type sensitif, mise en évidence par
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la présence de la substance P, est démontrable dans la greffe à partir de la 4e semaine postopératoire [23]. Aucun autre type d’innervation n’est restauré, même après 16 semaines de recul. Seul Barrack et al. [24] ont découvert chez le chien, 6 mois après une greffe de tendon rotulien, la présence de mécanorécepteurs. Des biopsies humaines de LCA reconstruit par tendon rotulien, faites entre 5 et 37 mois postopératoires, n’ont montré la présence d’aucune terminaison ou récepteur nerveux, ni réactivité immunologique neuropeptidique, bien que la ligamentisation histologique soit terminée [23].
Études ultrastructurales L’allure générale des fibres de collagène est repérée sur une coupe longitudinale. Le diamètre des fibres, en microscopie électronique, est déterminé sur une coupe de section perpendiculaire à la longueur des fibres et la mesure est faite sur une fibre individuelle. La distribution des différentes tailles est aussi notée. Le tendon rotulien a des fibres parallèles, compactes, avec une ondulation dont la fréquence est lente [7,8,18]. Sur une coupe transversale, le tendon rotulien présente une distribution bimodale de petites et de grosses fibres. À l’opposé, le LCA natif a des fibres peu compactes avec une ondulation dont la fréquence est rapide. Sur une coupe transversale, la distribution est hétérogène, variant de 20 à 175 nm. Après transplantation, le diamètre des fibres du tendon rotulien tombe en dessous de 100 nm avec des fibres majoritairement comprises entre 25 et 75 nm et ce, quel que soit le recul postopératoire, les observations les plus longues ayant été faites jusqu’à 9 ans. Abe et al. [18] ont montré, chez le chien, une augmentation du collagène en microscopie optique à 16 semaines. Pendant le même temps, les études en microscopie électronique montrent une désorganisation des fibres de collagène. Les fibroblastes sont actifs métaboliquement. Jackson et al. [25] ont étudié en microscopie électronique le devenir d’un tendon rotulien transplanté chez la chèvre. À 6 mois, des petites fibres de distribution unimodale existent, qu’il s’agisse d’autogreffe ou d’allogreffe. Oakes et al. [7] ont évalué des biopsies de 6 mois à 6 ans sur des patients après autogreffes. Les greffes ne montrent pas de distribution de collagène normale ; la distribution est unimodale de petit diamètre. Zaffagnini et al. [26,27] confirment, au cours de deux études, que la distribution du diamètre des fibres de collagène après ligamentisation est unimodale. Pour la deuxième étude, il s’agit du plus long recul de biopsie après reconstruction du LCA (10 ans). Il n’existe donc pas de parfaite ligamentisation du tendon rotulien à l’échelon ultrastructural. Les conséquences sont encore mal connues et le rôle de ces fibres de collagène dans les propriétés mécaniques du transplant reste à déterminer.
Transformations biochimiques Crosslinking du collagène Le tendon rotulien et le LCA diffèrent par la nature de leur collagène (crosslinking et types). Le LCA contient une concentration élevée de « dihydroxylysinonorleucine »
156 (DHLNL) et peu de « high histidinohydroxymerodesmosine » (HHMD) et de « hydroxylysinonorleucine » (HLNL). Le tendon rotulien est à l’opposé en terme de concentration de ces molécules. En raison de ces différences, le changement de concentration de ces dérivés est un index de transformation important [53]. Dès la deuxième semaine postopératoire, cette transformation commence et le taux de DHLNL atteint un maximum vers la quatrième semaine. À 30 semaines, les taux de DHLNL, HHMD et HLNL sont similaires à ceux du LCA natif [1].
Typage du collagène Le LCA et le tendon rotulien contiennent du collagène de type I mais, au contraire du tendon rotulien, le LCA contient 10 % de collagène de type III. Après transplantation, du collagène de type III devient détectable dans la greffe dès la 2e semaine postopératoire, augmentant jusqu’à 6 semaines. À 30 semaines, son pourcentage est identique à celui du LCA.
Concentration totale en glycosaminoglycans (GAG) Le LCA normal contient 2 fois plus de GAG que le tendon rotulien. Après transplantation, la concentration de GAG augmente dès la 2e semaine. Cette augmentation est significative. La concentration en GAG devient identique à celle d’un LCA normal à partir de la 4e semaine postopératoire puis ne se modifie plus.
Transformations métaboliques La population cellulaire de la greffe perd sa capacité originale de synthèse du collagène. L’activité métabolique est basse et la cytolyse survient dès le 2e jour postopératoire car il existe une insuffisance de nutrition cellulaire par le liquide synovial qui pourrait, de plus, se combiner avec un possible effet toxique du liquide synovial sur les cellules du tendon. Dès le 7e jour postopératoire, il existe une augmentation de l’activité métabolique du transplant avec, cependant, une diminution de sa population cellulaire. Cette observation paradoxale s’explique par la repopulation cellulaire simultanée de la greffe qui augmente jusqu’à la 3e semaine. Il n’existe pas de parallélisme entre l’activité métabolique de la greffe et sa vascularisation car la repopulation cellulaire se fait par un processus de diffusion à partir du liquide synovial [15]. À 3 mois, chez le chien, l’augmentation de synthèse du collagène est de 2,5 à 3 fois supérieure à celle d’un LCA ou d’un tendon rotulien normal [28].
Études expérimentales et humaines lors d’une greffe de tendons ischio-jambiers Aspect macroscopique L’aspect macroscopique est similaire au tendon rotulien avec un gonflement œdémateux dans les premières semaines postopératoires. La revascularisation chez l’animal apparaît cependant plus tardivement vers le troisième mois après l’intervention. [29]. Les observations faites chez l’homme par Abe et al. [18] montrent que
P. Djian et al. la greffe est hypertrophique et hypervasculaire dès la 6e semaine. Au sixième mois, l’hypertrophie subsiste. À un an, la vascularisation et le diamètre de la greffe ont diminué.
Évolution histologique La ligamentisation et la revascularisation d’une plastie au DIDT à quatre faisceaux fixés par vis d’interférence a été étudiée chez le mouton jusqu’à 6 mois par méthode histologique, immunohistochimique, et en microscopie électronique [29]. Les greffes ont été étudiées à 6, 12 et 26 semaines et comparées à une étude histologique humaine au cours d’arthroscopie de contrôle. L’implantation de la greffe est suivie d’une nécrose de celle-ci et d’une réponse inflammatoire postopératoire non spécifique. Au troisième mois, dans la partie intra-articulaire de la greffe, il reste encore des zones de tendon nécrotiques en voie de remodelage vasculaire. Il existe de larges plages thrombosées qui progressent dans le tissu nécrotique avec la présence de cellules musculaires lisses actives au sein de la matrice tendineuse. La matrice collagène acellulaire est envahie par des colonnes de chondrocytes. Des microfibrilles élastiques servant de support cellulaire sont présentes. Les contraintes en traction semblent jouer un rôle important dans l’alignement de la matrice fibreuse à ce stade. Au sixième mois, la structure histologique de la greffe est non différentiable de celle d’un LCA normal en termes de densité cellulaire, qualité et quantité de matrice collagène. À ce stade, il n’existe plus de cellules musculaires lisses. Chez l’homme, trois études [10,29,30] ont étudié la transformation des ischio-jambiers. Pour Scranton et al. [29], la ligamentisation n’est pas finie à 6 mois chez l’homme et les auteurs recommandent la plus grande prudence pour les suites opératoires pendant cette période. Pour Lane et al. [10], il s’agit d’une patiente chez qui le LCA reconstruit par quatre brins d’ischio-jambiers a été étudié 4 ans après l’intervention. Pour Sanchez et al. [30], l’étude a été faite sur des ischio-jambiers avec association de facteurs plaquettaires ; la maturation ligamentaire arriverait deux ans après l’intervention. L’ondulation des fibres de collagène est similaire à un LCA normal. Les fibroblastes sont ronds et parsemés dans les fibres de collagène de manière identique au LCA natif. La vascularisation a été étudiée chez l’homme sur des IRM [31]. Il existe une revascularisation IRM à partir du moment où les greffes ne sont pas en conflit avec le toit de l’échancrure.
Études ultrastructurales Les tendons ischio-jambiers ont une prédominance de fibres de moins de 100 nm de diamètre. Après transplantation intra-articulaire, seules quelques fibres de grand diamètre (> 100 nm) ont été observées pour les ischio-jambiers, reliquats de la structure d’origine [7]. Des biopsies faites chez l’homme au 6e mois et à un an postopératoire ont montré l’activation des fibroblastes caractérisée par un noyau multilobulaire et un ratio cytoplasme/noyau élevé. Cette forme de fibroblastes correspond à un état de cicatrisation déjà connu dans d’autres tissus. À
Aspects biologiques de la reconstruction du ligament croisé antérieur un an, cet état suggère que la cicatrisation finale n’est pas atteinte.
Transformations biochimiques Crosslinking du collagène Le nombre de crosslinks du collagène est faible dans les tendons ischio-jambiers, et élevé dans le LCA. Après transplantation intra-articulaire, le nombre de crosslinks augmente dans la greffe d’ischio-jambiers pour atteindre une valeur plus importante que celle du LCA. Le ratio DHLNL/HLNL dans la greffe d’ischio-jambiers est similaire à celui du LCA [29]. Une étude chez l’homme, rapporté par Lane et al. [10], montre que le collagène total est plus important dans les tendons ischio-jambiers. Lorsque ces derniers sont utilisés comme greffe, la quantité totale de collagène reste un peu inférieure (10 %) à celle du LCA natif.
Concentration totale en GAG La concentration en GAG dans le LCA et la greffe d’ischiojambiers est identique pour Lane et al. [10] quatre ans après la transplantation.
Étude du devenir des greffes dans les tunnels osseux Le succès à long terme des autogreffes tendineuses repose sur la capacité de l’os à provoquer une cicatrisation du tendon dans le tunnel osseux. Quelles sont les caractéristiques histologiques et biomécaniques de la cicatrisation intra-osseuse ? Kernwein et al. en 1942 [32] ont montré sur le chien que le tendon est attaché par ossification et incorporation dans l’os. Whiston et Walmsley [33] ainsi que Forward et Cowan [34] rapportent des expérimentations sur des lapins. Les fibrocytes tendineux sont, dès le deuxième jour, nécrotique puis diminuent en nombre. Les fibres de collagène ont un aspect myxoïde. Dix jours après, l’activité des ostéoclastes et des ostéoblastes est importante dans le tunnel osseux. Des fibrocytes provenant de l’os apparaissent et envahissent le tendon. Avec le temps, des interconnexions entre la périphérie du tendon et le tissu réticulaire de l’os trabéculaire sont présentes. Les études ultérieures ont l’avantage d’associer histologie et résistance mécanique. Rodeo et al. en 1993 [35] sur des chiens ont rapporté l’histologie de la cicatrisation tendineuse dans un tunnel osseux. Le tendon est entouré par une couche cellulaire et fibreuse qui, progressivement, s’organise et des fibres partant de l’os et allant vers le tendon apparaissent avec le temps. Elles ressemblent aux fibres de Sharpey. L’os du tunnel subit aussi une transformation avec une repousse dans le tunnel bien mise en évidence par des radiographies à haute résolution. À deux, quatre et huit semaines, l’évaluation biomécanique montre que la rupture se produit par issue du tendon du tunnel osseux. La force à l’arrachement augmente significativement entre la deuxième et la douzième semaine après l’implantation. À partir de la douzième semaine, la rupture se produit en pleine substance
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tendineuse et prouve donc que l’interface tendon-os est solide. Grana et al. [36], en 1994, ont montré sur le lapin que l’incorporation des tendons ischio-jambiers à l’intérieur d’un tunnel osseux survient dès la troisième semaine postopératoire. Les tests en contrainte à l’arrachement ont montré que la rupture à trois semaines survient au niveau de la portion intra-articulaire du transplant. La fixation dans le tunnel apparaît par l’intermédiaire d’un manchon collagénique avec des interconnexions osseuses. Celles-ci ont les caractéristiques des fibres de Sharpey. Saint-Pierre et al. [37] en 1995 ont montré sur des chèvres l’apparition de fibres de Sharpey à la douzième semaine postopératoire. Ce travail démontre, par ailleurs, que le creusement d’une tranchée ou l’apposition du tendon sur l’os a permis la cicatrisation os-tendon par la formation de fibres de Sharpey. Pinczewski et al. [38], en 1997, ont montré une cicatrisation chez l’homme a propos de deux ruptures intraarticulaire d’un LCA reconstruit par des ischio-jambiers. Il s’agissait de deux patients ayant eu une rupture traumatique après ligamentoplastie à la 6e et 10e semaines postopératoires. Ils ont été réopérés à la 12e et 15e semaines. Microscopiquement, des fibres de collagène allaient de l’os adjacent au tendon à la manière des fibres de Sharpey.
Facteurs influenc ¸ant la transformation de la greffe Il est habituel de distinguer parmi les facteurs capables d’influencer la ligamentisation : le positionnement de la greffe, sa fixation, sa pré-tension, l’utilisation d’un renfort, de greffes vascularisées et, enfin, les effets de la rééducation postopératoire.
Le positionnement du transplant Jackson, en 1991 [25], a montré qu’un environnement mécanique adapté constituait le facteur essentiel maintenant la résistance mécanique de la greffe durant la phase de remodelage. Un positionnement anatomique de la greffe est indispensable pour restaurer une cinématique articulaire normale. Le concept « d’isométrie » est simpliste dans la mesure où le LCA lui-même n’est pas isométrique. La longueur de ses faisceaux, donc leur tension, change lors de la flexion-extension du genou. Il semble cependant raisonnable d’accepter le concept de positionnement isométrique ou encore « physiométrique », car il permet d’obtenir une cinématique appropriée. Aussi, l’amélioration de la technique chirurgicale, avec une plus grande précision de positionnement des tunnels fémoraux et tibiaux, permet certainement à la greffe de supporter des contraintes mécaniques appropriées plus précocement et améliore ainsi potentiellement les phénomènes de remodelage [39]. Récemment, plusieurs études [55,56] ont permis de préciser les zones d’ancrage fémorale et tibiale. Concernant les reconstructions, les études sur les reconstructions du LCA à deux faisceaux ont montré leur supériorité biomécanique au laboratoire.
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L’insertion fémorale Dans le plan sagittal, si l’on compare toutes les études [40—43], la longueur de l’empreinte fémorale est de 18 mm en moyenne, la largeur est de 10 mm et la séparation par rapport au cartilage est de 4 mm. L’axe de cette insertion est incliné par rapport à l’axe fémoral. Cette inclinaison est de 25 à 30◦ en moyenne selon les études. Cette insertion fémorale est séparée en deux insertions distinctes antéromédiale et postéro-latérale. [40,44]. Dans le plan frontal, les études rapportent le positionnement à une horloge mais, actuellement, cette description est peu précise et doit rapporter le degré de flexion du genou ainsi que la position de l’horloge par rapport à l’échancrure.
L’insertion tibiale Le LCA s’insère au niveau de la surface préspinale tibiale. Des études récentes ont rapporté une insertion ovalaire avec une mesure antéro-postérieure de 15 à 18,5 mm de long sur 10 mm de large. Cette insertion est aussi dédoublée en insertion antéro-médiale et postéro-latérale.
La fixation La fixation initiale doit être suffisamment résistante pour pouvoir permettre une mise en charge physiologique de la greffe. Une fixation insuffisante aboutit à un allongement et une détente de la greffe, péjoratifs pour le remodelage de celle-ci [45—48]. Majima et al. [49] ont montré, chez le lapin, que la diminution des propriétés mécaniques du tendon rotulien ainsi que celle de sa section est proportionnelle à la diminution des contraintes mécaniques subies par le tendon.
La pré-tension Plusieurs études ont évalué l’effet de la pré-tension donnée à la greffe lors de sa fixation sur l’évolution de ses propriétés mécaniques. Yoshiya et al. [50,51], en appliquant des valeurs de tension initiale de 1 ou 39 N à la greffe, n’ont pas trouvé de différence de laxité résiduelle 3 mois après, ni de différence de propriétés mécaniques intrinsèques. Les greffes tendues initialement à 39 N étaient moins bien vascularisées et présentaient une désorganisation collagène plus importante que les greffes tendues à 1 N. Une étude [52] a montré qu’une élongation imposée à la greffe par une tension excessive lors de sa mise en place aboutissait à une laxité résiduelle plus importante que sans élongation initiale. Il est difficile d’imaginer que la tension initiale imposée à la greffe puisse se maintenir. D’une part, le tissu collagène est visco-élastique et présente donc des phénomènes de relaxation. D’autre part, le remodelage du collagène affecte indubitablement la tension initiale de la greffe.
Autres facteurs L’utilisation de greffes pédiculées, donc vascularisées, ne présente pas d’avantage par rapport aux greffes libres. Nous avons vu précédemment que les cellules qui colonisaient
P. Djian et al. la greffe provenaient du Hoffa et de la synoviale postérieure du genou. La revascularisation complète de la greffe est obtenue dans tous les cas après 8 à 12 semaines. Après 26—52 semaines, il n’existe pas de différence de propriétés structurales entre les greffes initialement vascularisées ou non. La rééducation postopératoire constitue vraisemblablement un élément majeur dans la qualité du résultat de la reconstruction du LCA [3]. Malheureusement, c’est un facteur difficile à contrôler dans des conditions de laboratoire. Les études expérimentales publiées ont utilisé des protocoles postopératoires très variables, allant de l’appui immédiat à l’immobilisation plâtrée de plusieurs semaines. Les effets négatifs de l’immobilisation sur les propriétés mécaniques des ligaments normaux sont bien connus, mais ceux sur une greffe tendineuse en cours de remodelage le sont moins bien. Compte tenu de la faiblesse des propriétés mécaniques de la greffe en postopératoire précoce, mais compte tenu aussi de la nécessité de contraindre mécaniquement la greffe à des niveaux, cependant sans danger pour favoriser son remodelage, l’utilisation de protocoles de rééducation en chaîne cinétique fermée, avec travail musculaire excentrique, semble constituer une voie de recherche intéressante.
Conclusion La ligamentisation obéit aux lois générales de l’adaptation tissulaire décrites par Roux en 1905, qui stipulent qu’un organe adapte sa structure à une modification qualitative ou quantitative de sa fonction. Si ceci se vérifie pour la structure histologique, les aspects métaboliques et biochimiques de la greffe, il n’en va pas de même pour son ultrastructure, son innervation et ses propriétés mécaniques. Ces dernières restent faibles avec une résistance et une rigidité diminuées de 50 %, même après 2 ans. Les fibres collagènes ne retrouvent pas une taille et une distribution similaires à celles d’un LCA normal. Il est vraisemblable que le phénotype des fibroblastes d’origine synoviale recolonisant la greffe soit différent des fibroblastes du LCA expliquant cette différence d’ultrastructure et de qualité mécanique. Une étude très récente a montré que les réponses aux facteurs de croissance cellulaire des cellules du tendon rotulien et du LCA sont différentes [22]. Cependant, les « néofibroblastes » colonisant la greffe sont capables de rétablir le type du collagène, la quantité de crosslinks et la quantité de GAG d’un LCA normal. Il existe donc des facteurs de contrôle des processus de ligamentisation qui restent à identifier. Les quatre phases de la ligamentisation sont bien connues. Elles sont similaires chez l’homme et chez l’animal de laboratoire avec cependant une cinétique différente. La phase initiale de nécrose avasculaire est inéluctable. La recolonisation cellulaire et la revascularisation sont deux phénomènes indépendants. Le remodelage collagène est essentiellement influencé par l’environnement biomécanique auquel est soumise la greffe. Ainsi, l’ensemble des données de la littérature sur la ligamentisation permet de dégager les éléments favorables à un remodelage correct de la greffe de LCA : celle-ci doit être positionnée de
Aspects biologiques de la reconstruction du ligament croisé antérieur fac ¸on anatomique ; elle doit présenter une résistance mécanique à la fois intrinsèque et de sa fixation permettant de la soumettre aux contraintes d’une rééducation postopératoire immédiate. L’immobilisation est à proscrire. La pré-tension, le renfort et l’utilisation de greffes vascularisées n’apportent pas de contributions significatives. Contrairement à l’animal, les observations histologiques montrent que les greffes de tendon rotulien chez l’homme sont viables dès la troisième semaine postopératoire, c’està-dire beaucoup plus précocement qu’on ne le pense habituellement. Pour les tendons ischio-jambiers, cette viabilité doit s’accompagner d’une cohésion des tendons dans les tunnels osseux qui n’apparaît dans ce cas que vers la 12e semaine postopératoire. Ces constatations posent évidemment la question de la date de reprise des efforts sportifs. Si la plupart des auteurs s’accordent actuellement pour les reconstructions avec le tendon rotulien, et ceci de fac ¸on totalement empirique, sur un délai de 3 mois pour la reprise des sports en ligne et de 6 mois pour la reprise des sports de pivot, il faut certainement être plus prudent dans la remise en charge des transplants d’ischio-jambiers. La tenue initiale des fixations des ischio-jambiers et des délais d’intégration osseuse doit inciter à la prudence. Certains auteurs interdisent [3] l’appui complet pendant 6 semaines après utilisation des ischio-jambiers en raison des éléments précités.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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