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Fait Clinique
Baisse brutale de l’acuité visuelle révélatrice d’une maladie des griffes du chat : à propos de trois cas Sudden sight impairment revealing a cat-scratch disease: report of three cases L. Besson-Leaud a,*, E. Mancel b, I. Missotte a, C. Morlat a, C. Menager a a
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Service de pédiatrie, CHT de Magenta, BP J5, 98849 Nouméa, Nouvelle-Calédonie Service d’ophtalmologie, CHT Gaston-Bourret, BP J5, 98849 Nouméa, Nouvelle-Calédonie Reçu le 25 juillet 2003 ; accepté le 21 juin 2004 Disponible sur internet le 31 juillet 2004
Résumé La maladie des griffes du chat est une cause fréquente de lymphadénopathie chronique bénigne de l’enfant. De nombreuses formes atypiques ont été décrites. Nous rapportons trois observations de baisse brutale de l’acuité visuelle révélatrice d’une maladie des griffes du chat. Observation. –Ruben, 13 ans, Faneli, dix ans et Mélodie 13 ans ont présenté une baisse brutale et bilatérale de l’acuité visuelle avec un œdème papillaire bilatéral, dans un contexte fébrile dans deux cas. Les explorations neuroradiologiques et la ponction lombaire étaient normales. La sérologie Bartonella henselae était positive. L’évolution a été favorable dans deux cas avec un traitement antibiotique et anti-inflammatoire. Conclusion. –La maladie des griffes du chat peut se révéler par une baisse isolée de l’acuité visuelle avec une neurorétinite stellaire au fond d’œil. Un traitement antibiotique peut se discuter. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Cat-scratch disease is a frequent but innocuous cause of chronic lymphadenopathy in children. Numerous atypical forms have been described. We report three cases of acute sight impairment revealing a cat-scratch disease. Background. –A 13 year-old boy and two girls aged 10 and 13 suffered from a sudden bilateral sight impairment with papillary edema, with fever in two cases. Neurological examinations, X-rays and lumbar puncture results were found normal. However, all patients were tested positive to Bartonella Henselae. Antibiotic and anti-inflammatory treatments were efficient in two cases. Conclusion. –Cat-scratch disease can be characterized by an isolated and acute sight impairment with a stellate neuroretinitis. The potency of antibiotic treatments is debatable. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : Acuité visuelle ; Griffes du chat (maladie des) Keywords: Vision disorders; Cat-scratch disease; Child
La maladie des griffes du chat (MGC) ou lymphoréticulose bénigne d’inoculation se manifeste fréquemment par * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (L. Besson-Leaud). 0929-693X/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.arcped.2004.06.025
une adénopathie chronique dans le territoire de drainage d’une lésion cutanée par griffure de chat. De nombreuses présentations cliniques ont été décrites, parfois sans adénopathie. Nous rapportons trois observations débutant par une baisse brutale de l’acuité visuelle.
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1. Observations 1.1. Observation 1 Ruben, 13 ans, était atteint d’une amblyopie droite préexistante par anisométropie. Il a consulté son médecin dix jours après une baisse de l’acuité visuelle avec fièvre à 38,2 °C, céphalée et asthénie. L’acuité visuelle était de 1/60e à gauche, < 1/20e à droite avec un œdème papillaire bilatéral comportant un œdème maculaire stellaire à gauche associé à des hémorragies prépapillaires. Le champ visuel était très altéré avec diminution globale des seuils à droite et scotome centro-caecal à gauche. La ponction lombaire, le scanner cérébral et l’IRM étaient normaux. La NFS était normale, la CRP à 72 mg/L, la VS à 110 mm à la première heure. Les sérologies HIV, EBV, picornavirus, HSV, VZV, oreillons, poliovirus, rougeole, CMV, mycoplasme, leptospirose étaient négatives, ainsi que les anticorps antinucléaires et les tests latex/Waaler-Rose. La sérologie Bartonella henselae était à la limite de la valeur seuil (128). Il y avait de nombreux chats au domicile. Un traitement par méthylprednisolone (1 g i.v. pendant trois jours) avec relais par prednisone (1 mg/kg par jour), ofloxacine, doxycycline et acétazolamide a été débuté. Au quinzième jour, il n’y avait pas d’amélioration et la sérologie B. henselae était supérieure à 1024. L’ofloxacine était remplacée par de la rifampicine pendant 15 jours. À quatre mois, l’acuité visuelle était de 1,5/10e à droite et de 10/10e à gauche. Il n’y avait plus de neurorétinite stellaire. 1.2. Observation 2 Fanelie, dix ans, sans antécédent, a été hospitalisée pour une baisse de l’acuité visuelle prédominant à droite (5/10e) depuis un mois dans un contexte de fièvre transitoire à 39 °C. L’examen clinique était normal. Il y avait au fond d’œil et à l’angiographie à droite une papillite globale avec un œdème stellaire maculaire et à gauche une papillite nasale. Les examens suivants étaient normaux : NFS, VS, CRP, sérologies picornavirus, herpes, oreillon, varicelle, rougeole, poliovirus, hépatite B, chlamydiae, HIV, toxoplasmose, toxocarose, leptospirose, latex, Waaler-Rose, VDRL, TPHA, anticorps antinucléaires, hémostase, LCR, scanner cérébral et IRM. La première sérologie B. henselae était négative (32) mais est devenue positive 15 jours plus tard (256). Fanelie fréquentait souvent la SPA et aimait jouer avec les chats. Un traitement par bolus de méthylprednisolone pendant quatre jours associé à de la fosfomycine et de la ciprofloxacine intraveineuse pendant six jours a été débuté avec relais par de la prednisone (1 mg/kg par jour), de la pristinamycine et de la ciprofloxacine per os pendant 15 jours. L’acuité visuelle était normale 15 jours plus tard, avec un fond d’œil également normal. 1.3. Observation 3 Mélodie, 13 ans, suivie pour une obésité, a présenté une asthénie depuis un mois associée à un strabisme divergent
récent et à une baisse de l’acuité visuelle (1/10e aux deux yeux). Il y avait un œdème papillaire et maculaire bilatéral au fond d’œil, une amputation quasi totale du champ visuel, une dyschromatopsie, un retard et une diminution d’amplitude de tous les tracés aux PEV. Le scanner cérébral, l’IRM, les examens biologiques étaient normaux en dehors d’une VS à 100 mm. Un traitement par ampicilline, méthylprednisolone, Maxidrol® et Acular® collyre était débuté avec remplacement par de la rifampicine devant une sérologie B. henselae positive (IgG à 128 et IgM à 40). À un mois et demi et à six mois, l’acuité visuelle était de 10/10e à droite et de 6/10e à gauche. Il persistait une étoile maculaire bilatérale séquellaire et les papilles étaient normales. Mélodie avait un chaton à son domicile.
2. Commentaires Décrite en 1950 par Debré et al., la maladie des griffes du chat (MGC) est une lymphadénopathie chronique fréquente de l’enfant survenant dans le territoire de drainage d’une lésion cutanée provoquée par un chat [1–3]. La bactérie responsable est un bacille Gram négatif : B. henselae [2,3]. La guérison spontanée est obtenue au bout de deux à 24 mois [3]. De nombreuses formes atypiques sont décrites [2,3] : fièvre récurrente, forme systémique avec fièvre et granulomatose hépatosplénique [4], syndrome oculoglandulaire de Parinaud, atteinte pulmonaire, ostéomyélite, endocardite, atteinte articulaire, dermatologique, hématologique (anémie hémolytique, thrombopénie), forme pseudotumorale... L’atteinte neurologique est rare (encéphalite, convulsions, syndrome pyramidal, extrapyramidal, myélite aiguë) [3]. Différentes complications ophtalmologiques sont décrites : neurorétinite [5–8], uvéite, hémorragie du vitré, choriorétinite, décollement de la macula, thrombose des vaisseaux rétiniens [6–8]. La fréquence d’une neurorétinite dans la maladie des griffes du chat varie de 1 à 26 % selon les études [8]. Une étude de 14 cas de neurorétinite constate 64,3 % de sérologie des griffes du chat positive alors que l’incidence est de 3 % dans la population générale [9]. Elle se manifeste par une perte brutale le plus souvent unilatérale de l’acuité visuelle, parfois associée à un scotome central et des métamorphopsies [7,8]. Elle peut être isolée sans adénopathie associée comme dans nos observations. Le fond d’œil met en évidence une neurorétinite avec un œdème papillaire et maculaire ainsi que des exsudats stellaires autour de la macula rappelant la neurorétinite stellaire idiopathique décrite par Leber en 1916 [10]. Il existe d’autres causes de neurorétinite : viroses, syphilis, leptospirose, toxoplasmose, toxocarose, tuberculose, psittacose, maladie de Lyme et maladie de Behçet [8,11]. Le diagnostic s’effectue par une sérologie en immunofluorescence indirecte ou par méthode Elisa [2,3,8]. Dans les cas difficiles, dans les formes profondes ou chez l’immunodéprimé, l’aide de la PCR ainsi qu’une recherche par culture pourront être demandées [4,12]. L’évolution clinique est habituellement favorable avec un traitement symp-
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tomatique [3,4,11]. Cependant, certains auteurs proposent une antibiothérapie pendant deux à quatre semaines dans les formes systémiques ou lorsque les manifestations cliniques sont plus inquiétantes [3,4,8,13]. B. henselae est sensible in vitro aux macrolides, aux tétracyclines, à la rifampicine, à la gentalline, aux céphalosporines de troisième génération et à la ciprofloxacine [3,8]. En pratique, une efficacité clinique a essentiellement été constatée avec la rifampicine, la ciprofloxacine, le cotrimoxazole et la gentalline [13]. La doxycycline et la ciprofloxacine sont à préférer dans les atteintes ophtalmologiques devant la bonne pénétration oculaire [8,11]. Certains proposent également l’utilisation de rifampicine [11]. Une étude de sept cas de neurorétinite souligne une bonne évolution sous traitement associant de la doxycycline et de la rifampicine [14]. Un traitement corticoïde est proposé par certains afin d’agir sur la composante inflammatoire et accélérer la guérison [6,8]. Cependant, une série de six cas de neurorétinite ne constate pas d’amélioration plus importante dans le groupe traité par corticoïdes, et tous ont une évolution favorable sans traitement antibiotique [11]. L’acuité visuelle reste médiocre dans une de nos observations chez un garçon atteint auparavant d’une amblyopie.
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3. Conclusion Une baisse brutale de l’acuité visuelle peut révéler une MGC. Une neurorétinite stellaire est à rechercher. Il n’existe pas de consensus thérapeutique en ce qui concerne l’utilisation d’antibiotiques et de corticoïdes d’autant plus que l’évolution peut être spontanément favorable.
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