Cas cliniques

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2010) 11, 245—248 DROIT ET DOULEUR Cas cliniques Nathalie Lelièvre 1 MOTS CLÉS Trac ¸abilité ; Refus...

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2010) 11, 245—248

DROIT ET DOULEUR

Cas cliniques Nathalie Lelièvre 1

MOTS CLÉS Trac ¸abilité ; Refus de réaliser une prescription médicale ; Transport de médicaments à l’étranger ; Procédure abusive

Résumé Un proverbe franc ¸ais dit : « les paroles s’envolent mais les écrits restent ». Pourtant, il existe toujours une certaine réticence à la trac ¸abilité, même si celle-ci est devenue un critère essentiel dans la démarche de certification des établissements de santé pour garantir une qualité des soins aux patients. La continuité des soins passe par la trac ¸abilité, mais encore faut-il laisser le temps aux professionnels de santé de la réaliser dans de bonnes conditions. La continuité des soins passe également par la possibilité de permettre au patient d’avoir son traitement lorsqu’il quitte le territoire franc ¸ais. Sur ce point, tant l’Afssaps que la Caisse nationale d’assurance maladie ont rédigé des recommandations à l’attention des professionnels de santé pour faciliter la continuité du traitement lorsque le patient voyage. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Cas clinique no 1 Question : un patient hospitalisé en service de médecine se plaint de multiples douleurs aux articulations. Le médecin prescrit un traitement par voie veineuse à 8 h 00, 13 h 00, 18 h 00 et minuit. Le lendemain, l’infirmière diplômée d’état (IDE) l’informe que l’IDE de nuit n’a pas posé la perfusion à minuit car le patient dormait et qu’elle ne pouvait pas évaluer sa douleur. Le médecin informe l’IDE que s’agissant d’une prescription médicale, l’IDE aurait dû poser la perfusion même s’il dormait. Elle devait le faire. Vrai ou Faux ? Réponse : vrai.

En l’occurrence, le médecin a prescrit un traitement médicamenteux avec des horaires fixes. L’IDE se doit donc de procéder à la mise en place du traitement même si le patient dort ou dit ne pas avoir mal. En revanche, l’IDE peut tout à fait informer le médecin, dans le cadre de l’évaluation du traitement, de l’évolution de l’état de santé du patient. Il appartiendra alors au médecin de déterminer si les doses administrées peuvent être diminuées ou réadaptées. En revanche, l’IDE ne peut pas prendre seule l’initiative de suspendre un traitement sans en informer au préalable le médecin. Le motif que le patient dort ne suffit pas à justifier de la levée d’un traitement.

Cas clinique no 2 Adresse e-mail : [email protected]. Juriste droit de la santé, membre de la commission éthique et douleur, AEU droit médical, DESS droit de la santé, chargée de conférence et formation continue. 1

Question : que signifie la notion de trac ¸abilité avec la certification version 2010 concernant la prise en charge de la douleur ?

1624-5687/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.douler.2010.08.003

246 Réponse : celle-ci fut introduite au sein du système de santé franc ¸ais par l’ordonnance no 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme hospitalière. Actuellement, nous en sommes à la troisième version. Le manuel V20102 contient 28 références et 82 critères. Il est organisé en deux chapitres : « Management de l’établissement » et « Prise en charge du patient ». La prise en charge de la douleur est répertoriée au chapitre 2 : « Prise en charge du patient », partie 1 : « Droits et place des patients », référence 12 : « La prise en charge de la douleur » et mentionne sur ce point : « La loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé du 4 mars 2002 reconnaît le soulagement de la douleur comme un droit fondamental de toute personne. Au sein d’un établissement de santé, l’organisation de la prise en charge de la douleur doit veiller à mettre en œuvre les quatre axes du programme national de lutte contre la douleur : • améliorer la prise en charge des douleurs des populations les plus vulnérables ; • améliorer la formation pratique initiale et continue des professionnels de santé ; • améliorer les modalités de traitement médicamenteux et d’utilisation des méthodes non pharmacologiques pour une prise en charge de qualité ; • structurer la filière de soins de la douleur, en particulier les douleurs chroniques dites rebelles ». « L’indicateur HAS ‘‘trac ¸abilité de l’évaluation de la douleur [TRD]’’ évalue la trac ¸abilité de l’évaluation de la douleur dans le dossier du patient. Les objectifs du critère sont : • de favoriser le développement d’une formation qui permet aux professionnels de faire face au quotidien à la douleur des patients ; • d’inciter l’établissement à s’inscrire dans des réseaux d’échanges pour améliorer la prise en charge de la douleur tout au long du parcours du patient ; • de favoriser l’amélioration de la prise en charge de la douleur aiguë et/ou chronique, physique et/ou morale en veillant notamment à : ◦ repérer les patients présentant une douleur, ◦ mettre les protocoles à disposition des équipes de soins, ◦ améliorer la mise à disposition des outils d’évaluation, ◦ rendre effective l’utilisation des différents outils ». La trac ¸abilité de l’évaluation de la douleur du patient ou de l’évaluation des traitements mis en place ne doit pas être perc ¸ue comme une formalité administrative supplémentaire ou comme un mode de preuve en cas d’une mise en cause sur le plan de la responsabilité. La prise en charge de la douleur ne peut être efficace qu’à partir du moment où une qualité de la continuité des soins est assurée et pour cela la trac ¸abilité de l’évaluation/évolution du patient est un élément fondamental. Il est désormais important que la pratique se généralise dans l’ensemble des services. Évaluer est une chose, encore faut-il en garder une trace. Les écrits restent mais les paroles s’envolent !

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HAS, Manuel de certification ; version 2010 ; juin 2009.

N. Lelièvre

Cas clinique no 3 Question : un patient doit partir en vacance à l’étranger. Comment faire pour qu’il puisse avoir ses médicaments lors de son séjour à l’étranger ? Réponse : la quantité de médicaments que le pharmacien peut délivrer en une seule fois peut dépasser une durée de quatre semaines ou de 30 jours dans la limite de la durée prescrite par le médecin. Dans ce cas, l’assuré doit obtenir l’accord de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) préalablement à la délivrance des médicaments. Cet accord est porté sur l’ordonnance3 et authentifié par le cachet du Centre d’assurance maladie. De plus, il est limité à trois mois sous réserve des durées maximales de prescription et de délivrance des anxiolytiques, hypnotiques et stupéfiants. Si le patient transporte au cours de son voyage des médicaments relevant de la législation des stupéfiants, il convient alors de différencier s’il voyage dans l’espace Schengen ou en dehors.

Dans l’espace Schengen Toute personne résidant en France, quelle que soit sa nationalité, et transportant des médicaments soumis en tout ou partie à la réglementation des stupéfiants doit se munir d’une autorisation de transport (afin de justifier la nature licite des médicaments) lors d’un déplacement dans un pays appliquant la convention. Cette autorisation est délivrée sur demande du patient, à la vue de l’original de la prescription médicale, par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS)4 du département où le médecin prescripteur est enregistré. Cette autorisation est valable 30 jours et les quantités transportées ne doivent pas dépasser la durée maximale de prescription. Le patient doit la présenter, le cas échéant, aux autorités de contrôle compétentes.

Hors espace Schengen Chaque pays applique ses propres dispositions. En France, deux procédures distinctes sont prévues selon que la durée du séjour est inférieure ou supérieure à la durée maximale de prescription. Si la durée du séjour est inférieure ou égale à la durée maximale de prescription, la prescription médicale reste le seul document requis. Elle doit être présentée à la demande des autorités compétentes de contrôle. Si la durée de séjour est supérieure à la durée maximale de prescription, le patient doit être muni de l’original de la prescription médicale et d’une attestation 3

En l’absence de la mention « départ à l’étranger » portée sur l’ordonnance par le médecin prescripteur, l’assuré peut présenter une attestation sur l’honneur le précisant. 4 DDASS devenue ARS depuis la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, crée, dans son article 118, les Agences régionales de santé (ARS).

Cas cliniques de transport délivrée par l’Agence franc ¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) sur demande du patient. La demande comporte l’indication du pays de destination, la durée de séjour, la quantité et le dosage du médicament transporté, la prescription médicale ainsi qu’un certificat médical par lequel le médecin ne s’oppose pas au déplacement du patient sous traitement. Les demandes doivent parvenir à l’Afssaps dix jours avant la date prévue de départ. Lorsque le déplacement est de très longue durée, le patient peut obtenir, en cas de besoin, une prolongation de son traitement dans le pays d’accueil5 .

Cas clinique no 4 Question : un IDE refuse de procéder au changement de pansement d’un patient au motif que le médecin refuse de prescrire tout traitement antalgique préalablement à la réalisation du geste. L’IDE en a-t-il le droit ? L’IDE, dès lors qu’il a une prescription médicale conforme aux règles de l’art, se doit d’administrer les soins aux patients. Conformément à l’article R4312-29 CSP6 : « L’infirmier applique et respecte la prescription médicale écrite, datée et signée par le médecin prescripteur, ainsi que les protocoles thérapeutiques et de soins d’urgence que celui-ci a déterminés. Il vérifie et respecte la date de péremption et le mode d’emploi des produits ou matériels qu’il utilise. Il doit demander au médecin prescripteur un complément d’information chaque fois qu’il le juge utile, notamment s’il estime être insuffisamment éclairé. L’infirmier communique au médecin prescripteur toute information en sa possession susceptible de concourir à l’établissement du diagnostic ou de permettre une meilleure adaptation du traitement en fonction de l’état de santé du patient et de son évolution. Chaque fois qu’il l’estime indispensable, l’infirmier demande au médecin prescripteur d’établir un protocole thérapeutique et de soins d’urgence écrit, daté et signé. En cas de mise en œuvre d’un protocole écrit de soins d’urgence ou d’actes conservatoires accomplis jusqu’à l’intervention d’un médecin, l’infirmier remet à ce dernier un compte rendu écrit, daté et signé ». Cependant, l’IDE n’est pas un simple exécutant. Si elle a le moindre doute elle se doit d’en aviser le médecin prescripteur pour avoir toutes les informations utiles à la bonne prise en charge du patient et d’assurer la sécurité des soins. Il arrive parfois que les IDE soient confrontés à des situations pour lesquelles la prescription est bien conforme aux règles de l’art mais s’interrogent sur le sens du soin ou de l’examen demandé pour un patient. En l’occurrence, l’IDE souhaite une prémédication pour prévenir le geste douloureux consécutif à la réalisation du pansement. Cette démarche s’inscrit pleinement dans la prévention des gestes douloureux. Le meilleur remède : la discussion en équipe, échanger ses points de vue, expliquer pour quelles raisons on 5

Afssaps-14 novembre 2008. Transport personnel de médicaments stupéfiants détenus dans le cadre d’un traitement médical. 6 Code de santé publique (CSP).

247 n’adhère pas à la prise en charge. En aucun cas, l’IDE ne peut décider seul de ne pas faire le pansement sans aucune explication et information de l’équipe. Ne vaudrait-il pas mieux privilégier la réflexion et le discernement sur l’organisation de la prise en charge des patients pour lesquels des douleurs pourraient être amoindries par une bonne organisation des soins comme la mise en place d’un protocole de soins permettant à l’IDE d’administrer au patient un traitement en prévention des gestes douloureux ?

Cas clinique no 5 Question : un professionnel de santé peut-il engager la responsabilité d’un patient suite au procès que ce dernier a intenté contre le médecin et qu’il l’a perdu ? Réponse : depuis une dizaine d’années, la mise en cause des professionnels de santé et le recours à la justice par les patients et ayants droit sont en constante évolution. Cette situation est principalement liée au fait que les personnes ont recours plus facilement à l’information et donc à la justice via Internet, les émissions de télé, etc. Dans ce sens, en 2003, la cour de cassation a souligné qu’effectivement les patients saisissaient de plus en plus la justice. Cependant, le taux de condamnation restait stable, c’est-à-dire que quand bien même la justice est de plus en plus saisie pour des problèmes de responsabilité des professionnels de santé, elle ne retient pas pour autant la responsabilité du professionnel de santé si celui-ci n’a pas commis de faute à l’origine du dommage dont se plaint le patient ou sa famille. « Les obligations mises à la charge des professionnels de santé et des établissements de santé ont progressivement permis au patient de bénéficier d’une protection accrue. Mais des limites ont été posées par la jurisprudence et le législateur quant à leur responsabilité, en raison de la part de risque inhérente à l’acte médical. La mise en place d’un dispositif de règlement amiable et d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes et d’infections nosocomiales doit notamment permettre, tout en protégeant le patient, de dissocier ces situations des cas dans lesquels des fautes ont été commises, de recentrer ainsi la responsabilité sur la faute et de limiter le recours à des procédures juridictionnelles »7 . Pour intenter un procès contre un patient ou une famille une condition substantielle demeure pour mener cette procédure : l’action ait été intentée de manière abusive et dans des conditions caractérisant un acte de mauvaise foi. Le simple fait que le patient ait perdu son procès ne suffit donc pas. Il faut prouver au juge que le patient a saisi la justice dans le seul but de nuire au professionnel de santé. Cette situation est assez exceptionnelle. Dans la majorité des cas, le patient ou la famille cherche à tout prix un responsable et pense que l’équipe médicale a commis une faute qui ait à l’origine du dommage. Son intention première en saisissant la justice est de comprendre pour quelles raisons l’intervention et la prise en charge du patient a échoué. 7 La responsabilité civile des professionnels de santé et des établissements de santé privés à la lumière de la loi du 4 mars 2002 (par Mme Domitille Duval-Arnould, conseiller référendaire à la Cour de cassation) ; www.courdecassation.fr/.

248 Les juges sont assez peu sévères avec les requérants et rejettent les demandes de condamnations à des dommages et intérêts formés notamment par des praticiens pour procédure abusive. Un cas peut cependant être cité : un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 31 mars 2000 dans lequel un patient, qui prétendait à tort que son stomatologue ne lui avait pas présenté de devis, contestait la qualité des travaux et refusait de payer les importants soins réalisés, a été condamné à verser à son médecin 10 000 francs (1524 euros) de dommages et intérêts, au motif que le droit d’appel, qui avait dégénéré en abus, devait être sanctionné.

N. Lelièvre En dehors de l’abus de droit, il est assez rare que le professionnel de santé mis en cause dans une procédure par un patient puisse se retourner contre celui-ci. Pourtant, il est vrai, que le simple fait d’être mis en cause crée un traumatisme important pour le professionnel. Mais, en France tout citoyen est en droit de saisir la justice pour faire valoir ses droits et seul l’abus est sanctionné.

Conflit d’intérêt Aucun.