Considérations chronobiologiques pour la prise en charge des tumeurs de la tête et du cou chez l’homme

Considérations chronobiologiques pour la prise en charge des tumeurs de la tête et du cou chez l’homme

Pathologie Biologie 51 (2003) 201–203 www.elsevier.com/locate/patbio Chez l’homme Considérations chronobiologiques pour la prise en charge des tumeu...

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Pathologie Biologie 51 (2003) 201–203 www.elsevier.com/locate/patbio

Chez l’homme

Considérations chronobiologiques pour la prise en charge des tumeurs de la tête et du cou chez l’homme Chronobiological considerations for the management of human head and neck cancer C. Focan *, D. Focan-Henrard, F. Kreutz, N. Moeneclaey Service d’oncologie médicale, clinique Saint-Joseph, rue de Hesbaye, 75, 4000 Liège, Belgique Reçu le 12 juillet 2002 ; accepté le 10 janvier 2003

Résumé Les auteurs rappellent les bases expérimentales et cliniques (notamment la cinétique de division cellulaire et son contrôle circadien par les cyclines, l’expression circadienne des gènes-horloge, la chronotolérance aux anticancéreux...) justifiant une réflexion chronobiologique pour le traitement des tumeurs de la tête et du cou chez l’homme. Un programme chronothérapique complexe, (comportant du 5 fluorouracile, de l’acide folinique et du carboplatine) a été administré chez 48 patients. La tolérance s’est avérée globalement excellente et les résultats thérapeutiques intéressants (en terme de taux de réponse et de survie), permettant de conclure à un index thérapeutique optimisé. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The authors reviewed experimental and clinical data (ie, cell kinetics and its circadian control by cyclins, circadian expression of clock genes, chronotolerance to anticancer agents...) justifying to consider the temporal dimension in the medical treatment of human head and neck cancer. A complex infusional chronotherapyschedule (with 5-fluorouracil, folinic acid and carboplatin) was administered to 48 patients. Excellent tolerance and interesting tumour outcome allowed to conclude to an optimised therapeutic index. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Cancer ORL ; Chronothérapie ; Chronotolérance ; Homme Keywords: Head and neck cancer; Chronotherapy; Chronotolerance; Human

De longue date, on connaît la variation circadienne de la division cellulaire au sein de la muqueuse de la poche jugale du hamster [1]. Dans ce modèle a été montré aussi l’influence du moment circadien d’administration d’agents anticancéreux sur l’évolution de la cinétique de division (c’est-à-dire le blocage en phase G2-M par des vinca-alcaloïdes) [1]. Plus récemment, ces variations temporelles ont pu être prises en compte lors de l’application d’agents cancérigènes [2,3]

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Focan). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 10.1016/S0369-8114(03)00033-6

ainsi que lors de du développement de néoplasmes au sein de cette même poche jugale [3,4]. Chez l’homme, les travaux de G. Bjarnason (Canada) ont mis en évidence la variation circadienne des diverses phases du cycle de la division cellulaire, de l’activité des cyclines contrôlant ces phases et de l’apoptose dans les cellules de la muqueuse buccale [5]. Plus récemment fut démontré un profil circadien de l’expression de 5 gènes-horloges (clockgenes) dans les mêmes cellules et dans l’épiderme, exactement comme chez les rongeurs [6]. De même, l’activité de l’enzyme thymidilate synthase, acteur de la synthèse du DNA et important pour la sensibilité des cellules aux dérivés

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Gupta et al dans des travaux déjà anciens ont suggéré l’intérêt de pratiquer l’irradiation des patients porteurs d’une tumeur de la tête et du cou au moment du pic circadien de la température tumorale ; les tumeurs ainsi traitées régressaient plus rapidement, plus fréquemment tandis que la survie était aussi améliorée [8].

Fig. 1. Distribution cumulative des indices de marquage du DNA (LI) mesurés le matin (•) et le soir à 22 h (D) dans 12 tumeurs spinocellulaires de la cavité buccale. En ordonnée, le probit du pourcentage cumulatif ; en abscisse, les indices de marquage (LI %).

chimiothérapiques de type pyrimidines fluorées, exprimait un pic début d’après-midi [6]. Dans un travail effectué voici quelques années à l’Institut Gustave Roussy (Laboratoire Professeurs Malaise et Tubiana), nous avions montré (Fig. 1, Tableau 1) une cinétique de division plus active le matin (de 30 à 44 %) dans les cellules des cancers épidermoïdes de la cavité buccale (prélèvements à 10 et 22 h ; incorporation in vitro de 3HTdR) mais aussi une différence dans la vitesse de synthèse du DNA (mesurée indirectement par le taux d’incorporation de 3HTdR ; comptage du nombre moyen de grains par cellule) [7]. Les drogues utiles pour le traitement des cancers de la tête et du cou présentent une chronotolérance largement étudiée par ailleurs, soit le 5–FluoroUracile (5 FU) en perfusion continue (mieux toléré vers la fin de nuit), les dérivés de platine (cisplatine, carboplatine mieux tolérés fin d’aprèsmidi), voire les taxoïdes (chronotolérance bien établie chez l’animal) [7].

Nous avons traité récemment 48 patients (31 hommes ; 17 femmes ; age median : 60 ans–limite 39 à 84), souffrant de cancer tête et cou de stade avancé (stade 2 : 1 ; stade 3 : 8 ; stade 4 : 39) par une chronochimiothérapie en perfusion 12 sur 24 h durant 5 j (puis repos de 16 j) associant du 5 FU (700 mg m–2j–1–pic à 4 h), de l’acide folinique (300 mg m–2 j–1–pic à 4 h) et du carboplatine (40, 55 et finalement 60 mg m–2 j–1–pic à 16 h). Les patients ont reçu 2 à 12 cures (médiane : 4). La tolérance évaluée sur 208 cures s’est avérée très favorable (grades 3 + 4 ; % patients : granulocytes 35,4 ; leucocytes 14,6 ; plaquettes 22,9 ; mucite 18,8 ; autres ≤ 2,1) confirmant les études de chronotolérance menées par notre groupe avec cette association dans les cancers pulmonaires non petites cellules (voir par ailleurs dans ce numéro). La majorité (30/48) des patients ont aussi pu recevoir une radiothérapie au prix d’une toxicité muqueuse accrue en cas d’irradiation conjointe (37,5 vs 15 % ; un décès toxique dans ce groupe). Au niveau des réponses tumorales, 9 rémissions complètes (19 %) et 21 rémissions partielles (44 %) ont été observées sans grosse différence selon que l’on pratique ou non une irradiation concomitante; les patients en stades 2 et 3 ont eu un taux de réponse supérieur à celui des patients en stade 4 (89 vs 56 %). La survie sans progression fut de 13 mois (long terme–LT 30 %) tandis que la survie médiane globale fut de 34,4 mois (LT : 47 %). Les survies ont été meilleures dans les stades plus précoces (LT : 71 vs 40 % dans les stades 4) et chez les patients irradiés (LT : 61 % en cas de radiothérapie vs 31 % en son absence). Notre expérience avec la radiothérapie concomitante est récente et limitée ; nous restons réservés vu la survenue de toxicités muqueuse et hématologique plus importantes sans amélioration évidente de l’évolution tumorale. En conclusion : la dimension temporelle peut être importante pour la prise en charge des cancers de la tête et du cou, tant au niveau de la tolérance au traitement (chimio ± radiothérapique) qu’au niveau de l’évolution tumorale. L’index thérapeutique pourrait être amélioré par cette approche.

Tableau 1 Moyennes géométriques et valeurs médianes des indices de marquages 3HTdR (LI) et des nombres médians de grains (MGC). (12 épithéliomas de la cavité buccale) (biopsies 10 et 22h) Moyennes géométriques des valeurs matinales (1) Moyennes géométriques des valeurs vespérales (2) Rapport (1) / (2) Valeur médiane matinale (A) Valeur médiane vespérale (B) Rapport (1) / (B) Moyenne géométrique des rapports individuels matin/soir

L.I. 6,52 ± 1,29 5,05 ± 1,27 1,29 6,35 4,46 1,44 1,29 ± 0,01 (1,42 ± 0,01)

M.G.C. 20,89 ± 1,20 17,60 ± 1,11 1,18 18,12 16,43 1,10 1,19 ± 0,12

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Références [1]

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Bjarnason GA, Jordan R. Circadian variation of cell proliferation and cell cycle protein expression in man: clinical implications. Prog Cell Cycle Res 2000;4:193–206.

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Bjarnason GA, Jordan RC, Wood PA, Li O, Lincoln DU, Sothern RB, et al. Circadian expression of clock genes in human oral mucosa and skin: association with specific cell-cycle phases. Am J Path 2001;158:1793–801.

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Gupta BD, Deka AC. Application of chronobiology to radiotherapy of tumor of oral cavity. Chronobiologia 1975;2(suppl. 1):25.