Corps, regard et silence. L'enigme de la subjectivite en psychiatrie (1965)

Corps, regard et silence. L'enigme de la subjectivite en psychiatrie (1965)

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L’´evolution psychiatrique 72 (2007) 681–690

Article original

Corps, regard et silence. L’énigme de la subjectivité en psychiatrie (1965)夽 Body, look and silence. The enigma of subjectivity in psychiatry (1965) Franco Basaglia (1924–1980) Directeur de l’hopital psychiatrique, Gorizia, Italie

Résumé Le corps, sujet central de cet article, est examiné en tant qu’intervalle où l’homme « reprend haleine » dans le but de se dominer et d’émerger parmi les autres. L’intervalle dont il est question est la distance nécessaire pour que l’être-ici puisse être possible : le regard et le silence sont deux des intervalles étudiés. L’auteur analyse la manière qu’a le malade mental de vivre la destruction des intervalles nécessaires à son existence dans la situation particulière où se trouve perturbé l’aller vers autrui et le retour à partir d’autrui, afin de maintenir complètement la distance, moyennant quoi il peut vivre l’énigme de sa propre subjectivité. Abstract The body, as the central topic of this paper, is examined as an interval where the man « draws in his breath » in order to master himself and reach out towards the others. The interval the author is talking about is the distance necessary in order that our being might be possible: look and silence are two of the intervals examined. The author analyzes how the mentally ill lives the destruction of the intervals, necessary to his existence, in a particular situation that hinders the normal coming and going to and from the others, in order to maintain the complete distance, so that he can live the enigma of his own subjectivity. Mots clés : Corps ; Psychose ; Névrose ; Subjectivité ; Regard ; Silence Keywords: Body; Psychosis; Neurosis; Subjectivity; Look; Glance; Silence 夽 Cet article est précédemment paru dans l’Évolution psychiatrique 1965;1:11–26. Toute référence à cet article doit porter mention : Basaglia F. Corps, regard et silence. L’énigme de la subjectivité en psychiatrie (1965). Evol psychiatr 2007;72.

0014-3855/$ – see front matter doi:10.1016/j.evopsy.2007.09.001

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« Ah, finalmente ! Eccolo la ! Chi era ? Nienete era. Nessuno. Un povero corpo mortificato, in attesa che qualcuno se lo prendesse. » Luigi Pirandello : Uno, nessuno e centomila. « . . .Aux problèmes posés par la psychologie — non seulement aujourd’hui, mais depuis des siècles — à la « crise » qui lui est particulière, il faut attribuer une signification fondamentale : elle révèle. . . une énigme du monde d’un genre qui était complètement inconnu aux époques passées. . . l’énigme de la subjectivité ». C’est par ces mots d’introduction que Husserl [1] nous présente sa Krisis der Europäischen Wissenschaften, en nous faisant pénétrer immédiatement dans le vif de ce que nous pouvons appeler à juste titre le problème central de toute recherche scientifique, à partir du moment où cette recherche veut appréhender « l’homme dans son comportement en face du monde, l’homme qui doit choisir librement lui-même, de même qu’il est libre de fac¸onner le monde qui l’entoure » : l’homme qui, en tant qu’objet dans un monde objectal, est en même temps sujet de ses possibilités. C’est en partant de là que toute science — désireuse d’être liée à l’homme et à ses problèmes — doit aborder la question de la subjectivité, des rapports sujet–objet, matière–esprit, je–tu et, ce qui nous intéresse ici, le rapport moi–corps. C’est là précisément que la psychiatrie — impliquée comme toutes les autres sciences dans la crise de notre culture — cherche des bases nouvelles sur lesquelles bâtir de nouvelles méthodes de recherche, de compréhension des maladies mentales. C’est également une recherche intuitive où la compréhension philosophique des problèmes de l’homme dans ses rapports avec lui-même pourrait justement mettre en lumière des mécanismes encore cachés, faire comprendre des mondes qui s’avéreraient inextricables pour une recherche naturaliste. Si donc la subjectivité humaine est l’énigme centrale de toute science, il en résulte que l’étude des rapports du « moi » avec son corps, du corps — en tant que corps propre — avec le corps d’autrui, sera le centre de toute recherche psychiatrique, car le « corps » — dans sa bipolarité ambiguë de sujet–objet — joue un rôle fondamental dans le déterminisme des modifications structurales auxquelles on assiste en pathologie mentale. En effet, il n’est pas seulement objet complémentaire par rapport à la subjectivité du « moi », mais il représente, comme le dit MerleauPonty [2], 1’expérience la plus profonde et en même temps la plus ambiguë des perceptions : c’est précisément cette polarité ambiguë du corps, à la fois présente et oubliée, sujet et objet des perceptions, qui fait de 1’expérience corporelle la plus fragile des expériences. C’est à travers cette matière somatique que nous vivons — matière, dit Henri Ey [3], « qui est en nous, qui nous appartient et à laquelle nous appartenons, qui pèse de tout son poids sur notre vie psychique et sans cesse l’attire vers l’angoisse de l’existence corporelle ». En effet, on ne peut parler de l’homme sans être ramené à sa corporéité, pas plus qu’on ne peut aborder le fait corporel sans mettre en cause la complexité de l’homme dans son être humain. En effet, notre entrée dans le monde se réalise au moment même de notre apparition en tant que corps : toute expression, toute attitude par laquelle l’homme se donne et saisit le monde est « corps », de même qu’est « corps » l’ensemble de possibilités qui émanent de lui et qui — lors de son apparition — réalisent sa mondanité humanisée. « Corps » encore que l’identité de notre naissance et de notre mort et, en tant que tel, il est ma facticité même qui m’oblige à me choisir (et partant à le choisir) et à l’accepter précisément comme une nécessité de fait. Le choix de mon corps, de ma facticité, est une condition nécessaire à mon action : sans le corps — qui en limite les frontières par sa dureté, son impénétrabilité, son opacité — je ne pourrais pas distinguer, dit Sartre [4], le possible du réel, et, d’ailleurs, c’est précisément le corps qui me donne la possibilité d’agir, de tendre à la réalisation de mon possible. C’est pourquoi Sartre en conclut que « naissance, passé,

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contingence, nécessité d’un point de vue, condition de fait de toute action possible au monde, c’est là le corps, c’est c¸a le corps, pour moi ». Et c’est en tant que telle que je dois accepter cette facticité et en tant que tel que je dois accepter ce corps et le faire mien. L’impénétrabilité opaque du corps que nous percevons et vivons comme résistance des choses est donc la « précatégorialité » dont parle Husserl pour qui le corps se donne comme matière (impénétrable, opaque, passif) ; mais c’est précisément en tant que tel qu’il est en même temps une modalité du « corps-propre » d’appréhender la matière et, par-là, un Erlebnis d’impénétrabilité, d’opacité, de passivité : il y a donc en moi une qualité énigmatique qui fait que la matière constitutive de moi-même est — dans mon rapport avec les choses — ma manière de les appréhender, ma possibilité de vivre dans l’objectalité des choses. C’est ainsi que la matière, la contingence prend sur soi-même sa propre spatiotemporalité et que le corps — en tant que matière — expérimente, comme centre d’orientation fungierende sa matérialité même et en vit la propriété d’appartenance : le corps expérimente l’être matériel qu’il est lui-même en se déclinant comme mien, comme corps que je peux mettre en mouvement, qui se crée des possibilités, des obstacles à surmonter. Il est donc matière passive qui se subjectivise en se réalisant en tant que principe ordinateur — déterminée par les circonstances — autour duquel roule l’espace vécu. Or le moment de la rencontre avec autrui ne se réalise pas comme simple reconnaissance d’une matérialité constitutive de moi-même, point de départ d’un fungierende leistende Subjectivität1 : je reconnais dans l’être-là d’autrui une expérience coexistante avec mon être ici, expérience que je peux aborder, car, dans mon être ici il existe des positions infinies, toutes susceptibles de m’amener dans la position de l’être-là (se révélant coexistant avec autrui selon le mode du « comme si j’étais là ».) Or — dit Lauer [5] en se référant à Husserl — « si “ici” et “là”, sont des modes de corporéité suffisants pour distinguer des corps, alors un corps constitué par moi comme là et par l’autre comme ici n’est pas identiquement et par conséquent communément constitué ». Cela signifie que, sur une base corporelle commune, se forment deux modalités différentes qui sont précisément deux sujets distincts. C’est ici, dans ce rapport ambigu entre une matérialité opaque, impénétrable et une liberté fungierende que réside tout le problème de la subjectivité ainsi que le problème de la coexistence avec autrui, la présence d’autrui étant un fait fondamental. On se trouve donc face à mon comportement et au comportement d’autrui. En effet, au moment où je veux faire mienne une expérience particulière de mon corps dans le monde, il ne s’agit plus d’un psychisme orienté exclusivement sur moi, mais d’une conduite, de mon comportement rapporté au monde, de même qu’il s’agira d’une conduite, d’un comportement rapporté au monde pour l’expérience dans le monde effectuée par autrui. C’est là ce que Husserl appelle « transgression intentionnelle », pour laquelle la perception d’autrui en vient à être un phénomène d’accouplement, comme dans une action à deux. « C’est ce transfert de mes intentions dans le corps d’autrui et des intentions d’autrui dans mon propre corps, cette aliénation d’autrui par moi et de moi par autrui qui rend possible la perception d’autrui ». [6]. II s’agit donc — comme le dit Merleau-Ponty en se référant à Max Scheler —d’un état de précommunication « dans lequel les intentions d’autrui jouent en quelque sorte à travers mon corps, et mes intentions jouent à travers le corps d’autrui » [7]. Cependant, cette phase de précommunication n’oppose pas encore l’individu face à autrui ; il s’agit toujours d’une communauté anonyme sans différenciation et

1 N’ayant pas trouvé le terme franc ¸ ais correspondant à l’expression allemande « fungierende », nous allons employer aussi cette même expression par la suite.

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c’est sur cette précommunication indifférenciée que se forme, selon Husserl [8], « un même objet naturel dans les modes possibles de daticité2 de l’altérité ». C’est à ce point, en me constituant comme « personne », que mon corps — couvert et vulnérable — se détache parmi les autres et parmi les choses. C’est à ce moment qu’il est nécessaire qu’il maintienne à l’égard d’autrui et des choses une distance suffisante pour pouvoir reconnaître en son corps propre la présence d’autrui en tant que sa propre altérité. Si mon corps est ma facticité, je dois donc accepter cette facticité, me choisir comme corps pour sortir de la multiplicité et devenir un. Mais en me faisant un, la présence d’autrui — en tant que facticité choisie qui apparaît à ma facticité — peut se rapprocher de ma modalité d’ici de fac¸on à me hanter. Il est donc nécessaire, pour vivre avec les autres, que je conserve des distances, que je crée des intervalles, afin que la proximité plus ou moins grande de l’autre ne dégénère pas en promiscuité et que la présence d’autrui n’envahisse pas mon espace. Mon corps doit conserver son unicité et ne peut pas être oppressé par les choses s’il veut communiquer avec elles : autrement il se trouverait emprisonné dans celles-ci et s’identifierait à elles. La possibilité de communiquer, de constituer une modalité d’altérité, de créer un dialogue, présuppose une spatialité distancée, un silence d’où puisse naître la parole, un regard d’où puisse naître la vision. Cependant, cette distance peut se restreindre ou s’élargir : si l’individu n’accepte pas sa facticité, il ne réussit pas à mettre une distance entre lui et son corps, entre lui et autrui ; s’il ne sait pas saisir en lui sa propre altérité, la distance est annulée et il s’aliène. Il existe donc deux possibilités dans la réalisation de moi-même, c’est-à-dire dans la réalisation de ce corps comme facticité : • l’altérité — dans l’acceptation contemporaine de ma facticité et de celle d’autrui — qui comporte dans l’intervalle entre moi et mon corps, entre mon corps et le corps d’autrui, le choix — comme dirait Sartre [4] — de mon corps, de ma condition, de ma naissance ; • l’aliénité qui est la perte de l’intervalle où je peux m’approprier mon corps, abandonné dans une promiscuité où le corps d’autrui m’obsède sans cesse de tous côtés et m’envahit : l’aliénité est le refus de sa propre facticité, et non choix. E. Straus [8] dit que la verticalité humaine (aufrechte Haltung), le fait de rester debout est la caractéristique particulière de l’homme de prendre ses distances par rapport aux choses, étant donné qu’il peut les dominer de son regard, reconnaissant ainsi à celui-ci une fonction primaire dans les rapports de l’homme avec lui-même, avec son corps, avec les choses, avec autrui. Par le fait même qu’il peut se maintenir debout, qu’il peut dominer les choses de son regard, l’homme se met donc dans une modalité fungierende particulière qui caractérise précisément sa mondialisation à travers 1’acte perceptif qui est l’action de regarder. Cela nous intéresse surtout comme moment de suspension intérieure, comme moment de pause, comme intervalle où l’homme « reprend haleine » pour s’emparer de lui-même et se tendre vers le monde : il s’agit d’un acte de réflexion par lequel l’homme peut faire de son corps son propre monde. Mais l’homme ne peut réaliser cet acte de réflexion sur lui-même qu’à travers le regard d’autrui — « en tant qu’intermédiaire qui me renvoie à moi-même » (Sartre) [4], qui me rend conscient de moi, car ce n’est qu’à travers le regard d’autrui que je peux être mon objectivité, en percevant en même temps la subjectivité d’autrui qui me détermine tout en me dominant.

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Nous avons traduit « datità » par « daticité » d’après le modèle fourni par le couple « fattità-facticité ».

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C’est pour cette raison que E. Straus [9] parle d’une sorte de « fac¸ade publique » (Offentlichkeit) pour autrui nécessaire à 1’homme, car elle constitue la distance pouvant préserver intacte sa personne intime. Si je suis ce que les autres voient, il me faut un intervalle entre moi et le regard d’autrui (révélateur de moi-même) de sorte que je puisse trouver le temps et le lieu d’accepter mon corps vu par autrui, avant de m’accepter dans le rapport avec autrui. La pudeur, la gêne, la honte ou la présence d’un danger (la découverte de moi-même à travers le regard d’autrui) sont des Erlebnisse qui naissent du besoin de se défendre, de mettre une distance entre moi et le regard d’autrui, distance qui me permet de sauvegarder l’équilibre instable entre moi et mon corps et qui me donne à moi aussi la possibilité d’exercer sur autrui le même pouvoir qu’il exerce sur moi : le révéler à lui-même à travers mon regard objectivant. Ce n’est que le regard d’autrui (et non regard pour autrui) — en tant qu’acte intentionnel qui me saisit dans l’organisation totalitaire du monde — qui me rend conscient de cet intervalle : en présence du regard d’autrui je ne note pas les yeux qui me regardent, mais je vis seulement mon être vulnérable, mon être découvert, exposé, démasqué à moi-même dans un sentiment de honte, d’angoisse qui me distance et me défend contre l’invasion d’autrui. Un second élément nécessaire à la prise de mes distances par rapport aux autres, intervalle indispensable à la sauvegarde de mon intimité, est le silence en tant qu’intentionnalité, en tant que modalité de saisir et d’être saisi par autrui. Le silence, de même que le regard, est une pause ou l’homme « reprend haleine » pour s’emparer de lui-même et de son monde. Une pause qui implique une réflexion sur moi, qui joue le rôle d’intermédiaire entre moi et moi-même, en élargissant les frontières de mon espace de fac¸on à permettre que l’autre, le monde, entre dans mon corps et y « résonne » de sorte que je puisse l’accepter pour me constituer en tant que personne. Mais si c’est à travers autrui que je peux réaliser cet acte de réflexion sur moi, c’est à travers le silence de l’autre que je pourrai me saisir et prendre mes distances ; ainsi le silence, de même que le regard, sera un élément constitutif de mon rapport avec autrui. En effet, dans le rapport avec autrui, le silence est une rencontre préréfléchie où les deux partenaires se mesurent à distance, réciproquement regard-objectivant et silence-jugement. En effet, dans le silence reste toujours présente et vivante la tension des deux corps, l’un vers l’autre : c’est la reconnaissance réciproque de leur place, de leur espace, de leur corps. Dans le rapport avec autrui, la parole peut être un élément d’incommunicabilité si elle ne naît pas d’un intervalle, d’un espace qui lui donne un sens : du silence. À ce propos, MerleauPonty dit que « dire, ce n’est pas mettre un mot sous chaque pensée [10], car la parole est l’expression de la rencontre silencieuse réciproque, de la reconnaissance d’un corps vis-à-vis de l’autre, en ce sens le langage est 1’expression d’un rapport ; si donc dans ma rencontre avec le patient silencieux qui refuse le mot comme possibilité de rapport, j’ai recours au langage pour rompre son silence, mes mots ne seront pour lui qu’une agression, un bruit vide qui le presse, qui le pousse à s’enfermer en lui-même, augmentant ainsi la distance qui le sépare de moi. Mais si le patient silencieux — dans son éloignement par rapport à moi — accepte mon silence, il l’acceptera comme une possibilité de rapport avec lui, comme un silence tout rempli de ma perspective des choses, comme un langage silencieux : c’est alors que son silence — dans la défense morbide de sa perspective des choses — m’apparaîtra lourd de signification. C’est ce que Barande [11] appelle « la nécessité dans un stade initial, d’une restauration du narcissisme dans une relation silencieuse à deux, offrant au patient la possibilité de vivre avec nous sa fusion. . . » L’intervalle doit donc être considéré comme l’espace nécessaire à deux corps qui se rencontrent pour sauvegarder chacun son intimité vis-à-vis de l’autre : si cet intervalle fait défaut, l’un des pôles de la rencontre sera dominé par l’autre.

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Le regard-objectivant et le silence-jugement sont donc des modalités qui peuvent se transformer en paramètres permettant d’analyser la fac¸on de vivre névrotique et psychotique. Le névrosé, plongé dans l’anxiété face à l’acceptation de sa propre facticité, ne peut pas la vaincre dans un projet, dans un devenir qui lui demanderait un effort de tout son être : le choix qu’il n’est pas capable d’effectuer [12]. Il balance donc entre l’incertitude et la peur de ne pas être ce qu’il croit, mais ce qu’il apparaît aux autres, dans l’anxiété de se sentir exposé, trop visible, trop transparent au regard et au silence d’autrui. Mais c’est justement dans cette incertitude qu’il s’offre aux autres n’étant défendu que par l’anxiété que suscite en lui le désir de vouloir prouver à autrui qu’il n’est pas ce qu’il apparaît. Il suffit de penser au comportement du névrosé dans les anomalies de sa vie sexuelle. Henri Ey [13] rappelle à ce propos que le névrosé, comme on le constate habituellement, cherche à cacher ses peurs sexuelles. Le névrosé affirme par exemple n’avoir jamais eu de rapports sexuels parce que ses principes moraux les lui interdisent : il est trop moral pour s’adapter à une conduite aussi méprisable. Henri Ey commente à juste titre que dans ce cas il s’agit plutôt de névrose que de vertu. En effet, la distance que le névrosé cherche à prendre en cachant ses peurs sexuelles n’est que l’intervalle qui lui est nécessaire pour réussir à les dominer. N’acceptant pas sa facticité, sa contingence, le névrosé subit son corps comme « exproprié », sans les intervalles qui lui permettraient de s’en emparer : les métaphores névrotiques de son langage, le fait de se sentir rougir, d’avoir honte, la pudeur ne sont donc pas chez lui l’expression d’une présence constante à lui-même de son propre corps, mais la présence concrète de ce que son corps est pour autrui. Les sentiments de honte, de pudeur, de gêne sont d’habitude des Erlebnisse de défense de son intimité face à l’intrusion d’autrui. Le fait qu’on soit pudique ou honteux implique toujours qu’on l’est pour les autres, devant les autres. Le regard et, par conséquent, le monde d’autrui servent d’intermédiaire entre moi et moi-même de sorte que je me saisis — à travers la présence d’autrui — comme ce que je suis pour les autres, j’en ai honte et la honte me défend contre l’invasion d’autrui. La structure de cet Erlebnis est un élément constitutif de moimême dans mon rapport avec autrui et est évidence d’une prise de position de ma part vis-à-vis d’autrui. En revanche, chez le névrosé, elle n’est pas vécue comme un sentiment capable de créer une distance par rapport à l’autre, mais tout simplement comme un état d’anxiété permanente, évidence de son impuissance de prendre position dans le monde qui l’entoure : le névrosé est constamment plongé dans la honte en ce sens que — n’ayant pas encore accepté sa facticité ni appris à la transcender dans la mauvaise foi — il n’est pas en mesure de s’opposer à autrui et que, par conséquent, son être est toujours et seulement pour autrui. Il n’a donc ni pudeur ni honte de son corps pour lui-même, mais pour ce qu’il est pour les autres. Le névrosé continue à vivre sa vie de relation toute particulière, mais ses mécanismes de défense sont déplacés de telle fac¸on qu’il demeure plongé en eux, pour ainsi dire dominé par eux : il vit donc toujours plongé dans la honte, dans la gêne, dans l’angoisse de la présence d’autrui. La situation du psychotique est, en revanche, différente. Son corps est ravagé par le regard d’autrui, par le monde d’autrui qui le réifie, le condense, l’annule. Zutt [14] qui, comme l’on sait, a étudié à la lumière de la pensée sartrienne le problème du corps en rapport avec le regard en tant que modification du Dasein dans la modalité de vie paranoïde, fait remarquer que c’est précisément dans le regard, dans l’action de regarder, que se réalise immédiatement l’ouverture au monde, la mondialisation de l’homme. La sphère physiognomicoesthétique, dont la présence d’autrui en tant que regard est un élément prégnant, enveloppe l’homme dans sa vie et dans son comportement dans le monde. Mais, selon Zutt [15], l’homme n’y est pas

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abandonné, sans choix ; il a toujours la possibilité de se poser et de s’opposer. C’est la réalité même qui lui présente des limites, limites qui constituent pour lui un appui sûr en l’intégrant dans des structures humaines de protection ; les règles du Dasein, 1’« habitat », le rang social (Wohn-u. Rangordnungen). Mais les structures humaines de protection dont parle Zutt ne sont pas innées chez l’homme en tant que structures fondamentales où il puisse « plonger », mais sont choisies, acceptées, parce que c’est là qu’il construit activement son Dasein. L’écorce protectrice est elle-même une modalité grâce à laquelle l’homme s’assure à lui-même une défense de son intimité qui le distancie— dans sa vulnérabilité — de la présence d’autrui. C’est pourquoi ces structures peuvent être « brisées » par le regard d’autrui qui les objectivise. Le regard d’autrui me saisira alors — exposé sans protection, sans distance — dans ma facticité et alors ce ne sera que par l’acceptation de cette facticité de mon corps dégradé, objectivé — qu’il me sera possible de maintenir la distance indispensable pour pouvoir m’emparer de lui, de fac¸on à ne pas vivre le regard d’autrui comme une menace constante. Au moment même où l’homme perd l’occasion de se voir, de s’accepter dans sa facticité par l’objectivation qui lui est donnée par la présence de l’autre, il perd la possibilité de sortir de la multiplicité pour se mettre en opposition ; il perd donc la réciprocité de la rencontre avec l’autre qui envahit son espace, sans plus trouver de barrières, ni de résistances. L’intervalle se referme ou se dilate, les structures ordonnées du Dasein se dépouillent : l’homme perd son altérité et s’aliène en se laissant choisir par autrui. Les paroles d’un schizophrène paranoïde analysant sa condition d’homme possédé, ravagé, objectivé, semblent éclaircir le déroulement des mécanismes examinés plus haut : « tout a été clair lorsque je les ai vus entrer dans mon établissement. . . Un groupe d’individus entra et, d’un air tout à fait indifférent, commanda un café. . . Je me tournai brusquement et je vis quelques-uns d’entre eux qui lisaient le journal, d’autres qui bavardaient : tout était donc clair. Un premier groupe était entré et avait transmis au second l’image de mon visage. Le second, chargé du fluide, se mit à l’œuvre et commenc¸a son travail. Derrière le journal et parlant bas entre eux, ils avaient capté mon image et, bien que sans me regarder directement, ils avaient la faculté d’orienter, à travers l’image qu’ils possédaient, leur fluide hypnotiseur. Je sentais alors sur moi une lassitude extrême, une impossibilité d’agir, je me sentais désormais possédé par eux, il m’était difficile de réagir et je me comportais comme un automate. . . Un jour je m’aperc¸us de la fac¸on dont ils pouvaient agir à distance : sans être vus, ils avaient photographié mon visage, et l’image qu’ils tiraient de la photo n’était pas une commune image photographique, mais une sorte d’image pâlie, c’est-à-dire, comme vous le savez, il existe des trucs photographiques pour photographier une image comme sur différents plans. Vous savez ce que c’est qu’une photo pâlie, floue. Eh bien, mon visage apparaissait déformé de cette fac¸on : cette image particulière leur était utile à eux, parce qu’ainsi ils possédaient tous les plans possibles de mon visage et toutes les images possibles qui, chaque fois, peuvent dériver des différentes attitudes qu’on peut saisir. » Ces mots mettent clairement en lumière la certitude de l’objectivation du patient qui se concrétise dans la modalité délirante de sa fac¸on de vivre la perte de la distance. Ce sont là des mots qui ne naissent pas d’un intervalle créé en lui par la présence d’autrui : son langage ne naît pas d’un silence-distance où il aurait pu s’emparer de lui-même et s’opposer au monde : les autres l’ont dérobé à son insu, l’ont pillé en s’emparant de son image, en le volant à lui-même sans lui laisser la liberté de se constituer comme objet. Cela signifie que le patient ne peut pas vivre le regard d’autrui comme une possibilité d’être objet pour autrui tout en conservant en lui-même la

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possibilité de son altérité : sous l’influence de cette agression, il ne lui reste plus qu’à être objet pour autrui, qu’à adhérer, qu’à s’abandonner — sans distances, sans intervalles — à cette prise de possession que d’autres réalisent en lui, sans doutes, sans incertitudes, sur l’irréversibilité de cette situation délirante. Son expérience de vie — non plus liée et distancée par des précédentes expériences du monde — ne se développe donc que dans une seule direction : l’expérience délirante à laquelle il adhère, au point de s’identifier à elle sans distance. L’absence d’un intervalle entre lui-même et son expérience lui interdit toute intentionnalité, toute réflexion qui puisse le pousser vers un projet autre que son Erlebnis délirant : il n’a plus de doutes, d’incertitudes, tout est clair pour lui — il n’est pas plongé dans l’angoisse parce qu’il a peur d’être « regardé » et de se sentir envahi par l’autre, mais il a la certitude absolue de l’objectivité de sa perception. Merleau-Ponty [2] dit que percevoir « c’est engager d’un seul coup tout un avenir d’expériences dans un présent qui ne le garantit jamais à la rigueur ; c’est croire à un monde ». Notre patient, en revanche, a l’exacte perception d’une persécution future, car la certitude de la réalité de chaque perception prise en particulier fait que — contrairement à ce qui se produit chez l’homme normal — il y a toujours de la rigueur dans cette fac¸on de percevoir qui lui est propre. Dans sa perception et dans la perception de l’autre il y a la certitude, la rigueur d’un présent qui devient futur au moment même ou le regard de l’autre agit sur lui de fac¸on à « l’hypnotiser ». C’est dans le silence de ces regards qu’il se sent possédé ; perdu dans son corps, aliéné, limité dans ses structures temporelles, empêché d’éprouver toute conscience intentionnelle. Il n’a plus en lui aucun intervalle : il n’y a pas de distance entre lui et le regard d’autrui, il est objet pour les autres, au point d’arriver à être une décomposition de lui-même sur plusieurs plans, possédé par l’autre « dans tous les plans possibles de son visage et dans toutes les images possibles pouvant dériver chaque fois des différentes attitudes qu’on peut saisir ». Pour qu’il soit vécu, le corps se trouve donc dans la relation d’une distance particulière par rapport aux autres, distance qui peut être annulée ou augmentée, selon notre capacité de nous opposer. Nous désirons que notre corps soit respecté : nous trac¸ons des limites qui correspondent à nos exigences, nous construisons une habitation pour notre corps. Ce n’est que lorsque nous invitons quelqu’un à y entrer que celui-ci est très proche de nous : se crée ainsi une hiérarchie de voisinage, depuis le plus proche, qui est le plus familier, au plus lointain qui est l’hôte pour lequel la distance est la plus grande. Mais lorsque la distance se raccourcit et disparaît, l’hostilité entre en nous, et les limites de notre « habitat » tombent. C’est là la situation de notre patient dont le langage paranoïde contient toute la souffrance du pauvre, de celui qui a perdu sa maison ou, mieux encore, du vaincu qui assiste impuissant, sans son consentement, au passage de l’intrus dans sa maison. Comme nous l’avons vu, le psychotique n’agit que dans une seule direction, dans le sens d’un présent qui devient futur sur la base de la seule expérience délirante : une situation qui amène l’individu à une constante réification de lui-même et d’autrui. Son corps — ne possédant même pas les intervalles nécessaires à la défense de son intimité — manque du moment de la réflexion sur lui-même qui lui permettrait de se décliner comme corps, objet et en même temps partie vivante de l’organisation du monde. Cet acte d’appropriation de moi-même que je réalise dans l’intervalle, n’est plus possible chez le psychotique, car (faute d’une dialectique intérieure) l’expérience de l’extranéité lui est interdite, ce qui lui permettrait justement de se réaliser comme étranger à l’autre et, par-là, de s’autoaffirmer : sa subjectivité désormais réifiée ne peut se développer que sur la voie de l’aliénation. L’expérience d’objectivation dans laquelle le psychotique vit le monde correspond à la Verdinglichung des auteurs allemands que Gabel [16] appréhende à juste titre selon deux traductions

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différentes, dans le sens d’une « réification » et d’une « chosification », à l’aide de néologismes qui se révèlent efficaces pour aider à comprendre le monde où vit le schizophrène. En effet, Gabel entend par « réification » un ensemble existentiel comportant des phénomènes de spatialisation altérée et de dévalorisation qui constituent précisément l’expression clinique de la schizophrénie ; par « chosification », il entend l’état d’esprit du patient qui se saisit comme « chose ». Ces deux plans où Gabel fait mouvoir son concept de « fausse conscience » éclaircissent la fac¸on dont le patient vit son propre corps comme « chosifié », possédé par les autres, plongé en même temps dans un milieu, dans un contexte réifié : il s’agirait donc d’un monde de spatialisation altérée et de dévalorisation où agit une dialectique intersubjective altérée. Arrivés à ce point de notre analyse, l’allusion à un personnage littéraire — justement en tant que tel — peut mettre en évidence dans son développement sur la voie d’une thèse au sens paradigmatique, et qui semble éclaircir — dans sa fac¸on paradoxale de vivre l’enigme de sa propre subjectivité — l’expérience de « chosification » et de « réification » dont on vient de parler. Il s’agit de Gengé Moscarda, le fameux personnage de « Uno nessuno centomila » de Pirandello qui, se trouvant tout à coup face à la révélation d’un lui-même autre que le « pour lui-même » qu’il s’était créé, souligne, dans une analyse extrêmement fine, sa condition d’homme « chosifié ». Au moment même où Gengé a appris, par le regard d’autrui, que « son nez est tordu vers la droite », au moment où, dans l’angoisse, dans la terreur — évidence de son monde réifié — il a la conscience d’être un nez qui est tordu vers la droite, la conscience que son être est pour autrui, il conclut ainsi : • mon corps, si je le regardais du dehors, était pour moi comme une apparition de rêve, une chose qui ne savait pas qu’elle vivait et qui restait là, en attendant que quelqu’un la prenne ; • de même que je le prenais, ce corps, pour être tour à tour celui que je me voulais et que je me sentais, de même n’importe qui pouvait le prendre pour lui donner une réalité à sa manière ; • enfin, ce corps, en lui-même, n’était tellement rien, tellement personne qu’un souffle de vent pouvait le faire éternuer aujourd’hui et l’emporter demain. Gengé Moscarda a découvert, donc, quelque chose qu’auparavant il ne savait pas et « ne le sachant pas, il croyait être pour tout le monde un Moscarda au nez droit, alors qu’il était pour tout le monde un Moscarda au nez tordu ». C’est par cette découverte que Gengé cherche à sortir de lui-même pour voir ce corps « rien en tant que tel. . .une chose qui ne savait pas qu’elle vivait et qui restait là en attendant que quelqu’un la prenne. . .qu’un souffle de vent pouvait faire éternuer aujourd’hui et emporter demain. . .le corps qu’on pouvait appeler Flick et aussi Flock à volonté ». C’est à partir de ce moment-là que commence la course obsédante vers la découverte de ce corps, de ce Gengé qui lui est étranger et qu’il veut connaître, qu’il veut voir une fois au moins : le Gengé dont le nez est tordu à droite, l’étranger que les autres peuvent voir, alors que lui ne le peut pas. Finalement, il s’écrie : « Le voilà, mon corps, détaché de mon esprit impérieux ! Là, devant moi, dans la glace. Qui était-ce ? Ce n’était rien. Personne. Un pauvre corps mortifié en attendant que quelqu’un le prenne. Moscarda. . .murmurai-je ». Dans cette fac¸on de se regarder qui lui est propre, dans ce nom — qui est le sien — chuchoté à un étranger, à cet étranger, là, détaché de lui, on entre dans le monde de la réification qui tiendra lieu de contexte à l’expérience de « chosification » à travers laquelle Gengé peut finalement voir cet étranger, là, l’affronter face-à-face. Telle est la matière dont est tissée l’existence de beaucoup de nos malades.

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Comme Gengé, ils ne trouvent que leur corps comme simple Körper. Leur corps propre, leur Leib, dégradé, menacé, devient un corps objectivé, abandonné à la merci des autres car, dans leur tentative de transcender sans s’accepter dans leur facticité, au lieu de s’altériser ils s’aliènent. Pirandello nous a donc montré un Gengé à la recherche de cette zone sombre qui représente — chez chacun — l’altérité sans laquelle tout rapport, tout contact est interdit, aussi bien chez le personnage du roman que chez les personnages qui peuplent les asiles. Les intervalles dont nous avons parlé sont, chez Gengé comme chez le malade, éliminés, suffoqués : le regard réifiant d’autrui, l’absence d’un intervalle qui interdit la « résonance » en lui de l’altérité, de la présence d’autrui, empêche l’édification de la personne dans une relation intersubjective. C’est, en effet, dans l’acceptation de cette facticité, de cette relation que réside la dernière défense de la subjectivité ; dans le fait, comme dit Merleau-Ponty [10] que : « quand je parle je comprends, j’expérimente la présence d’autrui en moi ou de moi en autrui, qui est la pierre d’achoppement de la théorie de l’intersubjectivité, la présence du représenté qui est la pierre d’achoppement de la théorie du temps, et je comprends enfin ce que veut dire l’énigmatique proposition de Husserl : « la subjectivité transcendentale est intersubjectivité ». R´ef´erences [1] Husserl E. Die Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendentale Phänomenologie (trad. it. E. Filippini). Verona: Ed. II Saggiatore; 1961. [2] Merleau-Ponty M. Phénoménologie de la perception. Paris: Gallimard; 1945. [3] Ey H. Études psychiatriques, vol III. Paris: Desclée de Brouwer; 1954. [4] Sartre JP. L’Être et le néant. Paris: Gallimard; 1950. [5] Lauer Q. Phénoménologie de Husserl. Essai sur la genèse de l’intentionnalité. Paris: PUF; 1955. [6] Merleau-Ponty M. Les relations avec autrui chez l’enfant. Les cours de Sorbonne. Paris: Centre de documentation universitaire; 1960. [7] Husserl E. Meditazioni cartesiane e i discorsi parigini. Quinta meditazione (trad. it. F. Costa). Milano: Ed. Bompiani; 1960. [8] Straus E. Die aufrechte Haltung. Eine anthropologische. Studie Machr Psychiatr Neurol 1949;117:367. [9] Straus E. Die Scham als historiologishes Problem. Schweiz Arch Neurol Psychiatr 1933;31(2):1–5. [10] Merleau-Ponty M. Signes. Paris: Gallimard; 1960. [11] Barande R. Essai métapsychologique sur le silence. Revue Franc¸aise Psychan 1963;27(1):53–115. [12] Basaglia F. Ansia e malafede. La condizione umana del nevrotico. Riv Sper Fren 1964;II:392–404. [13] Ey H, et al. Les névroses névroses. In: Manuel de psychiatrie. Paris: Masson; 1960. [14] Zutt J. Blick und Stimme. Beitrag zur Grundlegung einer verstehenden Anthropologic. Nervenarzt 1957;28:350. [15] Zutt J. Uber Daseinsordnungen. Ibre Bedeutuing fur die Psychiatrie. Nervenarzt 1953;24:177. [16] Gabel J. La fausse conscience. Paris: Minuit; 1962.