Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation 27 (2008) 973–974
E´ditorial
De la pharmacocine´tique a` la pharmacodynamie : pour une strate´gie raisonne´e de gestion de l’anesthe´sie From pharmacokinetic to pharmacodynamic: A strategy for rational management of anaesthesia
Mots cle´s : Profondeur de l’anesthe´sie ; BIS ; Concentration au site d’action ; Transplantation he´patique Keywords: Depth of anaesthesia; BIS; Effect site concentration; Liver transplantation
L’e´valuation de la profondeur de l’anesthe´sie est de´finitivement devenue multimodale avec les de´veloppements de la mode´lisation pharmacocine´tique–pharmacodynamique et celui des techniques d’analyse du signal qui ont mis a` disposition du clinicien, a` coˆte´ des parame`tres cliniques, les possibilite´s respectives de raisonner en concentration au site d’action et d’e´valuer l’effet e´lectroence´phalographique des agents anesthe´siques a` travers divers index (BIS, potentiels e´voque´s auditifs. . .). Si la performance de ces diffe´rents moyens de monitorage de la profondeur de l’anesthe´sie a e´te´ largement e´tudie´e et compare´e avec la me´thode de pre´diction de probabilite´ ( pk) [1], leur strate´gie d’utilisation et/ou leur inte´gration au sein d’un algorithme de titration n’a e´te´ que tre`s rarement aborde´e dans la litte´rature. Dans ce nume´ro des Annales franc¸aises d’anesthe´sie et de re´animation, Tremelot et al. [2] rapportent l’inte´reˆt du BIS pour guider la perfusion de propofol a` objectif de concentration lors des transplantations he´patiques. Ils de´montrent ainsi que le maintien d’un objectif de BIS constant est obtenu pour des concentrations au site d’effet de propofol significativement re´duites lors de la phase d’anhe´pathie par rapport a` la phase de dissection. Les objectifs de ces auteurs n’e´taient clairement pas d’e´tablir un algorithme de titration du propofol en fonction du BIS, mais leur travail est un exemple inte´ressant d’utilisation raisonne´e des moyens de monitorage de la profondeur de l’anesthe´sie et de strate´gie de gestion de celle-ci. Cette e´tude souffre cependant de plusieurs limites dont certaines sont d’ailleurs parfaitement e´voque´es par les auteurs dans la discussion. Elles concernent les effectifs et l’absence d’information relative a` la phase de reperfusion qui re´duisent la porte´e et l’extrapolation des re´sultats. Le choix du Diprifusor1
et du mode`le de Marsh est aussi discutable. Wu et al. [3] ont re´cemment montre´ les faibles performances de ce mode`le pour pre´dire les concentrations re´elles de propofol lors de transplantations he´patiques. Celles-ci sont en moyenne 3,6 et 6,6 fois plus importantes que les concentrations pre´dites lors des phases de dissection et d’anhe´pathie respectivement, ce qui correspond a` un biais et une erreur de pre´cision peu recommandables pour une utilisation en pratique clinique, si l’on ne conside`re que la pe´riode de dissection. Ces re´sultats ont e´te´ obtenus lors d’une administration a` de´bit constant et a` l’e´tat d’e´quilibre, conditions tre`s e´loigne´es des conditions d’administration du propofol dans l’e´tude de Tremello et al. [2], ou` la cible e´tait re´gulie`rement ajuste´e en fonction de la valeur de BIS. Les ajustements ite´ratifs et l’utilisation comme crite`res d’e´valuation de la concentration pre´dite au site d’effet sont susceptibles de majorer les erreurs de pre´cision du mode`le. Par ailleurs, les informations concernant le remplissage, la transfusion et l’utilisation de noradre´naline ne sont pas de´taille´es et ne permettent pas de corre´lation avec les variations de la concentration pre´dite de propofol et du de´bit cardiaque pour un patient donne´. Ces informations sont importantes car des travaux expe´rimentaux rapportent, lors d’un choc he´morragique, une diminution d’un facteur 3 de la concentration requise pour obtenir un niveau de BIS donne´ [4] et une de´croissance line´aire de la concentration plasmatique de propofol avec l’he´matocrite lors du remplissage [5]. Cela rend compte en final de la difficulte´ d’interpre´tation des valeurs pre´dites observe´es, sur lesquelles se fondent pourtant les conclusions de ce travail. Ne´anmoins, malgre´ ces limites, les re´sultats de cette e´tude sont cohe´rents avec les donne´es de la litte´rature, montrant une re´duction de la clairance du propofol
0750-7658/$ – see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.annfar.2008.10.012
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durant la phase anhe´patique de la transplantation, ce qui valide la de´monstration et le protocole utilise´ [6]. La` n’est cependant pas le principal enseignement de ce travail. Celui-ci re´side dans la strate´gie de gestion de l’anesthe´sie et d’inte´gration des diffe´rents parame`tres d’e´valuation de la profondeur de celle-ci a` disposition des cliniciens lors d’une transplantation he´patique. Comme le soulignent les auteurs, l’utilisation des parame`tres cliniques he´modynamiques pour ajuster la profondeur de l’anesthe´sie n’est pas toujours fiable compte tenu des variations parfois importantes de la vole´mie et de la fre´quente ne´cessite´ d’utiliser des amines vasopressives. Le raisonnement en concentration de´montre aussi clairement ses limites dans cette indication. Obtenir un effet revient a` obtenir une concentration au niveau du site d’action des agents anesthe´siques. Lorsque les concentrations des agents anesthe´siques sont « calibre´es » par rapport a` des repe`res cliniques : perte de conscience, absence de re´action a` l’incision cutane´e. . . ces valeurs peuvent devenir des e´le´ments d’e´valuation de la profondeur de l’anesthe´sie (notion de CAM ou de CE50 par exemple). La pre´diction de la concentration au site d’action des agents intraveineux souffre de la variabilite´ inhe´rente a` chaque mode`le. Le mode`le de Marsh n’inte´grant bien e´videmment pas les modifications pharmacocine´tiques lie´e a` la phase d’anhe´pathie et la re´duction de clairance du propofol conse´cutive, il n’e´tait pas le´gitime d’utiliser les concentrations pre´dites pour moduler la profondeur de l’anesthe´sie apre`s la phase de dissection. Cette restriction aurait e´te´ la meˆme avec d’autres mode`les pharmacocine´tiques plus performants ou dispositifs permettant une administration du propofol selon un objectif de concentration ce´re´brale. Force e´tait donc de se remettre a` une e´valuation d’un parame`tre pharmacodynamique infraclinique, base´ ici sur l’analyse de l’EEG, en l’occurrence l’index bispectral ; les concentrations de propofol pre´dites au site d’action e´tant utilise´es comme aide a` la titration de l’anesthe´sie et non comme variable directe d’ajustement. Cette strate´gie de gestion de l’anesthe´sie apparaıˆt comme un compromis satisfaisant puisqu’elle s’accompagne d’une stabilite´ he´modynamique (le de´bit cardiaque moyen au cours de ces deux phases chirurgicales est peu modifie´ 3 %) en re´duisant les
concentrations pre´dites de propofol de fac¸on concordante avec la diminution mesure´e de sa clairance en phase d’anhe´pathie. Monitorage clinique, pharmacologique base´ sur des concentrations calibre´es des agents anesthe´siques, ou encore pharmacodynamique s’appuyant sur l’analyse de l’activite´ EEG ou du syste`me nerveux sympathique, la place exacte des diffe´rentes me´thodes d’e´valuation de la profondeur de l’anesthe´sie reste a` de´finir. Elle doit s’appuyer sur une utilisation raisonne´e, comme l’e´tude de Tremelot et al. [2] l’illustre parfaitement, a` de´faut d’eˆtre inte´gre´e au sein d’algorithmes, dont la construction et la validation repre´sentent un enjeu important pour l’e´volution des pratiques cliniques. Re´fe´rences [1] Smith WD, Dutton RC, Smith NT. A measure of association for assessing prediction accuracy that is a generalization of non-parametric ROC area. Stat Med 1996;15:1199–215. [2] Tremelot L, Restoux A, Paugam-Burtz C, Dahmani S, Massias L, Peuch C, et al. Inte´reˆt du BIS pour guider la perfusion de propofol a` objectif de concentration lors des transplantations he´patiques. Ann Fr Anesth Reanim 2008;27:975–8. [3] Wu J, Zhu SM, He HL, Weng XC, Huang SQ, Chen YZ. Plasma propofol concentrations during orthotopic liver transplantation. Acta Anaesthesiol Scand 2005;49:804–10. [4] Johnson KB, Egan TD, Kern SE, White JL, McJames SW, Syroid N, et al. The influence of hemorragic shock on propofol. A pharmacokinetic and pharmacodynamic analysis. Anesthesiology 2003;99:409–20. [5] Kurita T, Kazama T, Morita K, Fujii S, Uraoka M, Takata K, et al. Influence of fluid infusion associated with high-volume blood loss on plasma propofol concentrations. Anesthesiology 2004;100:871–8. [6] Takizawa D, Sato E, Hiraoka H, Tomioka A, Yamamoto K, Horiuchi R, et al. Changes in apparent systemic clearance of propofol during transplantation of living related donor liver. Br J Anaesth 2005;95:643–7.
S. Molliex De´partement d’anesthe´sie-re´animation, hoˆpital Bellevue, CHU de Saint-E´tienne, 42055 Saint-E´tienne cedex 2, France Adresse e-mail :
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