Revue du Rhumatisme 70 (2003) 846–848 www.elsevier.com/locate/revrhu
Colloque de recherche
Développement de nouvelles molécules, vecteurs et cellules thérapeutiques dans les arthrites Development of new molecules, vectors and cells for therapy of arthritis j Yuti Chernajovsky *, Sandrine Vessillier, Gill Adams, Yarunessa Gofur, M.Christina Subang, Alex Annenkov, Peter Favorov, Gordon Daly, David Gould Unité os et articulation, Barts, faculté de médecine et faculté dentaire Queen-Mary de Londres, université de Londres Charterhouse Square, London EC1 M 6BQ, Grande-Bretagne Reçu et accepté le 23 juillet 2003
Mots clés : Cellules T ; Cellules dendritiques ; Thérapie génique ; Cytokines Keywords: T-cells; Dendritic cells; Gene therapy; Cytokines
1. Introduction Les thérapies actuelles des maladies auto-immunes chroniques inflammatoires telles que la polyarthrite rhumatoïde (PR) ne permettent pas encore une réparation tissulaire, bien qu’un contrôle efficace de l’inflammation via une immunosuppression ralentisse la progression de la maladie. Ces immunothérapies, telles que les traitements par anti-TNF, ne sont plus protectrices et ne préviennent pas les rechutes après interruption [1]. Le coût du traitement constitue une autre limite des thérapies protéiques actuelles, tout comme les effets secondaires dus à la distribution systémique vers les organes lymphoïdes dont l’intégrité fonctionnelle peut être compromise en cas de maladies infectieuses. Les expériences de transfert de gènes ont permis d’évaluer le rôle de médiateurs de la maladie et de comprendre les mécanismes d’action biologique et immunitaire des gènes thérapeutiques. La thérapie génique offre une approche différente en permettant des thérapies de long terme, régulable et ciblée. L’administration de matériel génétique peut être réalisée par injection directe locale. Des cellules transfectées immobiles peuvent aussi être transplantées au site de la maladie, et des cellules mobiles peuvent être préparées pour migrer vers des sites d’intérêt. Des produits de gènes peuvent j
Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais, référence parue dans Joint Bone Spine 2003, vol. 70. * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (Y. Chernajovsky). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S1169-8330(03)00395-8
enfin être modifiés pour être actifs seulement sur les sites pathologiques (voir revue récente [2]). Dans cet exposé, nous résumerons notre travail dans ce domaine. 2. Différences pharmacocinétiques entre thérapie protéique et thérapie génique Un bolus de protéine thérapeutique permet d’obtenir de fortes concentrations dans le plasma, mais, à cause des barrières endothéliales, des taux faibles de molécules parviennent sur le site pathologique. Pour obtenir des concentrations efficaces et biologiquement actives sur ces sites, de très fortes doses doivent donc être administrées. Mais le coût et les problèmes de toxicité menant par exemple à des injections sous-cutanées inefficaces, sont autant de limites de ce type de thérapie. Lorsque l’agent biologique est une cytokine, dont le récepteur est largement distribué à travers les différents tissus, des complications systémiques surviennent et la demivie des cytokines est diminuée par passage de ces molécules dans des tissus non ciblés. La thérapie génique permet quant à elle l’administration d’un produit d’un gène dans le site pathologique, où de fortes concentrations peuvent être obtenues de façon prolongée. Il est cependant important que, dans des maladies chroniques telles que la PR, le produit du gène thérapeutique ait une courte durée de vie afin de ne pas être présent dans la circulation sanguine ou dans d’autres tissus. Le produit du gène devrait être produit et consommé localement [3].
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3. Construction de molécules pour la thérapie génique 3.1. Antagonistes du TNF La méthode la plus efficace pour inhiber l’action du TNF dans la PR est d’utiliser des antagonistes tels que des anticorps anti-TNF (infliximab) ou la protéine de fusion du récepteur p75 du TNF (etanercept). Ces molécules ont la portion Fc d’un anticorps leur conférant une longue durée de vie, mais les dirigeant vers des cellules exprimant des récepteurs Fc du foie. Ceci induit une immunogénicité et constitue une cible pour le facteur rhumatoïde présent chez 70 % des patients atteints de PR. De plus, le poids moléculaire élevé de ces molécules (150 kda) peut limiter leur pénétration dans les tissus. Nous avons dans ce contexte développé un inhibiteur de faible poids moléculaire fondé sur le domaine extracellulaire du récepteur humain p75 du TNF, mais dimérisé par modification génétique. Le petit récepteur dimérique du TNF (dTNF-R) s a été construit avec une sous-unité N–terminale contenant le peptide signal du TNF-R p75 suivi d’un site de liaison de 15 acides aminés de séquence (GGGGS)3 et d’une seconde sous-unité du TNF-R p75 amputée de sa séquence signal [4]. Cette molécule de seulement 59 kda inhibe l’action du TNF avec la même affinité que l’etanercept et a une très courte durée de vie in vivo du fait de sa sécrétion urinaire, comme le TNF-R p75 physiologique. Nous avons utilisé cette molécule avec succès par thérapie génique avec des fibroblastes syngéniques [5], ou par injection intramusculaire d’un plasmide régulable par la tétracycline [6] dans l’arthrite expérimentale au collagène (AEC) [7] et dans un modèle de sclérose en plaques [8]. Le dTNF-R était rarement détecté dans le plasma des animaux traités (de l’ordre du pg/ml), mais son effet thérapeutique était démontré par le fait que des concentrations similaires du TNF-R p75 endogène de souris dans le plasma ne sont pas suffisantes pour contrôler l’inflammation [9]. La courte durée de vie du dTNF-R est un avantage car cette molécule ne s’accumule pas dans le sang et ne présente donc pas les effets secondaires des antagonistes du TNF contenant des séquences d’immunoglobuline.
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PLA-IFN-b dans des cellules CHO et évalué leur état de latence avant et après incubation avec des MMPs et des liquides extraits de sites inflammatoires dans des tests antiviraux in vitro. Les MMP1 et MMP3 recombinantes, tout comme le liquide synovial de patients atteints de PR ou d’arthrose, ont permis d’obtenir un IFN actif. La cytokine cachée purifiée avait une longue durée de vie in vivo et, de plus, après injection intramusculaire de l’ADN, exerçait un effet thérapeutique supérieur à celui des isoformes actives de la protéine de fusion. 3.3. Ciblage des cytokines dans l’articulation Une approche similaire à celle décrite précédemment nous a permis de déterminer si les protéines de fusion formées par des cytokines et le scFv d’un anticorps monoclonal anti-collagène pouvaient diriger des cytokines thérapeutiques vers les articulations [10]. Nous avons de nouveau réalisé une construction où un site MMP était inséré entre la cytokine et le scFv afin que la cytokine libérée puisse interagir avec ses récepteurs cellulaires sur le site inflammatoire et non dans les articulations normales. Le degré de « latence » de ces protéines de fusion varie en fonction de leur conformation et n’est pas aussi prédictible que dans le cas des molécules contenant le PLA.
4. Modification de cellules Les cellules immobiles syngéniques comme les fibroblastes [5,11–13] ou les synoviocytes [14] ont été utilisées avec succès pour exprimer des gènes thérapeutiques dans l’arthrite. Ces cellules peuvent être implantées localement dans l’articulation ou bien être utilisées comme pompes sécrétoires dans la circulation sanguine après implantation dans le péritoine ou sous la peau. Ces cellules sont certes efficaces, mais nous avons obtenu de meilleurs résultats dans les modèles d’arthrite avec des cellules T modifiées. 4.1. Modification de cellules T
3.2. Cytokines cachées Pour améliorer les propriétés pharmacocinétiques des cytokines et pour cibler leurs actions sur les sites de la maladie, nous avons développé une structure « protégée » empêchant l’interaction de la cytokine avec ses récepteurs de surface cellulaire. De plus, ce type de construction en cytokine « cachée » possède un site de metalloprotéinase matricielle (MMP) entre la séquence protégée et la cytokine elle-même (Adams et al., soumis). La structure cachée correspond au peptide latent associé (PLA) du facteur de croissance transformant (TGF) b lié de façon covalente comme une protéine de fusion avec la cytokine d’intérêt via un site de clivage de MMP pouvant être modifié en fonction de la maladie à cibler. Ainsi, quand la cytokine cachée atteint le site inflammatoire dans lequel la MMP est stimulée, la cytokine est relarguée et peut agir localement. Nous avons fait exprimer une molécule
Les cellules T sont capables de transférer la maladie par mise en jeu de la réponse spécifique d’antigène. Ce sont des cellules mobiles, qui peuvent traverser les barrières endothéliales et à demi-vies relativement longues. Elles peuvent proliférer après stimulation antigénique, et ainsi amplifier un effet biologique thérapeutique si elles ont été modifiées génétiquement pour exprimer un gène thérapeutique. Les gènes du récepteur soluble du TNF (sTNF-R) [9–15], du TGFb [16], du CD35 soluble (CR1) [13] ont été transférés dans des cellules T spécifiques des articulations à l’aide de rétrovirus. Ces études ont montré que de telles cellules T pouvaient prévenir le transfert d’arthrite chez la souris SCID et inhibaient des arthrites établies dans d’autres modèles [16]. Dans les modèles animaux d’arthrite, l’antigène contrôlant la maladie permet de générer des cellules T arthritogéniques. Chez l’homme, de telles populations cellulaires sont difficiles
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à obtenir car les auto-antigènes pourraient être différents en fonction de chaque patient et pourraient même changer en fonction de l’évolution de la maladie. Dans ce contexte, nous avons généré des cellules T capables de reconnaître un antigène articulaire en utilisant un récepteur chimérique portant un domaine extracellulaire dérivé d’un scFv d’un anticorps anti-collagène de type II, suivi par les sous-unités de signal de la chaîne c du FceR1 [17] ou de la chaîne CD3 n du TCR [18]. Ces cellules T redirigées reconnaissent un antigène non apprêté indépendamment du CMH, sécrètent des cytokines pro-inflammatoires et prolifèrent après rencontre avec l’antigène [19]. Après transfert chez des souris naïves, ces cellules induisent une arthrite comme le font les cellules Th1 décrites précédemment. Nous avons généré des vecteurs rétroviraux bicistroniques co-exprimant le récepteur chimérique et des gènes de cytokines. Nous évaluons actuellement les effets thérapeutiques in vivo de cellules T mémoires ainsi infectées (Subang et al., manuscrit en préparation).
Références [1] [2] [3] [4]
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4.2. Modification de cellules dendritiques Dans le but de dévier la réponse immune d’un profil pro-inflammatoire vers un profil régulateur dans l’arthrite, nous avons développé un vecteur lentiviral bicistronique exprimant à la fois des cytokines et l’épitope immunodominant glycosylé du collagène de type II humain. Le but est ainsi d’orienter le développement de cellules T vers un profil Th2 ou T régulateur. La troisième génération de lentivirus contient un promoteur SFFV et un élément régulateur WPRE et infecte efficacement des cellules dendritiques dérivées de moelle osseuse (Favorov et al, non publié) en leur faisant exprimer le peptide du collagène et la cytokine. On peut imaginer que des cellules T différenciées de cette manière pourront exercer un effet thérapeutique bystander même si l’antigène responsable de la maladie auto-immune n’est pas le collagène de type II.
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5. Développement de vecteurs d’expression régulés La PR étant une maladie chronique, avec des phases de rechutes et de rémissions, et dans le but d’éviter des complications systémiques dues à l’expression constitutive de gènes, nous avons développé un système unique plasmidique [6]. Ce plasmide, permettant l’expression du transgène sous contrôle de la tétracycline exogène, avait initialement été développé dans le laboratoire de H. Bujard [20]. Ce système a récemment été amélioré pour pouvoir répondre à la fois à la doxycycline et à des conditions pathophysiologiques telles que l’hypoxie ou les cytokines pro-inflammatoires (Gould et al., soumis). Remerciements Remerciements : cette recherche a été financée par Arthritis Research Campain, le Wellcome Trust, Kinetique Biomedical Research Seed Fund et The Multiple Sclerosis Society, Grande-Bretagne.
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