Communication
Rev M&d Interne 1998 ; 19 : 658-60 0 Elsevier, Paris
b&e
Endophtalmie
infectieuse
endogbe
D Le Thi Huong I, N Cassoux ?, Z Kemali I, B Wechsler’, 0 Bl&ry3, P Le Hoang’, JC Piette’ 1Sen,ice
de mt!decine interne, 2 service d’ophtalmologie. ‘service de m&decine interne, centre (Recu
h6pital de la Pitie’-SalpPtri&e, 83, boulevard de l’H6pita1, 75065 Paris cede-x 13; m&dicochirurgical Foch, 40, rue Worth, 92150 Suresnes. France
le 6 janvier
1998 ; accept6
le 26 mai 1998)
Zntroduction. - L’endophtalmie endogttne est une infection du contenu oculaire d’origine hematogene. ExbggLse. - 11 s’agit generalement d’une panuveite qui peut &tre confondue avec une pathologie inflammatoire non infectieuse, ce qui favorise le retard therapeutique et compromet le pronostic visuel, avec une frequence de la cecite de 37,5 %. L’antibiotherapie doit &tre administree en urgence, apt& les prelevements bacteriologiques mais saris attendre la vitrectomie. L’identification du germe causal est indispensable, ce qui peut necessiter, si les prelevements systematiques des autres sites sont ntgatifs et que l’infection progresse, le prelevement d’humeur aqueuse ou de vitre. La source infectieuse est le plus souvent une endocardite, une affection digestive ou r&tale. La vitrectomie est disc&e soit d’emblee pour eliminer une partie du foyer infectieux et assurer une meilleure diffusion des antibiotiques, mais elle expose au risque de decollement de la r&tine, soit secondairement en cas d’echec du traitement medical. La corticotherapie visant a diminuer la reaction inflammatoire et les risques d’organisation du vitrt est prescrite par voie locale ou mieux get&ale, apres le controle du processus infectieux. Conclusion. - Bien que rare, l’endophtalmie endogene doit &tre reconnue car: elle peut Ctre confondue avec une uveite inflammatoire, ce qui petit conduire a une corticotherapie inadequate ; l’antibiotherapie probabiliste et a bonne penetration intra-oculaire doit Ctre instauree en urgence ; et son pronostic fonctionnel est redoutable. 0 1998 Elsevier, Paris endophtalmie
/ septickmie
/ endocardite
Summary - Endogenous infectious endophthalmitis. Introduction. - Endogenous endophthtalmitis is an intraocular irlfection of hematogenous origin. Exegesis. - It is gerlerally a panuveitis that may be mixed-up with a non-infectious inflammatory disease. promoting delayed treatment and compromising the visual prognosis, as the visual loss rate reaches up to 37.5%. Amibiotherapy should be started immediately after bacteriological examinations and without waiting for vitrectomy. Identification of the causative microorganism is absolutely necessary. It ma.v require aqueous or vitreous culture if cultures from other body jluids are negative and infection progresses. The most common infections are endocarditis and digestive and renal diseases. Vitrectomy is indicated for first line treatment of ocular abcess and improvement of antibiotic absorption. However, it may lead to retinal detachment. Vitrectomy is also indicuted in case of unsuccessful therapy. To decrease the inflammatory reaction and disks of vitreous organization, local or systemic corticotherapy is prescribed after control of the infection. Conclusion. - Altholrgh rare, endogenous endophthalmitis should be diagnosed as it may be mixed-up with injlammatory uveitis. leading to inappropriate corticotherapy. Furthermore, antibiotherapy Jrith good intraocular penetration should be started immediately. but it should be kept in mind that the furzctional prognosis is poor. 0 I998 Elsevier, Paris endophthalmitis
/ septicemia
/ endocarditis
L’endophtalmie est l’infection du contenu oculaire. Elle peut interesser les couches tissulaires internes ou parietales endosclerales, avec comme traduction histopathologique la presence de polynucleaires alteres. L’endophtalmie est le plus souvent d’origine exogene, secondaire a une intervention chirurgicale, notamment pour cataracte. Elle est plus rarement endogene, au
tours d’infections bacteriennes ou mycosiques atteignant l’ceil par voie sanguine lors d’une septicknie ou a l’occasion d’une bacteriemie a partir d’un foyer infectieux localid, parfois asymptomatique. Son diagnostic peut etre difficile et son pronostic fonctionnel souvent sombre, comme l’illustrent les observations suivantes.
Endophtalmie infectieuse endogene
OBSERVATIONS Cas 1 Un homme de 71 arts avait un diabete non insulinodependant non compliqd. En mars 1996, il presenta une baisse brutale de l’acuite visuelle droite, accompagnee d’une fibvre (39 “C), d’un syndrome confusionnel et de polyarthralgies s’ameliorant partiellement sous anti-inflammatoires non stero’idiens. L’examen clinique revela un souffle systolique de pointe 216, une ulceration cutanee en regard du poignet gauche, une uveite a hypopion avec hyalite de l’ceil gauche responsable d’une baisse d’acuite visuelle reduite a compter les doigts. Trois hemocultures pousserent a staphylocoque coagulase positive methicilline sensible. La ponction lombaire ramena un liquide cephalorachidien contenant 1,46 g/L de proteinorachie, 2,9 mmol/L de glycorachie, 193 elements dont 77 % de lymphocytes, sterile. L’echocardiographie mit en evidence une ballonisation mitrale saris image de vegetation. Le traitement associant oxacilline 12 g/j et ofloxacine 800 mg/j obtint l’apyrexie en 3 jours. I1 fut complete par de la rifampicine en collyre. L’hypopion disparut en 5 jours avec une recuperation partielle de l’acuite visuelle droite.
Cas 2 Un homme de 56 ans avait une maladie de Crohn diagnostiquee en 1973. En aout 1985 survint une poussee. Apres l’echec d’une alimentation parent&ale totale, une resection de 40 cm de grele ileo-ileale terminale fut pratiquee. Trois jours apres l’intervention, survenait une septicernie a Stuphylococcus epidermidis traitee par cefaloridine et gentamitine saris amelioration de la courbe thermique. Apparaissaient successivement un syndrome confusionnel puis une baisse bilaterale de l’acuite visuelle attribuee a une uveite traitee par collyre corticoi’de. L’absence d’infection Cvidente en dehors d’une candidurie faisait suspecter la persistance d’une Cvolutivite de la maladie de Crohn. Les doses de prednisone Ctaient augmentees a 120 mg/j et Ctaient associees a 150 mg/j de cyclophosphamide avant son transfert dans notre service le 17 octobre. L’examen trouvait un patient grabataire, febrile a 39 “C, confus. L’acuite visuelle Ctait nulle a droite, reduite a une perception lumineuse a gauche en raison d’une hyalite dense, associee a de gros flocons vitreens bilateraux jaune chamois et un decollement de retine bilateral, aspect Bvocateur d’endophtalmie mycosique. Deux hemocultures et I’uroculture pousserent & Cundida. L’examen du liquide cephalorachidien trouva 300 elements dont 73 % de neutrophiles alter&. Le scanner mit en Cvidence de multiples abces hemispheriques droits. L’echographie cardiaque ne montra pas de vegetation valvulaire. Le traitement associa flucytosine, amphotericine B par voie intraveineuse et injections sous-conjonctivales de corticdides. Une vitrectomie fut realisee 3 semaines apres, saris
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resultat fonctionnel. L’evolution fut marquee par la persistance de la fibvre, l’aggravation de l’endophtalmie et la survenue le 16 decembre d’une hemiplegie gauche puis d’un coma. Le scanner cerebral montra l’apparition d’un hematome temporal droit et d’une inondation ventriculaire. L’arteriographie montra un art& du produit de contraste au niveau du siphon carotidien probablement secondaire B la rupture d’un anevrysme mycotique. Le patient de&da 3 jours apres. L’examen autopsique conclut a l’absence de signe de maladie de Crohn Cvolutive et mit en evidence une endocardite mitrale g Candida.
DISCUSSION Nos deux observations ont en commun la survenue d’une endophtalmie infectieuse endogbne au tours d’une septicernie bacterienne dans un cas, fongique dans l’autre. L’endophtalmie infectieuse endogbne est une affection rare. Elle ne represente que 2 a 8 % des cas d’endophtalmies [ 11. Une enquete conduite entre 1988 et 1989 dans 64 services d’ophtalmologie francais a recueilli 164 cas d’endophtalmies, dont 14,4 % d’endophtalmie infectieuse endogene [2]. L’endophtalmie infectieuse endogbne atteint deux fois plus frequemment l’mil droit que l’ceil gauche, l’hypothese explicative la plus souvent avancee &ant que la carotide est plus courte a droite. Elle est bilaterale dans 14 a 25 % des cas [ 1, 31. Tous nos patients se sont plaints dune baissed’acuitt visuelle brutale mais peu douloureuse. La baisse de I’acuitb visuelle est en effet presente dans 91 % des cas. Une douleur oculaire est rapportee dans 77 % des cas, une rougeur oculaire dans 70 % des cas. Plus rares sont les ctphalees (18 % des cas) ou une conjonctivite (17 % des cas). Le retard diagnostique est frequent, comme dans notre secondeobservation. Dans l’etude d’Okada et al [l], qui ont analyse 28 cas observes entre 1980 et 1990 dans les hopitaux du Massachusetts Eye and Ear Infirmary et Massachusetts General Hospital, le diagnostic ophtalmologique initial Ctait correct dans seulement la moitie des cas. Un retard diagnostique de 4 jours ou plus Ctait observe chez 29 % des patients. L’infection oculaire est gentralement responsable d’une atteinte des segments anterieur et posterieur. Dans le segment anterieur, elle peut se traduire par un cedeme comten, une reaction inflammatoire marquee de la chambre anterieure avec un hypopion et une pupille a&active avec ou sanssynechies iridocristalliniennes. Dans le segment posterieur, une intense reaction inflammatoire touche le vitre et la retine, pouvant conduire a la n&rose retinienne et/au a l’abcedation du vitre. Cette panuveite peut Ctre confondue avec une uveite inflammatoire non infectieuse, notamment les uveites a hypopion de la spondylarthrite ankylosante, de la maladie de Behcet, du syndrome de Reiter, de la
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sarcdidose ou des neoplasmes (retinoblastome diffus, lymphome primitif, leucemie, metastases). L’identification du germe causal est indispensable, ce qui peut necessiter, si les prelevements systematiques des autres sites sont negatifs et que l’infection progresse, le prelirvement d’humeur aqueuse ou de vitre. Nos deux cas d’endophtalmie infectieuse endogene sont survenus dans un contexte septicemique, mais l’endophtalmie peut se developper a l’occasion d’une bacteriemie a partir d’une infection localisee telle qu’une arthrite, un abciis hepatique, ou une plaie cutante qui peut passer inapercue. La Porte d’entree de l’endophtalmie infectieuse endogene est trouvee chez 93 % des patients. La source de I’infection est souvent une endocardite, une affection digestive ou r&ale. Les prelevements bacteriologiques sont positifs dans 80 a 96 % des cas, tous milieux confondus [ 1, 31. En particulier, les hemocultures sont positives dans 71 a 84 % des cas et la culture du vitre dans 73,9 % des cas, alors que la culture de I’humeur aqueuse est plus rarement positive. Alors que jusqu’a la seconde guerre mondiale Neisseria meningitidis Ctait le germe responsable dans plus de la moitit des cas, les enterobacteries ont vu leur frequence augmenter, et il existe actuellement une grande diversite de germes causals. Neanmoins, les cocci a Gram positif representent encore actuellement 71 % des cas, dont 32 % de streptocoques et 25 % de Staphylococcus aureus [ 11. Un terrain predisposant est present dans 80 % des cas, notamment le diabete, un antecedent de splenectomie, une neoplasie, une toxicomanie, une infection a VIH, un ethylisme et/au une cirrhose [ 1, 3-71. Le traitement est une urgence medicale et repose sur une double antibiotherapie (ou un traitement antifongique) intraveineux bactericide et a bonne penetration intraoculaire. Selon le germe, est souvent associee a une beta-lactamine (imipenbme, piperacilline, ceftazidime, ticarcilline), l’amikacine, une quinolone (ofloxacine) et/au de la fosfomycine. Tout retard diagnostique et therapeutique compromet le pronostic visuel [3], bien que le delai therapeutique ne soit pas le seul facteur pronostique [l]. Entrent Cgalement en ligne de compte la virulence du germe, la localisation posterieure atteignant la macula et l’association a un decollement de &tine par n&rose retinienne infectieuse ou par retraction Cpiretinienne ou vitreenne sequellaire. Les doses maximales doivent &tre prescrites pour permettre la plus grande penetration intravitreenne. Le traitement est gCnCralement poursuivi pendant 2 a 3 semaines, except6 en cas d’endocardite oti la duree minimale est de 4 semaines. L’injection intravitreenne d’antibiotiques (notamment vancomy-
et al
tine, imipeneme, ticarcilline) y est associee. La vitrectomie est discutee. Certains la proposent d’emblee, afin d’eliminer d’une partie du foyer infectieux et assurer une meilleure diffusion des antibiotiques, mais cela expose au risque de decollement de retine. Nous la proposons toujours de fagon secondaire, en cas d’echec du traitement medical [8]. La corticotherapie est t&s utile. Elle a pour objectif de diminuer la reaction inflammatoire et les risques d’organisation du vitre. Elle est prescrite par voie locale (collyres, injections sous-conjonctivales ou intravitreennes), ou mieux par voie g&i&ale, toujours apres le controle du processus infectieux par l’antibiotherapie. MalgrC le traitement, l’evolution est souvent defavorable [3]. Dans l’etude recente de Boston, 37,5 % des yeux sont aveugles et 2 1,8 % ont une acuite visuelle finale superieure ou Cgale a 4/10 [l]. L’endophtalmie infectieuse endogene constitue done un problbme diagnostique rare mais difficile en raison du risque d’attribution a une pathologie inflammatoire non infectieuse favorisant le retard therapeutique, voire une corticotherapie isolee inadequate. En raison de la sCvCritC et la frequence des sequelles fonctionnelles, elle constitue une urgence medicale. L’antibiotherapie (ou le traitement antifongique) doit &tre administree en urgence, saris attendre la vitrectomie. Celle-ci ne doit, a notre avis, etre discutee que secondairement, en fonction de l’evolution. Une fois le controle du processus infectieux obtenu, une corticotherapie par voie generale ou locale doit y &tre associee. RtiFtiRENCES Okada AA, Johnson RP, Liles WC, D’Amico DJ, Baker AS. Endogenous bacterial endophthalmitis. Report of a ten-year retrospective study. Ophtalmology 1994 ; 101 : 832-8 Fisch A, Salvanet A, Prazuck T, Forestier F. Gerbaud L and the French Collaborative Study Group of Endophthalmitis. Epidemiology of infective endophthalmitis in France. Lancer 1991 ; 338:1373-6
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