Étude de la vulnérabilité psychologique des sujets inscrits à un dépistage génétique des cancers colorectaux héréditaires

Étude de la vulnérabilité psychologique des sujets inscrits à un dépistage génétique des cancers colorectaux héréditaires

MÉMOIRE ORIGINAL Étude de la vulnérabilité psychologique des sujets inscrits à un dépistage génétique des cancers colorectaux héréditaires C. FANTINI...

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MÉMOIRE ORIGINAL

Étude de la vulnérabilité psychologique des sujets inscrits à un dépistage génétique des cancers colorectaux héréditaires C. FANTINI (1, 2), J.-L. PEDINIELLI (1), S. MANOUVRIER (2)

Psychological distress in applicants for genetic screening for colorectal cancer Summary. Introduction. The development of a DNA based diagnostic test has allowed for the genetic screening of many hereditary diseases. In addition to the identification of the deleterious gene, this screening process has led to the recognition of developing illnesses at high risk. In recent years, a number of genes predisposing to an inherited cancer syndrome have been identified. Aim of the study. Our purpose in this study was to determine whether subjects at risk who test for inherited colorectal cancer, are likely to develop a higher level of psychological distress than the norm, taking into consideration the particular history of this familial disease. Methods. The demographic and psychosocial aspects of our population was described using : 1) the State Trait Anxiety Inventory (STAI), 2) the Center for Epidermiologic Studies Depression (CES-D), 3) a perceived risk for the gene carrier, 4) subjective perception of personal vulnerability and 5) the role of the medical status (affected or not), which places the subject in either predisposition or predictive testing. Results. Results show that our population had a higher predisposition for depressive disorders (χ 2 = 9,3. p = 0.002) and a significantly higher state of anxiety (χ 2 = 9,3. p = 0.002), prior to genetic counselling, compared with other populations. We found no evidence in the medical status, nor the perceived risk. However, the assessment of one’s own personal vulnerability is related to psychological distress. Discussion. These results highlight the particular vulnerability of subjects undergoing genetic testing as well as showing the pertinence of proposing psychological help throughout the process of these new specific diagnoses. Key words : Genetic testing ; Psychological distress ; Risk perception.

Résumé. Les familles « à risque » de cancers héréditaires colorectaux bénéficient depuis une dizaine d’années des avancées de la médecine prédictive par le biais des possibilités qu’offrent les tests génétiques. Les membres de ces familles deviennent ainsi susceptibles de connaître leur futur statut médical, de savoir s’ils développeront ou non la maladie, avec quelle probabilité, ou encore de se voir affirmer que leur maladie n’est pas accidentelle mais génétiquement inscrite, et donc transmissible. Si la littérature s’est attachée à décrire les conséquences psychologiques des dépistages génétiques des adénocarcinomes coliques, peu se sont intéressé à l’état initial des sujets demandeurs, qui n’est pas sans conséquence sur l’ajustement émotionnel que nécessite ce protocole. Tous les sujets (n = 77) se sont vus proposer des questionnaires évaluant la symptomatologie dépressive (CES-D ; Radloff, 1977), de même que

l’anxiété « trait » et « état » (STAI ; Spielberger, 1983). Notre population se caractérise par la présence de symptômes dépressifs et anxieux dont la fréquence et/ou l’intensité est nettement supérieure à celle observée dans la population générale. Les sujets inscrits dans un test de prédisposition sont plus vulnérables aux affects dépressifs et à l’anxiété « trait », contrairement aux sujets inscrits dans une recherche prédictive qui tendent à éprouver une anxiété plutôt de type « transitoire ». Le sentiment de vulnérabilité personnelle et le fait d’être une femme sont impliqués dans les réponses émotionnelles dysfonctionnelles. Étonnamment, ni le risque perçu, ni le fait d’avoir été confronté à la maladie d’un proche, ne permettent de discriminer les sujets anxieux et/ou dépressifs. Mots clés : Anxiété ; Dépistage génétique ; Dépression ; Risque perçu.

(1) Laboratoire PsyCLE, EA 3273, UFR Psychologie, Université de Provence, Aix-en-Provence. (2) Service de Génétique clinique, Hôpital Jeanne de Flandres, CHRU, 59037 Lille cedex. Travail reçu le 1er avril 2005 et accepté le 28 juin 2005. Tirés à part : C. Fantini (à l’adresse ci-dessus). L’Encéphale, 33 : 2007, Mars-Avril

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C. Fantini et al.

INTRODUCTION Les avancées médicales des vingt dernières années ont permis de mieux connaître un certain nombre de pathologies héréditaires, permettant une meilleure information des patients. Parallèlement, les progrès de la biologie moléculaire ont abouti à l’identification des gènes impliqués dans certaines d’entre elles (polypose adénomateuse familiale, cancer colique héréditaire non polyposique, cancer du sein et de l’ovaire). Ces découvertes ont contribué au développement de tests diagnostiques fondés sur l’analyse moléculaire de l’ADN, permettant ainsi d’identifier les sujets porteurs de gènes délétères dans un but prédictif (sujets asymptomatiques) ou confirmatoire (affirmant l’existence d’une prédisposition héréditaire). Ces nouveaux outils exposent les familles à la réalité d’une transmission familiale passée et future difficilement représentable ou acceptable, même chez les sujets déjà malades d’une part, et d’autre part, à la réalité ou l’irréalité d’une menace signifiée à des individus asymptomatiques mais à risque de développer la maladie. Les études portant sur les dépistages génétiques se sont intéressées essentiellement à deux aspects. Le premier a trait aux facteurs motivationnels qui incitent à s’inscrire dans une telle démarche. Le second tend à délimiter les effets psychologiques de ces procédures et leur impact à long terme, notamment sur les comportements de surveillance. Les facteurs motivationnels les plus fréquemment cités concernent le besoin d’information pour la descendance, la nécessité de réduire l’incertitude, le besoin de prendre des décisions quant à l’avenir (mariage, enfants, etc.), la modification des comportements de santé, et le besoin d’informations pour réduire les surveillances médicales (3). Le fort taux de poursuite (80-90 %) semble lié aux caractéristiques des sujets consultants, ainsi qu’à la nature et aux caractéristiques de la pathologie recherchée. L’efficacité des moyens de traitement ou de prévention (5, 6, 7) est fréquemment avancée, indiquant un taux de poursuite de l’ordre de 10 % dans le cadre de la maladie de Huntington, 50 % pour les cancers sein/ovaire, et 80 % pour les polyposes adénomateuses, pour lesquelles il existe un traitement efficace. Toutefois, les sujets qui participent à ces programmes sont considérés comme « auto-séléctionnés », car ils tendent à s’estimer mieux armés pour faire face au résultat et disposer de meilleures ressources mentales (8). Ainsi, nous pouvons supposer que les personnes susceptibles de réagir de façon négative tendent à éviter toute démarche de dépistage (9). Le deuxième axe de recherche porte sur l’impact psychologique de ces nouveaux moyens de dépistage, en particulier l’influence d’un résultat négatif sur le bien-être psychologique. Les études, bien que relativement contradictoires, tendent à montrer une élévation de la détresse psychologique à l’issue de l’annonce d’un résultat défavorable (10, 11). Toutefois cette détresse tend à recouvrer son niveau initial un an après l’obtention de ce dernier (10). Plusieurs explications ont été avancées pour tenter de rendre compte de ces contradictions (12), notamment la 118

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non-prise en compte des aspects défensifs qui maintiennent l’illusion de ne pas être affecté (13), avec pour conséquence une sous-estimation des émotions. Les conceptions d’Horowitz et al. (14, 15), s’appuyant sur le modèle de réponse au stress (15), illustrent ces phénomènes. La manière dont la consultation génétique est structurée (consultation génétique avec ou sans soutien psychologique) peut également rendre les études disparates. L’hétérogénéité relative des résultats publiés a également été mise sur le compte de biais méthodologiques (16) compte tenu des contradictions relevées dans les études concernant les réactions émotionnelles à l’issue des résultats (17). Un manque de sensibilité des outils psychométriques a été incriminé, les mesures de morbidité psychiatrique globale étant moins sensibles que les échelles d’évaluation spécifiques. Les premières apparaissent d’ailleurs peu pertinentes dans le contexte de l’onco-génétique. Enfin, l’utilisation systématique des moyennes peut masquer des différences individuelles importantes, certains sujets souffrant d’effets adverses et d’autres s’améliorant. Pour conclure, nous ne connaissons pas les caractéristiques psychologiques des consultants en référence à la population générale, ce qui rend difficile toute conclusion visant à établir « la » vulnérabilité de ces populations d’étude. La majorité des recherches met en évidence l’existence d’une augmentation de la détresse à l’issue du dépistage génétique, en comparant l’intensité des troubles avant et après l’annonce des résultats. Néanmoins, elles ne montrent pas si cette détresse était préalable, caractéristique d’une population fragilisée par l’histoire familiale. Or, ce travail nous semble essentiel pour éviter les écueils méthodologiques cités plus haut mais aussi pour identifier les besoins de cette population particulière. Notre étude tente de préciser les caractéristiques des sujets qui participent à un programme de dépistage génétique des cancers colorectaux héréditaires. Nous pensons que l’inscription dans une telle démarche est le fruit d’une expérience familiale douloureuse, représentant un événement stressant important, susceptible d’activer des réponses émotionnelles de type anxiété. Notre première hypothèse postule que cette population présente une détresse émotionnelle plus importante que la population générale, détresse qui différerait selon le statut médical du sujet (malade versus non malade). Nous avançons également que le sentiment de vulnérabilité personnelle (risque perçu) majore ces réponses.

MÉTHODOLOGIE Population d’étude Notre population se compose de 77 sujets qui consultent en Génétique clinique pour déterminer leur risque face aux cancers colorectaux héréditaires (tests prédictifs) ou pour confirmer la nature génétique de leur maladie

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(sujets déjà atteints). La plupart sont orientés par un médecin, viennent d’eux-mêmes compte tenu de l’histoire familiale ou sont avertis des risques par un membre de la famille déjà diagnostiqué. Notre groupe se subdivise en deux catégories, à savoir un groupe constitué des sujets malades ou l’ayant été (M) et un groupe constitué de sujets non malades et ne l’ayant jamais été (NM). Les critères d’exclusion sont : un âge inférieur à 18 ans, l’incapacité à comprendre la langue française, la présence d’une pathologie chronique autre qu’une pathologie rentrant dans le spectre des cancers coliques héréditaires, l’existence d’un trouble psychiatrique chronique, ainsi que le nonrenvoi du protocole de recherche et du formulaire de consentement éclairé avant la première consultation (baseline).

Sentiment de vulnérabilité personnelle : nous avons utilisé une mesure de la subjectivité de l’individu quant à la perception de ses propres risques comparativement à ceux des autres membres de sa famille. D’un point de vue purement génétique, les risques sont les mêmes pour tous les descendants et ascendants de la famille (50 %). Nous avons donc demandé aux participants s’ils estimaient avoir plus de risques que les autres membres de la famille (réponse de type oui/non). En cas de réponse positive, les sujets devaient préciser les raisons de leur évaluation parmi les propositions suivantes : parent proche atteint, plusieurs membres de la famille atteints, ressemblance physique avec un proche malade, ressemblance de caractère avec un proche malade, absence de chance.

Procédure

ANALYSES STATISTIQUES

Le questionnaire et le consentement sont adressés par voie postale dès que les sujets ont contacté le service de Génétique afin d’obtenir un rendez-vous. Ces derniers sont adressés avec une notice explicative rendant compte des raisons et des objectifs de la recherche menée, ainsi que les coordonnées où joindre l’investigateur en cas de difficultés à remplir le questionnaire.

Toutes les analyses ont été réalisées avec le logiciel SPSS pour Windows, version 11.5. L’étude de la vulnérabilité a été menée en référence aux données issues de la population générale. Nous avons utilisé les statistiques de l’enquête DEPRES (1999) pour connaître la prévalence des troubles thymiques (la fréquence retenue est de 14,9 % tous troubles confondus). Nous avons choisi cette étude car elle nous permettait d’obtenir une fréquence qui inclut les troubles dysthymiques, ainsi que les troubles de l’humeur de « légers à sévères ». Ce choix nous est apparu le plus judicieux dans la mesure où l’échelle CES-D ne permet pas d’affirmer un diagnostic certain en fonction des scores obtenus. Plus le score s’élève, plus la fréquence et l’intensité des symptômes augmentent, ce qui accroît la probabilité d’apparition du trouble. Enfin, les normes retenues concernant les échelles d’anxiété trait et état sont les moyennes issues de la validation française réalisée par Bruchon-Chweitzer et Pauhlan (21) (respectivement de 43,47 pour l’AT et 38,28 pour l’AE).

Variables mesurées Les variables démographiques incluent l’âge, le sexe, le statut familial (marié ou concubinage/célibataire, veuf ou divorcé). De même, nous avons tenu compte du niveau d’éducation scolaire (collège/secondaire/universitaire) et de la situation professionnelle (cadre, employé, sans activité professionnelle). La détresse émotionnelle a été évaluée par des mesures de dépression et d’anxiété. 1) Dépression : nous avons choisi de mesurer la symptomatologie dépressive au moyen de l’échelle CES-D (Center for Epidemiologic Studies Depression) (19), dont les qualités métrologiques sont bien établies. La version française (20) est composée de 20 items, cotés sur une échelle en 4 points (0 à 3), dont l’étendue varie de 0 à 60. La validation française a établi des scores de « cut-off » qui permettent de classer les sujets selon la fréquence et l’intensité des symptômes dépressifs. Ces scores sont de 17 pour les hommes et de 23 pour les femmes. Par convention nous utiliserons les termes « non déprimé » et « déprimé » pour caractériser nos groupes. 2) Anxiété : nous avons eu recours à la version française (21) du STAI (State-Trait Anxiety Inventory) (22), forme Y, de Spielberger qui permet une mesure fidèle de l’anxiété dispositionnelle (anxiété trait : AT) et de l’anxiété transitoire (anxiété état : AE). Il s’agit d’un questionnaire d’autoévaluation dont chacune des formes comporte 20 items, cotés sur une échelle en 4 points (1 à 4). Les scores s’étendent de 20 à 80, les plus élevés témoignant d’une anxiété plus forte. La variable subjective a été évaluée de la manière suivante.

RÉSULTATS Description des variables démographiques (tableau I) Notre population est composée de 77 sujets, d’âge moyen de 44,27 ans (σ : 14,21), qui ont accepté de répondre à notre questionnaire avant d’être reçus en consultation. En effet, bien que les protocoles aient été restitués avant la rencontre avec le généticien, nous avons attendu que celle-ci soit réalisée afin d’inclure des sujets répondant aux critères de dépistage. De cette façon, nous avons également pu nous assurer qu’ils ne rencontraient pas nos critères d’exclusion. Notre taux de réponse est satisfaisant dans la mesure où nous obtenons une participation de 77,87 % (113 protocoles envoyés avec l’accord du demandeur) dont un taux de protocoles éligibles de 68,14 % (n = 77). Nous avons obtenu une fréquence de non-renvoi de 22,12 %, 1,76 % de renvoi hors délai (après la 1re consultation), 4,42 % de sujets rencontraient nos critères d’exclusion, et 3,53 % des retours se sont avérés incomplets. 119

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importante qu’en population générale (χ2(1) = 9,3 P = 0,002), la prévalence dans notre population étant de 27,3 %, contre 14,9 %. Par ailleurs, le score moyen reste significativement supérieur à celui normalement observé chez les sujets tout-venant (t (76) = 2,13. P = 0,03).

TABLEAU I. — Variables démographiques et qualitatives. Variables

%

Sexe Hommes/femmes Situation familiale Marié, concubinage/célibataire, divorcé, veuf Niveau d’éducation Collège/secondaire/universitaire Situation professionnelle Cadre/employé/sans activité Risque perçu Faible/élevé/très élevé Avoir plus de risque que les proches Oui/non Statut médical Malade/non malade Âge, moy.(σ)

49,4/50,6 75,3/24,7 22,1/40,3/37,7 35,1/29,9/35,1 27,3/54,5/18,2

Anxiété trait et état Les sujets consultant dans le cadre des cancers colorectaux héréditaires ont un niveau d’anxiété transitoire significativement plus élevé que la population générale (t (76) = 2,11. P = 0,03). L’anxiété trait ne distingue pas nos sujets de la population de référence.

55,8/44,2 57,1/42,9 44,27 (14,21)

Influence du statut médical (tableau III)

En considérant les groupes malade/non malade, les tests d’équivalence de groupe ne montrent aucune différence significative lorsque l’on considère les variables « sexe » (χ2 = 0,62, ddl = 1. NS), « situation familiale » (χ2 = 0,98, ddl = 1. NS), « éducation » (χ2 = 4,05, ddl = 1. NS), « catégorie socio-professionnelle » (χ2 = 0,18, ddl = 1. NS). Toutefois, nos groupes diffèrent quant à la variable « âge » (U = 495,5 P = 0,01), les sujets malades étant plus âgés.

Nous avons constaté des différences significatives entre les sujets malades (n = 44) et les sujets non malades (n = 33), quant à l’intensité des symptômes dépressifs et de l’anxiété trait. Par ailleurs, il existe un effet du statut médical sur la probabilité d’apparition des troubles dépressifs (χ2(1) = 427, P < 0,04), les sujets malades étant plus fréquemment déprimés que les autres.

Influence des variables démographiques (tableau IV) Vulnérabilité psychologique (tableau II) Symptômes dépressifs Les résultats obtenus (tableau II) montrent que la fréquence de la symptomatologie dépressive est plus

Nos variables démographiques n’influent globalement pas sur la détresse émotionnelle. Toutefois, le fait d’être une femme se traduit par une élévation des scores d’anxiété état (U = 475, S.007), d’anxiété trait (U = 436, S.002) et de dépression (U = 487,5, S.01).

TABLEAU II. — Mesures de la détresse psychologique en référence à la population générale. Variables Déprimés/non déprimés, % Anxiété état, moyenne, (σ) Anxiété trait, moyenne, (σ)

Population d’étude

Population générale

27,3 %/ 72,7 % 41,55 (13,74) 42,10 (11,64)

14,9 % / 85,1 % 38,24 (10,33) 43,47 (10,3)

Statistiques (1) χ2 = 9,3 t = 2,11 t = – 1,03

P P = 0,002 P = 0,03 NS

(1) Tests du χ2 pour les comparaisons de fréquences à une norme de référence et t de Student pour échantillons uniques.

TABLEAU III. — Influence du statut médical sur l’anxiété et l’intensité des symptômes dépressifs.

Anxiété état, moy, (σ) Anxiété trait, moy, (σ) CES-D, moy, (σ)

Malade

Non malade

Statistique (1)

P

44,02 (14,64) 44,43 (11,63) 17,13 (11,39)

38,27 (11,87) 39 (11,07) 12,09 (9,26)

U = 558,5 U = 530 U = 515,5

NS 0,04 0,03

(1) Test U de Mann-Witney pour groupes indépendants. 120

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TABLEAU IV. — Influence des variables démographiques sur l’anxiété état et la dépression. Variables Sexe, moy. (σ) Homme Femme

STAI-AE 37 (10,49) 46 (15,15)

Situation familiale, moy. (σ) Marié ou concubinage Célibataire, veuf ou divorcé

45,89 (13,35) 40,13 (13,68)

Situation professionnelle, moy. (σ) Cadre Employé Sans activité

41,44 (16,26) 42,39 (13,42) 40,96 (11,58)

Niveau d’éducation, moy. (σ) Collège Secondaire Universitaire

40,17 (14,32) 43,06 (11,98) 40,75 (15,40)

P 0,007*

0,07*

0,85**

0,40**

STAI-AT 37,86 (9,99) 46,23 (11,76) 46,21 (12,09) 40,75 (11,27) 40,74 (12,26) 42,52 (10,82) 43,11 (11,98) 40,29 (12,94) 43,64 (9,89) 41,51 (12,74)

P 0,002*

0,08*

0,71**

0,25**

CES-D 11,68 (8,55) 18,17 (11,79) 17,57 (12,06) 14,12 (10,27) 13,22 (11,4) 16,26 (10,24) 15,62 (9,82) 15,23 (9,50) 15,83 (10,50) 13,89 (11,94)

P 0,01*

0,28*

0,35**

0,94**

* U de Mann-Whitney ; ** H de Kruskall-Wallis.

Influence du sentiment de vulnérabilité personnelle Le sentiment de vulnérabilité personnelle semble être impliqué dans l’intensité des réactions psychologiques. Parmi les 43 sujets qui se considèrent comme étant plus « à risque », 69,8 % des sujets évoquent un parent proche atteint, 58,1 % le fait que plusieurs membres de la famille soient concernés, 16,3 % des sujets expliquent leur vulnérabilité par une ressemblance physique, 9,3 % par une ressemblance de caractère et 23,3 % considèrent qu’ils sont plus vulnérables que les autres car ils n’ont jamais eu de chance. Ce dernier facteur est significativement associé à l’anxiété état (U = 93,5 P = 0,04), à la dépression (U = 75,5 P = 0,01) et à l’anxiété trait (U = 94,5 P = 0,04). DISCUSSION Les sujets impliqués dans une histoire de cancer colorectal héréditaire et s’inscrivant dans une démarche de dépistage génétique tendent à présenter des réactions de détresse émotionnelle de type anxiété/dépression plus importantes que celles rencontrées dans la population tout-venant, et ce bien avant la première rencontre avec le généticien. La fréquence des troubles dépressifs est quasiment doublée par rapport à celle de la population générale. De la même manière, l’intensité de l’anxiété état s’avère plus importante qu’en situation ordinaire. Il semblerait que l’engagement dans le processus de dépistage génétique génère l’émergence de ce type d’affect, et ce d’autant plus que notre population ne se caractérise pas par la présence d’anxiété au long cours (anxiété trait). Cependant, la nature des réactions diffère selon le statut médical du sujet qui consulte. Les sujets malades s’inscrivent dans une démarche de diagnostic génétique de leur maladie (test de prédisposition) tandis que les individus non malades s’engagent dans un diagnostic prédictif. Ce der-

nier a une connotation différente des premiers car il renseigne sur l’état de santé futur du sujet. Les tests de prédisposition viennent quant à eux confirmer un diagnostic initial, et posent plus rapidement la question de la transmission à la descendance. Ces deux démarches véhiculent donc des significations aux conséquences lourdes pour soi et/ou les autres, qui diffèrent selon le type de dépistage dans lequel on s’inscrit. Les diagnostics pourraient renvoyer à des représentations de type « menace », qui sont généralement anticipatoires de l’issue possible d’une situation donnée. En effet, il nous semble que cette rencontre si particulière implique pour le sujet qui s’y soumet d’être confronté à l’annonce possible d’un risque futur pour sa santé, risque dont la probabilité est particulièrement élevée. L’absence d’élément objectif permettant au sujet de réévaluer la situation dans laquelle il se trouve, ne lui permet pas de réduire cette menace en s’orientant vers une quelconque issue. Or l’intensité et la qualité d’une émotion renseignent sur la nature de l’évaluation que fait un individu d’une situation stressante (23, 24). Une représentation de menace sera plutôt associée à des émotions de type anxiété. L’apparition d’anxiété transitoire dans le contexte des tests génétiques prédictifs nous semble donc situationnelle, en lien avec des cognitions menaçantes qui généreraient plus facilement ce type d’éprouvé. Les travaux d’Aktan-Collan et al. (10) nous confortent dans cette direction dans la mesure où le niveau d’anxiété diminuait de manière significative après l’annonce du résultat chez les sujets non porteurs, traduisant la résolution des représentations menaçantes. A contrario, nous avons constaté que les sujets malades inscrits dans une perspective de recherche de prédisposition sont confrontés aux affects dépressifs, qui traduisent préférentiellement des pensées en lien avec la perte de l’état de santé, ou associés à des représentations de « dommages ». Ces cognitions ne s’inscrivent plus dans un registre anticipatoire mais sont le reflet d’un événement déjà survenu, et de l’estimation des conséquences de celui-ci. 121

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Nos résultats mettent l’accent sur une vulnérabilité aux affects dépressifs plus importante chez les personnes qui ont déjà été atteintes par la maladie, et témoignent par ailleurs de la non-résolution des affects anxieux, en ce sens où c’est la dimension dispositionnelle de l’anxiété qui différencie les deux populations. Il est possible que ces patients soient en proie à des sentiments de menaces de natures différentes des sujets indemnes de pathologies (les représentations concernant alors le risque vital qui ne s’inscrit plus dans une dimension à court terme). Une exploration plus fine des représentations sousjacentes aurait été nécessaire pour aller plus loin dans notre analyse. L’estimation de la vulnérabilité personnelle est fortement liée à l’apparition de l’anxiété transitoire, indépendamment du statut médical du sujet, ce qui confirme sa valeur d’estimation du risque perçu subjectif. Nos résultats sont conformes aux travaux de Lazarus (18). L’évaluation subjective influe sur l’évaluation d’une situation stressante, déterminant si elle déborde ou non les capacités adaptatives du sujet. C’est la qualité « subjective » qui confère une valeur anxiogène à une situation donnée, par débordement des processus d’ajustement. Enfin, la vulnérabilité fondée sur l’impression de n’avoir jamais eu de chance tend à accentuer l’anxiété dans ses deux dimensions ainsi que la symptomatologie dépressive, ce qui nous surprend peu dans la mesure où estimer ne « jamais avoir eu de chance » s’apparente à la notion d’impuissance caractéristique des cognitions dépressogènes et témoigne également d’un retour négatif sur un vécu antérieur qui conditionnerait le vécu futur (projection).

CONCLUSION Il apparaît ainsi que la population des demandeurs de diagnostics génétiques concernant les cancers colorectaux héréditaires est particulièrement vulnérable aux affects anxieux et dépressifs. L’anxiété apparaît plutôt dans sa dimension transitoire, reflétant les difficultés propres à l’inscription dans un processus de dépistage des cancers colorectaux héréditaires, en ce sens où elle active (ou réactive) des inquiétudes quant à un futur potentiellement marqué par la survenue d’un cancer, inquiétude qui semble majorée par une évaluation dysfonctionnelle de son risque personnel. L’apparition d’affects anxieux et dépressifs pourrait résulter de l’activation de cognitions menaçantes ou refléter des pensées dont la thématique renverrait à la notion de perte, en particulier chez les sujets déjà exposés au cancer. Ces états émotionnels posent la question de leur devenir tout au long du processus de dépistage. Il semble légitime de considérer alors que les sujets en détresse sont susceptibles d’éprouver des difficultés à faire face à l’annonce d’un résultat défavorable, dès lors que cette annonce les place immanquablement dans la continuation de l’état de menace initial. Il serait utile d’apprécier les moyens mis en œuvre par les sujets pour maîtriser et réguler leurs émotions tout au long du 122

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processus, chacune de ces étapes aboutissant à rendre l’information de moins en moins ambiguë, concourrant à faciliter l’adaptation personnelle à moyen terme. Il nous semble également qu’il faudrait tenir compte plus finement de la période à laquelle les sujets ont été malades (maladie en cours, récente, ancienne) afin de mieux caractériser l’origine des affects dépressifs, et les représentations personnelles suscitées par la maladie ou le risque de le devenir. Les résultats de cette étude préliminaire nous amènent à considérer qu’il faut être particulièrement vigilant lors des rencontres généticiens/psychologues/patients pour proposer le meilleur accompagnement possible, qui tienne compte de l’état initial du demandeur afin de l’aider à anticiper les conséquences d’un résultat négatif ou positif.

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Étude de la vulnérabilité psychologique des sujets inscrits à un dépistage génétique des cancers

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