Évolution de l’incidence et de la mortalité du mélanome en Seine-Maritime sur une période de 20 ans

Évolution de l’incidence et de la mortalité du mélanome en Seine-Maritime sur une période de 20 ans

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2013) 140, 97—104 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com MÉMOIRE ORIGINAL Évolution de l’incide...

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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2013) 140, 97—104

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

MÉMOIRE ORIGINAL

Évolution de l’incidence et de la mortalité du mélanome en Seine-Maritime sur une période de 20 ans Changes in the incidence and mortality rates of malignant melanoma in the Seine-Maritime region over a 20-year period C. Le Blanc a,∗, C. Corven a, P. Courville b, A.-B. Duval-Modeste a, C. Boivin b, J. Ziadé c, C. De Mauroy c, A. Pellerin d, H. Bokanowski e, F. Dalibard e, J. Gremain f, M.-L. Roquet b, P. Chenal g, T. Ducastelle h, J.-M. Vaquer h, J. Benichou i, P. Joly a a

Clinique dermatologique, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France c Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, 43, rue Henri-II-de-Plantagenêt, 76100 Rouen, France d Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, 75, boulevard des Belges, 76000 Rouen, France e Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, 23, rue Séry, 76620 Le Havre, France f Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, 108, rue du général Chanzy, 76200 Dieppe, France g Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Jacques-Monod, 29, avenue Pierre-Mendès, 76290 Montivilliers, France h Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, 75, boulevard de l’Europe, 76100 Rouen, France i Service de biostatistiques, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France b

Rec ¸u le 26 mars 2012 ; accepté le 31 octobre 2012 Disponible sur Internet le 21 d´ ecembre 2012

MOTS CLÉS Mélanome ; ∗

Résumé Introduction. — Le but de cette étude était d’évaluer l’évolution de l’incidence et de la mortalité du mélanome (MM) en Seine-Maritime pendant une période de 20 ans.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Le Blanc).

0151-9638/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2012.10.595

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C. Le Blanc et al.

Incidence ; Mortalité ; Épidémiologie ; Département de Seine-Maritime

KEYWORDS Melanoma; Incidence; Mortality; Epidemiology; Seine-Maritime region

Méthodes. — Nous avons colligé rétrospectivement les comptes-rendus anatomopathologiques des cas de MM sur trois périodes espacées chacune de dix ans (1988—1989, 1998—1999, 2008—2009) auprès des laboratoires d’anatomopathologie de Seine-Maritime. Les taux d’incidence et de mortalité ont été calculés à partir des données de l’Insee et de l’Inserm. Résultats. — En 20 ans, l’incidence du MM a augmenté de 8,6 à 21,2 cas/100 000 habitants/an (+147 %, p < 0,0001) et le taux de mortalité a augmenté de 1,3 à 2,8 cas/100 000 habitants/an (+115 %, p = 0,0003). L’incidence des MM invasifs a augmenté de +110 % et celle des MM in situ de +456 %. L’incidence des MM invasifs et le taux de mortalité ont surtout augmenté pendant les dix premières années : +62 % (p < 0,0001) et +77 % (p = 0,01), beaucoup moins les dix dernières années : +30 % (p = 0,0007) et +22 % (p = 0,22). Ce ralentissement de l’augmentation d’incidence des MM invasifs et de la mortalité qui y est liée a été encore plus marqué chez les femmes pendant les dix dernières années (+17 % et +9 % respectivement), tandis que ces taux ont continué d’augmenter chez les hommes (+49 % et +35 % respectivement). À l’inverse, l’incidence des MM in situ a surtout augmenté ces dix dernières années (+257 %). Conclusion. — Le taux d’incidence des MM invasifs et le taux de mortalité des MM n’ont que peu augmenté ces dix dernières années en Seine-Maritime, tandis que l’incidence des MM in situ a continué de fortement augmenter. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Background. — The aim of this study was to assess changes in the incidence and mortality rates of malignant melanoma (MM) over a 20-year period in a region without a cancer registry. Methods. — All cases of MM studied were collected retrospectively from the databases of six private and three hospital-based histopathology laboratories in the Seine-Maritime region covering three 24-month periods each 10 years apart: 1988—1989, 1998—1999 and 2008—2009, The incidence and mortality rates were estimated based on data provided by French National Institute for Statistics and Economic Studies (Insee) and French National Institute of Health and Medical Research (Inserm). Results. — Over the 20-year period, the incidence of MM increased from 8.6 to 21.2/100,000 inhabitants per year (+147%, P < 0.0001) while the mortality rate rose from 1.3 to 2.8/100,000 inhabitants per year (+115%, P = 0.0003). The incidence of invasive MM increased by +110%, while the incidence of MM in situ increased by +456%. The incidence and overall mortality rate of invasive MM increased particularly during the first 10-year period: +62% (P < 0.0001) and +77% (P = 0.01) respectively, and to a much lesser extent during the last 10-year period: +30% (P = 0.0007) and +22% (P = 0.22) respectively. This slowdown in the incidence of invasive MM and in overall mortality rates was even more pronounced in women over the last 10 years (+17 and +9%), whereas these rates continued to increase in men (+49% and +35%, respectively). In contrast, the incidence of MM in situ increased above all during this same period (+257%). Conclusion. — This study shows that while the incidence and mortality rate of invasive MM has increased little over the last 10 years in the Seine-Maritime region, the incidence of MM in situ continues to rise sharply. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Du fait de l’absence de registre national des cancers en France, l’incidence du mélanome (MM) est habituellement évaluée à partir des registres départementaux généraux. Il a été estimé, à partir de neuf registres couvrant 13 % de la population franc ¸aise, que l’incidence du MM avait augmenté en France de 2,4 à 7,6 cas/100 000 habitants/an chez les hommes et de 3,9 à 9,5 cas/100 000 habitants/an chez les femmes entre 1980 et 2000 [1]. L’analyse de ces registres départementaux montre des taux d’incidence variant du simple au triple entre les différents départements (de 3,9 à 8,6 cas/100 000 habitants/an chez les hommes et de 3,8 à 10,6 cas/100 000 habitants/an chez les femmes pendant la période 1993—1997) [2], témoignant d’une grande hétérogénéité au sein du territoire franc ¸ais. De plus, les facteurs histopronostiques du MM tels que l’indice de Breslow et le

niveau de Clark ne sont pas enregistrés de fac ¸on systématique par les registres. Par ailleurs, la plupart des études d’incidence en France ont été réalisées sur de courtes périodes allant de quelques mois à quatre ans [3—7]. Une étude récente, réalisée par l’institut de veille sanitaire, a analysé rétrospectivement l’évolution des caractéristiques histopronostiques du MM au sein de 11 registres sur une période de sept ans (1998—2005) [8], tandis que seulement deux études ont évalué l’évolution de l’incidence sur des périodes plus prolongées, respectivement 12 ans et 21 ans, dans un seul département de l’Est de la France [9,10] ; la dernière, basée sur les données du registre des cancers du Bas-Rhin, a montré une augmentation d’incidence des MM de faible épaisseur et une stabilisation de l’incidence des MM d’épaisseur supérieure à 2 mm dans les deux sexes.

Évolution de l’incidence et de la mortalité du mélanome en Seine-Maritime L’objectif de notre étude était de décrire l’évolution sur 20 ans des taux d’incidence et de mortalité du MM, ainsi que l’évolution des caractéristiques cliniques et histopronostiques de ce cancer dans un département ne disposant pas de registre des cancers.

Méthodes Données recueillies Le département de la Seine-Maritime ne disposant pas de registre des cancers, nous avons colligé rétrospectivement les comptes-rendus anatomopathologiques des exérèses de MM sur trois fois deux années consécutives (1988—1989, 1998—1999 et 2008—2009) auprès des laboratoires d’anatomopathologie (trois hospitaliers et six libéraux) du département, en extrayant le code « mélanome ». Les laboratoires libéraux n’étant pas informatisés en 1988—1989, les données de cette période ont été extraites manuellement à partir des archives des cinq laboratoires concernés. Deux types de données ont été colligés. Premièrement, des données sociodémographiques : âge, sexe, code postal de résidence (afin de vérifier la domiciliation des patients dans le département de Seine-Maritime), deux premières lettres des nom et prénom et date de naissance (afin d’éliminer les doublons). Secondement, des données cliniques et histologiques : année d’exérèse du MM, localisation anatomique, type anatomoclinique, facteurs histopronostiques (indice de Breslow, niveau de Clark). Tous les nouveaux cas de MM, y compris les MM in situ, colligés sur les trois périodes étudiées chez les patients domiciliés dans le département de la Seine-Maritime ont été inclus. La date retenue pour l’inclusion des cas dans l’étude était la date de l’exérèse du MM primitif. Afin d’améliorer l’exhaustivité de notre recueil, les trois (6 %) dermatologues libéraux qui n’envoyaient pas leurs prélèvements aux laboratoires du département de SeineMaritime pendant la période 1988—1989 et les cinq (9 %) qui faisaient de même en 1998—1999 ont recensé individuellement le nombre de cas vus à leur cabinet pendant les périodes étudiées. De plus, afin de vérifier l’exhaustivité de notre recueil, nous avons effectué un contrôle des cas inclus à partir du fichier informatique du CHU de Rouen de la manière suivante : nous avons recherché les patients des consultations et des hospitalisations du CHU de Rouen, via le code mélanome, sur des périodes de trois ans incluant les années étudiées (1988—1990, 1998—2000 et 2008—2010). Pour chaque période, nous avons étudié un échantillon de 100 patients consécutifs. Pour les patients de chaque échantillon, nous avons vérifié la date de l’exérèse du MM ainsi que le département de domiciliation. Puis, nous avons vérifié si chaque patient éligible avait bien été inclus dans l’étude. Les comptes-rendus concernant des métastases de MM, des reprises de cicatrice d’exérèse ou des patients non domiciliés dans le département de la Seine-Maritime ont été exclus. Les lames histologiques des périodes 1988—1989 et 1998—1999 ont été centralisées et relues au CHU de Rouen par un anatomopathologiste référent en pathologie cutanée (PC). Seules 22 lames ont été reclassées lors de cette relecture. De ce fait, pour la période 2008—2009, notre recueil a

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été effectué à partir des comptes-rendus anatomopathologiques et seules certaines lames anatomopathologiques de MM de diagnostic difficile ont été relues par le même expert.

Analyse statistique Les taux d’incidence du MM ont été calculés en rapportant le nombre de nouveaux cas de MM colligés pendant chaque période de deux ans (1988—1989, 1998—1999 et 2008—2009) à la population de la Seine-Maritime pendant la période correspondante. Les chiffres de la population par tranches d’âge et par sexe ont été fournis par l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour chacune des années de l’étude [11]. Les taux de mortalité ont été calculés en rapportant le nombre de décès liés au MM, obtenu auprès de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) [12] pour chaque période, à la population de la Seine-Maritime de la période correspondante. Les comparaisons entre les taux d’incidence et entre les taux de mortalité, ainsi que le calcul des intervalles de confiance, ont été effectués en considérant une distribution de Poisson. Les analyses statistiques concernant les caractéristiques cliniques et histopronostiques du MM ont été réalisées au moyen des tests du ␹2 et Student. Les taux standardisés sur la structure d’âge de la population mondiale ont été calculés à partir de la population mondiale type de Waterhouse [13].

Résultats Incidence globale Mille cent quatre-vingt-cinq comptes-rendus ont été colligés sur les trois périodes : 25 % venaient du centre hospitalouniversitaire de Rouen, 6 % des centres hospitaliers généraux du Havre et d’Elbeuf, 69 % des laboratoires libéraux. Lors du contrôle réalisé dans le but de vérifier l’exhaustivité de notre recueil, 51 patients (17 %) étaient éligibles dans notre étude : 31 étaient issus des laboratoires libéraux et 20 des laboratoires hospitaliers. Tous ces patients (100 %) avaient bien été inclus. Cent deux cas correspondant à 17 métastases cutanées de MM, 42 reprises de cicatrices et 43 patients n’étant pas domiciliés dans le département de la Seine-Maritime ont été exclus. Au total, 1083 cas ont été inclus ; 209 pour la période 1988—1989, 345 pour la période 1998—1999 et 529 pour la période 2008—2009, correspondant à des taux d’incidence bruts de 8,6 cas/100 000 habitants/an (IC 95 % : 7,4—9,8) en 1988—1989, 13,9 cas/100 000 habitants/an (IC 95 % : 12,5—15,5) en 1998—1999 et 21,2 cas/100 000 habitants/an (IC 95 % : 19,4—23,1) en 2008—2009, soit une augmentation d’incidence de +147 % en 20 ans (p < 0,0001). Cette augmentation d’incidence a été de +62 % (p < 0,0001) pendant les dix premières années de l’étude et de +53 % (p < 0,0001) pendant les dix dernières années. L’incidence a augmenté pendant l’étude de +127 % (p < 0,0001) chez les femmes et de +187 % (p < 0,0001) chez les hommes (Tableau 1). L’âge moyen des patients lors du diagnostic n’a pas varié significativement, passant de 56,9 ± 8,6 ans au début de l’étude à 59,1 ± 17 ans à la fin de celle-ci (p = 0,12). Le sex-ratio homme/femme était de 0,56 en 1988—1989 et de

100 Tableau 1

C. Le Blanc et al. Évolution des taux d’incidence et de mortalité du mélanome en Seine-Maritime pendant 20 ans. Années de l’étude

Évolutiona (%)

p*

+4,61 +5,41 +4,19

< 0,0001 < 0,0001 < 0,0001

< 0,0001 < 0,0001 < 0,0001

1988—1989

1998—1999

2008—2009

Nombre de cas Total Hommes Femmes

209 75 134

345 129 216

529 213 316

Incidence bruteb Globale Hommes Femmes

8,6 (7,4—9,8) 6,2 (4,9—7,8) 10,7 (9—12,7)

13,9 (12,5—15,5) 10,8 (9—12,8) 16,9 (14,7—19,3)

21,2 (19,4—23,1) 17,8 (15,5—20,4) 24,3 (21,7—27,1)

Nombre de mélanomes invasifs Total Hommes Femmes

188 70 118

311 119 192

404 177 227

Incidence brute des mélanomes invasifsb Globale Hommes Femmes

7,7 (6,6—8,9) 5,8 (4,6—7,5) 9,4 (7,8—11,2)

12,5 (11,2—14) 9,9 (8,2—11,9) 15 (13—17,3)

16,2 (14,6—17,8) 14,8 (12,7—17,1) 17,5 (15,3—19,9)

+3,79 +4,71 +3,16

Incidence standardiséec des mélanomes invasifs Globale Hommes Femmes

5,8 4,8 7,1

9 7,4 10,8

10,7 10,3 11,7

+3,11 +3,89 +2,53

Nombre de mélanomes in situ Total Hommes Femmes

21 5 16

34 10 24

125 36 89

Incidence brute des mélanomes in situb Globale Hommes Femmes

0,9 (0,5—1,3) 0,4 (0,1—1) 1,3 (0,7—2,1)

1,4 (0,9—1,9) 0,9 (0,5—1,6) 1,9 (1,2—2,8)

5 (4,2—6) 3 (2,1—4,2) 6,8 (5,5—8,4)

Nombre de décès Total Hommes Femmes

32 17 15

56 27 29

70 37 33

Taux bruts de mortalitéb Global Hommes Femmes

1,3 (0,9—1,8) 1,4 (0,8—2,3) 1,2 (0,7—2)

2,3 (1,7—2,9) 2,3 (1,5—3,3) 2,3 (1,5—3,3)

Taux de mortalité standardisésc Total Hommes Femmes

1 1,2 0,8

1,3 1,4 1,2

* Comparaison a b c

+8,95 +10,6 +8,62

< 0,0001 < 0,0001 < 0,0001

2,8 (2,2—3,5) 3,1 (2,2—4,3) 2,5 (1,7—3,6)

+3,91 +4,05 +3,74

0,0003 0,007 0,01

1,6 1,7 1,4

+2,38 +1,76 +2,84

des taux d’incidence et de mortalité entre les périodes 1988—1989 et 2008—2009. Taux annuel moyen d’évolution. Taux d’incidence et de mortalité pour 100 000 habitants/an (IC 95 %). Taux standardisés à la population mondiale [13].

Évolution de l’incidence et de la mortalité du mélanome en Seine-Maritime 0,67 en 2008—2009 (p = 0,31). La localisation anatomique était connue dans 953 cas. Les localisations les plus fréquentes étaient les membres inférieurs chez les femmes (45 %) et le dos chez les hommes (27 %), sans variation significative pendant la période de l’étude (p = 0,6 et p = 0,6, respectivement).

Incidence en fonction du type anatomoclinique Le type anatomoclinique (MM superficiel extensif ou superficial spreading melanoma [SSM], MM nodulaire, MM de Dubreuilh, MM acro-lentigineux) a pu être précisé dans 1026 cas (95 %). La proportion de SSM, de MM nodulaires et de MM de Dubreuilh n’a pas varié significativement pendant l’étude (69 %, 6 %, 13 % respectivement pendant la période 1988—1989, versus 74 %, 12 %, 12 % pendant la période 2008—2009) (p = 0,1), tandis que la proportion de MM acro-lentigineux a diminué significativement (12 % pendant la période 1988—1989 versus 2 % pendant la période 2008—2009) (p < 0,0001) (Tableau 2).

Incidence en fonction des caractéristiques histopronostiques Le niveau de Clark était connu dans 1018 cas et l’indice de Breslow dans 879 des 903 cas de MM invasif. L’indice de Breslow n’a pas pu être déterminé dans 24 cas en raison d’une coupe tangentielle des prélèvements. Le taux d’incidence des MM invasifs (niveaux de Clark II à V) a augmenté de +110 % (p < 0,0001) passant de 7,7 cas/100 000 habitants/an (IC 95 % : 6,8—8,9) pendant la période 1988—1989 à 16,2 cas/100 000 habitants/an (IC 95 % : 14,6—17,8) pendant la période 2008—2009, alors que l’incidence des MM in situ (niveau I de Clark) a augmenté de +456 % (p < 0,0001), passant de 0,9 cas/100 000 habitants/an

Tableau 2

101

(IC 95 % : 0,5—1,3) à 5 cas/100 000 habitants/an (IC 95 % : 4,2—6) (Tableau 1). L’incidence des MM invasifs a surtout augmenté pendant les dix premières années : +62 % entre 1988 et 1998 (p < 0,0001) versus +30 % entre 1999 et 2009 (p = 0,0007), tandis que l’incidence des MM in situ a surtout augmenté pendant les dix dernières années : +56 % entre 1988 et 1998 (p = 0,09) versus +257 % entre 1999 et 2009 (p < 0,0001). Chez les femmes, l’incidence des MM invasifs a augmenté de +60 % pendant les dix premières années (p < 0,0001) puis s’est quasiment stabilisée pendant les dix années suivantes (+17 %, p = 0,11). Chez les hommes, l’incidence des MM invasifs a augmenté de +71 % pendant les dix premières années (p = 0,0005), puis de +49 % (p = 0,0007) pendant les dix années suivantes (Tableaux 1 et 3). L’indice de Breslow moyen a diminué de 1,86 mm à 1,44 mm en 20 ans (p = 0,02) et l’indice de Breslow médian a diminué de 1 mm à 0,76 mm (p = 0,02). L’incidence des MM d’indice de Breslow inférieur à 1 mm, de 1 à 2 mm et supérieur ou égal à 2 mm a augmenté respectivement de +228 % (p < 0,0001), +24 % (p = 0,28) et +43 % (p = 0,02) pendant l’étude (Tableaux 4 et 5). Le taux d’incidence des MM d’indice de Breslow inférieur à 1 mm a augmenté de +172 % (p < 0,0001) chez les femmes et de +344 % (p < 0,0001) chez les hommes pendant l’étude. L’incidence des MM d’indice de Breslow supérieur ou égal à 1 mm n’a pas augmenté de manière significative chez les femmes pendant l’étude (p = 0,8), tandis qu’elle a augmenté de +94 % (p = 0,0008) chez les hommes (Tableaux 4 et 5).

Mortalité Cent cinquante-huit décès attribués au MM ont été recensés dans le département de Seine-Maritime pendant l’étude, correspondant à une augmentation des taux bruts de mortalité de +115 % en 20 ans (p = 0,0003) passant de 1,3 cas/100 000 habitants/an (IC 95 % : 0,9—1,8) au début de

Évolution des quatre types anatomocliniques de mélanome pendant 20 ans. 1988—1989 n (%)

1998—1999 n (%)

2008—2009 n (%)

Population totale Dubreuilh SSM Nodulaire Acro-lentigineux Inclassables

24 (13) 127 (69) 10 (6) 22 (12) 25

28 (10) 227 (78) 15 (5) 19 (7) 55

52 (12) 314 (74) 50 (12) 7 (2) 53

Femmes Dubreuilh SSM Nodulaire Acro-lentigineux Inclassables

21 (18) 79 (66) 5 (4) 14 (12) 15

20 (10) 146 (77) 10 (5) 15 (8) 24

30 (12) 196 (78) 22 (9) 4 (1) 31

Hommes Dubreuilh SSM Nodulaire Acro-lentigineux Inclassables

3 (5) 48 (75) 5 (8) 8 (12) 10

8 (8) 81 (83) 5 (5) 4 (4) 31

22 (13) 118 (69) 28 (16) 3 (2) 22

102 Tableau 3

C. Le Blanc et al. Évolution du nombre de mélanomes en fonction du niveau de Clark pendant 20 ans. 1988—1989 n (%)

1998—1999 n (%)

2008—2009 n (%)

Population totale I II III IV V

21 59 32 60 19

(11) (31) (17) (31) (10)

34 100 65 103 21

(11) (31) (20) (32) (6)

125 133 120 101 25

(25) (26) (24) (20) (5)

Femmes I II III IV V

16 46 18 34 11

(13) (37) (14) (27) (9)

24 64 46 55 13

(12) (32) (23) (27) (6)

89 77 67 53 14

(30) (26) (22) (17) (5)

Hommes I II III IV V

5 13 14 26 8

(8) (20) (21) (39) (12)

10 (8) 36 (30) 19 (16) 48 (39) 8 (7)

36 56 53 48 11

(18) (27) (26) (24) (5)

Tableau 4

Évolution du nombre de mélanomes en fonction de l’indice de Breslow pendant 20 ans. 1988—1989 n (%)

1998—1999 n (%)

2008—2009 n (%)

Population totale < 1 mm ≥1 mm < 2 mm ≥ 2 mm

71 (39) 41 (23) 68 (38)

151 (49) 88 (28) 72 (23)

237 (61) 52 (13) 99 (26)

Femmes < 1 mm ≥ 1 mm < 2 mm ≥2 mm

50 (42) 29 (25) 39 (33)

97 (51) 54 (28) 41 (21)

141 (67) 25 (11) 48 (22)

Hommes < 1 mm ≥ 1 mm < 2 mm ≥ 2 mm

21 (34) 12 (19) 29 (47)

54 (45) 34 (29) 31 (26)

96 (55) 27 (16) 51 (29)

l’étude, à 2,8 cas/100 000 habitants/an (IC 95 % : 2,2—3,5) à la fin de l’étude (Tableau 1). Le taux de mortalité a surtout augmenté pendant la première partie de l’étude : +77 % entre 1988 et 1998 (p = 0,01) versus +22 % entre 1999 et 2009 (p = 0,22). Le taux de mortalité a augmenté de +108 % (p = 0,01) chez les femmes, presque exclusivement pendant la première partie de l’étude : +92 % entre 1988 et 1998 (p = 0,04) versus seulement +9 % entre 1999 et 2009 (p = 0,6). Le taux de mortalité a augmenté de 121 % (p = 0,007) chez les hommes : +64 % entre 1988 et 1998 (p = 0,1) versus +35 % entre 1999 et 2009 (p = 0,2). Le taux de mortalité a donc nettement moins augmenté pendant les dix dernières années de l’étude (+22 %) que pendant les dix premières (+77 %). En particulier, le taux de mortalité des femmes n’a que très peu augmenté pendant les dix dernières années (+9 %) par rapport aux dix premières années (+92 %). Le taux de mortalité des hommes

a également deux fois moins augmenté pendant les dix dernières années (+35 %) que pendant les dix premières (+64 %).

Discussion Notre étude montre une augmentation de +147 % en 20 ans du taux d’incidence brut du MM, qui est passé de 8,6 à 21,2 cas/100 000 habitants/an entre 1988 et 2009. Plusieurs études ont estimé l’incidence du MM sur de courtes périodes dans différentes régions franc ¸aises [3—7]. Deux d’entre elles, l’une réalisée en Auvergne sur une période de 18 mois entre 1998 et 2000 [5] et l’autre en Champagne-Ardenne sur quatre mois en 1998 [4] ont rapporté des taux d’incidence légèrement supérieurs à ceux trouvés dans notre département : 14,6 cas/100 000 habitants/an en Auvergne et 13 cas/100 000 habitant/an en Champagne-Ardenne versus

Évolution de l’incidence et de la mortalité du mélanome en Seine-Maritime Tableau 5

103

Évolution des taux d’incidencea du mélanome en fonction de l’indice de Breslow pendant 20 ans. <1 mm

1—2 mm

≥ 2 mm

Population totale 1988—1989 1998—1999 2008—2009 p*

2,9 (2,3—3,7) 6,1 (5,2—7,1) 9,5 (8,3—10,7) < 0,0001

1,7 (1,2—2,3) 3,5 (2,8—4,4) 2,1 (1,6—2,7) 0,28

2,8 (2,2—3,5) 2,9 (2,3—3,7) 4 (3,2—4,8) 0,023

Femmes 1988—1989 1998—1999 2008—2009 p*

4 (2,9—5,2) 7,6 (6,1—9,2) 10,9 (9,2—12,9) < 0,0001

2,3 (1,5—3,3) 4,2 (3,2—5,5) 1,9 (1,2—2,8) 0,5

3,1 (2,2—4,2) 3,2 (2,3—4,3) 3,6 (2,7—4,8) 0,47

Hommes 1988—1989 1998—1999 2008—2009 p*

1,8 (1,1—2,7) 4,5 (3,4—5,9) 8 (6,5—9,8) < 0,0001

1 (0,5—1,8) 2,8 (2—4) 2,3 (1,5—3,3) 0,018

2,4 (1,6—3,5) 2,6 (1,8—3,7) 4,3 (3,2—5,6) 0,016

* Comparaison a

des taux d’incidence entre les périodes 1988—1989 et 2008—2009. Incidence pour100 000 habitants/an (IC 95 %).

12,5 cas/100 000 habitants/an dans notre étude sur la période correspondante 1998—1999. Deux autres études ont analysé l’évolution de l’incidence du MM sur une période de 12 ans (1980—1992) et de 21 ans (1980—2001) dans le département du Bas-Rhin à partir des données du registre des cancers de ce département [9,10]. Dans ces études, Lipsker et al. ont rapporté une augmentation d’incidence du MM (standardisée sur la population mondiale) de 4,2 à 13 cas/100 000 habitants/an chez les femmes et de 2,3 à 10,2 cas/100 000 habitants/an chez les hommes entre 1980 et 2001 [9], soit une augmentation des taux d’incidence de +210 % et +343 % respectivement, ce qui semble plus important que l’augmentation d’incidence trouvée dans notre étude (+127 % chez les femmes et +187 % chez les hommes). Dans notre étude, l’augmentation d’incidence du MM était principalement liée à une augmentation des MM de faible épaisseur (MM in situ +456 % et MM < 1 mm +228 %), comme cela a déjà été rapporté par plusieurs autres travaux [9,10,14—17]. La relecture systématique de toutes les lames anatomopathologiques des deux premières périodes par le même anatomopathologiste a permis de limiter un possible biais lié aux modifications des critères diagnostiques de MM. De plus, c’est également le même anatomopathologiste qui a été consulté pour la relecture des lames de diagnostic difficile pendant la troisième période de l’étude. Fait particulier, l’incidence des MM invasifs a surtout augmenté pendant les dix premières années de notre étude (+62 %), et beaucoup moins les dix dernières années (+30 %), alors qu’à l’inverse, les MM in situ ont plus augmenté les dix dernières années (+257 %) que les dix premières années (+56 %). Chez les femmes, le taux d’incidence des MM invasifs n’a que très peu augmenté pendant les dix dernières années (+17 % versus +60 % les dix premières années). Chez les hommes également, l’augmentation d’incidence des MM invasifs a été deux fois moindre pendant les dix dernières années de l’étude par rapport aux dix premières

(+49 % versus +71 %). Ces données d’incidence expliquent vraisemblablement l’évolution des taux de mortalité. En effet, le taux de mortalité a suivi quasi parallèlement le taux d’incidence des MM invasifs : +77 % et +62 % respectivement pendant les dix premières années de l’étude, versus +22 % et +30 % pendant les dix dernières années. Chez les femmes, le taux de mortalité s’est même quasiment stabilisé les dix dernières années (+9 % versus +92 % pendant les dix premières années). Chez les hommes, le taux de mortalité a continué à augmenter, mais de fac ¸on deux fois moindre (+35 %) par rapport à la première partie de l’étude (+64 %). Cet infléchissement de l’augmentation du taux d’incidence des MM invasifs pendant les dix dernières années, tandis que l’incidence des MM superficiels continue d’augmenter, pourrait correspondre à la généralisation de la pratique de la dermatoscopie par les dermatologues de Seine-Maritime ces dix dernières années. Ce facteur a probablement contribué à la détection des MM à un stade plus précoce. Cependant, il persiste un contingent de MM agressifs dans la population masculine puisque, d’une part, le taux d’incidence des MM épais (+65 %) et le taux de mortalité (+35 %) continuent d’augmenter dans cette population ; d’autre part, bien que les taux d’incidence des MM invasifs aient été plus élevés chez les femmes que chez les hommes pendant les trois périodes de l’étude, les taux de mortalité étaient plus élevés chez les hommes. Ces résultats peuvent en partie être expliqués par le fait que les MM invasifs chez les femmes étaient majoritairement représentés par les MM d’épaisseur inférieure à 1 mm, surtout pendant la période 2008—2009 au cours de laquelle le taux d’incidence des MM supérieur ou égal à 1 mm était plus important dans la population masculine. Notre étude comporte certaines limites. Tout d’abord, nous n’avons pas procédé à une analyse de chaque année pendant 20 ans ; néanmoins, l’analyse de trois périodes de chacune deux années a permis d’évaluer les tendances évolutives de l’incidence du MM dans notre département.

104 De plus, notre mode de recrutement à partir des registres des laboratoires d’anatomie pathologique du département de Seine-Maritime ne nous a pas permis d’inclure les cas de MM qui seraient survenus chez des patients habitant le département mais qui auraient été diagnostiqués en dehors de la Seine-Maritime, dans des départements limitrophes. Cependant, la densité de dermatologues libéraux et de laboratoires d’anatomopathologie est moins importante dans les départements de l’Eure et de la Picardie qu’en SeineMaritime (respectivement 2,6, 2,8 et 2,5 dermatologues pour 100 000 habitants dans les départements de l’Eure, la Somme et l’Oise versus 3,7 dermatologues pour 100 000 habitants en Seine-Maritime). Nous pensons donc que ces cas sont probablement peu nombreux et ne sousestiment que très faiblement nos taux d’incidence. Le même biais s’applique d’ailleurs à toutes les études d’incidence réalisées à partir de registres des cancers. Enfin, un possible manque d’exhaustivité lié à l’absence d’informatisation des laboratoires libéraux en 1988 a été limité par la recherche systématique des cas, par un médecin du service, dans les archives des laboratoires concernés. Nous avons en outre montré que notre recrutement était proche de l’exhaustivité en réalisant un contrôle. Enfin, ce même biais d’exhaustivité s’applique à toutes les études réalisées à partir des registres des cancers qui sont déclaratifs. En conclusion, notre étude montre une inflexion de la croissance des taux de mortalité et d’incidence des MM invasifs pendant ces dix dernières années en Seine-Maritime, tandis que l’incidence des MM in situ a continué de fortement augmenter.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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