Faut-il traiter les embolies pulmonaires par les thrombolytiques ? J.-P. LAABAN*, M.-H. HORELLOU**, J. CONARD**, M. SAMAMA**, J. ROCHEMAURE*
Should pulmonary embolism be treated with thrombolytic drugs ? Mots ci@s : embolie pulmonaire, fibrinolytiques, urokinase, streptokinase, 6tat de choc. Rev M d d interne 1987 ; 8 i 195-201.
L'embolie pulmonaire reste actuellement une affection ffequente qui serait responsable de 200000 decks par an aux Etats-Unis (3) et de 25 000 deces par an en France (9). Les embolies pulmonaires mortelles sont generalement des embolies massives obstruant plus de 60 h 70 p. 100 du lit vasculaire pulmonaire. Parfois, il s'agit d'embolies moins importantes mais compliquant une pathologie cardiaque ou pulmonaire pre-existante. Les thrombi pulmonaires sont detruits par la fibrinolyse spontanee, mais cette repermeabilisation est minime pendant les 24 premieres heures et ne devient significative qu'apres deux ou trois jours. Or, c'est justement dans les premieres heures que survient la mort dans les embolies massives : le but essentiel du traitement est alors de diminuer rapidement l'obstruction vasculaire pulmonaire. L'heparine empeche la formation de nouveaux thrombi et diminue le risque de recidive mais l'heparine n'accelere pas la dissolution de l'embol. Dans le traitement de ces embolies pulmonaires massives, on dispose de deux moyens therapeutiques: d'une part, l'embolectomie chirurgicale, de moins en moins pratiquee en raison de la mortalite tres elevee de cette intervention et, d'autre part, les fibrinolytiques, urokinase (UK) et streptokinase (SK), qui sont utilises en clinique depuis 1964. Les indications des thrombolytiques dans le traitement de l'embolie pul/nonaire restent tr~s discutees : pour certains (19), les indications doivent 6tre tres larges puisque les fibrinolytiques entrainent une dissolution plus rapide des caillots pulmonaires et qu'ils ont une action favorable /l long terme sur la
* Service de pneumologie et rdanimation. ** Laboratoire central d'hdmatologie: HOtel-Dieu de Paris 1, place du Parvis Notre-Dame 75181 Paris Cedex 04. Tirds d part : J.-P. Laaban, adresse ci-dessus.
microcirculation pulmonaire. Pour d'autres auteurs (6), l'indication des thrombolytiques doit &re beaucoup plus nuancee car il n'est pas forme!lement demontr6 qu'ils diminuent la mortalite de l'embolie pulmonaire alors que leur utilisation entraine un risque non negligeable de complications hemorragiques et que leur coot est eleve. Dans cet article, nous envisagerons successivement l'action des thrombolytiques sur la lyse des caillots pulmonaires et les facteurs influenqant cette action, l'effet des thrombolytiques sur la mortalit6 de l'embolie pulmonaire puis leur action /t long terme sur la circulation pulmonaire. Nous envisagerons ensuite les complications et les contre-indications des thrombolytiques. Enfin, nous tenterons de degager les indications actuelles du traitement fibrinolytique dans l'embolie pulmonaire.
LES THROMBOLYTIQUES ACCI~LSRENT LA LYSE DES THROMBI PULMONAIRES Dans les annees 60, un grand nombre d'etudes non randomisees ont sugger6 que les thrombolytiques avaient une action favorable dans l'embolie pulmonaire (11, 24). Des etudes randomisees, multicentriques, ont ensuite 6te entreprise~ aux l~tatsUnis. La premiere est I'UPET (<) (26). Le but de cette etude etait de comparer l'action de l'heparine et de l'urokinase (4400 U I / k g / h pendant 12 heures) dans le traitement des embolies pulmonaires datant de moins de 5 jours. Cent soixante patients ont et6 etudies de fa~on randomisee. L'angiographie pulmonaire, pratiquee 24 heures apr~s le debut du traitement montre une amelioration de la perfusion de 44 p. 100 dans le groupe trait6 par l'urokinase et seulement de 6 p. 100 dans le groupe trait6 par l'heparine (tableau I). La scintigraphie pulmonaire montre, apr~s 24 heures, une amelioration de la perfusion de 24 p. 100 dans le groupe trait6 par l'urokinase et de 7 p. 100 dans le groupe traite par l'heparine (p < 0,05). Enfin, l'amelioration hemodynamique/t la 24 e heure est plus importante chez les patients traites par l'urokinase. Dans l'etude UPET, les scintigraphies pulmonaires iteratives ont montr6 qu'apr~s l a Requ le 17-9-1985. Renvoi pour correction le 21-2-1986. Acceptation definitive le 26-3-1986.
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La Revue de Mddecine interne Mars-Avril 1987
Tableau I REVASCULARISATIONPULMONAIREPRI~COCEAPRILSTRAITEMENTTHROMBOLYTIQUE (angiographie et scintigraphie) p. 100 d'am61ioration Traitement
Nombre de malades
angiographie
scintigraphie
UPET (1973)
H6parine Urokinase (12 h)
78 82
6 44
7 24
USPET (1974)
Urokinase (12 h) Urokinase (24 h) Streptokinase (24 h)
59 54 54
42 44 43
20 29 19
TIBBUTT (1974)
H6parine Streptokinase (72 h)
12 11
15 61
24e heure, le pourcentage d'am61ioration de la perfusion est plus important dans le groupe trait8 par l'urokinase que dans le groupe trait6 par l'hSparine, mais la diff6rence n'est pas statistiquement significative. AprSs une semaine, il n'existe aucune diff6rence entre les 2 groupes (42 p. 100 versus 45 p. 100). Les scintigraphies r6alis6es 3, 6 et 12 mois aprSs l'6pisode initial n'ont pas retrouv6 de diff6rences entre les patients trait6s par l'urokinase et ceux trait6s par l'h6parine (tableau II). Une deuxiSme 6tude randomis6e, I'USPET ((~Urokinase Streptokinase Pulmonary Embolism Trial >>) (27) a compar6 trois protocoles de fibrinolytiques : l'urokinase h la dose de 4400 U I / k g / h pendant 12 heures, l'urokinase ~t la dose de 4400 U I / kg/h pendant 24 heures et la streptokinase ~ la dose
de 100000 U I / h pendant 24 heures. Cent soixantesept patients pr6sentant des embolies pulmonaires de moins de 5 jours ont 6t6 6tudi6s. A 24 heures, l'am61ioration angiographique, scintigraphique et h6modynamique est identique avec les trois traitements (tableau I). La frSquence des complications h6morragiques n'est pas significativement diff6rente entre les trois groupes. Parall~lement, le traitement fibrinolytique de l'embolie pulmonaire faisait l'objet de nombreuses ~tudes en Europe mais l'urokinase 6tait utilis~e ~fi des doses plus faibles (2 000 UI/kg/h) que celles utilis6es aux l~tats-Unis (4400 UI/kg/h), les rSsultats semblant tout aussi satisfaisants. Aussi "une 6tude multicentrique, I'UKEP ((( Urokinase dans l'embolie pulmonaire>>) (4) a 6t6 entreprise pour comparer
Tableau II COMPARAISON DE L'I~VOLUTION DE LA PERFUSION PULMONAIRE (SCINTIGRAPHIE) APRILS HI3PARINE ET THROMBOLYTIQUES (UPET)
p. 100 d'am61ioration de perfusion Temps apr6s traitement 24 h J2 J3
J5 J7 J14
3 mois 6 mois 12 mois
H6parine
Urokinase
Degr6 de signification
7,4 16,2 20,8 32,4 41,9 55 74,5 77,2 77,2
23,7 27,4 31,9 40,2 44,9 53,8 78,1 79,8 78,8
p < 0,05 NS NS NS NS NS NS NS NS
Faut-il traiter les embolies pulmonaires par les thrombolytiques ?
Tome VIII Numdro 2
l'urokinase aux fortes doses de 4400 U I / k g / h (pendant 12 heures) et l'urokinase aux doses mod6r6es de 2000 U I / k g / h (pendant 24 heures et associ6 l'h6parine) administr6e in situ par la sonde d'angiographie laiss6e en place. Cent vingt-neuf patients pr6sentant une embolie pulmonaire datant de moins de 5 jours ont 6t6 6tudi6s. L'angiographie pulmonaire, faite 30 ~ 48 heures apr~s le d6but du traitement, a montr6 une am61ioration notable du pourcentage d'obstruction vasculaire qui passe de 66 p. 100 ~ 50 p. 100 en moyenne et cette am61ioration est identique dans le groupe trait6 par l'urokinase fi faibles doses et dans le groupe trait6 par l'urokinase h fortes doses. L'incidence des complications h6morragiques graves est la m~me dans les deux groupes. Ainsi l'association d'une h6parinoth6rapie ~ l'urokinase ~t doses mod6r6es ne semble pas accroStre le risque h6morragique. En 1974, Dickie (7) a propos6 l'injection d'un bolus d'urokinase de 15000UI/kg en 10 minutes dans le tronc de l'art6re pulmonaire. Cette m6thode a 6t6 reprise en 1984 par Petitprez et coll. (18), le bolus d'urokinase 6tant inject6 dans l'oreillette droite. Quatorze patients ont 6t6 ainsi trait6s. Ils pr6sentaient une embolie pulmonaire massive (80 p. 100 d'obstruction en moyenne), mal tol6r6e au plan clinique et h6modynamique. Sur les 14 patients, 2 n'ont pr6sent6 aucune am61ioration h6modynamique ou angiographique et le taux plasmatique de fibrinog6ne ne s'est pas abaiss6. L'un de ces deux patients est d6c6d6. Douze patients ont pr6sent6 ~ la 12e heure une am61ioration tr6s significative avec une baisse de la pression art6rielle pulmonaire moyenne de 29 p. 100, une diminution des r6sistances vasculaires pulmonaires totales de 37 p. 100 et une diminution de l'obstruction vasculaire pulmonaire de 34 p. 100 en m6me temps que le taux de fibrinog~ne diminuait de 41 p. 100. Aucun d6c~s n'a 6t6 not6 dans ce groupe. Ainsi dans cette s6rie, la mortalit6 globale n'est que de 7 p. 100, doric nettement inf6rieure h la mortalit6 des embolies massives mal tol6r6es h6modynamiquement. L'am61ioration h6modynamique est tr~s pr6coce : les r6sistances vasculaires pulmonaires diminuent de 22 p. 100 une heure apr~s le bolus et de 30 p. 100 trois henres apr~s. Enfin, il n'a pas 6t6 rapport6 de complications h6morragiques s6v~res. La m6thode de Dickie appara~t tr6s int6ressante dans le traitement de l'embolie massive mal tol6r6e : en effet, avec cette technique, on peut appr6cier rapidement l'efficacit6 des thrombolytiques et ainsi l'heure de l'embolectomie chirurgicale n'est pas retard6e en cas d'6chec.
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une semaine, les thrombolytiques ont tr6s peu ou pas d'action. Dans l?6tude UPET (26), le pourcentage d'am61ioration de perfusion ~ la scintigraphie faite apr~s 24 heures est de 31 p. 100 si l'embolie date de moins de 48 heures et de 17 p. 100 si l'embolie date de plus de 48 heures. En fait, m~me si le d6but apparent des sympt6mes remonte ~ plus d'une semaine, les thrombolytiques peuvent avoir une certaine efficacit6 si des r6cidives emboliques sont survenues et si la derni&e est r6cente. L'action des thrombolytiques est plus marqu6e en cas d'embolie pulmonaire massive, surtout s'il existe un 6tat de choc (26) mais cette diff6rence n'a pas 6t6 retrouv6e dans l'6tude UKEP (4). La dur6e du traitement a-t-elle une influence ? Dans l'6tude USPET (27), il n'a pas 6t6 d6montr6 de diff6rence significative entre 12 heures et 24 heures d'urokinase. Cependant, Tibbutt et Coll. (23), sur une petite s6rie, rapportent une am61ioration de 60 p. 100 de la perfusion pulmonaire apr~s 3 jours de streptokinase (tableau I). S'il existe une pathologie cardiaque ou pulmonaire pr6-existante, la reperm6abilisation est plus lente mais l'efficacit6 des thrombolytiques n'est pas modifi6e par l'existence d'ant6c6dents cardio-pulmonaires (10). I1 n'existe pas de relation nette entre la thrombolyse pulmonaire et la fibrinolyse syst6mique ; en particulier, l'existence d'une fibrinolyse syst6mique n'implique pas n6cessairement la lyse des caillots pulmonaires (28). Cependant, dans I'UKEP (4), une d6fibrination plus importante est observ6e chez les patients ayant une meilleure dissolution du caillot pulmonaire. Une caillot obstruant compl~tement une branche art6rielle pulmonaire devrait th6oriquement ~tre moins sensible h l'action des thrombolytiques qu'un caillot non obstructif. En fait, dans l'6tude UPET (26), l'action des fibrinolytiques est identique en cas d'occlusion totale et subtotale. Certains auteurs pr6f6rent utiliser la perfusion continue d'urokinase dans le tronc de l'art~re pulmonaire (12) plut6t que la perfusion par une veine p6riph6rique. Mais l'avantage de l'administration ~ in situ ~ n'a pas 6t6 formellement d6montr6.
CHOIX DU THROMBOLYTIQUE : STREPTOKINASE OU UROKINASE ?
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FACTEURS INFLUEN(~ANT L'ACTION DES THROMBOLYTIQUES Le facteur essentiel est l'anciennet6 de l'embolie pulmonaire. L'action des thrombolytiques est d'autant plus importante que le thrombus est r6cent. Les r6sultats les meilleurs sont obtenus lorsque le d61ai entre le traitement fibrinolytique et le d6but des sympt6mes est inf6rieur ~t 72 heures (10). Apr6s
Les &udes comparatives UK -- SK concernant l'activit6 fibrinolytique dans l'embolie pulmonaire n'ont pas mis en 6vidence de diff6rence significative entre ces deux agents. L'USPET (27) retrouve une m6me efficacit6 sur le caillot pulmonaire de I'UK (4400 U / k g / h pendant 12 ou 24 heures) et de la SK (250000 UI en dose de charge, puis 100000 U/heure pendant 24 heures), les deux m6dicaments 6tant administr6s par voie intra-veineuse p6riph&ique.
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La Revue de Mddecine interne Mars-.4vri11987
Serradimigni (20) dans une 6tude non randomis6e ne trouve pas de diff6rence significative entre la SK (m6me sch6ma d'administration que pr6c6demment) et I'UK (4500 U / k g / b pendant 12 h ou 125000 U C T A / h pendant 24 heures) : l'am61ioration jug6e sur l'index de Miller est de 65 p. 100 sous SK, 41 p. 100 sous UK/l doses fortes et 55 p. 100 sous UK/l doses mod6r6es.
I ' U K / t la SK lorsqu'il existe une contre-indication relative au traitement thrombolytique (sujet fig6, intervention chirurgicale relativement r6cente, h6mostase avant traitement imparfaite, hypertension art6rielle mod6r6e...).
Cependant, l'efficacit6 du thrombolytique dans l'embolie pulmonaire doit s'appr6cier non seulement sur l'6volution des caillots pulmonaires mais aussi sur celle de la thrombose veineuse des membres inf6rieurs qui leur est fr6quemment associ6e. Pour certains auteurs (14), l'efficacit6 de I'UK sur la thrombose veineuse semble comparable/l celle de la SK, comme en t6moigne l'ensemble des r6sultats de la litt6rature r6cemment analys6 par Mannucci (15) : 62 p. 100 de lyse observ6e sous SK chez 236 patients (6 6tudes)... Pour Serradimigni (20) en revanche, la su.p6riorit6 de la SK est plus nette sur la thrombose vemeuse, gain moyen de l'indice de Marder de 16 sous SK, de 4,5 sous U K (112500 U.CTA pendant 24 heures), de 0 sous U K (4400 U.CTA/kg/h pendant 12 heures). L'efficacit6 de I'UK sur la thrombose veineuse requiert un traitement plus long que le traitement par la SK; en effet, Trubestein (25) observe 69 p. 100 de lyse totale apr~s 3 ~t 6 jours de traitement par la SK chez 126 patients, et 42 p. 100 apr~s 6 /~ 12 jours de traitement par I'UK (2 000 000 U I / 2 4 h) chez 99 patients. L'auteur montre ainsi la n6cessit6 d'une dur6e de traitement plus longue avec I'UK qu'avec la SK pour obtenir un r6sultat analogue.
LES THROMBOLYTIQUES DIMINUENT-ILS LA MORTALITI~ DE L'EMBOLIE PULMONAIRE ? I1 est bien d6montr6 que les thrombolytiques acc616rent la lyse des caillots pulmonaires mais tout le probl6me est de savoir si les thrombolytiques diminuent la mortalit6 de l'embolie pulmonaire. Les 6tudes nord-am6ricaines UPET et USPET ont montr6 que les fibrinolytiques ne diminuent pas la mortalit6 globale de l'embolie pulmonaire. Cette mortalit6 est comprise entre 7 et 9 p. 100 h 14 jours, et entre 10 ~t 15 p. 100 ~t 6 mois. Ce taux de mortalit6 n'est pas statistiquement diff6rent entre le groupe trait6 par l'h6parine et les groupes trait6s par les fibrinolytiques (tableau III). Ce r6sultat n'est pas si surprenant. En effet, chez la plupart des patients qui meurent d'embolie pulmonaire, le d6c6s survient moins d'une heure aprbs le d6but des sympt6mes, donc avant que le diagnostic puisse &re confirm6 et qu'un traitement fibrinolytique puisse &re appliqu6. La mortalit6 des patients qui survivent assez long, temps pour que le diagnostic soit confirm6 est relafivement faible : environ l0 p. 100 des embolies pulmonaires trait6es par l'h6parine sont mortelles. I1 faudrait donc une 6tude portant sur des ~milliers de patients pour d6montrer que les thrombolytiques diminuent de faqon statistiquement significative la mortalit6 de l'embolie pulmonaire.
Compte-tenu de l'efficacit6 apparemment voisine de ces deux agents thrombolytiques (bien que jug6e sur des &udes non randomis6es), le choix de l'un ou de l'autre est 6galement influenc6 par d'autres facteurs tels que le risque h6morragique (en faveur de I'UK) et le cofit (en faveur de la SK).
Les thrombolytiques diminuent-ils la mortalit6 de l'embolie pulmonaire massive ? Dans l'6tude UPET (26), la mortalit6 de l'embolie massive ( > 40 pill00) est de 8 p. 100 et n'est pas diff6rente de la mortalit6 de l'embolie non massive (9p. 100). Dans cette 6tude, la mortalit6 des embolies pulmonaires massives ne diff6re pas significativement entre le groupe
Dans l'attente de r6sultats plus discriminatifs entre I'UK et la SK, il est 16gitime d'affirmer que le choix de l'agent thrombolytique et la dur6e du traitement doivent tenir compte de l'existence ou non d'une thrombose veineuse associ6e /t l'embolie pulmonaire. I1 parait 6galement prudent de pr6f6rer
Tableau III COMPARAISON DE LA MORTALITI~DE L'EMBOLIEPULMONAIREDANS DES SI~RIES TRAITI~ESPAR THROMBOLYTIQUESOU HI~PARINE Traitement H6parine Urokinase Urokinase Urokinase Streptokinase
(UPET) 12 h (UPET) 12 h (USPET) 24 h (USPET) 24 h (USPET)
N 78 82 59 54 54
Mortalit6 14J 9p. 7p. 7p. 9p. 9p.
100 100 100 100 100
Mortalit6 6 mois 10 p. 12 p. 10 p. 15 p. 15 p.
100 100 100 100 100
Tome VIII Numdro 2
Faut-il traiter les embolies pulmonaires par les thrombolytiques ?
trait6 par l'h6parine (7 p. 100) et le groupe trait6 par rurokinase (9 p. 100). En fait, il faut distinguer l'embolie pulmonaire massive sans 6tat de choc et l'embolie massive avec choc. En effet, la mortalit6 de l'embolie pulmonaire massive sans choc n'est pas tr~s 61ev6e : 6/l 8 p. 100 et la mort n'est le plus souvent pas secondaire aux cons6quences imm6diates de l'embolie mais h la pathologie sous-jacente ou ~ une r6cidive. A l'oppos6, la mortalit6 des embolies massives avec choc est beaucoup plus 61ev6e : 22 ~ 46 p. 100 suivant les s6ries (1) (9) (16) (26); et c'est dans les formes s6v~res d'embolie que les thrombolytiques pourraient trouver leur meilleure indication. Cependant, ~ cause du faible nombre de patient ayant une embolie massive avec choc (moins de 10 p. 100 des patients inclus dans les essais am6ricains et europ6ens), il n'est pas formellement d6montr6 que les thrombolytiques am61iorent le pronostic des embolies massives avec choc. D'autre part, une meilleure approche du traitement symptomatique du choc de l'embolie pulmonaire, avec en particulier l'expansion vol6mique et surtout l'utilisation de la dobutamine, a permis ces derni~res ann6es d'am61iorer le pronostic de ces formes (13).
LES THROMBOLYTIQUES ONT-ILS UNE ACTION FAVORABLE ,/k LONG TERME SUR LA CIRCULATION PULMONAIRE ? Sharma et Coll. (21) ont mesur6, chez 40 patients sans ant6c6dents cardio-pulmonaires, la capacit6 de diffusion de l'oxyde de carbone (DLCO) et le volume sanguin capillaire pulmonaire, 15 jours et 1 an apr6s une embolie pulmonaire. La moiti6 des patients avait 6t6 trait6e par l'h6parine et l'autre par l'urokinase ou la streptokinase. L'importance de l'obstruction vasculaire 6tait identique dans les deux groupes. Dans le groupe trait6 par l'h6parine, le volume sanguin capillaire pulmonaire et la DLCO sont anormalement basses ~t 2 semaines (64 p. 100 et 69 p. 100 des valeurs th6oriques) et ces valeurs restent toujours aussi basses apr~s un an. Par contre, dans le groupe trait6 par thrombolytiques, le volume sanguin capillaire pulmonaire et la DLCO sont pratiquement normaux /l 15 jours et / t u r i an. Les auteurs en concluaient que les thrombolytiques permettent une r6solutiorl plus compl6te des thrombi de la microcirculation. En fait, la m6thodologie utilis6e est discutable et ces r6sultats devraient 6tre confirm6s par des mesures h6modynamiques au repos et l'effort. Cette 6tude ne d6montre pas que les thrombolytiques sont susceptibles de pr6venir la survenue d'un coeur pulmonaire chronique post-embolique dont la fr6quence est tr~s faible. De plus, le coeur pulmonaire chronique post-embolique est g6n6ralement dfi h des embolies pulmonaires r6cidivantes et exceptionnellement ~ l'absence de r6solution d'une embolie massive.
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LES THROMBOLYTIQUES MODIFIENT-ILS LE RISQUE DE:RC:CIDIVE D'EMBOLIE PULMONAIRE ? L'action des fibrinolytiques sur la thrombose veineuse profonde, tr6s souvent associ6e ~ l'embolie pulmonaire pourrait th6oriquement r6duire le risque de r6cidive embolique. En fait, les fibrinolytiques n'entrainent une dissolution significative des thrombi veineux que s'ils sont utilis6s de faqon prolong6e (4) (20). A l'oppos6, on a accus6 les fibrinolytiques d'augmenter le risque de r6cidive embolique. En fait, le taux de r6cidive est de 7 ~t 10 p. 100 et est le m~me que les patients aient 6t6 trait6s par l'h6parine ou les fibrinolytiques. Le facteur essentiel favorisant la survenue de r6cidive est la mauvaise qualit6 du traitement anticoagulant (26).
QUEL EST LE RISQUE D'UN TRAITEMENT FIBRINOLYTIQUE ? Le risque majeur des thrombolytiques est la survenue d'h6morragies. La fr6quence des h6morragies, en particulier des h6morragies s6v6res, est plus importante avec les thrombolytiques qu'avec l'h6parine. Dans l'6tude UPET (26), la fr6quence des h6morragies est de 45 p. 100 avec l'urokinase et de 27p. 100 avec l'h6parine. Dans cette 6tude, des h6morragies graves sont survenues chez 9 p. 100 des patients trait6s par l'urokinase et seulement chez 4 p. 100 des patients trait6s par l'h6parine. I1 n'existe pas de relation nette entre le risque h6morragique et l'gtge ou l'importance de la fibrinolyse syst6mique. I1 s'agit le plus souvent d'h6morragies aux points de ponction art6rielle ou veineuse -mais parfois d'h6morragies plus graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital : h6morragie gastro-intestinale, g6nito-urinaire, r6trop6riton6ale ou intrac6r6brale. Si les gestes vasculaires sont limit6s au minimum et que l'angiographie pulmonaire est r6alis6e en ponctionnant une veine de l'avant-bras, on r6duit consid6rablement la fr6quence des complications h6morragiques s6v~res qui peut alors s'abaisser /l moins de 4 p. 100 (22). Les r6actions allergiques s'observent surtout avec la streptokinase (15 ~ 25 p. 100 des cas) et sont le plus souvent mod6r6es.
QUELLES SONT LES CONTRE-INDICATIONS DES FIBRINOLYTIQUES ? Ces contre-indications sont nombreuses et r6duisent l'utilisation des fibrinolytiques dans l'embolie pulmonaire. L'existence d'une h6morragie active quel qu'en soit le si+ge est une contre-indication absolue. L'existence d'un accident vasculaire c6r6bral r6cent,
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datant de moins de deux mois, est une contre-indication absolue aux fibrinolytiques, de mrme qu'un traumatisme crfinien ou une intervention neurochirurgicale datant de moins de 2 mois. D'autres contre-indications sont quasi-absolues : Une intervention chirurgicale rrcente datant de moins de 10 jours, ainsi qu'un traumatisme grave de moins de !0 jours. Un examen invasif dans les 10 jours prrcrdents : artrriographie, biopsie hrpatique ou rrnale, ponction veineuse sous-clavirre, ponction pleurale, ponction lombaire; cependant, une ponction artrrielle pour mesure des gaz du sang n'est pas une contreindication. La grossesse est une contre-indication de mrme que le post-partum prrcoce ( < 10 jours) et l'hypertension art6rielle s6v6re (PA diastolique > 120 mmHg). I1 existe beaucoup d'autres contre-indications: diath6se h6morragique, massage cardiaque externe, r6tinopathie diab6tique, proth6se en Dacron datant de moins de 3 mois, endocardite, p6ricardite, insuffisance r6nale, insuffisance h6patique, 16sions ulc6r6es de la peau et des muqueuses, cancer avec m6tastases, h6morragie gastro-duod6nale dans les 6 mois, diverticulose colique, maladie de Crohn. Ces contreindications sont relatives et d6pendent du b6n6fice attendu des thrombolytiques. Dans une embolie pulmonaire massive avec choc mettant en jeu le pronostic vital, on peut prendre le risque d'un traitement thrombolytique en employant plut6t l'urokinase doses mod6r6es ou en bolus.
QUEL EST LE COOT D'UN TRAITEMENT FIBRINOLYTIQUE ? Un traitement de 24 heures par l'urokinase /t la dose de 2000 U I / k g / h revient ~ 8700 F/jour chez un sujet de 70 kilos. L'administration de streptokin a s e / l la dose de 100000 U / h pendant 24 heures revient ~ 1200 F. De plus, il faut tenir compte du coot de la surveillance biologique et du coot reprrsent6 par les 6ventuelles complications hrmorragiques.
QUELLES SONT NOS INDICATIONS DES THROMBOLYTIQUES DANS LE TRAITEMENT DE L'EMBOLIE PULMONAIRE ? Les fibrinolytiques ne se discutent que dans les embolies pulmonaires datant de moins de 7 jours et en l'absence de contre-indications absolues. L'embolie pulmonaire massive ( > 50 p. 100) avec 6tat de choc est une indication qui parait 16gitime des thrombolytiques (6) (8) (19). Si le choc ne s'amr-
La Revue de Mddecine interne Mars-Avril 1987
liore pas rapidement sous fibrinolytiques et drogues inotropes (en particulier dobutamine), il faut envisager une embolectomie pulmonaire sous circulation extra-corporelle. Une autre indication assez formelle des fibrinolytiques est l'embolie pulmonaire massive ( > 50 p. 100) sans choc mais avec des signes de gravit6 : insuffisance ventriculaire droite, syncope, pression artrrielle pulmonaire moyenne suprrieure /t 30 mmHg, pression auriculaire droite suprrieure /l 7 mmHg, index cardiaque infrrieur /l 2,2 l / m n / m 2 (8). L'embolie pulmonaire non massive mais mal tolrrre au plan hrmodynamique en raison d'une pathologic cardiaque ou pulmonaire prr-existante est une bonne indication des thrombolytiques (10). Le problrme le plus difficile est celui de l'embolie pulmonaire massive ( > 50 p. 100) bien tol6rre : Pour certains (19), le traitement fibrinolytique est justifi6 car une rrcidive mrme minime peut entrainer la mort; pour d'autres (6), le pronostic grnrralement favorable de ces formes ne justifie pas le risque d'une complication hrmorragique grave. Dans le choix thrrapeutique, certains facteurs peuvent intervenir: l'existence d'un volumineux caillot proximal peut plaider en faveur des thrombolytiques ; le jeune g~ge et l'absence totale de contreindications peuvent 6galement ~tre des arguments en faveur des fibrinolytiques. Enfin, l'introduction prochaine des activateurs tissulaires du plasminog~ne, permettant une thrombrlyse pulmonaire avec un risque h6morragique a priori plus faible, 61argira peut &re les indications des thrombolytiques dans le traitement d~e l'embolie pulmonaire. Contrairement ~ une idre trrs rrpandue, le traitement thrombolytique n'a darts l'embolie pulmonaire que des indications pr~cises et limitres. Les thrombolytiques ne sont pas utiles en cas d'obstruction vasculaire modrrre. Les fibrinolytiques sont-indi qurs dans les embolies pulmonaires massives (obstruction vasculaire suprrieure h 40 ou 50 p. 100) mal tolrrres au plan hrmodynamique, et se discutent dans les embolies massives bien tolrrres. Etant donn6 le risque hrmorragique d'un tel traitement, le diagnostic d'embolie pulmonaire dolt 6tre imprrativement confirm6 par une angiographie pulmonaire ; les contre-indications doivent 6tre scrupuleusement respectres et ce traitement doit 6tre entrepris en rranimation. Le traitement tl~rombolytique doit 6tre suivi d'un traitement anticoagulant efficace et trrs bien surveill6 pour minimiser le risque de rrcidive. Le choix entre urokinase et streptokinase est difficile. Le faible coot et une efficacit6 probablement suprrieure plaident en faveur de la streptokinase. Mais l'urokinase est souvent prrfrrre, malgr6 son coot 61ev6, en raison d'un risque moindre de complications hrmorragiques. Enfin, l'injection d'un bolus d'urokinase parait 6tre une mrthode s6duisante mais aucune 6tude randomisre ne l'a comparre ~ la perfusion continue d'urokinase ou de streptokinase.
Tome VIII Numdro 2
Faut-il traiter les embolies pulmonaires par les thrombolytiques ?
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