Hémostase, thromboses et anticoagulants en néonatologie
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Physiopathologie et thérapeutique Caroline Vayne, Yves Gruel
52.1 Introduction L’hémostase regroupe l’ensemble des processus qui au décours d’une brèche vasculaire concourent à l’arrêt d’un saignement, à la reperméabilisation du vaisseau (fibrinolyse), ainsi qu’à la prévention de tout phénomène thrombotique. Cet équilibre est maintenu grâce à l’existence de systèmes activateurs et inhibiteurs de la coagulation et de la fibrinolyse. Notion essentielle, l’hémostase du nouveau-né efficace, et la connaissance de ses particularités, expliquées par une immaturité hépatique relative à cet âge de la vie, aide à mieux appréhender les pathologies thrombotiques et les traitements anticoagulants.
52.2 Particularités de l’hémostase à la naissance 52.2.1 Physiologie de l’hémostase néonatale La notion d’hémostase développementale (Developmental Hemostasis), fait référence aux changements quantitatifs et qualitatifs des différents composants du système hémostatique en fonction de l’âge, notamment durant la période néonatale et l’enfance [1].
52.2.2 Hémostase primaire Au décours d’une brèche vasculaire, une vasoconstriction réflexe limite les pertes sanguines tandis que différents acteurs interagissent pour former un thrombus résultant d’une activation et d’une agrégation plaquettaire. Le vaisseau sanguin est un acteur essentiel, et notamment le sous-endothélium, qui est pro-thrombotique, activant les plaquettes et la coagulation. La mégacaryocytopoïèse est efficace chez le fœtus et la numération plaquettaire fœtale est donc comprise entre 200 et 300 giga/litre dès la 18e semaine de vie intra-utérine. À la naissance, le nombre de plaquettes est identique à celui de l’adulte de même que leur volume. Toutefois, elles sont hypo-réactives, avec des réponses subnormales en agrégation plaquettaire avec plusieurs agonistes et Néonatologie : bases scientifiques © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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notamment l’ADP. Ce déficit fonctionnel peut, en partie, être expliqué par une plus faible expression de récepteurs membranaires impliqués dans l’adhésion et l’agrégation plaquettaire. En dépit de cette apparente hyporéactivité plaquettaire, l’hémostase primaire est normale à la naissance, voire accélérée, comme le montrent les tests globaux réalisés in vitro sur sang total. Le facteur Willebrand (FW) permet, lorsque les forces de cisaillement sont élevées, le ralentissement et l’arrêt des plaquettes sur le sous-endothélium mis à nu. Ses taux sont plus élevés à la naissance qu’à l’âge adulte [1], avec des multimères de haut poids moléculaire plus représentés pendant les deux premiers mois de vie [2]. Cette particularité pourrait expliquer que l’hémostase primaire soit efficace chez le nouveau-né malgré un déficit fonctionnel plaquettaire relatif.
52.2.3 Coagulation La coagulation permet la consolidation du thrombus plaquettaire, et son évolution vers un caillot fibrino-plaquettaire, grâce à la transformation du fibrinogène soluble en fibrine insoluble. Ce processus dépend de la thrombine, enzyme clé générée en grande quantité au terme d’une cascade de réactions enzymatiques initiée par le facteur tissulaire (FT). Les protéines de la coagulation sont synthétisées par le fœtus et ne traversent pas la barrière placentaire. Leurs taux évoluent de manière dynamique tout au long de la vie fœtale et ensuite pendant l’enfance, où ils atteignent les valeurs adultes après un délai variable. Le taux des facteurs vitamine K-dépendants, II, VII, IX, X, est bas durant toute la vie fœtale, avec une augmentation durant les dix dernières semaines de vie intrautérine, atteignant des valeurs comprises entre 30 et 50 % à la naissance. Ces taux ne rejoignent les valeurs adultes qu’après six mois de vie [1] en raison d’une immaturité hépatique et d’un déficit physiologique en vitamine K à la naissance et un faible passage transplacentaire. Par ailleurs, la synthèse intestinale de vitamine K endogène n’est efficace qu’au bout d’une semaine de vie. Les facteurs de la phase contact sont également bas à la naissance, aux alentours de 35 % pour la prékallicréine, le kininogène de haut poids moléculaire, le facteur XI et 70 % pour le facteur XII [3], expliquant majoritairement l’allongement du temps de céphaline avec activateur (TCA) observé durant les premiers mois de vie. Les facteurs V et VIII, co-facteurs des facteurs Xa et IXa de la coagulation, sont présents dès la naissance avec des taux proches de ceux de l’adulte [1,3]. Le taux de fibrinogène est comparable aux valeurs normales basses de l’adulte, même si la quantité de protéine fonctionnelle semble plus faible, avec la présence d’un « fibrinogène néonatal », qui est une forme immature avec une chaîne Aα différente [4]. Le facteur XIII est une protéase activée par la thrombine, qui consolide le caillot de fibrine en créant des liaisons covalentes entre les monomères de fibrine. Chez le nouveau-né sain, ses taux sont très proches de ceux de l’adulte [1]. La coagulation plasmatique est régulée par des inhibiteurs, qui contrôlent la cascade de la coagulation en l’absence de brèche vasculaire et limitent toute activation excessive pouvant conduire à des thromboses. Les taux de ces inhibiteurs évoluent de manière dynamique de la vie fœtale jusqu’à l’adolescence. L’antithrombine (AT) est
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un puissant inhibiteur de la thrombine et du Xa par liaison irréversible à ces sérineprotéases. Les taux d’AT sont physiologiquement bas à la naissance, proches de 50 %, et n’atteignent les valeurs adultes que vers l’âge de trois à six mois [1]. Cependant, ce déficit relatif semble partiellement compensé par l’augmentation du taux d’un autre inhibiteur, l’α2-macroglobuline, qui, vers l’âge de six mois, est deux fois supérieur à celui de l’adulte [5]. D’autre part, certaines isoformes de l’antithrombine ont des propriétés anti-angiogéniques [6] et un taux relativement bas de cet inhibiteur pourrait donc être avantageux durant cette période de vie associée à une forte angiogenèse. Le cofacteur II de l’héparine (HCII) pourrait également exercer une action anti-thrombine en se fixant à un protéoglycane fœtal proche du dermatane sulfate [7]. La protéine C et son cofacteur, la protéine S, inhibent la génération de thrombine en inactivant les facteurs Va et VIIIa. Ces inhibiteurs, synthétisés par le foie de façon dépendante de la vitamine K, sont présents à la naissance avec des taux assez bas, de l’ordre de 30 à 40 % et n’augmentant significativement qu’à partir de l’âge de six mois [1]. Malgré un taux antigénique abaissé, l’activité de la PS chez le nouveau-né est comparable à celle de l’adulte car elle est majoritairement sous forme libre dans le plasma, et donc active [3]. Chez l’adulte, seule 40 % de la PS est sous forme libre et active, le reste étant lié à la C4b-binding protein (C4bBP) et donc inactive.
52.2.4 Fibrinolyse La fibrinolyse assure la dissolution des caillots de fibrine, et une reperméabilisation correcte du vaisseau sanguin après l’arrêt du saignement. La plasmine est l’enzyme clé de ce système, dégradant la fibrine. Elle est issue du plasminogène activé par le t-PA (tissue-plasminogen activator) ou plus accessoirement l’u-PA (urokinase-plasminogen activator). Ces activateurs du plasminogène sont eux-mêmes inhibés par le PAI-1 et à un degré moindre par le PAI-2 (plasminogen activator inhibitor). Le taux de plasminogène est proche de 50 % à la naissance [1] mais les concentrations en activateurs sont comparables à celles de l’adulte, alors que celles du PAI-1 et 2 sont plus basses, et la fibrinolyse est efficace [8]. De plus, les inhibiteurs de la plasmine, l’α2 anti-plasmine, l’α1 anti-trypsine, ou l’α2-macroglobuline, ont des taux faibles pendant la vie fœtale (40 %), qui n’augmentent qu’après la naissance, avec des taux d’α2-macroglobuline supérieurs à ceux de l’adulte [1]. Au total, l’hémostase du nouveau-né sain est très différente de celle de l’adulte mais la génération de thrombine étudiée en présence de thrombomoduline, récepteur endothélial de la thrombine qui active la protéine C, est comparable [9], confirmant l’existence à cet âge de la vie d’une balance hémostatique bien équilibrée.
52.2.5 Cas particulier du nouveau-né prématuré Le déficit fonctionnel plaquettaire observé à la naissance et l’existence d’une maturation âge-dépendante explique l’hyporéactivité globale plus marquée des plaquettes d’enfants prématurés à la naissance. Les concentrations des différents facteurs de la coagulation augmentant tout au long de la vie fœtale, les taux plasmatiques de ces protéines sont légèrement plus bas chez le prématuré que chez le nouveau-né à terme
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[1,10]. Les valeurs attendues pour les différentes protéines de la coagulation peuvent être extrapolées à partir de celles mesurées après fœtoscopie, mais l’établissement de vraies « normes » est, en pratique, impossible car la plupart des grands prématurés développent des complications post-natales. Chez ces prématurés, tout comme chez les nouveau-nés à terme malades, l’équilibre entre systèmes pro- et anticoagulants est fragile. Ceci explique la fréquence des complications thrombotiques, en présence de circonstances favorisantes, comme les infections, la déshydratation, ou une voie veineuse centrale.
52.2.6 L’hémostase du nouveau-né, conséquences sur les tests d’hémostase L’interprétation des examens d’hémostase chez le nouveau-né à terme ou prématuré est particulièrement délicate. En effet, les concentrations des différentes protéines de la coagulation évoluent très rapidement après la naissance, rendant difficile l’obtention de valeurs de référence exactes, d’autant plus qu’elles varient selon les automates et les réactifs utilisés. De plus, ces enfants étant difficiles à prélever, l’obtention d’échantillons de qualité peut s’avérer problématique, avec un risque d’activation in vitro de la coagulation lors du prélèvement. Par ailleurs, les automates sont peu adaptés à l’analyse de petits volumes. Enfin, les voies artérielles ou veineuses centrales sont parfois utilisées à tort pour certains prélèvements, avec des résultats souvent erronés en raison, notamment, d’une contamination par de l’héparine.
52.3 Thromboses veineuses du nouveau-né Les thromboses veineuses sont une pathologie sévère, et d’expression clinique variable chez le nouveau-né, qui représente près de 50 % des cas parmi la population pédiatrique [11]. En dehors de celles favorisées par une voie veineuse centrale, les formes les plus fréquentes sont les thromboses veineuses rénales, les thromboses de la veine cave, et plus rarement de la veine porte [12]. Le purpura fulminans et les thromboses veineuses cérébrales sont deux autres formes particulièrement graves. Un bilan étiologique est systématiquement réalisé pour identifier des facteurs cliniques de risque, les plus fréquents [12], ou biologiques dans certaines situations uniquement.
52.3.1 Expression clinique des thromboses veineuses du nouveau-né 52.3.1.1 Thromboses sur voie veineuse centrale L’utilisation d’une voie centrale est la première cause de thrombose chez les nouveaunés, représentant près de 90 % des cas [11]. Les facteurs de risque associés sont liés au patient et son état, ou au type de cathéter utilisé. Le sepsis majore le risque [11], tout comme un petit poids à la naissance. La durée d’utilisation du cathéter doit être la plus
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courte possible. Ainsi, un cathéter central inséré par voie périphérique (épi-cutanéo cave) ou par voie veineuse ombilicale dont la durée excède six jours augmente significativement le risque de thrombose [13]. L’administration de solutions de nutrition parentérale, hypertoniques ou de produits sanguins est également associée à un risque thrombotique plus élevé. La principale complication de ces thromboses sur cathéters est l’extension du thrombus à un autre territoire. L’implication des facteurs héréditaires de risque dans les thromboses associées aux voies centrales n’est pas démontrée et l’utilisation de faibles doses d’anticoagulants pour en prévenir la survenue n’est pas recommandée pour une courte ou moyenne durée de pose. En revanche, l’utilisation de voies héparinées peut être envisagée à court terme [14].
52.3.1.2 Thrombose veineuse rénale La thrombose veineuse rénale (TVR) est l’évènement thrombotique le plus fréquent non lié à l’utilisation d’une voie veineuse centrale chez le nouveau-né. Elle représente 16 à 20 % des thromboses durant cette période de la vie [15] et touche particulièrement les sujets de sexe masculin. Parmi les facteurs cliniques de risque, présents dans près de 80 % des cas, on peut citer l’asphyxie périnatale, la prématurité, le diabète maternel, la déshydratation ou le sepsis sévère [16]. Souvent unilatérale, avec prédominance gauche [17], elle se complique d’une atteinte de la veine cave inférieure dans 40 à 70 % des cas et d’une hémorragie des surrénales dans 14 % des cas. Parmi les facteurs biologiques de risque, seul le polymorphisme FV Leiden a été identifié comme jouant un rôle potentiel [16].
52.3.1.3 Thromboses veineuses cérébrales Les thromboses néonatales des sinus veineux (TSV) sont rares et se manifestent essentiellement par des convulsions chez près de 60 % des enfants. Un chapitre est dédié à ce sujet dans cet ouvrage.
52.3.1.4 Thromboses de la veine porte La thrombose de la veine porte (TVP) est souvent asymptomatique à la naissance [13], et le diagnostic, posé dans l’enfance. À la naissance, le principal facteur de risque est la mise en place d’un cathéter veineux ombilical [18]. L’évolution est bonne dans la majorité des cas [13]. Parfois une hypertension portale ou une nécrose hépatique peuvent compliquer la TVP. Les facteurs héréditaires de thrombose ne semblent pas majorer le risque de TVP néonatale, ce qui n’est pas le cas chez l’adulte.
52.3.2 Facteurs cliniques de risque de maladie thromboembolique Les facteurs de risque cliniques de thrombose chez le nouveau-né sont multiples, souvent en lien avec des pathologies ou atteintes périnatales. Ces risques varient en fonction des caractéristiques de l’enfant, des pathologies qu’il va développer, et de la iatrogénie médicale ou médicamenteuse à laquelle il sera exposé Tableau 52.1.
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Tableau 52.1 Principaux facteurs de risque cliniques de thrombose chez le nouveau-né Atteintes périnatales
Interventions médicales
Maladies aiguës
Maladies chroniques
Médicaments
Asphyxie périnatale Syndrome de détresse respiratoire aiguë Enfant de mère diabétique Infections néonatales Entérocolite nécrosante Déshydratation, polyglobulie Voies centrales (artérielles ou veineuses) Chirurgie Immobilisation, plâtre ECMO, CEC Traumatisme Sepsis Déshydratation Syndrome néphrotique Leucémie aiguë Cancer Atteinte rénale Malformation cardiaque Maladie métabolique Prednisolone Concentrés de facteurs de la coagulation Héparines (TIH) Anti-fibrinolytiques Asparaginase
ECMO : extracorporeal membrane oxygenation ; CEC : circulation extracorporelle ; TIH : thrombopénie induite par l’héparine. Adapté de Nowak-Göttl et al. [19].
52.3.3 Facteurs biologiques de risque de thrombose : quand les rechercher ? Les principaux facteurs biologiques de risque de thrombose peuvent être héréditaires ou acquis. Les facteurs héréditaires de risque sont liés à des anomalies génétiques touchant les systèmes inhibiteurs de la coagulation, et entraînant des déficits qualitatifs ou quantitatifs en antithrombine (AT), protéine C (PC) ou protéine S (PS). Ces déficits congénitaux, de transmission autosomale dominante le plus souvent, entraînent un déséquilibre de la balance hémostatique vers un phénotype prothrombotique. Ces facteurs génétiques de risque comprennent aussi un polymorphisme qui affecte le gène de la prothrombine, avec l’allèle 20210A qui induit une augmentation des taux circulants de facteur II. Le gène du FV peut aussi être muté avec une transition arginine506glutamine (FV Leiden), associée à une résistance à la PC activée, qui ne peut plus cliver normalement le facteur Va. D’autres facteurs génétiques ont une implication plus controversée dans la maladie thromboembolique veineuse, comme une forte
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concentration sérique de la lipoprotéine (a), ou le polymorphisme C677T du gène de la méthylène tétrahydrofolate réductase (MTHFR) qui ne sera éventuellement recherchée qu’en cas d’hyperhomocystéinémie qu’il peut favoriser. Un anticoagulant circulant de type lupique (ACC antiprothrombinase), avec des anticorps antiphospholipides pouvant être transmis par la mère, est un facteur de risque acquis pouvant être impliqué dans certaines thromboses veineuses ou artérielles. En pratique, la recherche de ces facteurs biologiques de risque, héréditaires ou acquis, ne doit être envisagée que si elle a un intérêt thérapeutique potentiel, notamment en influençant l’intensité ou la durée du traitement curatif ou la décision d’un traitement préventif au long cours. Sa principale limite est le manque de données concernant la période néonatale. Selon les recommandations britanniques émises en 2011 [14], la recherche de facteurs héréditaires ne doit pas être systématiquement prescrite au décours d’un premier épisode thromboembolique veineux chez le nouveauné. En revanche, un déficit en protéines C et S sera recherché en urgence en cas d’un exceptionnel purpura fulminans néonatal et un dosage de l’antithrombine sera réalisé aussi en cas d’événements thromboemboliques sévères, extensifs et spontanés. La présence de facteurs héréditaires ne doit pas influencer la décision d’instaurer un traitement anticoagulant ni l’intensité de celui-ci. L’impact de ces facteurs sur le risque de récidive et la durée du traitement anticoagulant restent mal définis. En résumé, il est proposé de ne rechercher ces facteurs biologiques de risque que chez les enfants présentant : • • •
une thrombose clinique spontanée, inexpliquée ou extensive ; des lésions cutanées ischémiques ou un purpura fulminans ; une histoire familiale positive de purpura fulminans néonatal [20].
52.4 Traitements anticoagulants chez le nouveau-né La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) peut conduire, à court terme, à l’extension ou l’embolisation d’un thrombus, et, à long terme, à l’apparition d’un syndrome post-thrombotique. L’initiation d’un traitement anticoagulant curatif efficace permet de réduire la mortalité et les séquelles liées à ce type d’événement. L’équilibre hémostatique plus fragile du nouveau-né entraîne un risque hémorragique majoré, possiblement contrôlé par l’utilisation d’antidotes spécifiques.
52.4.1 Molécules anticoagulantes utilisées chez le nouveau-né (Tableau 52.2) Les anticoagulants les plus prescrits chez le nouveau-né sont les héparines (Encadré 52.1), comprenant l’héparine non fractionnée (HNF) et les héparines de bas poids moléculaires (HBPM) [21]. L’utilisation des antagonistes de la vitamine K (AVK) n’est pas recommandée pendant la période néonatale pour des raisons évidentes de sécurité liées à la difficulté d’administration orale d’une forme solide et des risques secondaires aux taux physiologiquement bas de facteurs vitamine K-dépendants.
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Tableau 52.2 Molécules
anticoagulantes utilisées chez le nouveau-né
Héparine non fractionnée (HNF)
Héparines de bas poids moléculaire (HBPM)
Origine
Muqueuse intestinale porc : extraction
Composition
GAG sulfatés : Mélange hétérogène de chaînes plus ou moins longues Potentialisation AT endogène Activité anti-Xa = Activité anti-IIa IV (II sodique), SC (II calcique) IV : 90 min, SC : 4 h SRE : majoritaire Prévention thrombose : - cathéters artériels/veineux - circuits CEC Services de réanimation
Muqueuse intestinale porc : fractionnement à partir de l’HNF GAG sulfatés : Mélange moins hétérogène de chaînes plus courtes Potentialisation AT endogène Activité anti-Xa > Activité anti-IIa SC
Mécanisme d’action
Administration Demi-vie (T 1/2) Élimination Utilisations préférentielles
3–6 h Rein : majoritaire Traitement de la MTEV : - initial - au long cours Ambulatoire
GAG : glycosaminoglycanes ; AT : antithrombine ; H : héparine ; IV : intraveineuse ; SC : sous-cutanée ; SRE : système réticulo-endothélial ; CEC : circulation extracorporelle ; MTEV : maladie thromboembolique veineuse.
Encadré 52.1 Messages clés • • • • •
•
Malgré l’immaturité hépatique et l’hypovitaminose K physiologique, l’hémostase néonatale est efficace. Chez les nouveau-nés prématurés, la balance hémostatique est particulièrement fragile. La présence d’une voie centrale est la première cause de thrombose. Les facteurs de risque de thrombose sont principalement cliniques et liés aux atteintes périnatales et à la iatrogénie. Devant un événement thromboembolique veineux, spontané, ou extensif, un dosage de l’antithrombine et une recherche d’anticoagulants circulants de type lupique sont à envisager. Les héparines (HNF/HBPM) restent les anticoagulants de choix chez le nouveau-né.
Le Tableau 52.2 reprend les principales caractéristiques des deux types d’héparines, HNF et HBPM. En cas de thrombose sur cathéter central, le retrait de ce dernier est préconisé après trois à cinq jours de traitement anticoagulant efficace. Une surveillance radiologique à la recherche d’une extension du thrombus est recommandée, et en cas d’extension, une anticoagulation efficace doit être maintenue. Les HNF ou les HBPM peuvent être prescrites indifféremment à l’initiation, et une HBPM maintenue pour une durée totale de traitement de 6 semaines à 3 mois [22].
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52.4.2 Spécificités liées à l’hémostase néonatale et suivi biologique des anticoagulants chez le nouveau-né Chez le nouveau-né, la pharmacocinétique de ces anticoagulants est différente de celle de l’adulte (Tableau 52.3). Les taux physiologiquement bas d’AT dans les trois à six premiers mois de vie entraînent une résistance relative aux héparines. De plus, pour un même âge, ces taux sont très variables d’un enfant à l’autre et certaines pathologies sont susceptibles de les faire baisser (atteinte hépatique, état infectieux, CIVD…). Il est donc essentiel de savoir qu’en cas de contrôle de ces pathologies, le non ajustement des doses d’héparine peut conduire à des évènements hémorragiques graves. Chez le nouveau-né, les variabilités inter- et intra-individuelles du métabolisme de l’HNF sont majeures, contrairement aux HBPM qui ont une pharmacocinétique beaucoup plus prévisible. Les principales modalités de surveillance biologique des héparines sont représentées dans le Tableau 52.3. En l’absence de données cliniques chez les nouveau-nés, les fourchettes thérapeutiques sont extrapolées par rapport à celles de l’adulte. De plus, il a été montré un manque de corrélation entre la valeur de l’activité anti-Xa et le temps de céphaline avec activateur (TCA), couramment utilisé chez l’adulte pour le suivi des HNF. En effet, les valeurs de TCA correspondant aux fourchettes d’activité anti-Xa pour l’HNF varient considérablement en fonction de l’âge et de la dose d’héparine utilisée [23].
52.4.3 Nouveaux anticoagulants chez le nouveau-né Aucune étude n’a, à ce jour, permis d’évaluer l’utilisation du fondaparinux (pentasaccharide de synthèse à activité anti-Xa pure via l’antithrombine) chez les enfants de Tableau 52.3 Suivi
biologique des héparines chez le nouveau-né Héparine non fractionnée (HNF)
Héparines de bas poids moléculaire (HBPM)
Rythme
Quotidien - adaptation posologique
Moment de prélèvement (pic d’activité)
IV : ≥ 4 h après début perfusion et tout changement posologique puis n’importe quand SC : entre 2 injections Activité anti-Xa : 0,35–0,7 UI/mLa Plasma hémolysé Sulfate de protamine : neutralisation complète
À l’initiation puis au moins 1 fois/semaine - surveillance accumulation 1er contrôle après 2 ou 3 injections, 4–6 h après l’injection (rythme : 1 ou 2 injections/j)
Examens et valeurs cibles en curatif Limites Antidote IV intraveineuse ; SC sous-cutanée. a Monagle et al. Chest 2012.
Activité anti-Xa : 0,5–1 UI/mLa Plasma hémolysé Sulfate de protamine : neutralisation incomplète
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Figure 52.1 Mécanismes d’action des molécules anticoagulantes utilisables chez le nouveau-né. HNF : héparine non fractionnée ; HBPM : héparine de bas poids moléculaires ; AT : antithrombine.
moins d’un an. Des inhibiteurs directs de la thrombine (bivalirudine, lépirudine, argatroban) ont fait l’objet de plusieurs études récentes chez l’enfant. L’argatroban et la bivalirudine ont montré une efficacité et une sécurité d’emploi chez l’enfant de moins de six mois. Cependant, la seule indication clairement établie de ces deux molécules est le traitement des thrombopénies induites par l’héparine (TIH). La Figure 52.1 illustre le mécanisme d’action des molécules anticoagulantes utilisables chez le nouveau-né. Parmi les anticoagulants oraux directs (AOD), le rivaroxaban et l’apixaban sont actuellement évalués chez l’enfant mais l’absence de données sur leur efficacité et leur sécurité d’emploi ne permet pas de recommander leur utilisation chez les nouveau-nés.
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