Insuline et fonction pancréatique

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S130 Insuline et fonction pancréatique C. Magnan CNRS UMR 7059, Université Paris Diderot Paris 7, Paris, France Résumé L’insuline est le seul facteu...

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Insuline et fonction pancréatique C. Magnan CNRS UMR 7059, Université Paris Diderot Paris 7, Paris, France

Résumé L’insuline est le seul facteur hypoglycémiant face à l’arsenal copieux des hormones et des neurotransmetteurs hyperglycémiants. Sa sécrétion est déclenchée par des stimuli primaires au premier rang desquels se trouve le glucose, puis amplifiée par des stimuli secondaires (substrats énergétiques, hormones digestives, acétylcholine…) qui n’exercent d’effets direct sur la sécrétion d’insuline qu’en présence du glucose, dans les conditions physiologiques normales, dont ils amplifient alors l’effet stimulant de la sécrétion. Un dernier groupe est constitué par les agents « atténuateurs » qui diminuent l’intensité de la réponse sécrétoire au glucose (neuromédiateurs des terminaisons nerveuses sympathiques de l’îlot ou médiateurs paracrine, comme la somatostatine, par exemple). Cette revue présente les aspects cellulaires et moléculaires de la sécrétion d’insuline en les replaçant dans leur contexte physiologique. Mots-clés r Glucokinase r Kir6.2 r Incrétines r Hétérogénéité des cellules ß r Voie amplificatrice

Correspondance : Professeur Christophe Magnan CNRS UMR 7059, Université Paris Diderot Paris 7, 2 place Jussieu, BP 7126, F-75251 Paris cedex 05, France [email protected]

Introduction L’importance du rôle de l’insuline ressort également de sa conservation remarquable au cours de l’évolution et de son expression quasi-universelle, puisqu’on la retrouve, non seulement chez les mammifères, mais aussi chez les oiseaux, les reptiles, les amphibiens et les poissons, même les plus primitifs. D’un point de vue téléologique, cette place particulière de l’insuline dans le contrôle du métabolisme du glucose revêt de nombreuses conséquences et explique la complexité des systèmes régulateurs de la sécrétion de l’hormone. Elle permet de comprendre aussi le rôle fondamental du glucose dans ce dispositif, qui conditionne la réponse des cellules ß à tous les autres stimuli. Ainsi, le débit de sécrétion de l’insuline est ajusté à tout moment par des interactions métaboliques (concentration plasmatique des substrats énergétiques,

en particulier du glucose), hormonales ou nerveuses. Ce sont ces aspects cellulaires et moléculaires du contrôle de la sécrétion de l’insuline qui seront envisagés ici, en essayant à chaque fois de les replacer dans leur contexte physiologique.

Contrôle de la sécrétion d’insuline Schématiquement, on peut classer les agents stimulants de la sécrétion d’insuline en deux grands groupes : – les stimuli primaires (déclencheurs), qui ont la capacité de déclencher à eux seuls la sécrétion d’insuline, au premier rang desquels se trouve le glucose. Si on se réfère à la définition stricte, s’y ajoutent la leucine, le mannose, le glycéraldéhyde, les sulfonylurées et les glinides. En réalité, le seul vrai stimulus primaire est le glucose, car son effet s’exerce dans une gamme de concentrations physiologiques, alors que les caractéristiques des autres molécules ont été établies sur la base d’expériences in vitro utilisant des concentrations largement supraphysiologiques ; – les stimuli secondaires (potentialisateurs ou amplificateurs), qui ne peuvent exercer d’effet stimulant direct sur la sécrétion d’insuline qu’en présence d’un stimulus primaire (le glucose, dans les conditions physiologiques normales) dont ils amplifient alors l’effet stimulant de la sécrétion. © 2008 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

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On range dans cette catégorie tous les agents stimulants physiologiques (substrats énergétiques, hormones digestives, acétylcholine…) et la plupart des molécules à visée antidiabétiques actives vis-à-vis de la sécrétion d’insuline, autres que les sulfonylurées et les glinides ; – un troisième groupe est constitué par les agents dits « atténuateurs » de la sécrétion d’insuline, qui diminuent l’intensité de la réponse sécrétoire au glucose. Il s’agit des neuromédiateurs libérés par les terminaisons nerveuses sympathiques de l’îlot, en particulier la noradrénaline, et certaines hormones agissant par voir endocrine ou paracrine, comme la somatostatine.

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Concentration en glucose (mM)

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La boucle élémentaire de régulation : contrôle de la sécrétion d’insuline par les substrats circulants Dans la gamme des concentrations physiologiques, l’amplitude de la réponse insulinosécrétoire est proportionnelle à la concentration extracellulaire de glucose selon une relation sigmoïdale (Figure 1A). Un déplacement, même minime, de la courbe vers la droite (effet de facteurs atténuateurs, jeûne prolongé, vieillissement) ou la gauche (effet de facteurs amplificateurs) peut modifier de manière importante la quantité d’insuline sécrétée. L’allure sigmoïdale de la courbe dose-réponse correspond à une réactivité pancréatique globale de plus en plus intense en fonction de la concentration de l’hexose, selon deux interprétations possibles [1] : - toutes les cellules ß sont équivalentes sur le plan fonctionnel et l’activité de chaque cellule ß augmente progressivement avec l’augmentation de la concentration de glucose ; - l’élévation de glucose recruterait un nombre croissant de cellules ß hétérogènes sur le plan fonctionnel. Ainsi, il existerait des sous-populations de cellules ß dont la sensibilité au glucose serait différente, les plus actives étant recrutées aux concentrations les plus faibles de l’hexose, les moins actives ne répondant qu’aux concentrations plus élevées. Les deux explications, qui ont

Temps (min)

Figure 1 : Caractéristiques de la réponse insulinosécrétrice au glucose. A. Sécrétion d’insuline en réponse au glucose seul ou en présence d’un facteur amplificateur. B. Sécrétion d’insuline en réponse à un stimulus constant de glucose. 0 : Basal et retour au basal ; 1 : 1re phase ; 2 : 2e phase.

chacune leurs arguments ne sont pas contradictoires. En ce qui concerne la cinétique de la sécrétion d’insuline, après une élévation aiguë et transitoire de la concentration extracellulaire de glucose, le niveau maximal de la sécrétion d’insuline est atteint en quelques minutes (Figure 1B). Lorsque le stimulus de glucose est constant et prolongé, le profil caractéristique de la réponse sécrétoire est biphasique. Il s’observe in vitro sur îlot

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ou pancréas isolés perfusés, et in vivo au cours de clamps hyperglycémiques. Comme le montre la figure 1B, le premier pic de sécrétion (« pic précoce » ou première phase de la sécrétion) est suivi par une augmentation progressive de la libération d’insuline d’un niveau plus faible, qui tend lentement vers une valeur d’équilibre (« pic tardif » ou deuxième phase de sécrétion). Cette deuxième phase se maintient jusqu’à l’arrêt de la stimulation.

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La signification physiologique du caractère biphasique de la sécrétion d’insuline n’apparaît encore pas tout à fait clairement, mais le rôle du pic précoce de sécrétion serait de sensibiliser les tissus cibles aux effets de l’hormone et d’empêcher une hyperinsulinémie trop prononcée et une hypoglycémie réactionnelle [2]. Il est, de plus, notable, que la disparition de la première phase de sécrétion est une caractéristique majeure de l’altération de la fonction pancréatique chez le diabétique de type 2 et qu’elle en est le signe le plus précoce. Environ 1 % des vésicules sont accolées à la membrane (docked), « prêtes à fusionner » selon un mécanisme dépendant du calcium. Ces vésicules constituent un « pool immédiatement mobilisable » (Readily Releasable Pool) et il est maintenant admis qu’elles sont responsables de la première phase de sécrétion d’insuline. La deuxième phase correspondrait, d’une part à la libération d’insuline déjà manufacturée, mais contenue dans des granules plus éloignés de la membrane et, d’autre part, à de l’insuline nouvellement synthétisée [2].

Mécanismes moléculaires de la réponse insulinosécrétoire au glucose Comme illustré par la figure 2, le glucose exerce son effet insulinosécréteur essentiellement en élevant la concentration intracytosolique de Ca2+, soit en augmentant la perméabilité cellulaire à l’ion, soit en favorisant (mais ce phénomène est moins important) la libération de Ca2+ par les organites cellulaires capables de les concentrer [3]. Chez les rongeurs, le glucose pénètre dans la cellule ß par l’intermédiaire d’un transporteur de glucose GLUT2, (à haute affinité : Km 15-20 mM). Chez l’Homme, il semble que le transporteur majoritaire soit GLUT1. Une fois à l’intérieur de la cellule ß, le glucose peut être phosphorylé en glucose-6-phosphate (G6P) par la glucokinase qui est considérée, par certains auteurs, comme le « détecteur du glucose » (glucose sensor). Cette étape de phosphorylation est limitante dans le métabolisme du glucose. Le G6P est ensuite utilisé principalement par la voie

de la glycolyse et la respiration oxydative (Figure 2), ce qui est à l’origine d’une production accrue d’intermédiaires phosphorylés à haute énergie (ATP). La génération d’ATP conduit à l’inactivation des canaux K+/ATP dépendants [4]. Ce canal est également la cible des sulfonylurées et des glinides. C’est un hétéro-octamère formé de quatre sous-unités représentant les canaux potassiques (Kir 6.2) enserrées par quatre autres sous-unités jouant le rôle de récepteur aux sulfonylurées (SUR1) (Figure 2). Il existe des sites de fixation pour l’ATP et les sulfonylurées sur Kir 6.2 et SUR1 [3]. L’inactivation de ce canal induit une dépolarisation de la membrane plasmique qui permet l’ouverture des canaux calciques dépendants du voltage et, donc l’entrée massive de l’ion. Le phénomène est amplifié par le fait que l’entrée de Ca2+ elle-même induit une nouvelle dépolarisation entraînant une augmentation considérable de la concentration intracytosolique de Ca2+ [5]. Par ailleurs, le phosphoenol-pyruvate et le pyruvate du métabolisme du glucose favorisent l’activité adényl-cyclase qui permet la conversion d’ATP en AMP cyclique (AMPc), lequel potentialise l’effet insulinosécréteur du glucose (Figure 2).

L’AMPc intervient dans le processus d’exocytose par l’intermédiaire de la protéine kinase A (PKA) qui peut activer, en les phosphorylant, certaines protéines du cytosquelette. Une voie indépendante de la PKA a été décrite plus récemment : elle dépend de l’interaction de l’AMPc avec la protéine AMPc-GEF (ou Epac2), qui forme un complexe (AMPc-GEF-Rim1) capable de stimuler l’activité d’une petite protéine G (Rab3) impliquée dans l’exocytose des granules d’insuline [5]. Cette voie est aussi commune à celle du GLP-1 (voir plus bas). L’augmentation de la concentration intracellulaire de Ca 2+ aboutira à la fusion des vésicules d’exocytose avec la membrane plasmique (en moyenne, une dépolarisation induit l’exocytose de 700 vésicules par seconde). De nombreux acteurs protéiques participent aux étapes distales du processus d’exocytose (Figure 3) : des protéines monomériques à activité GTPasique de type Rab, des canaux calcium de type L, le complexe NSF/SNAP/SNAREs (respectivement N-éthylmaleimide-Sensitive Fusion protein/Soluble NSF Attachment Protein/SNAP REceptors, Figure 3). En particulier, les SNAREs (synaptotagmi-

Figure 2 : Stimulation de la sécrétion d’insuline par le glucose : la voie dépendant des canaux K+ sensibles à l’ATP. AMPc : AMP cyclique ; GK : glucokinase ; PFK 1 : Phosphofructokinase 1 ; PDH : Pyruvate deshydrogénase. L’image en cartouche représente une coupe transversale du canal potassique. 1 à 6 : Les différentes étapes du couplage stimulus-sécrétion. Médecine des maladies Métaboliques - Décembre 2008 - Suppl. 2

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nes, synaptobrevine, syntaxine) sont des molécules- clés du mécanisme de fusion membranaire [6, 7]. La voie dépendante des canaux K+ sensibles à l’ATP, est celle de déclenchement de la sécrétion d’insuline (triggering pathway). Cependant, de nombreux arguments expérimentaux ont fait apparaître que le processus mettant en jeu les canaux K+ sensibles à l’ATP n’était pas suffisant pour expliquer le maintien d’une réponse soutenue à un stimulus constant de glucose et surtout à son caractère biphasique. L‘absence de coïncidence entre le profil de sécrétion d’insuline en réponse au glucose et celui des événements ioniques et électriques est un des arguments les plus convaincants à l'appui de l’existence d’une autre voie, complémentaire de la précédente. Cette voie « indépendante des canaux K+ sensibles à l’ATP » est également appelée voie amplificatrice (amplifying pathway). La participation déterminante du métabolisme des phosphoinositides membranaires dans ce processus est maintenant bien admise. Une phospholipase spécifique, la phospholipase C hydrolyse un phosphoinositide particulier, le phosphatidyl inositol 4-5 biphosphate (PIP2) en inositol 1,4,5 triphosphate (IP3) et diacylglycérol (DAG), tous deux médiateurs

de la sécrétion d’insuline [3]. Le glucose stimule l’activité de la phospholipase C et donc la production de ces médiateurs. La libération d’IP3 dans le cytosol induit une mobilisation de Ca2+ à partir de régions du réticulum endoplasmique. L’IP3 est reconnu par ces organites par des récepteurs spécifiques. Sa liaison provoque l’ouverture des canaux calciques, qui libèrent le Ca2+ dans le compartiment cytosolique par diffusion passive selon le gradient de concentration. Une deuxième conséquence de l’hydrolyse du PIP2 est la formation du DAG. Le DAG peut également être généré par une autre voie : le catabolisme du glucose par la voie de la glycolyse aboutit en effet à la production de trioses phosphates qui peuvent être les précurseurs d’une synthèse de novo de cette molécule. Le DAG est un activateur endogène de la protéine kinase C (PKC). Plusieurs travaux indiquent que les substrats de la PKC favorisent le processus sécrétoire. Enfin, d’autres travaux suggèrent que le métabolisme intra-mitochondrial du glucose ne se limitait pas à la génération d’ATP, mais également à des seconds messagers capables d’activer ou de maintenir le processus d’exocytose. Par exemple, l’-cétoglutarate produit par le cycle de Krebs pourrait produire ensuite du glutamate qui serait capté

par les vésicules sécrétoires où son rôle majeur serait de sensibiliser ces vésicules aux effets du calcium. Il semble aussi qu’une production d’espèces réactives de l’oxygène (ROS) pourrait physiologiquement contribuer à la sécrétion d’insuline induite par le glucose [8].

Les oscillations de la sécrétion d’insuline en réponse au glucose Le caractère pulsatile de la sécrétion d’insuline est un phénomène reconnu depuis assez longtemps, mais dont le mécanisme reste assez mystérieux. In vivo, il existe des oscillations lentes de la sécrétion de l’hormone (la période est de 2 à 3 heures), probablement en relation avec la prise de repas, auxquelles se superposent des oscillations beaucoup plus rapides (la période est de 5 à 15 minutes). Le glucose augmente l’amplitude des pics de sécrétion. Cette propriété apparaît comme étant une propriété intrinsèque de la cellule ß, car on la retrouve in vitro, notamment dans des expériences utilisant le pancréas isolé perfusé et les oscillations concernent non seulement la sécrétion d’insuline, mais le potentiel de membrane, les mouvements calciques ou l’utilisation de glucose. Plusieurs arguments font des oscillations de l’activité des canaux K+ sensibles à l’ATP, l’élément responsable principal de la pulsatilité de la libération de l’insuline, mais d’autres facteurs, comme les oscillations de la translocation de la PKC du cytosol vers la membrane, sont vraisemblablement impliqués également [3].

La coopération entre cellules ß

Figure 3 : Principales protéines impliquées dans le processus d’exocytose. Les vésicules sont libres dans le cytoplasme (1) ou accolées à la membrane (2), via l’interaction entre des SNAREs (synaptobrévines, SNAP-25, syntaxine) localisées à la surface des vésicules ou de la membrane. Lors de l’entrée de calcium dans la cellule, la fusion des vésicules avec la membrane plasmique se produit (3). Après la fusion les granules peuvent être recyclé et fusionner avec d’autres granules contenant l’insuline (4). SF : N-ethylmaleimidesensitive fusion protein ; SNAP-25 (25-kDa synaptosomal-associated protein).

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Bien que chaque cellule ß soit équipée de son propre système de couplage stimulus-sécrétion, la réponse réglée de l’ensemble des cellules endocrines nécessite une coordination du fonctionnement de ces cellules à l’intérieur du micro-organisme très sophistiqué que constitue le pancréas endocrine, surtout si on se réfère à l’existence de sous-populations de cellules ß que nous avons évoquées plus haut. Il existe aujourd’hui

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de nombreuses preuves expérimentales recueillies sur la base d’expériences in vivo et in vitro de cette réponse coordonnée des cellules ß au glucose, permise par l’existence de jonctions communicantes (gap junctions). Ces jonctions sont assurées par une famille de protéines transmembranaires, les connexines [9, 10], dont les plus importantes pour le fonctionnement des cellules ß semblent être les connexines 32, 36 et 43 [9, 10].

Les modulateurs de la sécrétion d’insuline induite par le glucose Comme recensé dans la Figure 4, de nombreux acteurs modulent la sécrétion d’insuline induite par le glucose. On peut brièvement citer :

Les acides gras non estérifiés (AGNE) Dans des conditions physiologiques, les AGNE potentialisent la sécrétion d’insuline induite par le glucose [11, 12]. La longueur de la chaîne aliphatique et le degré d’insaturation influent sur leur effet insulinosécréteur. L’importance des AGNE sur le plan physiologique est particulièrement perceptible au cours de la ré-alimentation après une période de jeûne où leur niveau élevé favorise la réponse sécrétoire au glucose [11]. Les mécanismes cellulaires responsables de l’effet potentialisateur des acides gras sur l’insulinosécrétion en réponse au glucose sont encore discutés. L’hypothèse actuellement proposée assigne un rôle déterminant à l’un des métabolites intracellulaires des AGNE, les acyl-CoA qui pourraient favoriser directement l’exocytose en facilitant la fusion des granules de sécrétion avec la membrane plasmique des cellules ß [11]. Une accumulation cytoplasmique des acyl-CoA pourrait aussi augmenter les acylations et contribuer ainsi à l’activation de certaines voies de signalisation et jouer aussi un rôle dans l’adressage des protéines vers des sites spécifiques de la membrane plasmique, la stabilisation de l’interaction protéine-protéine et la régulation de l’activité enzymatique dans les mitochondries [11]. Enfin, il a été montré récemment que les AGNE sont des ligands de la protéine GPR40

Figure 4 : Principaux effecteurs de la sécrétion d’insuline et les voies de transduction impliquées. Les catécholamines peuvent agir via des récepteurs adrénergiques ß (stimulation de la sécrétion d’insuline) ou des récepteurs adrénergiques (inhibition de la sécrétion d’insuline). Dans les conditions physiologiques, c’est l’effet inhibiteur qui l’emporte. VIP : Vasoactive intestinal peptide ; GRP : Gastrin releasing polypeptide ; CCK : cholécystokinine ; NPY : neuropeptide Y ; CGRP : Calcitonin gene-related peptide ; GIP : Gastric inhibitory polypeptide ; GLP-1 : Glucagon like peptide-1 ; AGL : acides gras libres ; PACAP : Pituitary adenylate cyclase activating polypeptide ; IAPP : Islet amyloid polypeptide.

(G-protein-coupled receptor 40), récepteur couplé à une protéine G, fortement exprimé dans les cellules ß dont l’activation conduirait à l’amplification de la sécrétion d’insuline [13].

tème de transport spécifique des acides aminés cationiques. L’accumulation de charges positives consécutives à ce transport dépolarise la membrane et provoque la cascade d’événements cellulaires déjà décrite.

Les acides aminés Ils sont capables, dans leur majorité, de stimuler la sécrétion d’insuline [12]. Les plus puissants sont l’arginine, la leucine et la lysine. Ce sont des amplificateurs très efficaces de la réponse sécrétoire au glucose. Le mécanisme d’action des acides aminés varie selon leurs propriétés biochimiques. Certains, comme la leucine, sont métabolisés et exercent ainsi un effet insulinosécréteur par des voies semblables à celles du glucose. La leucine, après son entrée dans la cellule par un système de transport dépendant du sodium, fournit par transamination de l’acide -caproïque (KIC), dont le métabolisme génère équivalents réduits et ATP [12]. L’arginine et la lysine, qui sont des acides aminés chargés, traversent la membrane plasmique grâce à un sys-

L’axe entéro-insulaire : les « incrétines » Les trois incrétines (= gluco-incrétines) majeures exerçant un effet insulinotrope dans des conditions physiologiques sont le GIP (glucose-dependent insulinotropic polypeptide) et le GLP-1 (glucagon like peptide-1) et la CCK (Cholecystokinine), qui agit également en tant que neurotransmetteur [14]. Le GIP est un peptide de 42 acides aminés produit dans les régions proximales de l’intestin par les cellules K du duodénum. Le GLP-1 est produit, dans les cellules L du jéjunum et de l’iléon (régions distales de l’intestin), par un mécanisme de clivage protéolytique différentiel de la molécule de pré-pro-glucagon. La sécrétion de GIP et de GLP-1 est principalement déclen-

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chée par le glucose, mais aussi par les acides aminés et les acides gras libres [15]. L’effet insulinotrope de ces hormones n’est observé qu’en présence de concentrations de glucose égales ou supérieures à la normoglycémie (autre exemple de défense contre l’hypoglycémie). La sécrétion quasi-simultanée de GIP et de GLP-1 après une prise alimentaire à partir de régions relativement éloignées, suggère également un mécanisme indirect impliquant le système nerveux entérique [15]. Le GIP et le GLP-1 se lient à des récepteurs spécifiques à sept domaines transmembranaires présents à la surface des cellules ß, dont l’activation mène à la stimulation de l’adénylyl-cyclase et à la production d’AMPc. Le GLP-1 induit ainsi une réponse PKA dépendante mais également PKA indépendante impliquant notamment des molécules comme Epac2 ou TORC2 (Transducer Of Regulated CREB activity 2). Quant à l’effet insulinotrope de la CCK (peptide de 33 acides aminés), il met en jeu l’activation de la phospholipase C et de la phospholipase A2. La CCK a également un effet permissif sur l’action de l’acétylcholine. Enfin, il existe aussi une sécrétion de somatostatine (ou Somatotrophin-release inhibitory factor, SRIF) par l’intestin, sous une forme de 28 acides aminés, différente de la forme de 14 acides aminés produite par les cellules  pancréatiques. Elle exerce un effet inhibiteur sur la sécrétion d’insuline.

Les hormones insulaires Le glucagon et la somatostatine insulaires stimulent et inhibent respectivement la sécrétion d’insuline [16]. Ces hormones agissent principalement de façon paracrine, mais elles peuvent aussi exercer leurs effets par la voie endocrine. Le glucagon gagne la cellule ß par voie paracrine ou endocrine. Son récepteur est couplé à une protéine Gs. La somatostatine est aussi un neurotransmetteur libérée par certaines fibres nerveuses et une hormone intestinale. Il existe deux isoformes de récepteurs de la somatostatine sur la cellule ß. L’effet de la somatostatine passe par une diminution de la synthèse d’AMPc consécutive à l’inhibition de l’adénylyl cyclase (protéine Gi). Le rôle de l’insuline, elle-même, reste très discuté. La notion selon laquelle l’hor-

mone pourrait moduler sa propre sécrétion n’est pas nouvelle. Les concentrations énormes d’insuline auxquelles sont exposées les cellules ß pouvaient laisser penser logiquement à un phénomène de « désensibilisation » de ces cellules et donc à un rétro-contrôle négatif de l’insuline vis-à-vis de sa propre sécrétion.

Hormones et adipokines L’hormone de croissance et la prolactine inhibent la sécrétion d’insuline. Cependant, les mécanismes précis sont encore mal connus. Les hormones thyroïdiennes ont un effet stimulant de la sécrétion d’insuline reconnu depuis longtemps, mais là encore les mécanismes moléculaires sont mal connus. Certaines des adypokines sécrétées par le tissu adipeux contrôlent la sécrétion d’insuline au point qu’on parle maintenant de plus en plus volontiers d’axe adipo-insulaire [17]. La leptine, produit du gène Ob est le « chef de file » de ces cytokines. C’est l’isoforme longue du récepteur de la leptine qui est présent sur la membrane de la cellule ß pancréatique. La voie de signalisation de l’hormone est de type janus kinase (JAK) /signal transducer and activator of transcription (STAT). La leptine inhibe la sécrétion d’insuline [17]. L’effet de l’hormone passerait par l’activation de la phosphodiestérase 3B (via l’activation de la PI3 kinase), enzyme catalysant l’hydrolyse de l’AMPc. Un autre effet serait d’ouvrir les canaux K+ ATP dépendant, hyperpolarisant ainsi la cellule ß. Une autre protéine sécrétée par l’adipocyte, l’adiponectine ou adipoQ ou Acrp30, augmente la sensibilité à l’insuline au niveau hépatique et musculaire. Concernant la cellule ß, il n’a pas été décrit d’effet majeur de cette hormone sur la sécrétion d’insuline. Cependant, sur des îlots de souris insulinorésistante (à la suite d’un régime riche en lipides), il a été montré que l’adiponectine potentialisait la réponse insulinosécrétoire au glucose [17]. L’adiponectine pourrait également avoir un effet anti-apoptotique vis à vis des cellules ß, comme il l’a été récemment montré sur la lignée cellulaire INS-1.

Le système nerveux Les terminaisons nerveuses sympathiques libèrent non seulement de la nora-

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drénaline, qui est le neuromédiateur le plus important de ce système, mais aussi de la galanine et du neuropeptide Y [18]. Les terminaisons nerveuses parasympathiques libèrent de l’acétylcholine (neuromédiateur principal des terminaisons nerveuses pancréatiques), ainsi que du VIP (Vasoactive intestinal peptide), du PACAP (Pituitary adenylate cyclase activating polypeptide) et du GRP (Gastrin releasing peptide) [revue in 19]. L’activation du système nerveux parasympathique avant la prise alimentaire constitue ce que l’on appelle classiquement la phase céphalique de la sécrétion d’insuline. Cette phase qui inclut notamment, la mise à contribution de neurones sensoriels oro-pharyngés, est perçue, sur le plan adaptatif, comme une anticipation de l’élévation de la glycémie postprandiale puisqu’elle génère un pic précoce, bien que modeste, de sécrétion d’insuline avant toute augmentation de la concentration du glucose circulant et avant même que le glucose n’ait atteint le tube digestif. L’activation du système nerveux sympathique contribue à l’inhibition de la sécrétion d’insuline au cours du stress. Elle joue un rôle physiologique important au cours, notamment, de l’exercice physique. Conflits d’intérêts : aucun

Points essentiels r Le stimulus primaire de la sécrétion d’insuline est le glucose. r Mais de nombreux partenaires interviennent pour potentialiser (certains acides gras et acides aminés, hormones incrétines, acétylcholine) ou atténuer (neuromédiateurs du système nerveux sympathique, somatostatine) cette réponse insulinosécrétoire. r A l’échelon intégré, c’est l’ensemble de ces interactions qui permet une réponse adaptée de la cellule ß pancréatique en fonction des demandes en insuline de l’organisme. r Tout dysfonctionnement de ce système complexe de communication aura des effets délétères sur la sécrétion d’insuline.

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Figure 5 : Les principaux facteurs humoraux et nerveux de contrôle de la sécrétion d’insuline. PACAP : Pituitary adenylate cyclase activating polypeptide ; VIP : Vasoactive instestinal peptide ; GRP : Gastrin releasing peptide ; IAPP : Islet amyloide polypeptide ; GIP : Gastric inhibitory polypeptide ; GLP-1 : Glucagon like peptide-1 ; CCK : Cholecystokinine.

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Conclusion L’adaptation du fonctionnement coordonné des cellules ß aux variations de l’état métabolique et, en particulier, de l’équilibre glycémique, est un bel exemple de spécialisation d’un micro-organe, en l’occurrence l’îlot de Langerhans, au contrôle optimal à court et à long terme de l’homéostasie énergétique. Comme l’illustre la Figure 5, la multitude des corrélations humorales et nerveuses qui modulent l’activité des cellules productrices d’insuline sont garantes de la finesse de ce contrôle. Des progrès immenses ont été accomplis dans la dissection des mécanismes d’action des différents facteurs de contrôle de la biosynthèse et de la sécrétion des hormones pancréatiques. L’élucidation plus complète de ces mécanismes est indispensable à la recherche de cibles nouvelles pour le traitement des diabètes, mais cela restera insuffisant si la compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaire n’est pas replacée dans son contexte physiologique. C’est à ce prix que les avancées dans le domaine de la compréhension du

contrôle de la production et de la sécrétion d’insuline contribueront à la mise au point de thérapeutiques rationnelles pour cette affection.

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