Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 282-8 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801003550/SCO
Cas clinique
Ischémie du greffon rénal et hyperlactatémie J.P. Pertek1*, A. Coissard1, J.M. Lalot1, E. Renoult2, L. Cormier3 1
Département d’anesthésie-réanimation, hôpital de Brabois, CHU de Nancy, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy cedex, France ; 2service de néphrologie, hôpital de Brabois, CHU de Nancy, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy cedex, France ; 3service d’urologie, hôpital de Brabois CHU de Nancy, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy cedex, France
RE´SUME´ Quatre cas d’hyperlactatémie après transplantation rénale sont rapportés. Dans les premiers jours postopératoires, trois transplantés avaient une hémorragie occulte dans la loge du greffon. L’extériorisation de l’hémorragie et le retentissement sur la pression artérielle, la fréquence cardiaque et la pression veineuse centrale étaient faibles. Au plan biologique, il existait de façon précoce, une hyperlactatémie ou une acidose à trou anionique augmenté. Le syndrome compartimental abdominal constitué par ces hématomes rétropéritonéaux compressifs provoquait des troubles de la perfusion du transplant et nécessitait une intervention chirurgicale. Dans le quatrième cas, il n’y avait pas d’hématome mais une thrombose partielle de la veine du greffon et de la veine iliaque externe et une hyperlactatémie. Lors de la réintervention, les prélèvements sanguins au niveau de la veine et de l’artère du greffon objectivaient une production de lactate sur le rein ischémié. Le rôle particulier du rein dans le métabolisme des lactates permet d’évoquer l’hypothèse d’une production de lactates par le greffon rénal hypoperfusé. En l’absence de signe de choc, dans les circonstances à risque d’hématome périrénal, ou en cas d’oligurie, le dosage des lactates pourrait se révéler utile au diagnostic d’hypoperfusion sévère du greffon. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS acide lactique / hématome / rein / rétropéritonéal / syndrome compartimental abdominal / transplantation
ABSTRACT Hypoperfused kidney following kidney transplantation associated with hyperlactatemia. The authors report four cases of patients presenting with hyperlactatemia following renal transplantation. The posttransplantation course of three patients who underwent renal transplantation was complicated by occult haemorrhage. Excessive blood loss was not evident, the patients were haemodynamically stable and their blood pressure, pulse rare and filling pressure (central venous pressure) were unremarkable. Late examinations revealed an early increase in arterial lactate concentrations a non-aniograp acidosis or lactic acidaemia occurred. Surgical decompression was carried on in all patients. An increase in the intraabdominal pressure might have caused renal impairment in the absence of haemodynamic disturbance, and retroperitoneal haematoma a change in the distribution of intrarenal blood flow. Another patient developed a partial renal venous thrombosis associated with hyperlactatemia. During this re-operation, a renal lactate production was measured. The renal cortex is a site of lactate clearance. Impaired renal perfusion should result in decreased lactate clearance and when the kidney is hypoperfused a lactate production was occur. In the absence of any signs of clinical shock, patient at risk of retroperitoneal haematoma or presenting with oliguria should benefit from lactate measurements, which could help diagnosing severe hypoperfusion of the graft. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS abdominal compartment syndrome / haematoma / hyperlactatemia / kidney / lactic acid / retroperitoneal / transplantation
Reçu le 28 avril 2000 ; accepté le 30 novembre 2000. *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (J.P. Pertek).
En transplantation rénale, les complications vasculaires précoces nécessitent une réponse adaptée et
Ischémie rénale et hyperlactatémie
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rapide [1, 2]. Le diagnostic d’hémorragie postopératoire est souvent évident, l’importance et le retentissement vont guider les indications de reprise chirurgicale. L’hémorragie n’est parfois pas ou peu extériorisée et un hématome se constitue dans la loge de transplantation. Les collections compressives par lymphocèle ou hématome autour du greffon peuvent entraîner une compression veineuse ou artérielle compromettant sa fonction et nécessiter une évacuation rapide, pour éviter la thrombose de la veine rénale, imposant une reprise chirurgicale urgente [1, 2]. La place de l’imagerie médicale est primordiale pour établir le diagnostic d’hématome et d’anomalies de la vascularisation. Dans quatre cas de complication vasculaire précoce avec ischémie rénale, une hyperlactatémie ou une acidose à trou anionique augmenté a été observée. L’hypothèse d’une relation directe entre l’ischémie du greffon rénal et l’hyperlactatémie est envisagée. Cette constatation pourrait alors justifier la mise en œuvre rapide de moyens diagnostiques ou thérapeutiques pour confirmer ou traiter une ischémie du greffon rénal.
livedo localisé au membre inférieur droit. Les paramètres relevés toutes les heures étaient normaux. La pression artérielle (PA) était stable (140/80 mmHg). La fréquence cardiaque variait entre 60 et 90 b·min–1. La pression veineuse centrale (PVC) était en moyenne de 9 cmH2O. Une gazométrie artérielle réalisée à h30 en raison d’une polypnée montrait une acidose métabolique avec trou anionique augmenté à 23 mEq·L–1 (tableau I). Une tomodensitométrie montrait une volumineuse collection dans la loge du greffon avec une diffusion intrapéritonéale, l’absence de thrombose vasculaire, un faible rehaussement de la parenchymographie et l’absence de sécrétion rénale sur les temps tardifs. Les troncs veineux iliofémoraux étaient perméables, mais paraissaient comprimés à droite. Une reprise chirurgicale pour évacuation de cet hématome compressif était réalisée et le trou anionique était alors de 16 mEq·L–1. Une séance d’hémodialyse était nécessaire à j5 et la sortie de la patiente possible à j22, avec une créatininémie à 115 µmol·L–1.
OBSERVATIONS
Une femme de 40 ans, hémodialysée depuis cinq ans, était appelée pour recevoir un greffon rénal. Elle était hypotendue chronique sans autre signe de dysautonomie, sa PAS était habituellement inférieure à 100 mmHg, alors qu’elle était traitée par un sympathomimétique indirect et un dérivé de l’ergot de seigle. Sa diurèse résiduelle était de 500 mL·j–1 et son poids sec de 51 kg. Elle était à son poids sec et sa PA était à 90/50 mmHg avant l’intervention. Lors de l’anesthésie générale entretenue par isoflurane, une hypotension artérielle (65/30 mmHg) était partiellement corrigée par des injections d’éphédrine, puis par 5 µg·kg–1·min–1 de dopamine (PA : 110/ 60 mmHg). Un remplissage était effectué par 1,5 litre de sérum physiologique, la PVC variait entre 9 et 12 cmH2O. L’échocardiographie postopératoire était normale, mais en raison d’une anurie une échographie-doppler du greffon montrait une bonne perfusion du greffon et l’absence d’hématome. Au cours des 48 premières heures postopératoires, la dopamine était poursuivie à la dose de 5 µg·kg–1·min–1 permettant d’obtenir une PAM entre 60 et 75 mmHg. La diurèse totale était à j2 de 400 mL. Les drains donnaient 55 mL au cours des deux premiers jours.
Premier cas Une femme de 51 ans, hypertendue, insuffisante rénale hémodialysée depuis un an, était transplantée en fosse iliaque droite (FID) d’un rein de donneur en état de mort encéphalique. Sa diurèse résiduelle était de 500 mL·j–1 et son poids sec de 76 kg. L’anesthésie, l’intervention et les 24 premières heures postopératoires se déroulaient sans incident. Son poids après la greffe était de 79,6 kg. La diurèse du greffon, recueillie par l’intermédiaire d’une sonde urétérale, était de 100 mL·h–1 pendant les 18 premières heures, puis 40 à 75 mL·h–1 les 18 heures suivantes. La créatininémie passait de 1 025 µmol·L–1 à 884 µmol·L–1 en période préopératoire (tableau I). En raison d’un saignement extériorisé par les drains, la patiente avait reçu la transfusion de quatre concentrés globulaires, mais la concentration en hémoglobine était à 87 g·L–1 (110 g·L–1 en période préopératoire). Les examens biologiques de la coagulation ne révélaient pas d’anomalie. À partir de la 24e heure, elle se plaignait de douleurs et avait un
Deuxième cas
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Tableau I. Examens biologiques (prélèvements artériels sauf cas n °4, deux prélèvements dans la veine du greffon).
Cas 1
Cas 2
Cas 4
pH
PCO2 CO3H (mmHg) (mmol·L–1)
PO2 (mmHg/ FIO2 %)
Hb (g·L–1)
Prétransplantation h 30 h 35 h 36 Prétransplantation h 73 h 80 h 82 h 96 (après reprise chirurgicale) h 105 h 111 (après embolisation) h114 Prétransplantation
VS VS VA (7) VA (10,6) VS VS VS VA (6) VACI
ND ND ND ND ND 5,1 7,3 ND 5,1
ND 7,26 7,13 7,33 ND 7,40 7,36 7,16 7,42
ND 33,3 42,8 35,2 ND 31,7 20 34,3 26,9
VACI VS
4,1 2,9
7,46 7,32
VS VS
2,0 0,5
h6 h 12 h 20 (après reprise chirurgicale) Fin transplantation Fin transplantation Veine greffon h 12 h 13 h 13 Veine greffon
VS VS VA (9,6)
Na K Cl (mmol·L–1) (mmol·L–1) (mmol·L–1)
ND 15,4 13,7 19,4 ND 19,1 11,7 12,7 17,1
ND 73/21 227/50 115/50 ND 210/50 207/50 314/60 163/40
110 87 78 90 119 69 ND 111 113
134 136 133 132 141 134 131 133 135
3,9 4,8 4,6 4,6 4,6 4 4,1 3 3,3
97 98 98 97 100 98 101 ND 102
25,7 40,3
18 19,8
158/35 136/35
52 75
134 134
4,1 4
105 102
7,41 7,36
29,8 41,2
18,5 22,5
160/35 84/21
78 116
134 134
4,7 4,6
102 100
2,3 20,5 1,2
7,30 7,09 7,41
33,9 36,9 34,6
16,0 13,4 21,4
76/21 109 /50 60/50
87 99 94
131 136 141
4,9 5,3 4,0
VA (5,4) VA (5,4)
0,8 1,6
7,39 7,35
35,3 41
21 21,9
157/50 38/50
112 113
138 138
VA (7) VA (6) VA (6)
3,4 1,0 2,8
7,20 7,24 7,15
51,5 47 55,7
19,3 19,2 18,8
79/50 86/70 70/70
154 97 98
134 138 132
Créatinine (µmol·L–1)
Protides (g·L–1)
1 025 884 778 976 663 672 937 ND 362 (Hf)
60 57 55 55 74 ND 58 ND 40
442 460
30 38 38 78
105 97 96
504 981 (avant Hd) 866 1 078 919
3,4 4,0
102 ND
451 ND
72 ND
3,7 5 4,8
99 102 ND
522 539 ND
62 57 ND
ND : non disponible, Hd : hémodialyse ; Hf : hémofiltration ; VS : ventilation spontanée ; VA : ventilation artificielle ; VACI : ventilation contrôlée intermittente.
61 53 39
J.P. Pertek et al.
Cas 3
VS ou VA Lactates (L·min–1) (mmol·L–1)
Ischémie rénale et hyperlactatémie
À j3, la dopamine était arrêtée. Au cours d’une séance d’hémodialyse, justifiée par l’absence d’efficacité fonctionnelle du greffon, la patiente se plaignait de douleurs de la FID avec épisode d’hypotension artérielle à 60/30 mmHg rapidement résolutif (FC = 78 b·min–1). La biologie montrait une acidose lactique (lactatémie à 5,1 puis 7,3 mmol·L–1), la baisse du taux d’hémoglobine (tableau I) et l’absence d’anomalies de la coagulation. Une échographie révélait une collection périrénale rétropéritonéale refoulant le greffon. Les drains donnaient jusqu’à 300 mL·h–1. La reprise chirurgicale permettait l’évacuation d’un hématome de 1 600 mL. L’embolisation radiologique d’une artère pariétale naissant de l’iliaque externe droite était réalisée en raison d’une récidive du saignement. La lactatémie se corrigeait lorsque l’hémostase était obtenue (2 mmol·L–1 après l’embolisation). À la sortie, la créatininémie était à 130 µmol·L–1 et il existait une amyotrophie de la cuisse droite avec atteinte sensitivo-motrice du nerf crural droit. Troisième cas Un homme de 36 ans, insuffisant rénal, anurique hémodialysé, ayant déjà eu trois transplantations antérieures et trois transplantectomies, était dialysé pendant une heure avant une quatrième greffe rénale, en raison d’une hyperkaliémie (à la fin de la séance les lactates étaient à 0,5 mmol·L–1). Le poids préopératoire était à 60 kg pour un poids sec de 59,5 kg. L’anesthésie générale était sans particularité avec une stabilité hémodynamique parfaite. Deux litres de sérum physiologique étaient administrés en période peropératoire. La PVC peropératoire était comprise entre 8 et 12 cmH2O. Le poids de sortie de bloc était de 62,2 kg. Six heures (h6) après le réveil, le patient se plaignait d’une dyspnée, avait des phases d’agitation, mais l’examen clinique était normal. La diurèse cumulée était de 200 mL malgré l’administration de furosémide à 20 mg·h–1, les examens biologiques révélaient alors des lactates à 2,3 mmol·L–1 et l’hémoglobine était à 87 g·L–1, la FC maxima était de 80 b·min–1, un seul épisode d’hypotension était observé pendant quelques minutes à h10 (à 90/70 mmHg) et la PVC la plus basse était de 2,5 cmH2O (tableau I). Douze heures après le réveil (h12) il faisait un arrêt circulatoire rapidement réanimé. Par ailleurs, le
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volume total extériorisé par les drains était de 200 mL. Les examens biologiques réalisés au moment de l’arrêt circulatoire montraient une acidose lactique sévère (tableau I). Une échographie objectivait une collection dans la loge de transplantation imposant la reprise chirurgicale et l’aspiration de caillots et de sang, d’un volume estimé à un litre. Après cette intervention la lactatémie était normalisée (1,2 mmol·L–1). Finalement l’évolution était favorable et le patient sortait avec une créatininémie à 132 µmol·L–1. Quatrième cas Une femme de 59 ans, hémodialysée pour une insuffisance rénale par polykystose rénale avec une diurèse résiduelle de 1 000 mL·j–1, était transplantée rénale. L’anastomose chirurgicale de l’artère du greffon était rendue difficile par un athérome. L’anesthésie était sans particularité et dix minutes après le déclampage vasculaire les lactates étaient mesurés à 0,8 mmol·L–1 dans l’artère du greffon et à 1,6 mmol·L–1 dans sa veine (tableau I). Après l’administration d’héparine in situ, de l’héparine non fractionnée était administrée en sous-cutané (7 500 unités × 2·j–1). L’examen clinique était normal, mais la diurèse cumulée n’étant que de 500 mL sur les douze premières heures malgré l’administration de furosémide, une échographie-doppler était réalisée. Seuls l’artère rénale et quelques branches du greffon étaient visibles avec un aspect de « va-et-vient » évocateur d’une thrombose de la veine du greffon. L’extension de la thrombose veineuse se faisait aux veines fémorales commune et superficielle, poplitée et à de nombreuses veines musculaires jambières. Le rehaussement parenchymateux rénal après injection de Levovistt était faible. Une réintervention était immédiatement réalisée. Avant l’induction de l’anesthésie, il existait une tachycardie et une hypoxémie avec une SpO2 de 92 % à l’air. Après préoxygénation, l’induction n’entraînait pas d’anomalie tensionnelle. La gazométrie réalisée après l’induction (tableau I, h12) révélait une hyperlactatémie (3,4 mmol·L–1) et un gradient alvéoloartériel en CO2 (ETCO2 22 versus PaCO2 47 mmHg à h13). Après thrombectomie des grosses veines et démontage de l’anastomose veineuse, la perfusion du rein apparaissait toujours compromise, la concentration en lactates mesurée au niveau de
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J.P. Pertek et al.
l’artère rénale était normalisée (1 mmol·L–1), mais le dosage au niveau de la veine du greffon montrait une production rénale de 2,8 mmol·L–1. Une transplantectomie et l’analyse histologique révélaient une thrombose récente incomplète de la veine rénale, une artère sans signe de thrombose ou d’artérite et des lésions parenchymateuses diffuses de souffrance tubulaire, de congestion pouvant correspondre à un infarcissement hémorragique en cours de constitution de l’ensemble du rein. Une scintigraphie pulmonaire ventilation-perfusion confirmait des projections emboliques multiples. Un déficit en protéine S était constaté, mais un nouveau dosage devait être réalisé à l’arrêt des anticoagulants avant d’affirmer la thrombophilie. L’évolution se faisait sans autre complication. DISCUSSION Quatre observations d’hyperlactatémie après ischémie d’un transplant rénal récent sont rapportées. Dans trois cas, le tableau est celui d’une compression rétropéritonéale d’origine hémorragique et dans le dernier cas d’une thrombose veineuse. Ces observations illustrent d’une part la difficulté diagnostique des syndromes hémorragiques, ayant leur origine dans la loge de transplantation qui est créée dans l’espace rétropéritonéal. D’autre part, la constatation d’une hyperlactatémie permet d’évoquer une production de lactates par hypoxie tissulaire et d’envisager le rôle particulier du greffon rénal. Dans trois cas l’hyperlactatémie ou l’acidose de type lactique est affirmée (lactatémie > 2 mmol·L–1 ou > 5 mmol·L–1). Dans le premier cas, le dosage des lactates n’a pas été réalisé et le trou anionique a pu être augmenté par d’autres acides que l’acide lactique (par l’acide β-hydroxybutyrique de l’acidocétose diabétique ou par les sulfates ou phosphates de l’insuffisance rénale), mais aucun des patients n’est diabétique, ne reçoit de metformine, et la diminution de la créatininémie de cette patiente traduit une fonction rénale en voie d’amélioration [3, 4]. Les autres causes d’acidose métabolique périopératoire peuvent être également éliminées (acidoses par hyperchlorémie ou de dilution) [5, 6]. Enfin, aucun des patients n’a bénéficié d’entérocystoplastie [7] ou de dialyse péritonéale [8] et une relation entre trou anionique et lactatémie est mise en évidence [9]. L’acidose lactique apparaît dans les chocs cardiogénique ou septique, mais il n’y a pas d’argument en
faveur de telles origines [3, 10]. Dans les trois cas où une hémorragie est à l’origine, il n’y avait pas de choc hémorragique, généralement défini par une PAS inférieure à 90 mmHg ou inférieure de 50 mmHg par rapport à la PAS de référence, une pression de remplissage cardiaque (comme la PVC) abaissée et une FC élevée. Les examens biologiques montrent que la fonction hépatique est normale. Dans le troisième cas, le dosage des lactates à h12 est intervenu après arrêt circulatoire et administration d’adrénaline dont les effets peuvent avoir majoré l’acidose lactique. L’évacuation des épanchements compressifs associé aux mesures de réanimation a permis la correction de la lactatémie. La production de lactates peut être augmentée par l’hypoxie tissulaire générée par hypoperfusion locale (ischémie mésentérique ou du membre inférieur…). Elle correspond à la cause de type A de la classification de Cohen et Wood [3]. Dans le premier cas, il existe des signes cliniques de mauvaise perfusion du membre inférieur, mais non dans les autres et la perfusion rénale est à chaque fois celle qui apparaît la plus sévèrement diminuée. Le rôle particulier du rein dans le métabolisme des lactates et en condition d’hypoperfusion mérite d’être envisagé. L’hématome dans la loge de transplantation provoque un syndrome de type compartimental abdominal rétropéritonéal. L’augmentation aiguë de cette pression lors d’hémorragies rétropéritonéales, après traumatisme pelvien ou chirurgie de l’aorte, a des effets néfastes sur le débit cardiaque, la fonction rénale, la perfusion intestinale, la fonction respiratoire et la perfusion cérébrale avec élévation de la pression intracrânienne [11, 12]. L’hématome rétropéritonéal retentit sur la fonction rénale par diminution du débit rénal, compression de la veine rénale et des artérioles corticales et compression directe du parenchyme [12]. Même pour un débit sanguin rénal peu diminué, la répartition de la perfusion rénale peut se modifier. La compression urétérale (cause d’insuffisance rénale de type post-rénal) ne jouerait pas un rôle important dans le syndrome du compartiment abdominal [12]. L’hyperpression intra-abdominale créée par un hématome rétropéritonéal d’origine traumatique peut être responsable d’une insuffisance rénale, la décompression permettant la normalisation de la fonction rénale [13]. Parmi les facteurs responsables de l’insuffisance rénale, on trouve la baisse du
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Ischémie rénale et hyperlactatémie
débit cardiaque, la libération d’hormone antidiurétique, l’augmentation des résistances vasculaires rénales, la compression des veines rénales, et la redistribution du flux sanguin rénal vers la médullaire. Dans la quatrième observation, le gradient artérioveineux rénal en lactates était inversé dix minutes après le déclampage (0,8/1,6 mmol·L–1) et inférieur à celui mesuré sur le rein mal perfusé en raison d’une thrombose veineuse incomplète (1,0/2,8 mmol·L–1). Dans les conditions rencontrées le greffon rénal mal perfusé est incapable de contribuer à l’épuration des lactates et participe à sa production [3, 10]. Le rein joue un rôle particulier dans l’élimination ou la production de lactates [14]. Des études expérimentales et cliniques reconnaissent au rein un rôle dans le métabolisme des lactates. En conditions normales, une partie de la consommation d’oxygène par le rein est destinée au métabolisme des lactates et la part qui revient au rein dans l’élimination des lactates varie de 8 à 30 % [3, 14, 15]. Ainsi la clairance des lactates est diminuée de 30 % chez l’animal binéphrectomisé [14]. La clairance urinaire du lactate est négligeable comparée à la clairance métabolique du rein. Les lactates filtrés par les glomérules sont réabsorbés quasi complètement dans les tubes proximaux. Même si cette voie d’élimination est capable d’augmenter en cas d’apport exogène d’acide lactique, l’élimination urinaire des lactates reste faible [14]. Ces derniers sont métabolisés par les cellules tubulaires proximales du cortex rénal par néoglucogenèse, alors que les cellules de la médullaire produisent des lactates par glycolyse anaérobie [3]. À l’opposé, en conditions d’ischémie ou de modification de la répartition de la perfusion, le rein peut devenir producteur de lactates [3, 10]. Lors d’une étude expérimentale sur le choc hémorragique chez le chien, des auteurs observaient qu’à partir d’un seuil d’hypoxie rénale le rein produit des lactates, comme en témoigne le gradient artério-veineux rénal en lactates qui s’inverse [15]. L’épuration rénale des lactates diminue de façon marquée lorsque la perfusion rénale est réduite de 66 % et lorsque cette réduction atteint 94 % une production de lactates est constatée [15]. D’autres auteurs, réalisant chez le porc une ischémie rénale par réduction du flux sanguin rénal, observent une baisse de la clairance de la créatinine et une production de lactates corrélées au degré d’ischémie [16]. Par ailleurs, pour tenter d’évaluer l’importance de l’ischémie à laquelle ont été expo-
sés les reins prélevés sur des sujets en état de mort encéphalique, des auteurs ont mesuré les modifications acido-basiques dans le liquide de perfusion ex situ [17]. Ils constatent que dans le groupe de greffons en dysfonctionnement après transplantation, la fréquence des épisodes d’hypotension artérielle chez le donneur et la concentration des lactates dans le liquide de perfusion sont plus élevées [17]. La même corrélation entre concentration de lactates dans le liquide de perfusion et dysfonctionnement du greffon rénal après transplantation est trouvée par d’autres auteurs [18]. Enfin, dans une autre étude, la concentration plasmatique des lactates, mesurée dans la veine du greffon rénal, 30 minutes après la reperfusion, est plus élevée dans le groupe des reins dont la reprise de fonction est différée (1,84 ± 0,18 vs 1,58 ± 0,4 mmol·L–1) [19]. Dans le quatrième cas, les lactates qui étaient à 1,6 mmol·L–1 dans la veine du greffon à la fin de la transplantation étaient à 2,8 mmol·L–1 lors de l’ischémie. Pour les trois premiers patients, victimes d’hémorragie rétropéritonéale dans la loge de transplantation rénale, avec un tableau clinique initialement peu évocateur, l’hyperlactatémie ou l’acidose métabolique était précoce. Pour exemple, dans le troisième cas, une lactatémie à 2,3 mmol·L–1 était observée à h6 ; si cette constatation avait permis de rattacher le trouble à une ischémie du greffon par compression, le traitement étiologique aurait pu être effectué plus précocement. Dans les cas rapportés, alors que l’hypovolémie n’a pas initialement de traduction clinique et que la mesure hémodynamique invasive (PVC) n’est pas pertinente, la découverte d’une hyperlactatémie et/ou d’une acidose lactique permet d’évoquer le diagnostic de compression par hématome rétropéritonéal. Une lymphocèle qui comprime le greffon ou sa veine menace de la même façon la fonction rénale [1, 2]. CONCLUSION La lactatémie est élevée dans 30 à 45 % des ischémies mésentériques et le dosage des lactates contribue au diagnostic [20]. Examen biologique non spécifique mais de réalisation rapide et facilement renouvelé, le dosage des lactates pourrait se révéler être d’une aide diagnostique utile dans les circonstances à risque d’ischémie du greffon rénal par collection périrénale compressive ou par thrombose veineuse.
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J.P. Pertek et al.
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