La réaction du greffon contre l’hôte

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Actualités pharmaceutiques hospitalières Ř n° 20 Ř Novembre 2009 Greffe de cellules souches hématopoïétiques et prévention de la maladie du greffon contre l’hôte

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La réaction du greffon contre l’hôte Dans le cadre d’une transplantation de cellules souches hématopoïétiques, le transfert de cellules immunologiquement compétentes du greffon à un receveur immunodéprimé peut entraîner une réaction allogénique, dite réaction du greffon contre l’hôte (GVH) qui peut être aiguë ou chronique, selon qu’elle survient avant ou après J100 post-greffe. Les différences de CMH sont les plus importants facteurs de risque d’induction de la GVH. Des stratégies ont été développées pour limiter ces réactions, notamment la prophylaxie par traitements immunosuppresseurs, en prévision d’événements immunologiques.

L

e transfert de cellules immunologiquement compétentes du greffon à un receveur immunodéprimé, en particulier dans le cadre d’une transplantation de cellules souches hématopoïétiques, entraîne une réaction allogénique et un ensemble de symptômes appelé : réaction du greffon contre l’hôte. Sans traitement immunosuppresseur, la plupart des transplantations de cellules souches hématopoïétiques se compliquent d’une GVH 1. Malgré un traitement prophylactique suivi conformément aux consensus thérapeutiques, cette complication survient encore très fréquemment, et demeure à l’heure actuelle une cause majeure de morbidité et de mortalité dans les transplantations de cellules souches hématopoïétiques2,3. En parallèle, les premiers essais de greffe de moelle osseuse sont réalisés chez l’homme, chez qui la GVH est évidemment également décrite4,5. Billingham a décrit les caractéristiques de la GVH chez l’homme dès 19666. L’importance de la GVH n’a toutefois été justement appréciée qu’à partir du moment où des survies significatives post-greffe ont été observées, c’est-à-dire à partir des années 1970. Avec le développement des connaissances concernant le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), il devint évident que la fréquence et la sévérité de la GVH étaient accrues par l’importance des disparités des antigènes HLA (human leukocyte antigen) entre le donneur et le receveur. Toutefois, malgré une compatibilité totale de ces antigènes, la moitié des patients étaient affectés par la GVH.

Le typage HLA des patients et des donneurs potentiels ainsi que l’emploi de nouveaux immunosuppresseurs tels que la ciclosporine7, ont permis de diminuer la fréquence de la GVH, ce qui a contribué à l’amélioration de la survie des patients greffés.

Différentes formes Deux formes cliniques de GVH ont été définies : celle qui se produit dans les 100 premiers jours qui suivent la greffe, on parle de GVH aiguë et celle qui se produit audelà des 100 premiers jours post-greffe, on parle alors de GVH chronique. La “barrière” correspondant à la distinction entre GVH aiguë et GVH chronique est fixée arbitrairement à J+100 post-greffe, mais en pratique GVH aiguë et GVH chronique peuvent survenir respectivement plus tard et plus tôt. Il semble judicieux de distinguer les deux formes de GVH sur des bases cliniques, histologiques et immunologiques, plutôt que strictement sur des bases chronologiques8.

GVH aiguë La GVH aiguë survient généralement entre 1 semaine et 2 mois après la greffe, le plus souvent au cours du premier mois. Le délai d’apparition est influencé par le degré de disparité dans les antigènes HLA entre le donneur et le receveur. Après une greffe géno-identique, le délai d’apparition des premiers signes cliniques de la GVH est de 3 semaines, mais il est généralement raccourci d’une semaine après une greffe non apparentée. Ce délai entre la greffe et l’apparition de la GVH correspond à la prolifération et à la différenciation des lymphocytes T transfusés, présents dans le greffon. L’apparition d’une GVH aiguë est parfois d’ailleurs le premier signe de la prise de greffe. La GVH qui se produit sur un mode hyperaigu, dès la première semaine post-greffe, est rare depuis la mise en place des traitements préventifs, mais souvent fatale. La GVH aiguë se traduit typiquement par l’atteinte de trois organes : la peau, le foie et le système digestif. L’incidence est très variable selon les séries : 10 à 90 %, mais elle est en moyenne de 40 % dans les greffes génoidentiques pour les formes modérées à sévères, et de 70 % dans les greffes non apparentées. De nombreux facteurs de risque influencent l’incidence de la GVH aiguë, et détermineront le choix et l’adaptation du traitement immunosuppresseur. La GVH aiguë est classée en différents grades de sévérité croissante : du grade I, le moins grave, au grade IV, le plus grave. La majeure partie des patients qui développent une GVH de grade III ou IV, décèdent directement ou indirectement de cette complication9.

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GVH chronique La GVH chronique a été décrite comme un syndrome débutant entre 100 et 400 jours après la greffe. Les manifestations cliniques et histologiques peuvent en fait se développer dès 40 à 50 jours post-greffe. La GVH chronique peut cliniquement s’apparenter à un syndrome auto-immun affectant les mêmes organes que la GVH aiguë, mais peut également réaliser une atteinte d’autres organes ou une atteinte multiviscérale. Comme la GVH aiguë, l’incidence de la GVH chronique est très variable selon les séries : 25 à 70 %, mais elle est en moyenne de 40 % dans les greffes géno-identiques et de 60 % des greffes non apparentées. De nombreux facteurs de risque de la GVH chronique ont également été identifiés, le premier d’entre eux étant la survenue préalable d’une GVH aiguë. Le diagnostic de la GVH chronique est clinique ou biopsique : il permet de différencier d’une part une forme limitée et une forme étendue de la maladie, et d’autre part par certains auteurs, des formes mineure, modérée et sévère. On distingue également trois catégories selon le mode d’apparition : – à début progressif, qui est la continuation de la GVH aiguë ; – quiescente, qui se développe après une GVH aiguë, sans guérison de celle-ci ; – de novo, qui se développe sans GVH aiguë préalable. La GVH chronique est la première cause de mortalité non due à une rechute leucémique, chez les patients qui survivent plus de 2 ans ; et le taux de mortalité est lié à sa sévérité. La mortalité liée à la GVH chronique est due en fait aux infections ou à une défaillance progressive d’un ou de plusieurs organes impliqués10.

Autres origines de la GVH La GVH peut également survenir dans deux autres situations qu’une transplantation de cellules souches hématopoïétiques. Transfusion de produits sanguins labiles Après une transfusion de produits sanguins labiles non déleucocytés, une GVH peut survenir lorsque le receveur est immunodéprimé ou immunologiquement immature et/ou lorsqu’il existe chez le donneur une identité pour un haplotype HLA du receveur. Dans cette situation, la GVH est prévenue par l’irradiation des produits sanguins labiles, avant leur administration11,12. Transplantation d’organe Le receveur d’une transplantation d’organe, traité par les immunosuppresseurs pour prévenir le rejet du greffon, est susceptible d’une attaque de certains tissus par les cellules T présentes dans le greffon, en particulier

lorsque celui-ci contient un tissu lymphoïde comme par exemple l’intestin grêle.

Physiopathologie GVH aiguë Facteurs de survenue d’une GVH Les conditions requises pour le développement d’une GVH chez l’homme ont été précisées par Billingham6. Chacune des trois conditions peut être discutée et éventuellement modifiée à la lumière des travaux les plus récents8. Ř/HJUHIIRQGRLWFRQWHQLUGHVFHOOXOHVLPPXQRORJLTXHment compétentes. Il est maintenant reconnu que les cellules immunocompétentes sont les cellules T matures présentes dans la moelle osseuse. Les études cliniques confirment les données expérimentales qui démontrent que la sévérité de la GVH est corrélée au nombre de cellules T du donneur transfusées. Ř/HUHFHYHXUWUDQVSODQW«GRLWH[SULPHUGHVDQWLJªQHV tissulaires qui ne sont pas présents chez le donneur. Les différences de CMH sont les plus importants facteurs de risque d’induction de la GVH. De plus, il existe un certain nombre d’antigènes mineurs d’histocompatibilité codés par d’autres gènes, progressivement identifiés. La GVH peut donc se produire entre individus totalement HLA géno-identiques Ces observations ont nécessité une révision du postulat de Billingham pour inclure, en plus de la reconnaissance d’antigènes étrangers de l’hôte, la reconnaissance inappropriée des antigènes de l’hôte. Ř /H UHFHYHXU GRLW ¬WUH LQFDSDEOH GH SURGXLUH XQH réponse efficace pour détruire les cellules transplantées. Un patient avec un système immunitaire normal rejette normalement les cellules T provenant d’un donneur, évitant ainsi la GVH. La troisième condition de Billingham est communément rencontrée dans les greffes allogéniques, où le receveur reçoit habituellement des doses très élevées de chimiothérapie immunosuppressive et de radiations avant l’administration du greffon, mais cette condition est aussi rencontrée dans les deux autres situations abordées précédemment. Le mécanisme sous-jacent à la maladie du greffon contre l’hôte est la réaction allogénique des cellules du greffon à l’encontre des cellules de l’hôte. La GVH a longtemps été considérée comme résultant d’une activation des lymphocytes T du donneur à l’encontre des antigènes majeurs et/ou mineurs du receveur, les cellules T alloréactives du donneur détruisant secondairement les tissus cibles du patient. La physiopathologie de la GVH aiguë est en fait probablement beaucoup plus complexe, faisant intervenir un réseau complexe d’interactions entre les cellules du donneur et celles du receveur. Le modèle actuellement proposé fait intervenir l’alloréactivité des cellules T du greffon mais également le contexte viral, le conditionnement du patient et une activation immunitaire concernant les cellules administrées

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avec le greffon ou issues de la lymphopoïèse après la prise du greffon, ces trois éléments se combinant en une boucle auto-entretenue.

production et à la sécrétion de cytotoxines pro-inflammatoires de type TH-1. Ces molécules de costimulation sont les suivantes : CD40L, CD28, CD4, CD8, LFA-1 (leukocyte functional antigens 1), LFA-2, CD44 et CTLA4 (F\WRWR[LF7O\PSKRF\WHDQWLJHQ 4)18. Le principal signal de costimulation entre la CPA et le lymphocyte T est représenté par les molécules B7 qui lient le CD28 ou le CTLA4 respectivement sur les cellules T naïves et activées. Parmi les cytokines pro-inflammatoires, on note l’IL-2 qui joue un rôle primordial dans l’activation, la prolifération, et l’amplification de la réponse T, et l’IL-15 qui initie la division des cellules T. L’IFN-γ active les cellules natural killer (NK) et les macrophages tissulaires, en synergie avec le TNFα. Il favorise aussi l’expression de molécules d’adhésion, des chémokines et des molécules HLA à la surface des cellules effectrices, il active les macrophages qui produisent des cytokines pro-inflammatoires telles que le TNFα et du monoxyde d’azote (NO), il régule la mort cellulaire des cellules T activées par la voie FasFas ligand15,19. Ř3KDVHHIIHFWHXUVFHOOXODLUHVHWLQƃDPPDWRLUHV Cette phase correspond à un ensemble de mécanismes complexes à l’origine des lésions des tissus et des organes. Les cellules TH-1, qui se sont différenciées durant la phase 2, induisent des lymphocytes T cytotoxiques et activent des cellules NK. Ces cellules attaquent alors

© Phanie/Rajau

Physiopathologie Sur un plan physiopathologique, la GVH aiguë se découpe donc en trois phases2,3,8,13. Ř3KDVHG«J¤WVHWDFWLYDWLRQFHOOXODLUHLQGXLWVSDUOH conditionnement pré-greffe La première phase de la GVH aiguë survient avant que les cellules du donneur ne soient administrées et commence au moment du conditionnement du patient. Les dégâts tissulaires, endothéliaux et épithéliaux, causés par des facteurs tels que la maladie sous-jacente, le traitement de cette maladie, les infections et le conditionnement prégreffe, peuvent permettre une activation cellulaire et une libération de cytokines pro-inflammatoires incluant le tumor necrosis factor (TNF) alpha, l’interleukine 1 (IL-1), l’IL-6 et le granulocyte macrophage colony stimulating factor (GMCSF) ainsi qu’une augmentation des taux de lipopolysaccharides (LPS). Ces cytokines induisent une augmentation de l’immunogénicité des antigènes de l’hôte et de l’expression des molécules d’adhésion, permettant aux cellules T du greffon de reconnaître les antigènes de l’hôte (voir « Les cytokines du système immunitaire et leurs antagonistes en thérapeutique », p. 36). Les dégâts de la muqueuse gastro-intestinale induits par le conditionnement pré-greffe peuvent permettre aux bactéries et aux endotoxines bactériennes d’entrer dans la circulation systémique à partir du tractus gastro-intestinal, augmentant la sécrétion de cytokines inflammatoires à partir des macrophages14,15. Ř3KDVHDFWLYDWLRQGHVO\PSKRF\WHV7GXGRQQHXUHW H[SDQVLRQFORQDOH Cette phase correspond à la mise en place de la réponse immune. L’activation des cellules T du donneur constitue la deuxième phase de la GVH aiguë. Ces cellules reconnaissent les cellules présentant l’antigène (CPA) de l’hôte, et se différencient en cellules T-Helper de type TH-1 qui sécrètent l’interféron (IFN) gamma et l’IL-2. Les alloantigènes peuvent être présentés selon deux concepts : soit directement par les CPA de l’hôte, soit indirectement par les CPA du donneur, mais il semble que la présentation directe soit prépondérante pour induire la GVH. Selon la restriction allogénique attachée au système HLA, les antigènes présentés au sein des molécules HLA de classe I stimulent les lymphocytes CD8+ (cluster of differentiation) cytotoxiques, ceux présentés au sein des molécules HLA de classe II stimulent les lymphocytes CD4 auxiliaires16. Par la suite, des signaux de costimulation entre le lymphocyte T et la CPA17 permettent d’amplifier la réaction d’activation de ces cellules T, notamment grâce à la

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Ř Transfusion du greffon de moelle osseuse en chambre stérile.

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des cellules cibles variées de l’hôte, via la voie Fas-Fas ligand et la voie des perforines20. Les cellules TH-1 peuvent aussi stimuler les macrophages qui augmentent leur production de cytokines inflammatoires telles que : le TNFα, l’IL-1 et le NO. En réponse à la stimulation par les endotoxines qui sont entrées dans la circulation sanguine à partir du tractus gastro-intestinal, ces molécules cytotoxiques attaquent directement des tissus variés de l’hôte et sous-tendent les manifestations cliniques de la GVH aiguë.

GVH chronique La physiopathologie de la GVH chronique est moins bien connue mais les lymphocytes T auto-immuns semblent jouer un rôle majeur. Pour la compréhension de la physiopathologie de la GVH chronique, un modèle murin a été utilisé. Il n’est toutefois pas très pertinent pour la GVH chronique humaine, d’une part parce que les cellules B ne survivent pas après une greffe de moelle osseuse chez l’homme et d’autre part parce que, chez l’homme, la glomérulonéphrite est une manifestation inhabituelle de la GVH chronique. Néanmoins, ce modèle a permis de mettre en évidence des éléments-clés dans le mécanisme de la GVH chronique humaine : – la physiopathologie de la GVH chronique est dépendante de la présence continue de cellules T du donneur réactives à l’hôte ; – l’activation des lymphocytes TH-2 est prédominante dans la GVH chronique. Les études chez la souris et chez l’homme ont révélé une involution de l’épithélium du thymus, une déplétion des lymphocytes, une modification de l’aspect des corpuscules de Hassal et une perte de la fonction thymique, en particulier l’élimination des clones T auto-immuns. Le thymus est endommagé par le conditionnement prégreffe, la GVH aiguë et l’âge21,22. Pris ensemble, ces éléments suggèrent que la GVH chronique pourrait être due à une réponse immune de type “TH-2” des cellules CD4 du donneur qui échappent à la sélection négative du thymus et qui reconnaissent les antigènes du CMH des CPA de l’hôte. Ces clones T auto-immuns du donneur entraînent des lésions tissulaires par infiltration directe et dysrégulation des cytokines. Ils produisent une réponse cytokinique TH-2, notamment de l’IL-4 qui favorise la production d’auto-anticorps (contre des antigènes tissulaires variés de l’hôte) et d’IL-10 qui inhibe la production d’anticorps contre les antigènes de l’environnement13,23. Le modèle présenté par Ferrara et al.8 propose un rôle différentiel des cytokines de profil TH-1 et TH-2, avec la dichotomie suivante : les cytokines TH-1 sont associées à la GVH aiguë, les cytokines TH-2 sont associées à la GVH chronique.

Ce schéma n’est sans doute pas si simple. Les cellules T du donneur produisent des cytokines TH-1, pourtant il a été démontré chez la souris que l’administration de cytokines comme l’IL-2 ou l’IFNγ permettait d’atténuer la GVH aiguë. Muraille et Leo24 ont proposé l’existence d’une boucle de régulation « ,/,/ », qui pourrait modifier la balance TH-1/TH-2. L’IL-12 a normalement pour rôle d’induire la différenciation des lymphocytes T naïfs en lymphocytes de profil TH-1. Elle induit une réponse inflammatoire TH-1, inhibée par l’IL-10. Il a été démontré qu’une production spontanée et importante d’IL-10 lors des premières étapes de la greffe aurait un rôle protecteur vis-à-vis de la GVH25. L’IL-10 exercerait donc un rôle anti-inflammatoire TH-2 et serait induite par l’IL-12. L’IL-12 aurait alors pour action d’induire progressivement une réponse TH-2 à la place d’une réponse TH-1, et la production d’IL-1026.

Signes cliniques GVH aiguë Le diagnostic de la GVH aiguë est d’abord différentiel ; il faut éliminer une des affections suivantes : toxidermie, éruption virale, hépatite médicamenteuse ou virale, maladie veino-occlusive ou diarrhée infectieuse. Ensuite, le diagnostic est fondé sur les signes cliniques et histologiques. Les organes les plus fréquemment atteints au cours de la GVH aiguë sont la peau, le système digestif et le foie. Les symptômes peuvent survenir sur un organe ou plusieurs selon différentes combinaisons. Pour ces trois organes, les lésions caractéristiques consistent en une destruction des cellules épithéliales associée à un infiltrat inflammatoire modéré. Au niveau de la peau et du tube digestif, on observe une dégénérescence de l’épithélium et au niveau du foie, une nécrose des hépatocytes et de l’épithélium des canaux biliaires. Mais d’autres tissus peuvent être impliqués comme le poumon27, le cœur, les reins et la vessie, la conjonctive, les glandes exocrines. GVH cutanée La GVH aiguë apparaît initialement sous forme d’une atteinte cutanée. Elle se manifeste par un rash maculo-papuleux, inflammatoire, d’évolution fluctuante, pouvant s’accompagner ou être précédé d’un prurit de la paume des mains et de la plante des pieds ou d’une sensation de brûlure. Dans un premier temps, l’atteinte de la paume des mains et de la plante des pieds, du thorax, de la face latérale du cou et des oreilles est évocatrice. L’éruption peut progresser sur le tronc, à la racine des membres, et dans les cas les plus sévères, à l’ensemble du tégument. Ceci réalise alors une érythrodermie qui peut se compliquer de formations bulleuses similaires à une brûlure du 3e degré, par rupture au niveau de la jonction dermo-épidermique voire d’une desquamation.

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Le diagnostic différentiel est parfois difficile avec une toxidermie ou plus rarement avec une érythrodermie infectieuse. Les muqueuses peuvent être également atteintes : conjonctive ou organes génitaux externes. GVH hépatique Après la peau, l’organe le plus fréquemment impliqué est le foie. L’atteinte hépatique se manifeste habituellement par une augmentation de la bilirubinémie, des transaminases (aspartate aminotransférase – ASAT et l’alanine amino-transférase – ALAT) et des phosphatases alcalines (PAL) à des valeurs observées lors d’une hépatite cholestatique. Une hépatomégalie modérée et un ictère peuvent également être observés. L’atteinte cutanée et une éventuelle atteinte digestive sont généralement présentes au moment où l’ictère apparaît. Rarement, des formes plus sévères sont diagnostiquées, responsables d’une défaillance hépatique avec des troubles de la coagulation, d’une ascite et d’une encéphalopathie hépatique. À la différence de la maladie veinoocclusive, une augmentation du poids corporel et des hépatalgies sont inhabituelles dans la GVH hépatique. Le diagnostic différentiel peut néanmoins être difficile avec une maladie veino-occlusive, au cours du premier mois post-greffe, ou avec une hépatite infectieuse. GVH digestive Les manifestations digestives apparaissent généralement tardivement, après l’atteinte cutanée. La GVH digestive implique l’intestin grêle et le côlon, entraînant une diarrhée, des hémorragies intestinales, des douleurs intestinales à type de crampes, ainsi que des signes cliniques tels qu’une anorexie, des nausées et des vomissements. La diarrhée est volontiers aqueuse, verdâtre, hémorragique. Dans les cas sévères, un iléus paralytique avec distension abdominale peut apparaître, souvent après un traitement par des antalgiques morphiniques ou des antidiarrhéiques. Les diarrhées volumineuses peuvent persister malgré l’arrêt de l’alimentation orale, et les pertes protéiques et électrolytiques qu’elles entraînent sont parfois considérables. Les douleurs abdominales peuvent être secondaires à l’alimentation, ou spontanées en raison d’un important volume liquidien intra-intestinal. Un nombre important de patients peut présenter une atteinte de la partie supérieure du tractus digestif, avec des manifestations plus ou moins sévères telles qu’une anorexie, une dyspepsie, des nausées et des vomissements, ceci sans diarrhée. Atteinte du thymus et du système immunitaire La gravité de la GVH aiguë est au moins aussi souvent liée au déficit immunitaire qui lui est associé qu’à l’atteinte des organes cibles principaux. Les études histologiques thymiques ont montré que l’agression allo-immune

était responsable d’une atrophie et d’une dysplasie du thymus. Cette atteinte majore le déficit immunitaire associé à la réaction du greffon contre l’hôte. De plus, l’immunosuppression est encore aggravée par les traitements curatifs de la GVH aiguë : corticoïdes ou autres. Le déficit immunitaire, constamment associé à la GVH, porte à la fois sur les fonctions B et T ; il favorise l’apparition d’infections, notamment virales et parasitaires19,28.

GVH chronique La GVH chronique est définie comme une entité clinique et pathologique qui présente des similarités avec des maladies auto-immunes telles que la sclérodermie, le lupus érythémateux systémique, le syndrome de Sjögren’s, l’arthrite rhumatoïde et la cirrhose biliaire primitive. Les manifestations cliniques de la GVH chronique les plus fréquemment observées, avec leur incidence moyenne dans les greffes géno-identiques, sont précisées ci-après29,30. Manifestations cutanées (65-80 %) La peau est l’organe le plus fréquemment impliqué dans la GVH chronique. L’atteinte se présente souvent comme une éruption lichénoïde, un érythème ou un rash papulaire, une hypo- ou une hyperpigmentation. Les symptômes sont un prurit, une perte de flexibilité de la peau. Manifestations hépatiques (40-73 %) Les tests hépatiques montrent principalement des signes de cholestase : PAL supérieures à 3 fois la limite maximale, avec ou sans élévation des ASAT supérieures à 4 fois la limite maximale, avec ou sans élévation de la bilirubine totale supérieure à 2,5 fois la limite maximale. Ces troubles peuvent entraîner un prurit. Une biopsie est nécessaire pour confirmer le diagnostic. Manifestations buccales (48-72 %) L’apparition de douleurs buccales ou d’une sécheresse buccale après 100 jours post-greffe est évocatrice d’une GVH chronique, ainsi que les signes suivants : douleur à type de brûlure, gingivite, mucite, érythème, ulcération, atrophie. Une atrophie et des modifications de la pigmentation des lèvres et des dents peuvent être présentes, ainsi qu’une sensibilité à la nourriture. Manifestations oculaires (18-47 %) Les symptômes sont une sécheresse oculaire, une sensation de brûlure, de sable dans les yeux, des douleurs, une photophobie ou une ulcération de la cornée. Le test de Schirmer montre une valeur moyenne aux deux yeux inférieure à 5 mm à 5 minutes, ou inférieure à 10 mm avec des signes de kératite.

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Manifestations gastro-intestinales (16-26 %) Les symptômes sont notamment une dysphagie, des brûlures d’estomac, des douleurs rétrosternales, des desquamations ou des ulcérations de la muqueuse, une motilité anormale. Anorexie, nausées, vomissements, diarrhée et perte de poids peuvent être également présents. Une perte de poids supérieure à 15 % est habituellement un signe de GVH chronique étendue, et n’est pas toujours associée à des signes gastro-intestinaux. Un syndrome de malabsorption est habituellement présent chez ces patients. Manifestations pulmonaires (10-15 %) La GVH chronique est souvent associée à des infections pulmonaires récurrentes et à un dysfonctionnement pulmonaire chronique obstructif, avec une toux non productive et une dyspnée. Infections bactériennes Comme la GVH chronique entraîne un profond déficit immunitaire31-33, la plupart des décès liés à une GVH chronique sont dus à des infections. Celles-ci concernent principalement le sinus et le tractus respiratoire supérieur. La GVH chronique entraîne des dommages dans l’intégrité des muqueuses, une diminution et des perturbations fonctionnelles des cellules T et B. Les traitements de la GVH chronique tels que les corticoïdes et les immunoglobulines contribuent au risque infectieux. Ces patients sont à haut risque d’infections à bactéries encapsulées dont le pneumocoque, d’infections fongiques invasives et de pneumonies à 3QHXPRF\VWLVFDULQLL34. Autres manifestations Des manifestations cliniques moins fréquentes, affectent notamment les cheveux, les articulations, le vagin et la vulve, les systèmes hématologique et musculo-squelettique. Elles sont détaillées dans les revues de Kansu et al.30, ou de Higman et Vogelsang35.

Mécanismes de l’effet GVL Cliniquement, la GVH et l’effet graft versus leukemia (GVL) sont intimement liés, il est donc permis de penser que les mécanismes physiopathologiques sous-jacents sont similaires dans les deux réactions. Les cellules T du donneur semblent jouer un rôle central dans l’effet GVL, mais elles ne sont pas les seules, car les cellules NK peuvent également médier un effet cytotoxique sans être préalablement sensibilisées et seules (après déplétion en cellules T), réduire le risque de rechutes leucémiques chez la souris. Bien qu’un effet GVL sans GVH clinique ait été indirectement observé36, il semble actuellement difficile de dissocier cliniquement les deux réactions, et de préserver seulement l’effet GVL parmi l’ensemble de la réactivité allogénique.

Les antigènes cibles sur les cellules tumorales restent très largement inconnus. Leur identification permettrait de comprendre pourquoi l’effet GVL est différent selon les formes de leucémies, et d’élaborer la meilleure stratégie pour manipuler cet effet, pour un bénéfice clinique optimal2. D’autres mécanismes de l’effet GVL sont l’objet des revues de Barrett37 et de Ridell et al.38.

Prophylaxie de la GVH La prévention efficace de la GVH inclut le choix d’un donneur le plus compatible possible, l’utilisation d’immunosuppresseurs efficaces et à une posologie adaptée après l’administration des cellules souches hématopoïétiques, la manipulation in vitro du greffon dans certains cas, et un environnement protecteur pauvre en germes pathogènes. Les agents pharmacologiques sont plus efficaces dans la prévention de la cascade des événements immunologiques reconnus dans la GVH que dans l’inactivation de celle-ci. Patrice Martin 3KDUPDFLHQGHVK¶SLWDX[&HQWUH+RSVLWDOLHUGő8VVHO  [email protected]

Pr Gilles Aulagner +¶SLWDO1HXUR&DUGLRORJLTXH%URQ 

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