La bouche : un miroir du diabète

La bouche : un miroir du diabète

Pour citer cet article : Ternois M. La bouche : un miroir du diabète. Presse Med. (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j. lpm.2017.04.001 Presse Med. 201...

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Pour citer cet article : Ternois M. La bouche : un miroir du diabète. Presse Med. (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j. lpm.2017.04.001 Presse Med. 2017; //: ///

Dossier thématique

La bouche : un miroir du diabète

Mise au point

PATHOLOGIES BUCCALES 3 E PARTIE : ENDOCRINOPATHIES ET BOUCHE

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Matthieu Ternois 1,2,3

Disponible sur internet le :

1. Centre Hospitalier de Roubaix, 59100 Roubaix, France 2. Faculté de chirurgie-dentaire, UF de chirurgie orale, Université de Lille 2, 59000 Lille, France 3. Laboratoire de virologie, CHRU de Lille, Université de Lille 2 (EA3610), pathogenèse virale du diabète de type 1, 59000 Lille, France

Correspondance : Matthieu Ternois, 57ter, rue du Général-Leclerc, 59390 Lys-lez-Lannoy, France. [email protected]

Points essentiels Le diabète et la cavité buccale sont en corrélation étroite : la physiopathologie du diabète a des répercussions sur la bouche, et les manifestations buccodentaires sont nombreuses et variées. Elles doivent être recherchées systématiquement lors de tout examen clinique, car elles ne sont pas seulement des facteurs de comorbidité, mais entretiennent une véritable relation à double sens avec le contrôle de la maladie. Les maladies parodontales sont les plus fréquentes et leurs liens avec l'équilibre glycémique sont clairement établis : plus nombreuses quand le diabète est déséquilibré, elles représentent un bon marqueur de l'hémoglobine glyquée. Un suivi buccodentaire approfondi du diabétique, coordonné par les différents acteurs dès le début de la prise en charge du patient, présente donc un grand intérêt. La plupart des soins du patient diabétique sont réalisables au cabinet dentaire moyennant certaines précautions et l'amélioration de l'état de la cavité buccale bénéficie à l'équilibre du diabète et à la qualité de vie du patient. L'éducation thérapeutique des malades, mise en place dans les cabinets dentaires par des praticiens formés, trouve ici toute sa justification.

Key points The oral cavity: A mirror of diabetes Diabetes and the oral cavity are closely associated as diabetes physiopathology affects the mouth and the oral manifestations are numerous and varied. These need to be searched systematically at every clinical examination as they are not only comorbidity factors but also have a two-way relationship with diabetes control. Periodontal diseases are the most frequent pathologies and the relationship with glycemic control has clearly been established: their frequency increases in case of uncontrolled glycemia, which makes them a good marker of glycated hemoglobin.

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LPM-3315

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M. Ternois

Thorough oral health follow-up of diabetic patients that is coordinated by its various actors from the beginning of the treatment is thus of great interest. Most of the care given to diabetic patients can easily be performed at the dental clinic, provided adequate precautions are taken and improvement of the oral cavity is beneficial to glycemic control as well as to the patients' quality of life. When implemented by trained oral health professionals in dental clinics, therapeutic education proves highly efficient.

Introduction

Influence du diabète sur la sphère buccale

Le diabète est l'une des pathologies chroniques dont l'incidence a augmenté le plus ces dix dernières années. L'affection a un retentissement multiviscéral. La cavité buccale n'est pas épargnée, mais cet aspect est souvent négligé, voire ignoré. Présents dans le diabète sucré de type 1 (DT1) ou type 2 (DT2), les signes buccaux sont parfois révélateurs de l'affection. Si les parodontopathies qui affectent les tissus de soutien de la dent constituent les manifestations buccales majoritaires, d'autres expressions diverses sont présentes, dont la sévérité est corrélée à la durée, l'équilibre, le mode de prise en charge, le retentissement général de la maladie. Une interaction existe entre la santé buccale et l'équilibre glycémique. La prise en compte de l'état buccodentaire améliore la qualité de vie des patients, prévient le risque d'autres complications, diminuant de facto les comorbidités. La compréhension de cette relation à double-sens est capitale. La bouche est par essence une porte d'entrée, reflet de la santé générale, notamment chez le patient diabétique. Elle s'avère un très bon indicateur de la qualité de sa prise en charge. Celle-ci ne saurait être jugée satisfaisante si aucune attention n'a été portée à l'état buccal. « L'évaluation du diabète commence par la bouche et finit par les pieds » (Pierre Fossati). Des méthodes de soins et de prévention existent, à coordonner entre les différents partenaires de l'équipe soignante. Cette prise en compte justifie l'intégration d'un chirurgien-dentiste au sein des équipes diabétologiques spécialisées. Certains sous-groupes de patients diabétiques, sévèrement affectés au plan général et imparfaitement équilibrés, nécessitent pour la prise en charge au cabinet dentaire, des précautions attentives, notamment lors de gestes invasifs.

Véritable pandémie, le diabète ne cesse de progresser à travers le monde. Plus de 415 millions de patients diabétiques sont recensés au niveau mondial et la prospective en prévoit plus de 640 millions en 2040 [1]. Le diabète a des répercussions conditionnées par l'ancienneté, la sévérité et la qualité de l'équilibre du diabète. La cavité buccale n'échappe pas à cette règle. La pathogénèse des complications spécifiques des diabétiques s'explique par deux mécanismes principaux :  la voie des polyols, grâce à l'aldose réductase, transforme le glucose en sorbitol. Cette étape utilise de la NADPH provoquant un stress oxydatif potentiellement toxique. Le sorbitol est ensuite transformé en fructose dont l'accumulation favorise la glycation, créant des dommages tissulaires ;  un second mécanisme réside dans la formation et l'accumulation des produits terminaux de glycosylation avancée, plus connus sous l'acronyme anglais AGEs (advanced glycosylation end products). L'augmentation du glucose dans le sang entraîne la fixation de résidus sucrés sur les protéines circulantes et structurelles, les lipoprotéines et les acides nucléiques, ce qui altére leur structure et leur fonction. Elle constitue une glycosylation non enzymatique irréversible. Indépendamment de l'étiologie – essentiellement insulinopénique et auto-immune dans le diabète de type 1 et liée à l'insulinorésitance dans le diabète de type 2 – les complications diabétiques au niveau de la sphère buccale relèvent de ces deux mécanismes, auxquels contribuent également la sensibilité accrue aux infections.

Glossaire

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DT1 DT2 AGEs DG HbA1c ETP

diabète de type 1 diabète de type 2 advanced glycosylation end products diabète gestationnel hémoglobine glyquée éducation thérapeutique du patient

Des manifestations buccales exacerbées, mais peu spécifiques Aucune manifestation buccale n'est vraiment spécifique du diabète. Pour autant, on les observe plus souvent, en plus grand nombre et avec une progression amplifiée, surtout si le diabète est déséquilibré ou ancien. Leur progression est alors amplifiée (tableau I) [2,3]. Les différents auteurs ne s'accordent pas sur leur fréquence d'apparition. Mais leur présence itérative, voire concomitante, détectée lors d'un examen de la cavité buccale doit alerter le clinicien sur le degré d'équilibre du diabète. Elle peut même parfois le conduire à découvrir un diabète ignoré.

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Aspergillose

nettoyage. La susceptibilité carieuse est alors très nettement augmentée. En parallèle, le développement exacerbé de candidoses rend inconfortable le port éventuel d'une prothèse amovible dont la rétention devient difficile : le patient diabétique aura tendance à la retirer, diminuant encore l'auto-nettoyage lié à la mastication. La réduction des dents fonctionnelles et de la capacité masticatoire oriente inexorablement vers une alimentation plus liquide, plus molle, plus riche en lipides et en glucides, inadaptée au diabète [4,5] (figure 1).

Lichen plan oral

Les parodontopathies

Trouble de la sensibilité buccale

Elles arrivent très largement en tête des pathologies buccodentaires associées au diabète. Le lien entre parodontopathies et diabète est depuis longtemps étudié. En 1993, Löe lui reconnaissait la place de « sixième complication du diabète » [6]. Le parodonte qui correspond aux tissus de soutien de l'organe dentaire est formé de quatre parties :  l'os alvéolaire ;  la gencive ;  le ligament parodontal ;  le cément. Le premier stade de l'altération de ces tissus de soutien est une inflammation de la gencive ou gingivite. Dans une altération plus grave, l'inflammation du parodonte peut s'accompagner d'une destruction tissulaire. On parle alors de parodontite. Pour ces deux stades de la parodontopathie, quel que soit le type de diabète, DT1 ou DT2, les études épidémiologiques ont montré une relation à double sens avec le diabète [7]. Pour un patient diabétique, le risque est au moins 3 fois plus élevé de développer une maladie parodontale [8,9]. L'inflammation parodontale entraîne la production de nombreuses cytokines proinflammatoires circulantes comme IL1b, IL6, TNFa ou les CRP qui contribuent à l'insulinorésistance. Les parodontites ont un retentissement sur l'équilibre glycémique et les autres types de complications du diabète. En Arizona, dans une étude longitudinale de 11 ans, incluant 628 Indiens Pimas (où l'obésité est commune et la prévalence du DT2 excède 50 %), âgés de plus de 35 ans, Saremi et al. ont montré que les maladies parodontales provoquent une augmentation de la mortalité. Chez les sujets porteurs d'une parodontite sévère, les enquêtes ont mis en évidence une prévalence accrue de la microalbuminurie, de l'hypercholestérolémie, de l'hypertension artérielle, de perturbations de l'électrocardiogramme. On rapporte un nombre plus important de décès par infarctus du myocarde et/ou par néphropathie. L'association statistique entre parodontite sévère, maladies cardiovasculaires et rénales reste significative après prise en compte des niveaux glycémiques. La mortalité est de 3,7 % pour les sujets sans problème parodontal ou avec parodontite débutante, s'accroît à 19,6 % en cas de parodontite modérée, et à 28,4 % lors de parodontite sévère [10]. Les auteurs établissent ainsi l'interrelation étroite entre

TABLEAU I Les principales manifestations buccales du diabète Muqueuses Bouche sèche, xérostomie Candidose, muguet Chéilites angulaires

Langue Stomatodynies, glossodynies Dysfonction salivaire, xérostomie Trouble du goût Langue géographique, rainurée Plaies et cicatrisation Augmentation des plaies traumatiques ou provoquées Défaut ou retard de cicatrisation après intervention chirurgicale Parodonte Gingivites et parodontites beaucoup plus fréquentes Parodontopathies à progression rapide Pertes d'attache majeures Dentaires Augmentation de la prévalence carieuse Perturbation de l'éruption dentaire Augmentation des caries radiculaires due à la perte d'attache causée par une parodontite Augmentation des édentements Autres secteurs oro-faciaux Mucormycose rhinocérébrale Hypertrophie bégnine de la parotide

Les traitements médicamenteux parfois prescrits pour d'autres complications du diabète (tels que les problèmes cardiovasculaires) entraînent par eux-mêmes des xérostomies, des troubles du goût, des glossites ou d'autres manifestations buccales. Chez les personnes âgées, les sécheresses buccales s'accompagnent de douleurs et d'atteintes du goût. La xérostomie, très fréquente chez les diabétiques, s'accompagne d'une augmentation du glucose salivaire et d'une baisse de pH salivaire. Ceci conduit rapidement à une prolifération de la plaque dentaire à laquelle contribue aussi une absence d'auto-

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M. Ternois

Déséquilibre du diabète

Alimentation plus riche en glucides et en lipides

Diminution du pouvoir masticatoire

Inflammation / abcès

Augmentation de la fréquence et de la gravité des maladies parodontales

Bouche sèche, salive plus acide, plus sucrée

Perte d’attache

Figure 1 Perte dentaire

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diabète et santé parodontale et concluent que le mauvais contrôle de l'un entraîne la dégradation de l'autre [2]. Gingivites, parodontites et péri-implantites (autour des implants dentaires) sont des maladies infectieuses multifactorielles qui ne dépendent pas seulement de la présence de micro-organismes pathogènes. Leur présence, leur nombre, leur développement sont en partie médiés par l'hygiène buccale, les facteurs de rétention de plaque (au niveau de zones interdentaires ou de couronnes par exemple) ou par l'alimentation. Cependant, il est établi que les patients « négligents » ne sont pas seuls susceptibles d'être touchés par la maladie parodontale. Certains d'entre eux ne développeront jamais de parodontite malgré l'abondance de tartre en bouche. À l'inverse, d'autres patients ayant une bonne hygiène seront très rapidement touchés par la maladie parodontale. On a ainsi identifié des populations génétiquement à risque. La réaction inflammatoire endogène est à l'origine de la destruction du parodonte. Or, cette réponse immunitaire est très différente d'un individu à l'autre et l'interleukine 1 (avec ses polymorphismes 1A et 1B) est la principale cytokine impliquée dans ce contrôle génétique. Lorsque la réponse immunitaire est altérée, l'action de IL-1 est neutralisée par son récepteur antagoniste IL-1RN, capable d'inhiber le mécanisme inflammatoire. L'évolution et l'intensité de la réaction inflammatoire sont, mais de façon distincte, génétiquement déterminées, conditionnées

Caries coronaires et radiculaires

Diabète et pathologies buccales, les mécanismes simplifiés de la relation à double sens

par l'interaction entre les cytokines pro-inflammatoires et les inhibiteurs de l'inflammation (figure 2). Ainsi, même confrontés à des stimuli inflammatoires semblables, les patients réagissent différemment. Certaines gingivites

Figure 2 Bouche d'une patiente de 42 ans, diabétique de type 2. Il faut noter les édentements postérieurs, l'importance des lésions carieuses antérieures et l'abondance de plaque dentaire et de dépôts tartriques, facteurs locaux aggravants de sa parodontite avancée

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Figure 3 Schémas d'un parodonte sain et des différents stades d'évolution d'une maladie parodontale (courtoisie Oral B – PG)

La bouche au cœur du parcours de soin De façon générale, les patients consultent beaucoup trop tardivement le chirurgien-dentiste. C'est plus vrai encore chez les diabétiques. Plusieurs facteurs y contribuent :  la multiplication des intervenants médicaux et paramédicaux est souvent invoquée pour justifier le retard de prise en charge dentaire ;  mais le profil type du patient diabétique de type 2, en surcharge pondérale, un peu hypertendu, ne faisant pas

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beaucoup d'exercice physique et encore moins d'autocontrôles glycémiques, n'est en général pas celui d'un patient qui consulte spontanément au cabinet dentaire. Si les visites régulières chez le chirurgien-dentiste ne sont pas intégrées systématiquement au parcours de soins du diabétique – comme le recommande la Haute Autorité de santé – il ne prend rendez-vous qu'à l'occasion de manifestations douloureuses [13] ;  enfin, si des complications microangiopathiques sont déjà installées (causées essentiellement par les polyols et les résidus du glucose, les AGEs) et ont atteint les nerfs périphériques, l'altération de la sensibilité réduit encore le stimulus douloureux qui amène à consulter. Il est donc important que la prise en charge dentaire fasse partie intégrante du parcours de soins de tout patient diabétique, quels que soient son âge et son type de diabète (figure 4). Une visite annuelle est un minimum. Si le chirurgien-dentiste est le plus à même de diagnostiquer et soigner les lésions buccales, tout médecin peut déjà, à l'examen clinique et/ou à la lecture d'un cliché panoramique, réaliser une première évaluation de l'état de la cavité buccale. Comme le montre le cliché panoramique présenté dans la figure 5, les foyers inflammatoires sont à rechercher systématiquement à proximité des grosses lésions carieuses, sous les dents à l'état de racine, ainsi qu'au niveau des apex des dents obturées sur un plan endodontique (dents dévitalisées dont les racines dentaires ont été traitées). Les pertes d'attache sont aussi souvent visibles sur ce type de cliché. La position des dents de sagesse ne doit pas être oubliée dans l'analyse. Certaines ne pourront jamais faire leur éruption sur arcade correctement à cause d'anomalies tels que l'axe de la

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n'évolueront jamais en parodontites, alors que d'autres entraîneront une perte osseuse, en raison de l'hyperactivation des ostéoclastes. Ce stade plus avancé de la maladie parodontale conduit plus ou moins rapidement à la perte de l'organe dentaire (figure 3). La perte d'attache est irréversible. Toute perte osseuse est définitive. S'il est possible chez le patient diabétique de stabiliser une parodontite, ce qui n'est pas récupérable rend l'hygiène buccodentaire plus difficile. Il est donc primordial d'intervenir en amont de la destruction osseuse, dès le début de la prise en charge du diabète, et de systématiser les contrôles. Les femmes enceintes qui développent un diabète gestationnel (DG) ont aussi un plus grand risque de développer des parodontopathies (44,8 % des femmes enceintes avec DG vs. 13,2 % pour celles sans DG). Certaines études ont même montré que chez des femmes aux antécédents récents de diabète gestationnel, celles qui avaient des parodontites même débutantes, présentaient une diminution de la sensibilité et de la sécrétion de l'insuline, une diminution de la tolérance au glucose ainsi qu'un risque plus élevé de développer par la suite un diabète [11,12].

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M. Ternois

Figure 4 Radiographies rétro-alvéolaires d'un patient de 23 ans diabétique de type 1, atteint d'une parodontite sévère avec pertes d'attache majeures

dent, la forme ou la coudure radiculaire, voire simplement à cause d'un manque de place sur les maxillaires. Pourtant le processus éruptif, bien que bloqué anatomiquement, peut s'enclencher physiologiquement et provoquer une inflammation contribuant au déséquilibre glycémique.

Démarche raisonnée de prise en charge Le suivi pluridisciplinaire au long cours s'inscrit dans une démarche préventive permettant d'anticiper et/ou d'éviter

les déséquilibres et les complications diabéto- ou buccoinduites. Ce suivi permet également le dépistage précoce de nouveaux problèmes buccodentaires, en l'absence même de phénomènes douloureux. Pris en charge immédiatement, ils n'ont pas le temps de « flamber » et de mettre à mal l'équilibre glycémique. En effet, les soins sont possibles au cabinet dentaire, si les précautions sont prises en fonction de l'équilibre glycémique. Il est nécessaire que les partenaires de santé intègrent que la

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Radiographie panoramique d'un patient de 28 ans, diabétique de type 2, avec un axe des dents de sagesse défavorable.

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TABLEAU II Aspects physiopathologiques, traitement et prévention des maladies oro-faciales liées au diabète, d'après Kudiyiyickal et al. [2] Pathologies orales liées au diabète

Physiopathologie

Traitement et prévention

Parodontopathies

Accumulation des AGEs dans les tissus parodontaux, diminution du renouvellement du parodonte, immunité locale perturbée

Évaluation du risque de progression de la maladie, contrôles dentaires réguliers, conseils diététiques et interventions nutritionnelles, traitements parodontaux

Bouche-sèche

Diminution du flux salivaire due à la polyurie et à la déshydratation

Amélioration de la prise en charge du diabète, mise en place d'une hygiène dentaire appropriée

Caries radiculaires

Progression de la maladie parodontale exposant la surface radiculaire, diminution du flux salivaire prédisposant à l'hypominéralisation et à l'apparition des caries

Application de vernis fluorés protecteurs, utilisation de techniques de reminéralisation, dentifrices fluorés, dentisterie restauratrice précoce, optimisation du contrôle glycémique => prévient et en limite la progression

Candidoses orales

Infection par différentes espèces de Candida résultant des dysfonctions salivaires, de l'hyperglycémie et des fonctions altérées du système immunitaire

Utilisation d'antimycotiques (nystatine, miconazole. . .), retour rapide du contrôle glycémique => un bon moyen préventif

Nécroses pulpaires et abcès périapicaux

Lésions ischémiques de la pulpe liées aux problèmes vasculaires diabète-induit

Traitement endodontique, contrôle du diabète

Retard de cicatrisation et augmentation des infections postopératoires

Dysfonction vasculaire liée au diabète et aux perturbations du système immunitaire

Antibiotiques, amélioration du contrôle glycémique

prise en charge est non seulement possible, mais qu'elle doit être raisonnée, prenant en compte le type de diabète et les objectifs souhaités. Ces objectifs seront variables selon l'âge du patient (enfants, adolescents ou adultes) et ses antécédents (déséquilibres majeurs, hyperglycémies ou hypoglycémies traumatisantes). Le chirurgien-dentiste ne peut donc se contenter d'une « simple » lecture du carnet d'auto-surveillance, pour autant qu'il existe et soit rempli sérieusement. Ses échanges avec le diabétologue et le médecin traitant sont primordiaux. Lors des soins au fauteuil, le chirurgien-dentiste va s'efforcer de limiter le stress du patient diabétique pour éviter une hausse de sa glycémie : une approche individualisée et une connaissance du vécu des patients tout comme un dialogue empathique suffisent dans la plupart des cas. Au besoin, il peut avoir recours à des techniques de prise en charge sédative en ambulatoire comme l'hypnose ou le MEOPA, s'il les pratique, pour limiter ce stress. Les atteintes de la cavité buccale chez le diabétique ne doivent pas être négligées, mais la prescription d'une antibiothérapie n'est plus systématique. On la réserve en cas de déséquilibre du diabète ou pour les actes réellement invasifs. L'étiologie de chaque manifestation orale liée au diabète s'explique par la physiopathologie de la maladie. En découlent alors des traitements et des mesures de prévention spécifiques (tableau II).

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Les parodontopathies sont les manifestations orales les plus courantes chez le diabétique. Un simple brossage, une mastication de chewing-gum ou un détartrage peuvent provoquer une bactériémie systémique quantifiable, lorsque le patient présente une inflammation gingivale, même en l'absence de diabète [14]. Une inflammation gingivale n'est donc jamais anodine sur un terrain diabétique. Bien souvent, on introduira rapidement des techniques de soins spécifiques des gencives avec utilisation de brosses à dents souples ou extra-souples, recours systématique aux brossettes interdentaires et/ou au fil dentaire. Aujourd'hui, un simple détartrage supragingival ne se pratique plus sans avoir au préalable diminué la charge bactérienne de la cavité buccale. L'usage de bains de bouche contenant de la chlorhexidine entre fréquemment dans les procédures initiales pour diminuer l'inflammation gingivale. Il en va de même si le traitement de la parodontite doit intégrer des phases de lithotripsies parodontales (surfaçages), l'utilisation de laser ou des traitements chirurgicaux. Les traitements orthodontiques sont possibles, même s'il convient de faire attention chez le jeune patient DT1 à la diminution fréquente d'épaisseur de l'émail et de la dentine. Celle-ci peut avoir des conséquences plus ou moins importantes sur la taille des dents et sur leur résistance à la carie. Des études ont aussi montré une plus grande présence de plaque dentaire chez ces jeunes avec des gingivites et parodontites plus fréquentes [15,16].

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M. Ternois

Enfin, le diabète, s'il est assez correctement équilibré, n'est plus une contre-indication à la pose d'un implant dentaire. Le suivi régulier de ces patients, avec le respect des procédures d'hygiène et de maintenance parodontale, est un impératif. Ces procédures ont un impact positif démontré sur l'hémoglobine glyquée et sur les paramètres de l'environnement périimplantaire [17]. Quel que soit le type de diabète, une démarche raisonnée des soins s'accompagne impérativement d'une prévention de la maladie carieuse. Elle s'appuie sur la suppression des grignotages, la limitation des apports sucrés, la lutte contre le surpoids et l'obésité. D'autres éléments potentialisent le risque carieux. Pour exemple, la prise de boissons « light » dont les patients diabétiques sont consommateurs maintient la cavité buccale dans un milieu acide, car les boissons édulcorées ont presque toutes un pH très bas, seul moyen d'exprimer le pouvoir sucrant des édulcorants. Dans le même domaine, la gestion des hypoglycémies peut être délétère sur le milieu buccal. Il ne s'agit pas de remettre en question l'opportunité des resucrages, mais plutôt de les rendre moins nocifs pour les dents, s'ils sont fréquents voire même nocturnes. Il faut systématiser le rinçage de la bouche à l'eau claire après la prise d'une boisson sucrée (plus ou moins light) et privilégier, dans la mesure du possible, les modes de resucrage liquide à la paille. Si ce message de prévention arrive tôt dans la vie du patient diabétique, il ancre la bouche et ses implications dans la prise en charge globale de sa pathologie chronique. Il est d'autant plus efficace qu'une synergie s'installe entre les professionnels de santé [18]. Il arrive cependant que le déséquilibre du diabète soit trop important et que la prise en charge au fauteuil ne soit plus permise. Il convient alors de l'envisager en structure hospitalière. Malheureusement, on se heurte en France à la pauvreté de l'offre de soins en milieu protégé. Les délais restent

raisonnables pour réaliser des avulsions. En revanche pour les soins conservateurs, il est souvent difficile de trouver des praticiens disponibles pour ces soins à l'hôpital ou en clinique. Il faut pourtant préserver au maximum le coefficient masticatoire du patient diabétique pour garantir sa qualité de vie. Il est important de créer des réseaux ville–hôpital qui assureront ces prises en charge en milieu protégé. Le chirurgien-dentiste ne peut, à lui seul, changer une perception insuffisante de l'importance d'un bon état buccodentaire pour l'équilibre du diabète. L'implication du patient lui-même est indispensable. Il doit être acteur à part entière de sa propre santé. Depuis de nombreuses années, l'éducation thérapeutique a intégré le maintien d'une bonne santé buccodentaire. Des chirurgiens-dentistes, à l'hôpital comme à la ville, se forment maintenant spécifiquement à l'ETP et optimisent la gestion des soins.

Conclusion Miroir de la santé générale, voie principale d'entrée du tube digestif, la bouche est un élément essentiel dans la prise en charge du diabète. Dans cette relation à double sens, diabète et cavité buccale entretiennent des liens étroits, et les parodontopathies, atteintes les plus fréquentes, ont un impact clairement identifié sur le diabète et la survie. La pluridisciplinarité des équipes de professionnels prenant en charge les patients diabétiques doit intégrer le rôle du chirurgien-dentiste. Remerciements : remerciements au Professeur Monique-Marie Rousset et à Madame Marie-Christine Debieuvre pour leurs conseils et leurs relectures. Ainsi qu'au Professeur Pierre Fontaine et au Docteur Chantal Stuckens qui m'ont fait confiance en m'adressant depuis toutes ces années leurs patients diabétiques jeunes ou moins jeunes. Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.

Références [1] [2]

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tome xx > n8x > xx 2017

Pour citer cet article : Ternois M. La bouche : un miroir du diabète. Presse Med. (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j. lpm.2017.04.001

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PATHOLOGIES BUCCALES 3 PARTIE : ENDOCRINOPATHIES ET BOUCHE

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La bouche : un miroir du diabète