La consommation de fructose est-elle associée au syndrome métabolique ?

La consommation de fructose est-elle associée au syndrome métabolique ?

Cahiers de nutrition et de diététique (2012) 47, 78—84 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com MÉDECINE ET NUTRITION La consommation de fruc...

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Cahiers de nutrition et de diététique (2012) 47, 78—84

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

MÉDECINE ET NUTRITION

La consommation de fructose est-elle associée au syndrome métabolique ? Does fructose play a role in the metabolic syndrome? Luc Tappy a,∗,b, Léonie Egli a, Fanny Theytaz a, Vanessa Campos a, Nguessan L. Akaffou a, Philippe Schneiter a a

Département de physiologie, université de Lausanne, 7, rue du Bugnon, 1005 Lausanne, Suisse b Service d’endocrinologie, diabète et métabolisme, centre hospitalier universitaire Vaudois, Lausanne, Suisse Rec ¸u le 14 novembre 2011 ; accepté le 28 novembre 2011 Disponible sur Internet le 13 janvier 2012

MOTS CLÉS Sucres ajoutés ; Lipogenèse de novo ; VLDL-triglycérides ; Insulino-résistance

KEYWORDS Added sugars; De novo lipogenesis;



Résumé Le fructose sous forme libre se trouve en petites quantités dans notre alimentation, sous forme de fruits et de miel. Il constitue avec le glucose la molécule de sucrose, et est consommé en quantité importante avec les sucres ajoutés. En Amérique du nord, il est aussi consommé conjointement au glucose dans le sirop de maïs enrichi en fructose. Un certain nombre d’observations sont compatibles avec un rôle du fructose dans la pathogenèse des maladies métaboliques : la consommation de sucres et de fructose, toutes formes confondues, a augmenté pendant la période où la prévalence d’obésité et de maladies métaboliques a augmenté ; chez le rongeur, une alimentation riche en fructose entraîne le développement d’un syndrome métabolique ; chez l’homme sain, une suralimentation en fructose de courte durée entraîne des perturbations métaboliques ressemblant à celles observées dans le syndrome métabolique ; les quantités de fructose consommées quotidiennement par une partie de notre population sont susceptibles d’avoir des effets métaboliques délétères à long terme. Des études supplémentaires sont cependant nécessaires pour mieux comprendre les interactions entre le fructose alimentaire et les autres facteurs de l’environnement. Seules des études d’intervention sur des populations atteintes de syndrome métabolique permettront d’évaluer si le fructose joue un rôle causal, et de proposer des stratégies de prévention ou thérapeutiques. © 2011 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Fructose, as a free hexose, is found in small amounts in fruits and honey. Together with glucose, it constitutes the sucrose molecule, and is consumed in large amounts with ‘‘added sugars’’. In North America, it has been in part replaced by high fructose corm syrup.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Tappy).

0007-9960/$ — see front matter © 2011 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.cnd.2011.11.005

La consommation de fructose est-elle associée au syndrome métabolique ?

VLDL-triglyceride; Insulin resistance

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Several observations converge towards a role of fructose in the pathogenesis of the metabolic syndrome: consumption of sugars and fructose, (all forms) increased within the same period as the prevalence of obesity and metabolic disorders; a high fructose diet is responsible for the development of a metabolic syndrome in rodents (obesity, diabetes, dyslipidemia, ectopic fat deposition ± high blood pressure); in human volunteers, a short-term fructose overfeeding causes metabolic alterations very similar to those encountered in obese subjects (hypertriglyceridemia, hepatic insulin resistance, ectopic lipid deposition); the amount of daily fructose consumed by one portion of our population is in the range of fructose intakes which can increase plasma triglyceride concentrations in humans, and thus increase cardio-metabolic risk. However, further studies are needed to better delineate the interactions between fructose intake and other environmental factors. In addition, intervention studies are needed in patients with the metabolic syndrome to prove that fructose plays a causal, pathogenic role. © 2011 Société franc ¸aise de nutrition. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction La prévalence de l’obésité a augmenté de manière continue entre 1950 et maintenant, et représente un problème de santé publique majeur dans de nombreux pays. L’obésité est en effet associée au risque de développer de nombreuses maladies non transmissibles, parmi lesquelles figurent le diabète, les dyslipidémies, les maladies cardiovasculaires, la stéatose hépatique non alcoolique, voire la cirrhose hépatique). De manière plus générale, l’obésité, et en particulier le dépôt de graisse intra-abdominal, est associé à une constellation de facteurs de risque métabolique et cardiovasculaire regroupés sous le terme de syndrome métabolique [1]. De manière intéressante, la prévalence de l’obésité a évolué parallèlement à une augmentation des sucres alimentaires. On observe en effet une augmentation de la consommation de sucres ajoutés, de boissons sucrées, et, en Amérique du Nord, de la consommation de sirop de maïs à haute teneur en fructose au cours des dernières décennies. Cela a conduit certains spécialistes à proposer l’hypothèse que la consommation de sucres, et plus particulièrement celle du fructose, pourrait jouer un rôle causal dans la pathogenèse des maladies métaboliques [2,3].

Relations entre consommation de fructose et de sucres ajoutés et maladies métaboliques Pour accepter l’hypothèse que le fructose joue effectivement un rôle significatif dans la survenue des maladies métaboliques, il faut cependant que plusieurs propositions soient vérifiées. La première de ces conditions est que la consommation de fructose soit effectivement associée de manière mathématiquement significative à la survenue de l’obésité. L’évaluation de cette proposition peut se faire en partie sur la base de données de consommation alimentaire des populations. Aux États-Unis, on peut effectivement documenter que la consommation d’édulcorants énergétiques, ou sucres ajoutés, a augmenté au cours des 50 dernières années [4]. Cette augmentation correspond principalement à une augmentation de la consommation de sirop de maïs à haute teneur en fructose, cependant que la consommation de sucre de betterave ou de canne a diminué. L’apport total en sucre a cependant augmenté d’environ 10—15 % entre 1986 et 2006 [5]. La consommation de sucres ajoutés se fait pour la moitié par la consommation de boissons sucrées, un phénomène qui initialement concernait surtout les enfants,

adolescents et adultes jeunes, mais qui s’étend maintenant à toutes les classes d’âge aux États-Unis [6]. En France, la consommation quotidienne moyenne de sucres répertoriée en 2007 était de 103 g/j pour les hommes adultes, et de 93 g/j pour les femmes adultes et représentait 17 à 20 % des apports énergétiques totaux ; chez les enfants pendant la même période, les apports quotidiens moyens étaient de 97—100 g/j pour les enfants et adolescent et représentaient 20—25 % des apports énergétiques totaux [7]. Dans certaines parties du monde où la consommation de sucre est faible (Asie du sud-est), on observe même une augmentation récente de 50 % de la consommation de sucres. Malgré cette augmentation marquée, la consommation de sucres dans ces parties du monde (45 g/habitant et par jour) reste cependant un ou deux crans inférieure à celles des autres parties du monde (141 en Amérique du Nord, 143 g/j en Amérique du Sud, 124 g/j en Europe, 118 g/j en Océanie [8]. Cette augmentation de la consommation de sucre est effectivement compatible avec l’hypothèse que les sucres jouent un rôle dans la pathogenèse de l’obésité, et secondairement des maladies métaboliques. Il faut cependant aussi relever que, parallèlement à l’augmentation des sucres, la consommation de l’ensemble des produits alimentaires semble avoir augmenté [5]. Enfin, aux États-Unis, la consommation de sucres semble avoir amorcé une décrue au cours des dernières années, avec une diminution d’environ un tiers entre 2000 et 2008, sans pour autant que la prévalence de l’obésité ne diminue [9]. Il faut encore relever que l’augmentation de consommation de sirop de maïs à haute teneur en fructose a été particulièrement importante entre 1970 et 2000, une période au cours de laquelle la prévalence de l’obésité aux États-Unis a fortement augmenté. Cela a conduit certains scientifiques à formuler l’hypothèse que la consommation de fructose, sous forme libre, pourrait avoir des effets délétères sur le métabolisme [10]. Cependant, il faut rappeler que le sirop de maïs à haute teneur en fructose le plus couramment utilisé contient 42 % de glucose, 55 % de fructose, et 3 % d’autres sucres, et donc que la quantité de fructose ingérée n’est guère différente avec des produits édulcorés avec du sirop de maïs qu’avec du sucre [11]. Les études ayant spécifiquement comparé les effets du sirop de maïs enrichi en fructose à ceux du sucrose n’ont à ce jour pas pu montrer de différence notable, que ce soit sur les valeurs de glycémies et insulinémies post-prandiales, sur les concentrations en hormones impliquées dans le contrôle de la prise alimentaire, ou encore les concentrations de triglycérides plasmatiques [12,13]. Il faut enfin souligner que la consommation de fructose libre, présent dans les fruits et le miel, ne représente qu’une

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proportion très mineure des sucres totaux consommés, et que, dans les faits, la consommation de fructose se fait presque toujours en association avec une consommation quasiment équimolaire de glucose. L’évaluation quantitative des relations qui existent entre la consommation de sucre ou de fructose, d’une part, la survenue de maladies métaboliques, d’autre part, relève de l’épidémiologie. Cette évaluation est rendue difficile par l’absence de données précises concernant les apports en différents types de sucres, et spécifiquement en fructose dans bon nombres des bases de données alimentaires. Il ressort néanmoins que la consommation de sucres est effectivement associée à une augmentation de l’apport énergétique total [14], et à la survenue de l’obésité [15,16]. Plusieurs études montrent aussi un rapport entre la consommation de sucres totale (ou celle de boissons sucrées), et le risque de diabète [17], de dyslipidémie [18], la présence de facteurs de risque cardiovasculaire [4], ou les maladies hépatiques nonalcoolique [19]. Dans ces études, ces relations cependant ne sont cependant pas indépendantes du poids corporel, ce qui suggère que l’effet du sucre sur la survenue de ces maladies est secondaire à un excès pondéral. Les données épidémiologiques liant la consommation de boissons sucrées et les maladies métaboliques en Europe ont été récemment rapportées [20].

Effets d’une alimentation riche en fructose ou en sucrose chez le rongeur La deuxième proposition nécessaire pour accepter l’hypothèse d’un rôle causal du sucre (ou plus spécifiquement du fructose) dans les maladies métaboliques, est qu’une augmentation de son apport entraîne des

Sang veineux porte

perturbations métaboliques, dans des modèles expérimentaux non seulement animaux, mais aussi humains. De nombreuses études effectuées chez le rongeur démontrent qu’une alimentation riche en sucrose ou en fructose augmente de manière importante l’apport énergétique spontané, s’accompagne du développement d’une obésité, d’un diabète et d’une dyslipidémie sévères [21]. Dans certains modèles (mais pas dans tous), on observe aussi l’apparition d’une hypertension artérielle [22]. Ces études montrent qu’un phénomène de lipotoxicité, associé à une déposition de graisses ectopiques dans le foie et les muscles squelettiques, participe au développement de l’insulino-résistance et du diabète [23]. De manière intéressante, la déposition de graisses intrahépatiques s’observe de manière précoce et est associée à une résistance hépatique à l’insuline, alors que la déposition de graisses intramusculaires et la résistance musculaire à l’insuline n’apparaissent qu’après plusieurs semaines [24]. Il faut cependant relever que les alimentations utilisées chez l’animal sont généralement extrêmement enrichies en sucrose, et ne sont guère représentatives de l’alimentation humaine.

Métabolisme du glucose et du fructose Il a en outre été démontré que les dysrégulations métaboliques observées en réponse au sucrose étaient principalement attribuables aux effets propres du fructose inclus dans la molécule de sucrose [25,26] (Fig. 1). Cela peut être expliqué par un certain nombre de différences entre le métabolisme du fructose et celui du glucose. Ces deux hexoses ont une formule brute identique (C6 H12 O6 ), et sont caractérisés par un groupement aldéhyde en position 1 pour le glucose, par un groupement cétone en position

lactate VLDL-TG

Fructose F

Glucose G

F F-1-P trioses-P

G-6-P

TG CO2

glycogène

hépatocyte

Figure 1. Environ 20—30 % du glucose absorbé par le tractus digestif est capté par les hépatocytes. La glycolyse étant réglée par l’insulinémie et soumise à un rétrocontrôle négatif par l’ATP et le citrate, la synthèse de trioses-phosphate est limitée, et l’excès de glucose transporté est stocké sous forme de glycogène. En raison de la haute activité de l’enzyme fructokinase, de l’absence de réglage par l’insuline, et de l’absence de feed back par ATP et citrate, le fructose est ca totalement captée par les hépatocyte pour y être transformée en trisoses-phosphate, qui sont à leur tour convertis en glucose, lactate, glycogène, et acides gras (lipogenèse hépatique de novo). NB ; une part du fructose pourrait aussi être métabolisée directement par les entérocytes.

La consommation de fructose est-elle associée au syndrome métabolique ? 2 pour le fructose. Après leur ingestion, ces deux hexoses sont absorbés dans la circulation porte, et passent donc en contact direct avec les hépatocytes. Le glucose est transporté à l’intérieur de l’hépatocyte, où il est phosphorylé en glucose-6-phosphate avant de suivre la voie de la glycolyse. Les enzymes de la glycolyse sont régulées par l’insuline. De plus, la dégradation glycolytique du glucose est limitée par une rétroaction négative du citrate et de l’ATP sur l’enzyme phosphofructokinase. Il s’en suit que seule une portion du glucose atteignant le foie (environ 20—30 %) est captéee dans l’hépatocyte pour y être oxydée ou participer à la glycogénosynthèse. Le fructose est lui aussi transporté dans l’hépatocyte, où il est initialement transformé en fructose1-phosphate sous l’action de l’enzyme phosphofructokinase, caractérisée par une très haute affinité pour le fructose, puis scindé en trioses-phosphate (glycéraldéhyde-3-phosphate et di-hydroxyacétone-phosphate par l’enzyme aldolase B). La haute activité de ces deux enzymes, l’absence de régulation par l’insuline, et l’absence de feed-back sur ces réactions a pour conséquence que la quasi-totalité du fructose ingéré est transformée en trioses-phosphate dans l’hépatocyte [27]. La fructosémie systémique augmente peu après ingestion de fructose (jusqu’à 300—400 ␮mol/L aux valeurs pic), témoignant de l’extraction pratiquement totale du fructose au niveau splanchnique (principalement hépatique, mais une portion du fructose ingéré est transformé déjà au niveau de l’entérocyte) [28]. Lors de l’ingestion d’une quantité importante de fructose, sa dégradation rapide entraîne une production massive de trioses-phosphate dans les cellules hépatiques, trioses-phosphate qui vont secondairement être transformés en lactate et en glucose avant d’être relâchés dans la circulation systémique. Une portion importante de ces trioses-phosphate va servir à la synthèse de glycogène dans le foie. Enfin, une petite portion va être transformée en acides gras par les voies de la lipogenèse de novo, acides gras qui seront ensuite soit stockés dans l’hépatocyte sous forme de graisses intrahépatiques, soit sécrétés dans la circulation systémique sous forme de VLDL-triglycérides [5].

Effets du fructose sur le métabolisme : études chez l’homme Au cours des années 1970—1980, l’emploi du fructose comme édulcorant naturel pour l’homme a éveillé un intérêt marqué. En effet, en raison du fait que son métabolisme ne nécessite pas l’action de l’insuline, pour ses premières étapes à tout le moins, qu’il n’augmente pas ou peu la glycémie, et qu’il stimule la thermogenèse alimentaire [29], il a été proposé comme étant un édulcorant convenant particulièrement aux patients diabétiques. De ce fait, un grand nombre d’études, effectuées généralement sur des petits collectifs de sujets et portant sur des apports de fructose élevés de courte durée (quelques jours à quelques semaines) ont été effectuées. Il existe cependant une grande variabilité dans les protocoles utilisés et la quantité de fructose administré. Chez le sujet sain, l’administration d’une alimentation hypercalorique enrichie en fructose s’accompagne invariablement d’une augmentation de la concentration des triglycérides sanguins. Cette augmentation concerne principalement les lipoprotéines riches en triglycérides [30—34]. Une alimentation hypercalorique contenant des grandes quantités de fructose augmente la lipogenèse hépatique de novo, probablement en augmentant l’expression des

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gènes lipogéniques, d’une part, en apportant une quantité de substrats lipogéniques au foie, d’autre part [34,35]. Cette augmentation de lipogenèse de novo est positivement corrélée à l’augmentation des triglycérides plasmatiques à jeun. De surcroît, elle peut être partiellement inhibée par l’administration d’une alimentation enrichie en huiles de poissons, apportant des acides gras polyinsaturés à longue chaîne de la série n-3, réputés inhiber les voies lipogéniques [34]. Cette inhibition de la lipogenèse par les huiles de poisson s’accompagne d’une diminution de la concentration de triglycérides à jeun. Ces résultats indiquent donc qu’une stimulation de la lipogenèse hépatique est vraisemblablement à l’origine, ou en tout cas contribue significativement à l’hypertriglycéridémie. Outre cette stimulation de la lipogenèse de novo, l’ingestion de fructose diminue la clairance des lipoprotéines riches en triglycérides après prise alimentaire, ce qui conduit à une hypertriglycéridémie post-prandiale [36]. Une alimentation hypercalorique riche en fructose augmente aussi de manière significative les concentrations de triglycérides intrahépatique et intramusculaire [32]. De telles augmentations de lipides dits « ectopiques », c’est-à-dire stockés dans des cellules non adipocytaires, sont fréquemment associées à la présence d’une résistance à l’insuline [37]. De plus cette augmentation des concentrations sanguines de triglycérides, il a été observé que l’administration de fructose diminue de manière immédiate la sensibilité hépatique à l’insuline [38]. Après quelques semaines d’une alimentation hypercalorique très enrichie en fructose, la production de glucose à jeun s’élève légèrement, alors que la sensibilité hépatique à l’insuline et la tolérance au glucose diminuent [34]. Au vu de ces études, il apparaît donc clairement qu’une alimentation apportant un excès de calories ET un apport important en fructose peuvent rapidement entraîner des altérations métaboliques rappelant celles observées chez les patients porteurs d’un syndrome métabolique. L’augmentation des triglycérides plasmatiques, la résistance hépatique à l’insuline, l’intolérance au glucose, et une discrète augmentation de la quantité de graisse intra-abdominale [35] semblent de surcroît spécifiquement associées à une suralimentation en fructose, et ne s’observent pas avec des suralimentations comparables avec du glucose ou des lipides. Il faut cependant souligner que ces altérations métaboliques, quoique fortement significatives, restent modestes en regard de celles observées chez les patients porteurs d’un syndrome métabolique. Il reste encore à démontrer que la poursuite de telles alimentations conduirait à des effets métaboliques délétères indépendamment de la prise pondérale.

À quelle dose le fructose a-t-il des effets néfastes sur le métabolisme ? S’il est bien démontré qu’un excès d’apport d’énergie et de fructose peut perturber la régulation du métabolisme, et s’il est donc possible de suspecter qu’à long terme un apport de fructose exagéré puisse conduire à l’insulinorésistance et au syndrome métabolique, il reste difficile de définir ce qui constitue un apport excessif en fructose, ou en sucres ajoutés. Il existe en effet de fortes dissimilitudes dans les recommandations issues d’organismes gouvernementaux ou d’associations médicales. Ainsi, l’agence pour la sécurité

82 alimentaire européenne déclare qu’il n’y a pas de raison solide de suspecter que les sucres ajoutés soient néfastes lorsque leur apport représente moins de 25 % de l’énergie totale ingérée (soit environ 500 kcal/j pour un individu consommant en moyenne 2000 kcal/j) [39]. Á l’opposé, les recommandations récemment émises par l’American Heart Association demandent de limiter les apports en sucres ajoutés à moins de 150 kcal/j (ca 35 g/j) pour les hommes et 100 kcal/j (ca 25 g/j) pour les femmes [40]. Á titre indicatif, les données épidémiologiques indiquent que les apports journaliers moyens de sucres ajoutés représentent environ 15,8 % des apports alimentaires totaux dans la population nord-américaine (ce qui correspond à des apports alimentaires de fructose d’environ 8 % des apports énergétiques totaux, soit environ 45 g/j, ou 160 kcal/j en moyenne pour un individu consommant 2000 kcal/j). Plusieurs méta-analyses ont récemment tenté d’évaluer quelle est la quantité journalière de fructose ingéré qui est associée à des effets métaboliques indésirables. Une de ces méta-analyses a conclu qu’il n’y avait pas d’augmentation des concentrations de triglycérides postprandiaux pour des apports journaliers de moins de 50 g/j, et pas d’augmentation des concentrations de triglycérides totaux pour des apports journaliers inférieurs à 100 g/j [41]. Une autre méta-analyse indiquait que la substitution de fructose à des hydrates complexe dans l’alimentation de patients avec un diabète de type 2 augmentait les concentrations de triglycérides lorsque la dose journalière dépassait 60 g/j [42]. Sur la base de ces analyses, on peut donc conclure que les effets indésirables du fructose sur les triglycérides plasmatiques s’observent pour des apports en fructose élevés, mais cependant non exceptionnels dans nos populations.

Les effets du fructose sont-ils identiques chez tout le monde ? La majorité des études concernant les effets métaboliques du fructose chez l’homme ont cependant été effectuées chez des sujets sains sédentaires, ou dans des conditions contrôlées où l’exercice physique était fortement réduit, ou encore chez des patients diabétiques. Il reste cependant possible que les effets métaboliques du fructose soient modulés par d’autres facteurs de l’environnement, et par l’exercice physique en particulier. À ce propos, il faut relever que des athlètes de haut niveau consomment souvent une quantité importante de sucres. Ainsi, une étude effectuée lors du Tour de France 1988 révélait que la valeur énergétique des aliments consommés par les coureurs était en moyenne le double de celle observée dans une population normale. Plus de 60 % de l’énergie était consommée sous forme d’hydrates de carbone, dont une large proportion de sucres ajoutés [43]. Malgré cette consommation importante de sucres, ces coureurs n’avaient a priori pas un risque important de développer des maladies métaboliques. . . « Cela suggère fortement que l’exercice physique pourrait moduler significativement les effets métaboliques du fructose. ». En support de cette hypothèse, il a été rapporté qu’un exercice physique modéré (60 min/jour) permettait de prévenir l’augmentation de la concentration de triglycérides chez des sujets sains soumis à une alimentation riche en hydrates de carbone et en sucres [44].

L. Tappy et al.

Encadré 1 Fructose et maladies métaboliques : points essentiels • Le fructose est consommé en petite quantité sous forme libre (fruits, miel), en quantité importante associé au glucose (sucrose) • La consommation de sucre a augmenté de manière importante au cours des dernières décennies • Les apports de sucre représentent en moyenne entre 10 et 20 % des apports énergétiques totaux • Le fructose est métabolisé dans le foie, ou il est converti en glucose, glycogène, lactate et acides gras • Chez le rongeur, une alimentation riche en sucrose ou en fructose entraîne un syndrome métabolique (obésité, dyslipidémie, diabète, hypertension) • Chez l’homme, une suralimentation avec des quantités importantes de fructose (200—300 g/j) entraîne une hypertriglycéridémie, un dépôt de graisses dans le foie et les muscles, et diminue la sensibilité hépatique à l’insuline • Les effets du fructose sur les lipides sanguins sont observés pour des quantités ingérées de 50—100 g/j • Les effets du fructose sont vraisemblablement modulés par d’autres facteurs de l’environnement (activité physique) • Des études d’intervention sont nécessaires pour évaluer les effets d’une réduction de la consommation de fructose chez des patients présentant des maladies métaboliques

Conclusions En résumé, on peut conclure que les apports de sucres ajoutés sont importants dans les populations européennes et nord-américaines, et sont généralement corrélés à un risque accru d’excès d’apport alimentaire, d’obésité, de diabète, et des maladies cardiovasculaires (Encadré 1). Le risque de diabète et de maladies cardiovasculaires n’est cependant pas indépendant du poids corporel. Un apport alimentaire élevé de fructose peut conduire au développement d’une hypertriglycéridémie, d’un dépôt de graisses ectopiques dans le foie et le muscle, et à une résistance hépatique à l’insuline. La quantité quotidienne de fructose, qui entraîne des effets néfastes reste cependant débattue, et varie vraisemblablement en fonction de l’activité physique. Enfin, si l’ensemble des connaissances actuellement à disposition sont compatibles avec un rôle de la consommation de fructose dans les maladies métaboliques, seules des études d’intervention permettront d’évaluer le rôle causal de ce sucre.

Déclaration d’intérêts L. Tappy a rec ¸u un support financier pour des projets de recherche de la part de Nestlé et de Ajinomoto, et des honoraires de consultant de la part de Bunge. Les autres auteurs n’ont pas de conflit d’intérêt.

La consommation de fructose est-elle associée au syndrome métabolique ?

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