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La sante ´ au travail : des professions nouvelles et d’avenir Occupational health, new professions for the future
E´ditorial
P. Frimat
a me´decine du travail est en danger. D’ici cinq ans, si rien n’est fait pour aider les professionnels de la sante´ au travail a` anticiper les de´parts a` la retraite des praticiens et des enseignants hospitalo-universitaires, ce dispositif unique au monde pourrait s’e´teindre, faute d’expertise et de perspectives. Elle est depuis longtemps juge´e peu attractive et, aujourd’hui, les e´tudiants en me´decine s’interrogent sur son avenir. Les me´decins du travail, qui paˆtissent d’une image sociale peu flatteuse, de´sespe`rent d’un me´tier dont ils connaissent pourtant les atouts et mesurent les potentialite´s. Beaucoup se sentent atteints dans leur conscience professionnelle de ne pas pouvoir consacrer le temps qui leur paraıˆt ne´cessaire aux salarie´s qui en ont le plus besoin. La situation n’est pas meilleure dans le domaine de la recherche en sante´ au travail. Le de´ficit en la matie`re est criant depuis plusieurs anne´es, au point que le manque d’experts pourrait mettre en pe´ril les inte´reˆts de la France dans les dossiers strate´giques. Pourtant, rarement la question de la sante´ des travailleurs s’est pose´e avec autant d’acuite´. L’intensification du travail, les risques psycho-sociaux, les troubles musculosquelettiques. . . rendent ne´cessaire l’intervention coordonne´e, au service de la pre´vention et du maintien dans l’emploi, d’une e´quipe de professionnels de la sante´ au travail, qu’ils ou elles soient me´decins, infirmie`res, assistantes me´dicales, ergonomes, psychologues, toxicologues ou inge´nieurs de se´curite´. La me´decine du travail a tout pour s’imposer comme une me´decine moderne, a` l’interface entre l’homme et son environnement, associant dans une de´marche globale l’approche collective des risques professionnels et le suivi clinique individuel. Paralle`lement, suite aux arreˆts rendus en 2002 par la Cour de cassation, l’employeur est le´galement responsable de la sante´ et de la se´curite´ de ses salarie´s et a une obligation de se´curite´ de re´sultat en la matie`re. A` l’heure ou` la France
prend conscience de l’impact du stress et des conditions de travail sur la sante´ psychologique des travailleurs et au moment ou` les e´tudiants en me´decine s’interrogent sur l’avenir de la discipline me´decine et sante´-travail, la question des compe´tences ne´cessaires a` la bonne articulation des services pluridisciplinaires de sante´ au travail prend une nouvelle actualite´. C’est dans ce contexte que le ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarite´ et de la Ville, le ministre de l’Enseignement supe´rieur et de la Recherche et le ministre de la Sante´ et des Sports ont confie´ a` Christian Dellacherie, a` Gilles Leclercq et a` moi-meˆme une mission de re´flexion portant sur la formation des professionnels de la sante´ au travail, l’attractivite´ des me´tiers et l’organisation de la recherche dans le domaine. Plusieurs ide´es fortes peuvent eˆtre reprises, certaines d’entre elles ont e´te´ rappele´es par Jean-Denis Combrexelle, directeur ge´ne´ral du travail, lors des dernie`res Journe´es de Toulouse.
Une volonte´ de valoriser la me´decine du travail, en tant que discipline me´dicale Sur les six premie`res anne´es d’e´tudes de me´decine, seules neuf heures sont consacre´es en moyenne a` la « me´decine et sante´ au travail ». Il n’est donc pas e´tonnant que cette discipline soit largement me´connue des e´tudiants, ce qui ne favorise pas l’attractivite´ de la spe´cialite´ a` l’issue des e´preuves nationales de classement, et, a` plus long terme, les e´changes entre me´decins. Il me semble donc indispensable que soient enseigne´es les premie`res notions en matie`re de me´decine et de sante´ au travail et que soient de´veloppe´s les stages de terrain aux pe´riodes cle´s ou` naissent et se confirment les aspirations professionnelles, en paralle`le a` l’acquisition du socle des compe´tences me´dicales.
1775-8785X/$ - see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.admp.2010.06.017 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010;71:603-604
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Une formation initiale des professionnels de sante´ adapte´e aux nouvelles missions
Le souci de renforcer la lisibilite´ de l’e´quipe sante´-travail
Des maquettes pe´dagogiques nationales doivent eˆtre e´labore´es pour l’ensemble des professionnels des services de sante´ au travail (infirmie`res, assistantes sante´ travail, intervenants en pre´vention des risques professionnels, etc.), comme elles ont e´te´ re´alise´es pour les me´decins du travail et les re´fe´rentiels de formation de´cline´s au niveau re´gional.
La sante´ au travail est une branche de la sante´ publique, tant les conditions et l’environnement de travail sont des de´terminants structurants de l’e´tat de sante´ de la population. Les professionnels de sante´ au travail devraient eˆtre syste´matiquement associe´s a` la mise en œuvre des re´seaux de veille sanitaire. Par ailleurs, afin de conforter le roˆle et la lisibilite´ de l’e´quipe sante´-travail et de son action, il est propose´ de renforcer les pre´rogatives du me´decin du travail en e´levant au rang d’une obligation une re´ponse motive´e e´crite de l’employeur qui ne prend pas en conside´ration les recommandations ou les pre´conisations du me´decin du travail. Toutes ces actions, re´flexions, propositions seront peut-eˆtre reprises dans le dispositif le´gislatif pre´vu fin 2010 avec la proce´dure re´glementaire qui suivra. Dans le cadre d’une politique de sante´, les services sante´-travail auront des missions de´finies (l’ajout vraisemblable du suivi des expositions est tre`s signifiant et renforce le dispositif). Dans le cadre de ces missions, le me´decin et son e´quipe e´laboreront des plans sante´-travail d’entreprise tenant compte de l’e´valuation des protocoles scientifiques du risque et inte´grant les actions collectives de pre´vention et les suivis individuels (dans ce cadre, le me´decin du travail, seul responsable du suivi individuel, e´tablira les de´le´gations et le roˆle spe´cifique de l’infirmie`re sante´-travail). De la meˆme manie`re, en service de sante´ au travail (SST), pour e´tablir les priorite´s, hie´rarchiser les actions, de´terminer la gestion de projet. . ., la place de la comission me´dico-technique (CMT) deviendra primordiale, lieu d’e´changes entre me´decin, intervenant en pre´vention des risques professionnels (IPRP), acteur du SST. Toutes ces e´volutions prendront sans doute du temps, mais ne´cessitent pour chacun d’entre nous une volonte´ d’investissement. Sur un plan scientifique, un effort sera ne´cessaire pour maintenir des poˆles d’excellence pluridisciplinaire qui agiront en lien avec les diffe´rentes socie´te´s et acteurs re´gionaux, permettant de de´velopper e´tudes, recherche et re´sultats (le re´seau Evrest en est un excellent exemple). Ainsi, notre attente de dix ans ne sera pas sans doute vaine, mais l’e´volution du dispositif pour les dix ans qui viennent de´pend de chacun d’entre nous. Agissons, valorisons, de´veloppons, partageons.
Le de´veloppement d’une formation de reconversion La possibilite´ d’exercer le me´tier de me´decin du travail aux me´decins expe´rimente´s doit eˆtre rendue possible et facilite´e. Pour re´duire les freins a` la reconversion, il est propose´ de cre´er de manie`re urgente un Diploˆme d’e´tudes spe´cialise´es comple´mentaires (DESC) permettant de se former au me´tier de me´decin du travail par alternance, dans le cadre de la formation continue.
Reconstituer le vivier des hospitalo-universitaires et redynamiser la recherche Pour revitaliser le secteur de la recherche en matie`re de sante´ au travail, la mission pre´conise outre la pe´rennisation des appels a` projet de recherche, de soutenir la cre´ation de poˆles d’excellence multidisciplinaires en sante´ travail et de favoriser l’organisation de re´seaux the´matiques de recherche en sante´travail. La mission propose e´galement d’attribuer des anne´es recherche aux futurs me´decins du travail en fonction des besoins recense´s par interre´gion ou par poˆle d’excellence, cela afin de reconstituer rapidement le vivier des enseignants hospitalouniversitaires. Dans l’attente, il convient d’organiser le maintien et la re-re´partition des postes hospitalo-universitaires en « sanctuarisant » les postes actuellement occupe´s par des enseignants souhaitant partir a` la retraite dans les cinq prochaines anne´es.
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