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MISE AU POINT
Le rôle du monoxyde d’azote dans la transmission de la douleur Gilbert Blaise, Dominique Gauvin, Lamia Ben Othmen C’est en 1986 que l’on a suggéré pour la première fois que les cellules stimulées par certains agonistes libèrent un gaz, le monoxyde d’azote (NO). C’était aussi la première fois que l’on mentionnait que les cellules pouvaient libérer un gaz afin de communiquer entre elles. Le NO est secrété par la plupart des cellules de l’organisme. Il est produit par une famille d’enzymes semblables au cytochrome P450 : les NO synthétases (NOS). Les NOS transforment la L-arginine et l’O2 en NO et L-citrulline. Au moins trois différentes isoformes de l’enzyme ont été découvertes jusqu’à présent (1). Deux sont exprimées de façon constitutive et produisent du NO de façon cyclique quand les cellules sont stimulées par des stimuli pharmacologiques ou physiques. Il s’agit de la NOS neuronale (NOS1 ou nNOS ; rencontrée principalement au niveau des cellules nerveuses et des muscles striés) et de la NOS endothéliale (NOS3 ou eNOS ; rencontrée principalement au niveau des cellules endo-théliales). L’autre forme de l’enzyme est inductible (NOS2 ou iNOS). Elle est présente principalement au niveau des cellules inflammatoires et des fibres musculaires lisses. Une fois induite, cette enzyme peut produire de façon prolongée une quantité de NO de l’ordre de la micromole. Elle est induite par les phénomènes inflammatoires et par différentes cytokines libérées par les leucocytes, les mastocytes et les macrophages. Divers cofacteurs sont requis pour la synthèse du NO, plus particulièrement la flavine mononucléotide (FMN), la nicotinamide adénine diphosphate (NADP), et la tétrahydroptérine (TH4) (1).
MÉCANISME D’ACTION DU NO Les principaux mécanismes d’action du NO comprennent l’activation de la guanylate cyclase soluble (GCs) et la production de la guanosine monophosphate cyclique (GMPc) un vasodilatateur). La vasodilatation est due à l’action du NO sur l’entrée du calcium dans la cellule et à son action sur la kinase de la chaîne légère de la myosine. La GMPc active des kinases et modifie par cette voie l’action de différentes molécules, enzymes et récepteurs. En plus de son action via la GMPc, le NO (ou d’autres radicaux azotés) peut modifier l’action de molécules en se combinant aux groupes sulfhydryles (nitration) ou à certains métaux (Fe, Cu) (nitrosylation). Ces combinai-
sons changent la fonction protéique, la fonction des canaux ioniques, la libération des neurotransmetteurs et peuvent avoir un rôle important dans la plasticité neuronale (2).
MÉTABOLISME DU NO Jusqu’à récemment on pensait que le NO était rapidement inactivé par l’hémoglobine (Hb) dans la circulation sanguine, puis métabolisé en NO3, diminuant ainsi sa demi-vie à quelques millisecondes et limitant son action à son site de production ou d’administration. Cependant, il semble maintenant évident que le NO peut potentiellement se lier à des molécules de transport pour former des composés de NO nommés S-nitrosothiols (RSNOs), qui pourraient fonctionner à titre de systèmes de transport de NO, prolongeant ainsi la demi-vie et la distribution du NO. C’est ainsi qu’au début de son utilisation thérapeutique, le NO inhalé était considéré comme un vasodilatateur sélectif de la circulation pulmonaire, étant donné que toute molécule de NO qui atteignait la circulation sanguine était supposée être piégée par l’Hb, pour ensuite être transformé en NO3. Plusieurs groupes de recherche ont montré que le NO inhalé possède cependant des effets extra-pulmonaires (médiés par les complexes de NO en circulation) sur la fonction rénale et vasculaire. Plusieurs substances contenant des groupes sulfhydryles présents dans la circulation sont en contact avec les cellules endothéliales et peuvent transporter le NO. Les composés nitrosylés (RSNO) sont possiblement responsables de l’activité de l’endothelium-derived relaxing factor (EDRF ; une substance paracrine produite par l’endothélium vasculaire induisant la relaxation du muscle vasculaire lisse). Les RSNO comprennent la Snitrosocystéine et la S-nitrosoglutathione (GSNO), ainsi que la S-nitrosoalbumine. Tel les radicaux libres, le NO réagit très fortement avec l’oxygène, les groupes hèmes et différents groupes fonctionnels des molécules biologiques tels les thiols (dans des conditions physiologiques) (3). Dans la phase aqueuse du plasma, le NO peut réagir avec l’O2 pour former des oxydes d’azote supérieurs (N2O3) qui mènent ensuite à la formation de nitrite (NO2). Le N2O3 peut subir une S-nitrosylation avec des molécules contenant des
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quait l’effet hypernociceptif de la prostaglandine E2. Ces groupes thiol, afin de former des RSNOs. Le NO pourrait résultats soutiennent l’hypothèse que la voie L-arginine/NO/ interagir avec le superoxide (O2-) pour former le peroxiniGMPc est antinociceptive dans les tissus sous-cutanés, tandis trite (ONOO-) dans le plasma. Le ONOO- se décompose rapiqu’elle est pronociceptive dans les tissus intradermiques. dement pour générer du nitrate (NO3-) ou de puissants oxydants tels les radicaux hydroxyle et dioxyde d’azote. Le Cette différence d’effet sur les nocicepteurs intradermiques et ONOO- peut aussi réagir avec les thiols, amenant la formasous-cutanés est peut-être le résultat d’une innervation distion de RSNO induisant ainsi la vasodilatincte selon le type de tissus (l’innervatation, prévenant l’agrégation tion pourrait provenir de différents sousplaquettaire et l’activation des leucocyensembles de neurones primaires nociLes donneurs tes (4). La voie métabolique du NO dans ceptifs). La divergence d’effet de la voie de No potentialisent les érythrocytes diffère du métabolisme du NO sur la nociception est aussi obserl’effet analgésique du NO propre au plasma. L’Hb des glovée au niveau de la corne postérieure de périphérique bules rouges est présentement considéla moelle, car le 8-bromoGMPc (un analode la morphine. rée comme le principal transporteur de gue stable de la GMPc) excite chaque NO. Dans les globules rouges, la plupart neurone préalablement stimulé par le NO du NO est oxydé en oxyhémoglobine et inhibe chaque cellule préalablement II (HbO2 = Hb (Fe O2) pour ensuite former la methémogloinhibée par le donneur de NO. Ces résultats peuvent explibine (MetHb = Hb (FeIII) et le nitrate (NO3-). Ceci est la prinquer la publication de données qui semblent à première vue cipale voie de destruction du NO in vivo. Le NO peut se lier contradictoire, quant au rôle du NO dans le processus périà la deoxyhémoglobine (Hb (FeII)) pour former la nitrosylhéphérique de transmission de la douleur. II moglobine (Hb (Fe ) NO). Il peut aussi se lier au résidu 93 de la sous-unité βde l’hémoglobine afin de former la nitrosohémoglobine (SNO-Hb). Le NO peut être transféré du RÔLE DE LA VOIE L-ARGININE/NO/GMPC groupe hème au groupe SH dépendamment de la concentraDANS L’EFFET ANTINOCICEPTIF DES OPIOÏDES tion en oxygène (le cycle du NO est parallèle au cycle de ET DES MÉDICAMENTS ANTI-INFLAMMATOIRES (6) l’O2) lorsque l’Hb passe de la forme S (à l’intérieur du poumon), à la forme R (au niveau tissulaire). Le NO est transféré Les donneurs de NO et les inhibiteurs de la phosphodiesde l’Hb intracellulaire à son site d’action (au niveau de la térase-V potentialisent l’effet analgésique périphérique de paroi vasculaire) par des protéines de transport (4). la morphine (récepteurs agonistes Mu) et des agonistes des récepteurs Kappa et Delta. La stimulation des récepteurs opioïdes périphériques provoque différents effets : RÔLE DU NO DANS LA TRANSMISSION l’inhibition de l’excitabilité neuronale, la réduction de la DE LA DOULEUR propagation du potentiel d’action, l’inhibition de la sécrétion des médiateurs de l’inflammation au niveau des celluEn périphérie, la douleur inflammatoire ainsi que l’hyperalgie les inflammatoires, des neurotransmetteurs excitateurs induite par l’inflammation sont modulées par une étroite des terminaisons centrales ou périphériques des afférenbalance entre l’adénosine monophosphate cyclique (AMPc) ces primaires. Les seconds messagers, liés ou couplés à et la GMPc. Les prostaglandines et les catécholamines, (qui stil’activation des récepteurs des opioïdes, incluent : l’inhibimulent l’adenylate cyclase et augmentent l’AMPc) ont un effet tion de l’adénylate cyclase, l’inhibition des canaux calcinociceptif. Par contre, l’activation de la GCs et l’augmentation ques et/ou l’activation des canaux potassiques. On connaît de la GMPc intracellulaire possèdent un effet antinociceptif. aujourd’hui de façon précise le site d’interaction du NO et La GCs pourrait être stimulée par le NO ou des substances des récepteurs opioïdes. En plus de son effet sur l’action libératrices de NO. Le rôle exact de la voie L-arginine/NO/ antinociceptive de la morphine, le NO est aussi un médiaGMPc au niveau périphérique est controversé. Certaines étuteur de l’effet antinociceptif périphérique des substances des ont montré un effet antinociceptif dans la seconde anti-inflammatoires non-stéroïdiennes. phase du test à la formaline et d’autres un rôle pronociceptif du NO au niveau périphérique. Il a été observé que l’administration intradermique de L-arginine, de SIN-1 (un donneur de LE NO ET LES ANTI-INFLAMMATOIRES NO) ou de dibutyryl GMPc (un analogue stable du GMPc) NON-STÉROÏDIENS (7) induisait une hypernociception hâtive (15-30 minutes) dosedépendante (5). L’administration sous-cutanée des mêmes L’introduction du radical NO dans la molécule de plusieurs agents possédait au contraire, un effet antinociceptif et bloanalgésiques tels que les AINS, l’acétaminophène, le pred-
Le praticien en anesthésie-réanimation, 2005, 9, 2 nisone et la gabapentine a augmenté l’effet antinociceptif et anti-inflammatoire et diminué les effets secondaires produits par chaque molécule isolée. L’aspirine-NO bloque plus efficacement la cyclo-oxygénase que la molécule originale, son effet anti-inflammatoire est donc supérieur ainsi que ses effets antinociceptif et antiagrégant. Elle est aussi plus efficace pour maintenir le débit sanguin, le mucus et la sécrétion de HCO3- au niveau de la muqueuse gastrique et favoriser la régénération cellulaire. L’aspirine-NO augmente le dépôt de collagène cicatriciel ainsi que la cicatrisation des incisions chirurgicales, et possède la même efficacité que l’aspirine seule sur l’incidence du cancer du colon. Plusieurs composés sont actuellement en essai clinique de phase I et II. Le rôle du NO dans la prévention des effets gastro-intestinaux, rénaux et cardiovasculaires des inhibiteurs sélectifs de la COX-2 demeure une question de grand intérêt.
115 LE NO AU NIVEAU DE LA CORNE POSTÉRIEURE DE LA MOELLE
Le NO endogène est produit par les NOS, parmi lesquelles la nNOS qui est activée et régulée à la suite de la stimulation du récepteur N-methyl-D-aspartate (NMDA). Le NO qui est produit par des neurones post-synaptiques agit probablement comme un messager rétrograde au niveau des synapses nociceptives en stimulant la GC (9). Le NO est associé au processus de production de GMPc et d’activation de la protéine kinase-1 dépendante de la GMPc (PKG-1). L’inhibition de la production de NO réduit l’hyperalgésie, suggérant que le NO facilite la transmission nociceptive. Les inhibiteurs de la PKG-1 réduisent l’hyperalgésie induite par les donneurs de NO, ce qui confirme le lien entre le NO et la PKG-1 (9). L’activation, la translation, la mobilisation et la synthèse de la protéine kinase C pourraient être impliquées dans la douleur neuropathique et dans la tolérance à la morphine. La LE NO COMME MÉDIATEUR DU PROCESSUS stimulation chronique des nerfs, résultant des générateurs DE LA MALADIE (8) potentiels périphériques, due aux décharges nerveuses secondaires à un traumatisme nerveux, à la génération de potentiels d’action des nerfs ectopiques, aux décharges symLa production excessive de NO, de peroxinitrite (ONOO-) pathiques anormales, à la sensibilisation des nocicepteurs et de radicaux libres dérivés de l’oxygène, est impliquée périphériques et/ou à l’administration de morphine, dans la physiopathogénie de plusieurs maladies systémientraîne l’activation des récepteurs de la NMDA et de la proques dans lesquelles la douleur est un élément clé, telles téine kinase C, la production du NO et l’activation de PARS. que la fibromyalgie, la fatigue chronique, l’état de stress Ceci entraîne une hyperalgie et/ou une allodynie, l’extenpost-traumatique, ainsi que l’intolérance multiple aux sion de ce champ douloureux initial, ainsi que la production produits chimiques (ou polytoxicosensibilité). Dans plude neurones sombres (dark neurons) au niveau des laminae sieurs pathologies ostéoarticulaires telles l’ostéoarthrose, I et II, de la corne dorsale de la moelle épinière (10). les pathologies de l’articulation temporo-mandibulaire et Ces neurones, impliqués dans le processus de l’apoptose ou l’arthrite aiguë, la production excessive de NO par l’iNOS de la nécrose, sont probablement les inter-neurones inhibiainsi que la production de ONOO- (un puissant oxydant provenant de la réaction du NO avec l’anion superoxide) teurs produisant l’acide γ aminobutirique ou la glycine. Le jouent un rôle majeur dans le processus inflammatoire et la NO réagit avec l’O2- pour produire le ONOO- qui initie la pathologie elle-même. Un blocage sélectif des iNOS serait rupture des brins d’ADN. Cette rupture active l’enzyme une approche possiblement intéresnucléaire constitutive poly ADP-ribose sante dans le futur. polymérase-1 (PARP-1). Cette enzyme Quand une grande quantité de NO est joue un rôle clé dans la réparation des L’inhibition de la production produite durant le processus inflammabrins d’ADN. Un excès de PARP-1 actif de NO réduit l’hyperalgésie. toire, le NO peut réagir avec l’anion est un facteur crucial dans le processus superoxide produit par différents prode mort cellulaire par stress oxydatif ou cessus oxydatifs ou par la NOS ellepar excès de stimulation. L’activation de – même. Cette réaction entraîne la production de ONOO , PARP-1 mène à l’épuisement du NAD, ayant pour résultat une substance pouvant être à la fois pro-apoptique et proune perte de l’ATP, puisqu’elle est employée pour synthétinécrotique. Tout dépendant du potentiel oxydoréducteur ser le nouveau NAD. Le niveau d’ATP va déterminer si les régional, ONOO– peut être transformé en NO et être un cellules vont mourir d’apoptose ou de nécrose car l’apopvasodilatateur, ou bien être métabolisé en un autre radical tose est un processus qui consomme l’énergie et qui dérivé de l’oxygène. ONOO- peut aussi stimuler la poly requiert donc un niveau minimum d’ATP. (ADP ribose) synthétase (PARS), modifier la fonction de difL’inhibition des PARS par le benzamide empêche l’hyperalférentes enzymes et diminuer le niveau de l’ATP, qui peut gie dans les modèles de douleur neuropathique induite par conduire à la nécrose cellulaire. ligature nerveuse et la tolérance à la morphine chez les rats
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(10). Le blocage de PARP-1 par différents inhibiteurs ou par après chirurgie orthopédique. Il en est de même de l’effet suppression de gène est également avantageux dans d’autres antiallodynique de la néostigmine intrathécale et de l’effet pathologies tel que le syndrome d’ischémie-reperfusion et antinociceptif de la morphine intraveineuse. les dommages cérébraux induits par d’autres pathologies Le mécanisme d’action du NO fait intervenir dans ce cas une cérébrales. La stimulation de la production de NO suivant inhibition du canal calcique de type N qui a pu être mise en l’activation de la NMDA a plusieurs effets. évidence dans les cellules humaines Le NO peut diffuser du niveau post-synapneuroblastomateuses. Ce canal est égatique au niveau pré-synaptique, où il lement bloqué par les opiacés par un La trinitrine est un libérateur module la libération du glutamate et mécanisme impliquant une protéine de NO. d’autres neurotransmetteurs. Gi. Chez les rats, l’administration intraCet effet est médié par le NO lui-même à thécale d’un bloqueur de canal calcique travers la nitrosylation des protéines de type N renforce l’effet antinociceptif membranaires ou par la phosphorylation des enzymes et de la morphine sans induire la tolérance ou la tolérance croides transporteurs par les kinases dépendantes du GMPc. sée à d’autres opiacés. Différents effets centraux des opiacés Dans les modèles de douleurs neuropathiques chroniques, sur le processus de la douleur, le contrôle de la température, non seulement la production du NO est augmentée mais de l’expression des gènes et du comportement, sont médiés son cycle est modifié (la synthèse et le catabolisme du NO par la voie de la L-arginine-NO. pourraient être élevés) et la quantité de cellules positives pour la nNOS dans la substance gélatineuse est augmentée. Dans la majorité des modèles étudiés, le blocage de la synNO ET MIGRAINES thèse du NO a diminué l’hyperalgésie. Cependant, d’autres études n’ont pu montrer un effet bénéfique de l’analogue La TNT a été un des vasodilatateurs les plus utilisés à travers de la L-arginine (bloqueur des récepteurs NMDA). De le monde. Elle subit une biotransformation pour se transmême, l’effet du NO sur le récepteur NMDA est controformer en NO. La survenue de céphalées est un des effets versé. En fonction du modèle et des conditions expérimensecondaires bien connu de la TNT. L’effet cardiovasculaire tales, le NO peut n’avoir aucun effet sur le récepteur ou de la TNT est limité dans le temps par l’apparition d’une tolépeut inhiber le transfert ionique et inhiber ainsi l’influx de rance qui entraîne une atténuation partielle ou complète des calcium. Dans d’autres conditions, le calcium intracellulaire effets vasculaires. La tolérance aux nitrates se développe rapiest augmenté par le NO, ce qui contribue à l’excitotoxicité dement. Le mécanisme de la tolérance n’est pas entièrement neuronale (11). compris et pourrait impliquer aussi bien des ajustements
LE NO ET L’EFFET ANTINOCICEPTIF DE LA MORPHINE (12) Le NO qui est impliqué dans le système opioïdergique central est principalement produit par des nNOS. Les nNOS existent sous deux formes (nNOS-1 et nNOS-2 ayant des actions différentes. La nNOS-1 diminue l’action analgésique et génère la tolérance aux opiacés, tandis que la nNOS-2 a l’effet inverse. Le NO exerce une activité antinociceptive par l’intermédiaire du système opioïdergique central chez les rats et les souris. Le NO est aussi un médiateur de la voie inhibitrice descendante. Un certain nombre d’études cliniques confirment le fait que le NO renforce l’effet analgésique des opiacés. Ainsi l’administration d’un patch de trinitrine (TNT) (un libérateur de NO) renforce l’analgésie produite par les opiacés chez des patients qui souffrent de cancer. L’administration transdermique de nitroglycérine augmente également l’analgésie obtenue par l’injection intrathécale de neostigmine après chirurgie gynécologique et l’analgésie spinale de sufentanil
neuro-humoraux qu’une modification du métabolisme intracellulaire de la TNT. Un des mécanismes de tolérance pourrait être la synthèse et la libération de norépinéphrine dans le cerveau sous l’effet de la TNT. Dans une expérience récente d’induction d’une tolérance à la TNT chez des rats, il a été montré que la TNT amplifiait la libération et la synthèse du NO dans l’hypothalamus postérieur. Les même cellules peuvent libérer des catécholamines et du NO. L’augmentation des concentrations plasmatiques de nitrites chez les patients souffrants de migraine et d’algie vasculaire de la face durant la période inter-critique, suggère une hyperactivité basale de la voie de la L-arginine-NO et l’implication du NO non seulement dans la phase de céphalées, mais aussi dans les mécanismes sous-jacents à la susceptibilité à la migraine et à l’algie vasculaire (13). La sensibilisation centrale à la douleur est considérée comme étant un des mécanismes putatifs les plus pertinents sous-jacent aux états chroniques douloureux incluant les maux de tête chroniques. La stimulation prolongée des fibres-C nociceptives libère le glutamate agissant sur les récepteurs NMDA et non-NMDA au niveau spinal et supraspinal (14). L’activation des récepteurs NMDA rend la moelle
Le praticien en anesthésie-réanimation, 2005, 9, 2 épinière plus sensible à toutes les entrées nociceptives et non-nociceptives résultant en une sensibilisation centrale. La sensibilisation centrale et l’hyperexcitabilité sont médiées par les acides aminés excitateurs ainsi que par les neurokinines (substance P) et d’autres neuropeptides, en particulier le « calcitonine gene related peptide » (CGRP), agissant via les récepteurs NMDA et non NMDA ainsi que les récepteurs de neurokinines respectivement. Il a été montré que le NO joue un rôle crucial dans la sensibilisation centrale. La formation de NO à l’intérieur des cornes postérieures de la moelle et du noyau trigeminal caudal par les fibres nociceptives afférentes, est déclenchée par l’activation des récepteurs NMDA, qui provoque une augmentation de l’activité de la nNOS, via un mécanisme calcium dépendant. Dans le cerveau sont les cellules endothéliales, les cellules gliales et les cellules inflammatoires sont d’autres sources potentielles de NO (grâce à l’activation de la forme constitutive ou inductible des NOS respectivement). Le NO diffuse dans les fibres glutaminergiques présynaptiques et augmente la libération de glutamate. Les résultats provenant d’études animales et humaines ont montré des concentrations élevées de glutamate, de métabolites du NO et de messagers du NO (GMPc) dans le liquide céphalorachidien de patients souffrant de migraines chroniques quotidiennes avec ou sans surconsommation d’analgésiques et chez les patients souffrant de migraine classique durant des attaques de migraines spontanées. Des concentrations élevées de GMPc ont été mesurées dans le plasma des patients souffrant de migraines. Il existe une corrélation entre le niveau de GMPc et l’intensité de la douleur. Enfin Les niveaux de GMPc diminuent nettement suite à l’administration de sumatriptan. L’implication du NO dans la migraine a aussi été suggérée par le fait que la N (G)-monométhyl-L-arginine acétate (L-NMMA ; un inhibiteur de la NOS) soulage les crises de migraine induites par la TNT (14). En provoquant la relaxation des muscles lisses, dilatant directement les vaisseaux sanguins craniaux, le NO est responsable de maux de tête instantanés. Le NO peut aussi activer les neurones trigeminaux (qui libèrent le CGRP et provoquent la dilatation des vaisseaux sanguins intracrâniens) durant la réponse migraineuse tardive au NO. L’augmentation du flux sanguin méningé induite par les donneurs de NO dépend en partie de la libération et de l’action vasodilatatrice du CGRP provenant des fibres afférentes durales. Le rôle de la prostacycline (PGE2) dans la vasodilatation méningée est controversé. La prostaglandine E2, qui est reconnue pour sensibiliser les afférences nociceptives à différents stimuli, possède probablement les mêmes propriétés au niveau des méninges. Un mécanisme synergique du NO et du CGRP pourrait être impliqué au niveau des cellules musculaires lisses des vaisseaux artériels duraux. L’aug-
117 mentation de l’AMPc intracellulaire causée par le CGRP peut potentialiser les effets du GMPc induit par le NO (15). La libération de NO, de CGRP et de prostaglandines peut non seulement être accrue par l’inflammation, mais ces substances font aussi partie du processus inflammatoire et peuvent participer à la perméabilisation de la barrière hémato-encéphalique. Une augmentation de la production de NO pourrait contribuer à la formation d’un cercle vicieux à l’intérieur des méninges, impliquant le CGRP, les prostaglandines, ainsi que d’autres médiateurs tels que l’histamine et les cytokines inflammatoires. Ceci pourrait contribuer à la sensibilisation des nocicepteurs méningés et des neurones trigéminaux du tronc cérébral. Les récepteurs méningés, très sensibles aux stimuli mécaniques, pourraient répondre aux changements pulsatils du tonus vasomoteurs des vaisseaux artériels méningés, causant ainsi les douleurs pulsatiles typiques lors de maux de tête vasculaires (15). La CGRP est de plus en plus incriminée dans la physiopathologie de la douleur migraineuse. Le sumatriptan, qui supprime les crises de migraine, normalise les niveaux de CGRP. De plus, de nouveaux traitements de la migraine (comme l’antagoniste de la 5-hydroxytrypatmine (5-HT) 1f) diminuent la libération du glutamate et des neuropeptides inflammatoires tels que la CRGP. La TNT ainsi que d’autres donneurs de NO libèrent le CGRP des artères leptoméningées et des nerfs périvasculaires. Le CGRP pourrait amplifier la production de NO en activant la NOS3. La relaxation vasculaire induite par le CRGP implique l’inhibition de la phosphodiestérase III (médiée par la GMPc) et l’accumulation subséquente d’AMPc dans les muscles lisses. Dans les artères cérébrales, l’AMPc produite par le CGRP peut induire directement la vasodilatation. La TNT provoque des céphalées chez des sujets normaux et chez des patients souffrants de migraine. La céphalée immédiate est causée par la dilatation des vaisseaux leptoméningés, tandis que la céphalée retardée, qui apparaît après plusieurs heures, est typique d’une attaque migraineuse sans aura (16). L’administration de TNT augmente l’immuno-réactivité des nNOS et des c-fos dans la corne dorsale superficielle de l’épine dorsale cervicale supérieure. Les agonistes du récepteur 5-HT1b/1d de la sérotonine, atténuent l’expression de la NOS (provoquée par la TNT) dans les voies trigéminales. L’augmentation du contenu en nNOS pourrait être due à l’inhibition de la voie inhibitrice descendante par un effet direct du NO sur les neurones de la substance grise périaqueductale. Chez les rats, on a montré que la TNT interfère avec la transmission monoaminergique. En effet, la TNT induit une augmentation précoce de la concentration de noradrénaline cérébrale et plasmatique suivit d’une augmentation tardive de la sérotonine au niveau médullaire et
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118 mésencéphalique. La réponse tardive pourrait résulter de l’interaction du NO (libéré par la TNT) et du 5-HT dans l’aire centrale dédiée à la modulation de la nociception (16). L’explication la plus plausible pour l’augmentation de l’activité de la nNOS dans la corne dorsale de la moelle épinière cervicale supérieure est l’activation des neurones et des inter-neurones nociceptifs de second ordre, résultant de l’activation des afférents périphériques. La TNT est en effet capable d’activer les fibres nociceptives méningées. Dans le système trigeminal, les stimuli somatiques sont capables d’activer la c-fos comme la nNOS. De plus, il a été montré que l’activation par la TNT transdermique de c-fos dans les neurones du noyau trigeminal caudal était réduite suite à la destruction des fibres non-myélinisées par la capsaicine. Dans la moelle épinière, l’activation de la c-fos par des donneurs de NO est abolie par un pré-traitement par un inhibiteur de NOS (16).
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CONCLUSION Il est évident que le NO à un rôle de premier plan dans la transmission douloureuse et dans l’induction de certaines pathologies conduisant à des douleurs inflammatoires, voire des douleurs neuropathiques chroniques. En fonction de son site d’action et des conditions loco-régionales, le NO peut être un cofacteur des mécanismes endogènes du contrôle de la douleur et un des intermédiaires indispensables de l’effet des médicaments antalgiques (AINS, opioïdes) communément employés. Le rôle complexe du NO dans les phénomènes inflammatoires et de neuroplasticité fait qu’il peut avoir, soit un effet bénéfique ou un effet néfaste. L’association du NO et/ou de modulateurs de la voie métabolique du NO et de médicaments antalgiques semble être une voie thérapeutique prometteuse pour l’avenir. ■
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Tirés à part : G. BLAISE, Département d’Anesthésie, CHUM, Hôpital Notre-Dame, Pavillon Deschamps, local FS-1136, 1560 Sherbrooke est, Montréal, Québec, Canada H2L 4M1.