Le seuil ventilatoire : état des connaissances physiologiques

Le seuil ventilatoire : état des connaissances physiologiques

Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2014) 6, 217-220 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com LE SEUIL VENTILATOIRE : DE LA CROYANCE ...

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Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2014) 6, 217-220

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

LE SEUIL VENTILATOIRE : DE LA CROYANCE DES PROFESSIONNELS À LA RÉALITÉ DES PATIENTS

Le seuil ventilatoire : état des connaissances physiologiques Does physiology supports the assessment of ventilatory thresholds during graded and maximal exercise test?

F. Pillard D’après la communication de R. Richard (Clermont-Ferrand) Service d’exploration fonctionnelle respiratoire et de médecine du sport, CHU Larrey, 24, chemin de Pouvourville, TAS 30030, 31059 Toulouse Cedex 9, France

MOTS CLÉS Seuil ventilatoire ; Réentraînement ; Exercice musculaire ; Dyspnée ; BPCO

Résumé Au cours de sa présentation, R. Richard a présenté les données observationnelles qui soustendent le développement du concept de seuil ventilatoire, puis a exposé les données actuelles de la science sur lesquelles se basent les approches prônant l’utilisation des seuils ventilatoires comme des indicateurs pour personnaliser le réentraînement en endurance des patients. Si le concept de seuil ventilatoire est basé sur l’identiÀcation de zones de variation du débit ventilatoire en fonction de la puissance de l’exercice musculaire, l’origine des stimuli impliqués dans le déclenchement de cette réponse est encore discutée et en particulier, le modèle de compensation ventilatoire d’un état d’acidiÀcation métabolique est largement remis en cause. L’association entre les variations objectives du débit ventilatoire et le niveau de dyspnée perçue est également remise en cause. Néanmoins, l’utilisation des seuils ventilatoires, associée à l’utilisation du seuil de dyspnée, reste utile et utilisable pour optimiser la codiÀcation et la personnalisation d’un programme de réentraînement à l’exercice musculaire chez des patients porteurs d’une bronchopneumopathie obstructive. © 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (F. Pillard).

© 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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KEYWORDS Ventilatory threshold; Rehabilitation; Muscular exercise; Dyspnea; COPD

F. Pillard

Summary During his talk, R. Richard presented the observational data that underlies the development of the ventilatory threshold concept. He then discussed the current scientiÀc data on that are the basis of the approaches recommending the use of ventilatory thresholds as indicators to individualize patients’endurance training. Although the ventilatory threshold concept is based on the identiÀcation of zones where the ventilatory Áow varies depending on the power of the muscular exercise, the origin of the stimuli involved in triggering this response continues to be debated : most particularly, the ventilatory compensation model of a state of metabolic acidiÀcation has been seriously challenged. The association between objective variations of ventilatory Áow and the level of dyspnea have also been challenged. Nevertheless, the use of ventilatory thresholds, associated with the use of the dyspnea threshold, remains useful to optimize the codiÀcation and individualization of a muscular exercise training program in patients with obstructive pulmonary disease. © 2014 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction R. Richard a d’abord présenté les données observationnelles qui sous-tendent le concept de seuil ventilatoire. Il a ensuite exposé les données actuelles de la science et les approches prônant l’utilisation des seuils ventilatoires comme des indicateurs permettant de personnaliser le réentraînement en endurance des patients.

Concept de seuil ventilatoire Au cours d’un test d’exercice musculaire en rampe, le débit ventilatoire (VE, litre/min) augmente avec la puissance de l’exercice [1]. L’analyse de cette cinétique du VE permet d’identiÀer deux cassures ou inÁexions. Entre ces deux inÁexions, la cinétique de la relation VE/puissance est parallèle à celle de la relation VCO2/puissance tandis que la cinétique de la relation VE/VCO2 est stable, que la lactatémie augmente, que la bicarbonatémie diminue et que le pH est stable. Les cinétiques de ces paramètres métaboliques ont donc logiquement conduit à relier l’apparition des inÁexions de VE aux modiÀcations métaboliques induites par l’exercice musculaire en rampe. En particulier, l’apparition de cassures a été initialement reliée à la production de protons secondaire à la dissociation de l’acide lactique elle-même produite sous l’hypothèse d’un déÀcit d’adaptation de la voie énergétique musculaire aérobie, et donc d’une majoration du recrutement de la voie énergétique anaérobie lactique (dans ce modèle, l’apparition de protons induirait la mise en place d’un phénomène de compensation acido-basique métabolique par l’utilisation des bicarbonates avec production consécutive de CO2, induisant à son tour une stimulation des centres ventilatoires). À partir de ce modèle métabolique, plusieurs dénominations ont été proposées pour caractériser les deux inÁexions successives de VE : • de façon non spéciÀque, il fut proposé de dénommer la première inÁexion « 1er seuil ventilatoire » (SV1). En rapport avec le modèle métabolique, SV1 a pu également être identiÀé sous les termes « seuil lactique », « seuil aérobie » ou « seuil anaérobie » ;

• de façon non spéciÀque, il fut proposé de dénommer la seconde inÁexion « 2e seuil ventilatoire » (SV2). En rapport avec le modèle métabolique, il fut proposé de considérer que SV2 délimitait, au-delà de SV1, une « zone de tamponnement isocapnique » ou « zone de compensation ventilatoire ». Les hypothèses de ce modèle métabolique des seuils ventilatoires ont toutefois été remises en cause. Des interrogations ont été soulevées par ce type d’approche, basée sur l’analyse de la cinétique d’indicateurs métaboliques. En effet : • l’ajustement ventilatoire (inflexions, cassures) ne pourrait-il pas être lié au protocole d’exercice (intensité des paliers de la rampe d’exercice) ou à la tolérance globale du patient au cours d’un exercice musculaire (niveau d’entraînement) ? • le parallélisme des pentes de VE et VCO2 reÁète-t-il bien une relation physiologique dans une dimension métabolique et permet-il ainsi d’envisager une approche mécanistique des seuils ventilatoires ? • l’augmentation de la lactatémie au-delà de la première inÁexion de VE reÁète-t-elle bien une majoration de la contribution énergétique d’origine anaérobie ? L’analyse de la cinétique de la sensation de dyspnée en fonction de la cinétique de V E a également pu inciter à critiquer la théorie métabolique des seuils ventilatoires car, au-delà de SV1, l’impression de dyspnée est perçue différemment entre les patients. En particulier, si l’impression de majoration de la dyspnée est relativement proche du moment où apparaît SV 1 chez les patients présentant une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), cette impression est retardée par rapport à l’identiÀcation de SV1 chez le sujet sportif. Ces constatations posent ainsi des questions relatives aux déterminants de la dyspnée perçue, qui n’apparaît donc pas aussi nettement associée à la majoration objective de la ventilation. Au cours de la spirale du déconditionnement musculaire, cette dissociation a pu remettre en cause l’intérêt d’identiÀer SV1 comme intensité d’exercice cible durant les séances de réentraînement.

Le seuil ventilatoire : état des connaissances physiologiques

Comment interpréter et utiliser en pratique les seuils ventilatoires ? Au-delà de ces critiques de fond, l’identiÀcation des seuils ventilatoires a tout de même été développée et validée dans le champ clinique avec plusieurs applications telles que, par exemple : • la quantiÀcation objective de l’importance de la limitation fonctionnelle d’un individu au cours d’un exercice musculaire ; • l’établissement de critères de gravité chez les patients souffrant d’insufÀsance cardiaque ; • l’établissement d’un seuil de capacité fonctionnelle aérobie requise pour une tâche professionnelle dans le cadre de l’évaluation fonctionnelle de salariés en médecine du travail ; • et la personnalisation d’un programme d’entraînement en endurance. Tenant compte des questions posées par le concept et listées dans le chapitre précédent, l’utilisation des seuils ventilatoires nécessite de prendre en considération certaines réponses pouvant être apportées à ces questions. La première question était de savoir si l’ajustement ventilatoire (inÁexions, cassures) pouvait être lié au protocole d’exercice (intensité des paliers de la rampe d’exercice) ou à la tolérance globale du patient au cours d’un exercice musculaire (niveau d’entraînement). L’étude de Kang et al. apporte, parmi d’autres, des éléments de réponse à ces deux questions puisque l’auteur a évalué le niveau de performance aérobie de sujets volontaires sains en fonction de l’utilisation de trois types de protocoles en rampe et en fonction du niveau d’entraînement des sujets [2]. Cette étude a permis de conclure que le type de protocole pouvait inÁuencer l’expression de la capacité aérobie maximale et le moment d’apparition du premier seuil ventilatoire chez un même sujet, cette association étant conservée chez les sujets entraînés ou non entraînés. À noter que, comme l’étude princeps de Beaver qui avait décrit le concept de seuil ventilatoire, cette étude a été réalisée chez des sujets sains tandis qu’aucune étude n’a été menée selon cette méthodologie chez des sujets malades, alors que l’utilisation du concept de seuil ventilatoire fait partie de la méthodologie utilisée pour un très grand nombre d’études publiées et menées chez des sujets malades. La deuxième question était de savoir si le parallélisme des pentes de VE et VCO2 pouvait reÁéter une relation physiologique dans une dimension métabolique et ainsi permettre d’envisager une approche mécanistique des seuils ventilatoires explicitant la mise en place d’une compensation ventilatoire d’une acidose métabolique. La réponse à cette question est négative car les bicarbonates ne sont pas la seule source de tamponnement au cours d’un exercice musculaire (il existe d’autres tampons métaboliques ou physico-chimiques, musculaires ou sanguins), ce qui implique un contrôle de l’homéostasie acido-basique par d’autres systèmes non producteurs de CO2 et donc une modiÀcation de la ventilation pas totalement dévouée à la compensation de l’acidose métabolique. Cette hypothèse physiopathologique du concept de seuil ventilatoire peut également être réfutable si l’on considère que le modèle initialement proposé par Wasserman et al. repose sur sept afÀrmations dont certaines sont inexactes ou incomplètes, seule la première reprenant

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l’équation d’oxydation des substrats avec production de CO2 faisant l’objet d’un consensus [1]. La troisième question était de savoir si, au-delà de la 1re inÁexion de VE, l’augmentation de la lactatémie (et donc, selon le modèle de Wasserman, l’augmentation de la quantité de protons libérée) pouvait être le reÁet d’une majoration de la contribution énergétique d’origine anaérobie en réponse à un défaut d’adaptation de la voie aérobie. La réponse à cette question est également négative car l’acide lactique n’est pas la seule source de protons au cours d’un exercice musculaire, le processus d’hydrolyse de l’ATP étant aussi associé à la production de protons. De plus, si la cinétique de la lactatémie au cours d’un exercice musculaire en rampe est d’allure exponentielle, la cinétique de la consommation d’oxygène en fonction de la puissance d’exercice est linéaire, ce qui plaide en faveur du caractère « ajusté » de la voie aérobie pour participer à la production d’une quantité d’ATP requise pour la poursuite de l’exercice musculaire. Chez le sujet sain, cet ajustement de la consommation d’oxygène à la requête énergétique reste observé en condition hypoxique mais avec une performance maximale aérobie diminuée. Il ne faut cependant pas oublier que si la voie métabolique anaérobie lactique participe donc de façon non signiÀcative à l’ajustement du débit de production de molécules d’ATP par rapport au débit de dégradation jusqu’au VO2max, son recrutement majoré est mis au proÀt du fonctionnement de la voie aérobie car la voie anaérobie lactique est impliquée dans l’équilibre NADH2/NAD lui-même impliqué dans l’amorçage de la production d’ATP par la voie énergétique aérobie. La participation directe de la voie énergétique anaérobie à la production d’ATP serait plus signiÀcative durant les phases de transition d’intensité de l’exercice musculaire, c’est-à-dire au moment des changements de paliers d’exercice, le temps que l’ajustement de la voie aérobie se fasse et que la cinétique de la voie aérobie reprenne une géométrie linéaire en fonction de l’intensité d’exercice. La quatrième question était de savoir quels sont les déterminants de la dyspnée au-delà du seuil ventilatoire, c’est-à-dire de savoir pourquoi certains patients ne perçoivent pas de dyspnée alors qu’un seuil ventilatoire peut être identiÀé. La réponse à cette question implique de considérer de multiples facteurs potentiellement impliqués seuls ou en association dans la genèse d’une dyspnée. Dans son analyse intégrative sur les phénomènes contrôlant l’adaptation ventilatoire au cours de l’exercice musculaire, Forster et al. proposent de considérer [3] : • que le couplage de l’hyperpnée à la dépense métabolique n’est pas causal mais dû au fait que ces variables seraient liées par un facteur commun qui relie les réponses circulatoire et ventilatoire à l’exercice musculaire ; • que les stimuli dont on pense qu’ils agissent au niveau de chémorécepteurs pulmonaires, cardiaques, carotidiens ou intracrâniens ne sont pas les principaux médiateurs de l’hyperpnée ; à titre d’exemple, les patients atteints de la glycogénose de type Mac Ardle ne produisent pas d’acide lactique mais présentent quand même une hyperventilation d’exercice [4] ; • et que des stimuli (fatigue, douleur) provenant des membres sollicités par l’exercice musculaire parviennent au cerveau par des afférences spinales pour alors contribuer au processus d’hyperpnée.

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L’intensité d’exercice musculaire déÀnie au seuil ventilatoire peut-elle être une cible de l’entraînement ? La réponse est oui car, sans que l’on puisse statuer sur les facteurs de l’exercice musculaire qui contrôlent l’adaptation ventilatoire, il est acquis qu’une intensité d’exercice musculaire associée à une augmentation de la lactatémie induit une stimulation de la fonction mitochondriale dans le sens d’une réponse adaptative pour répondre à un processus de déstabilisation. De façon plus Ànaliste, la réponse favorable à la question peut aussi être appuyée par le nombre important de publications traitant de l’intérêt et de l’efÀcacité d’un entraînement au seuil ventilatoire chez des patients.

Conclusion En conclusion sur le caractère rationnel et utile du concept de seuil ventilatoire, nous pouvons retenir : • qu’une rupture ventilatoire est identiÀable lors d’une épreuve d’effort incrémentée en rampe ou par paliers ; • que les stimuli à l’origine de cette rupture ventilatoire sont multiples et les mécanismes d’action de ces stimuli incomplètement identiÀés à ce jour ; • que l’intensité d’exercice correspondant à cette rupture ventilatoire est associée à un inconfort ventilatoire qui correspond chez le sujet déconditionné à l’apparition de la dyspnée (seuil de dyspnée) ; • qu’au-dessus de cette intensité d’exercice, la lactatémie est le reÁet d’un signal d’erreur mitochondrial, ce signal d’erreur mitochondrial étant un stimulant des processus

F. Pillard

d’adaptation, ce qui fait de cette intensité une zone cible du réentraînement ; • que la production d’ATP au cours d’un exercice triangulaire est essentiellement d’origine aérobie, la contribution anaérobie demeurant minime et limitée aux phases de transition d’intensité (changements de paliers) et aux intensités maximales lorsque les capacités aérobies ne peuvent plus augmenter (c’est-à-dire lorsque le VO2 approche du VO2max) ; • et que la production de CO2 d’origine métabolique n’est pas proportionnelle à la production de protons par le processus de dissociation de l’acide lactique.

Liens d’intérêts F. Pillard déclare n’avoir aucun lien d’intérêts en rapport avec cet article. R. Richard : non communiqués.

Références [1]

[2]

[3] [4]

Wassermann K, Hansen JE, Sue DY, Stringer WW, Sietsema KE, Sun XG, et al. Exercise testing and interpretation. In: Principle of exercise testing and interpretation, Fifth edition. Lippincott Williams & Wilkins Eds. Philadelphia, USA. Kang J, Chaloupka EC, Mastrangelo MA, Biren GB, Robertson RJ. Physiological comparisons among three maximal treadmill exercise protocols in trained and untrained individuals. Eur J Appl Physiol 2001;84:291-5. Forster HV, Haouzi P, Dempsey JA. Control of breathing during exercise. Compr Physiol 2012;2:743-77. Riley M, Nicholls DP, Nugent AM, Steele IC, Bell N, Davies PM, et al. Respiratory gas exchange and metabolic responses during exercise in McArdle’s disease. J Appl Physiol 1993;75:745-54.