Formation médicale continue
C A S
C L I N I Q U E
Le Tinuvin P®, un nouvel allergène des lunettes de protection M.N. Crépy1 A. Grabas1 A.M. Cohen-Jonathan1 G. Cuveillier2 D. Choudat1 1. Service de pathologie professionnelle, Hôpital Cochin, 27 rue du faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris 2. Maison de la RATP, 54 quai de la Râpée, 75012 Paris. Correspondance : M.N. Crépy, à l’adresse ci-dessus. E.mail :
[email protected]
Mots-clés : 2-(2-hydroxy-5méthylphényl)benzotriazole, Tinuvin P®, absorbeur d’UV, eczéma de contact allergique, lunettes.
Monsieur D., 35 ans, poseur de voies, est adressé par son médecin du travail pour une éruption du visage suite à un changement de lunettes de protection. Les lésions sont érythémato-œdémateuses, prurigineuses, périorbitaires, situées au niveau du contact des bords des lunettes avec la peau avec une limite nette. Elles sont survenues quelques mois après un changement de marque de lunettes et sont rythmées par le port de celles-ci, apparaissant dans les 24 heures qui suivent leur utilisation. Depuis que le patient a arrêté de les porter, il n’a plus d’éruption. Le bilan allergologique comprenant la batterie standard européenne, la batterie plastique-colles de Chémotechnique®, ainsi qu’un test ouvert avec le produit de grattage du bord des lunettes de protection révèlent des tests nettement positifs à 3 croix pour le 2-(2-hydroxy-5-méthylphényl)-benzotriazole encore appelé Tinuvin P® et pour le produit du grattage des lunettes. Le fabricant de lunettes confirme la présence de 2-(2-hydroxy-5-méthylphényl)-benzotriazole utilisé comme absorbeur d’ultraviolets dans le bord bleu en PVC des lunettes de protection.
Key-words: Tinuvin P®, UV absorber, allergic contact dermatitis, eyeglasses.
© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
754
Arch Mal Prof Env 2006
Le Tinuvin P®, un nouvel allergene des lunettes de protection
Les ultraviolets peuvent entraîner par réaction chimique une dégradation des polymères avec perte de leurs propriétés chimiques et physiques. Des absorbeurs d’UV sont incorporés dans des polymères pour les protéger contre les effets nocifs du rayonnement UV. Ils appartiennent essentiellement à 2 familles chimiques les benzotriazoles (dont le Tinuvin P®) et les benzophénones. Le Tinuvin P® appartient à la classe des hydroxyphénol benzotriazoles. Cette molécule, le 2-(2-hydroxy-5-méthylphényl)-benzotriazole est encore appelée drométrizole. Son numéro CAS est le 2440-22-4 et sa formule chimique, C13 H11 N30. Il n’a pas été montré de réaction croisée entre le Tinuvin P® et d’autres benzotriazoles (6, 10). Les cas rapportés dans la littérature d’eczéma de contact allergique au Tinuvin P® sont très rares. Les produits incriminés contenant du Tinuvin P® étaient des cosmétiques, une poche de stomie, un bracelet montre, une bande en polyuréthanne d’un tee-shirt, une bande en spandex de sous-vêtements et des matériaux de restauration dentaire (1-4, 10, 12). Ces cas expliquent la présence de Tinuvin P® dans la batterie
Arch Mal Prof Env 2006
plastique-colles et la batterie dentaire de Chémotechnique®. Cependant, les résultats avec cette batterie plastiquecolles sur de grandes séries de patients suspects d’eczéma de contact allergique ne révèlent qu’une très faible prévalence de tests positifs au Tinuvin P® (de 0 à 0,6 % des patients testés) (5, 7, 11). De même, une étude avec la batterie dentaire chez des patients suspects d’eczéma de contact allergique aux produits dentaires ne retrouve qu’un cas positif chez 1 393 patients testés (8). La revue de la littérature des allergènes responsables d’eczéma de contact allergique aux lunettes mentionne en 1998 certaines familles chimiques, les métaux, les plastiques, les plastifiants, les solvants, les antioxydants, les colorants et les stabilisants d’UV (le monobenzoate de résorcinol et le phényl salicylate), mais le Tinuvin P® n’est pas cité (9). A notre connaissance, il s’agit donc du premier cas rapporté d’eczéma de contact allergique au Tinuvin P® présent dans la bordure en PVC de lunettes de protection.
Références 1. Arisu K., Hayakawa R., Ogino Y., et al. : Tinuvin P® in a spandex tape as a cause of clo-
755
thing dermatitis. Contact Dermatitis, 1992 ; 26 : 311-316. 2. Bjorkner B., Niklasson B. : Contact allergy to the UV absorber Tinuvin P® in a dental restorative material. Am J Contact Dermat, 1997 ; 8 : 6-7. 3. Cronin E. : Contact dermatitis. Edinburgh, Churchill, Livingstone, 1980 : 102p. 4. De Groot A.C., Liem D.H. : Contact allergy to Tinuvin® P. Contact Dermatitis, 1983 ; Vol. 9 ; Issue 4 : 324-325. 5. Holness D.L., Nethercottdagger J.R. : Results of patch testing with a specialized collection of plastic and glue allergens. Am J Contact Dermat, 1997 ; 8 : 121-124. 6. Ikarashi Y., Tsuchiya T., Nakamura A. : Contact sensitivity to Tinuvin® P in mice. Contact Dermatitis, 1994 ; 30 : 226-230. 7. Kanerva L., Jolanki R., Alanki K. et al. : Patch-test reactions to plastic and glue allergens. Acta Derm Venereol, 1999 ; 79 : 296-300. 8. Kanerva L., Rantanen T., Aalto-Korte K. et al. : A multicenter study of patch test reactions with dental screening series. Am J Contact Dermat, 2001 ; 12 : 83-87. 9. Nakada T., Maibach H.I. : Eyeglass allergic contact dermatitis. Contact Dermatitis, 1998 ; 39 : 1-3. 10. Niklasson B., Bjorkner B. : Contact allergy to the UV-absorber Tinuvin P® in plastics. Contact Dermatitis, 1989 ; 21 : 330-334. 11. Tarvainen K. : Analysis of patients with allergic patch test reactions to a plastics and glues series. Contact Dermatitis, 1995 ; 32 : 346-351. 12. Van Hecke E., Vossaert K. : Allergic contact dermatitis from an ostomy bag. Contact Dermatitis, 1998 ; 18 : 121-122.
CAS CLINIQUE
Discussion