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N. Rognant, M. Laville Service de néphrologie, Hôpital Edouard Herriot, Lyon.
Le développement des épidémies d’hypertension artérielle et de diabète nécessite la mise au point de moyens thérapeutiques efficaces. Le système rénine-angiotensine-aldostérone joue un rôle central dans certaines complications liées à ces pathologies et son blocage pharmacologique a largement démontré son intérêt. Un blocage plus complet et/ou à d’autres niveaux pourrait apporter des bénéfices cliniques supérieurs par rapport à un blocage « simple », du fait de l’existence de phénomènes d’échappement et de contre-régulation du système rénine-angiotensine-aldostérone. Un inhibiteur de la rénine, l’aliskiren, sera prochainement disponible aux Etats-Unis avec une efficacité antihypertensive adéquate.
Les inhibiteurs de la rénine en 2007
L’
inhibition du système rénineangiotensine (SRA) par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) ou les antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II (ARA2) a montré son intérêt en termes de baisse tensionnelle au cours du traitement de l’hypertension artérielle (HTA), mais également en termes de prévention de la morbi-mortalité cardiovasculaire chez les patients à risque, et de sauvegarde de la fonction rénale au cours de certaines néphropathies. L’idée de bloquer le système à sa source en inhibant l’activité rénine plasmatique est une idée ancienne qui a abouti ces dernières années au développement de plusieurs molécules à prise orale, dont l’efficacité anti-hypertensive est désormais acquise [1, 2]. L’impact de cette nouvelle classe thérapeutique en termes de protection cardiovasculaire et/ou rénale reste à déterminer avec cependant une possibilité intéressante de compléter le blocage du système rénine-angiotensine en association avec les IEC et les ARA2.
Historique
Correspondance : Maurice Laville Service de néphrologie Hôpital Edouard-Herriot 69437 Lyon cedex
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Logiquement, l’inhibition de la rénine est apparue initialement comme le moyen préférentiel de bloquer le SRA. C’est ainsi que dès les années 1950, certains chercheurs ont tenté de mettre au point des molécules capables d’atteindre cet objectif. La première méthode utilisée fut la mise au point d’anticorps anti-rénine. L’utilisation de ces anticorps permit chez l’animal une réduction de la pression artérielle, confirmant ainsi le concept initial. Par la suite, furent développés des analogues peptidiques du proseg-
ment de la rénine et des analogues de la partie N-terminale de l’angiotensinogène. Ces molécules démontrèrent une efficacité anti-hypertensive aussi bien chez l’animal que chez l’homme, mais leur développement se heurta à plusieurs difficultés, notamment la nécessité d’une administration parentérale. Au cours des années 1980, plusieurs autres molécules destinées à une administration orale virent le jour, avec à nouveau des problèmes liés à une faible biodisponibilité et à un effet anti-hypertenseur modeste. Finalement, au début des années 2000, un nouvel anti-rénine très actif et utilisable par voie orale, a été développé par Novartis : l’aliskiren. Il s’agit d’un inhibiteur spécifique de la rénine, non peptidique, mis au point en utilisant des méthodes de modélisation moléculaire et de cristallographie.
Mode d’action Il est schématisé sur la (figure 1). Le SRA est un système endocrinien dont l’activation est déclenchée principalement par une chute de la pression artérielle (PA). La rénine est stockée sous une forme inactive appelée prorénine dans certaines cellules de l’appareil juxta-glomérulaire (il s’agit des cellules musculaires lisses modifiées situées dans la paroi de l’artériole afférente du glomérule). Lors d’une chute de la PA, la prorénine est clivée en rénine active dans ces cellules, et libérée dans l’artériole afférente. Cette libération est à l’origine de modifications hémodynamiques systémiques et intra-rénales. En elle-même, la rénine n’a pas d’action vasoactive mais permet de transformer son substrat, l’angiotensinogène, en angiotensine 1. Ensuite, l’enzyme de
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Les inhibiteurs de la rénine en 2007
Inhibiteurs de la rénine Angiotensinogène RENINE Angiotensine 1 Chymase
Dégradation de la bradykinine Enzyme de conversion de angiotensine IEC
Angiotensine 2 ARA II
Récepteur AT1 A
Récepteur AT2 A
Aldostérone
Vasoconstriction Rétention hydro-sodée Augmentation du stress oxydatif Sécétion facteurs de croissance
ARA II : antagonistes de l’angiotensine II ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine
Figure 1 : Niveaux d’action des différents bloqueurs du système rénine-angiotensinealdostérone.
conversion de l’angiotensinogène (ECA) convertit l’angiotensine 1 en angiotensine 2. Ce dernier composé est un octapeptide doté d’un effet vasoconstricteur extrêmement puissant. Cette vasoconstriction prédomine sur les artérioles et entraîne une augmentation de la PA. Par ailleurs, l’angiotensine 2 est à l’origine d’une diminution de l’excrétion rénale de sel et d’eau par un double mécanisme : direct par l’effet vasoconstricteur sur les artérioles intra-rénales, et indirect par stimulation de la sécrétion d’aldostérone. Cette diminution de l’excrétion hydro-sodée entraîne une augmentation de la PA retardée, mais plus puissante que celle engendrée par l’effet vasoconstricteur. Les études chez l’animal et chez l’homme ont montré que l’administration d’anti-rénine est à l’origine d’une diminution dose dépendante de l’activité rénine plasmatique, des concentrations d’angiotensine 1 et 2 et d’une diminution de la PA, sans accélération du rythme cardiaque. En revanche, il existe un processus d’échappement avec l’élé-
vation de la concentration plasmatique de rénine. Il est intéressant de constater que dans une étude sur des singes anéphriques, la PA était abaissée lors de l’infusion d’un inhibiteur de la rénine à fortes doses, suggérant un effet sur la rénine tissulaire.
Etudes précliniques Elles ont utilisé des modèles d’hypertension comme les marmosets ou les rats transgéniques pour les gènes humains de la rénine et de l’angiotensinogène. Chez le marmoset soumis à un régime hyposodé, l’administration per os de 3 mg/kg d’aliskiren fait chuter la PA moyenne de 30 mmHg pendant plus de 24 heures. L’activité rénine plasmatique est diminuée de façon marquée pendant 24 heures et la concentration de rénine augmente dès la 2e heure et reste élevée au moins 24 heures. Chez les rats doublement transgéniques pour la rénine et l’angiotensinogène
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humains, qui développent rapidement une HTA sévère avec décès dans les huit semaines, l’infusion sous-cutanée d’aliskiren pendant deux semaines induit une diminution de la PA, de la protéinurie, de l’hypertrophie cardiaque et de l’infiltration macrophagique cardiaque et rénale. De plus, la survie est prolongée dans ce modèle. Chez le volontaire sain, le traitement par aliskiren, à doses variables pendant huit jours, inhibe de façon dose dépendante l’activité rénine plasmatique, augmente la concentration de rénine et diminue les concentrations plasmatique et urinaire d’aldostérone.
Etudes cliniques Plusieurs études menées chez des patients hypertendus et démontrant l’efficacité anti-hypertensive de l’aliskiren sont actuellement disponibles. Stanton et al. [3] ont testé l’efficacité hypotensive de l’aliskiren, donné à doses croissantes chez des patients hypertendus modérés, en la comparant à celle du losartan 100 mg. Les effectifs des groupes allaient de 36 à 41 patients. Les baisses de PA étaient comparables entre les groupes losartan 100 mg (- 10,9 mmHg), aliskiren 150 mg (- 8 mmHg) et aliskiren 300 mg (- 11 mmHg). Dans un concept similaire, l’étude de Gradman et al., en 2005 [4], a comparé l’efficacité de l’aliskiren aux doses de 150, 300 et 600 mg/jour à celle de l’irbésartan 150 mg/jour et d’un placebo. Cette étude a duré huit semaines et incluait des patients adultes avec une HTA modérée. La réduction de la PA systolique (PAS) était de - 11,36 mmHg, - 15,76 mmHg et - 15,73 mmHg pour des doses respectives d’aliskiren de 150 mg, 300 mg et 600 mg, alors qu’elle était de - 5,29 mmHg dans le groupe placebo (différences statistiquement significatives) et de - 12,5 mmHg pour l’irbésartan (pas de différence). Les réductions de la PA diastolique (PAD) étaient de - 9,28 mmHg, - 11,77 mmHg et - 11,5 mmHg pour les mêmes doses d’aliskiren que précédemment, alors qu’elle était de - 6,34 mmHg dans le groupe placebo (différences statistiquement significatives) et de - 8,88 mmHg
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pour l’irbésartan (baisse significativement inférieure à celle des groupes aliskiren 300 mg et 600 mg). La tolérance de l’aliskiren était comparable (quelle que soit la dose) à celle du placebo et de l’irbésartan, hormis pour les effets secondaires gastro-intestinaux un peu plus fréquents pour l’aliskiren à fortes doses. Au total, l’efficacité de l’aliskiren en terme de baisse de la PAS et de la PAD est comparable à celle de l’irbésartan, et même supérieure pour la PAD à des doses de 300 à 600 mg/jour. Enfin, dans une étude très récente par Villamil et al. [5], 2 776 hypertendus modérés ont été inclus pour tester l’action anti-hypertensive de l’aliskiren (à plusieurs posologies là aussi) et la comparer à celle de l’hydrochlorothiazide (HCTZ) à des doses de 6,25 ; 12,5 et 25 mg/jour, à celle de l’association HCTZ/aliskiren donnée à huit posologies différentes (6,25 mg/75 mg ; 12,5/75 ; 25/75 ; 6,25/150 ; 12,5/150 ; 25/150 ; 12,5/300 ; 25/300) et à celle d’un placebo. Au total, 15 groupes ont été constitués avec des effectifs allant de 173 à 194 patients par groupe. Concernant la PAD, la baisse tensionnelle constatée a été significativement plus importante dans les groupes aliskiren et HCTZ seuls comparativement au groupe placebo (- 8,7 à - 10,3 mmHg contre - 6,9 mmHg). Pour les associations, la plupart faisaient mieux que l’aliskiren ou l’HCTZ seuls tou-
tes posologies confondues, avec une baisse maximale de - 14,3 mmHg pour le groupe aliskiren 300/HCTZ 25 (baisse de la PAD de - 10,4 à 14,3 mmHg). Concernant la PAS, l’aliskiren ou l’HCTZ seuls abaissaient plus les chiffres que le placebo, hormis pour l’aliskiren 75 mg. L’aliskiren 300 mg permettait une baisse importante de la PAS de - 15,7 mmHg. Là aussi, les associations permettaient le plus souvent une baisse plus importante que l’aliskiren ou l’HCTZ donnés seuls, avec une baisse allant de - 14,3 à - 21,2 mmHg. L’association la plus efficace a été l’aliskiren 300/HCTZ 25. En terme de pourcentages de patients répondeurs (PAD < 90 mmHg et/ou baisse > 10 mmHg), c’est l’association aliskiren 300/HCTZ 12,5 qui a été la plus efficace avec 80,5 % de répondeurs. La tolérance globale était bonne dans cette étude avec 6,5 % à 16,6 % d’effets secondaires et de 0 à 4 % d’arrêt de traitement liés à ces effets, en fonction des groupes. Ont été surtout rapportées des céphalées et des pharyngites. A été également observée une nette diminution de l’incidence des hypokaliémies liées à la prise d’hydrochlorothiazide lorsque l’aliskiren y était associé.
prise en charge de l’hypertension artérielle. Leur effet hypotenseur a été bien démontré dans plusieurs études de phase II et semble comparable (et même parfois supérieur) à certains antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 (AT2) avec une tolérance similaire. Leur principal intérêt est d’obtenir un blocage du SRA avec un phénomène de contrerégulation limité. Leurs effets bénéfiques potentiels au cours de l’insuffisance cardiaque, de néphropathies protéinuriques ou encore en terme de prévention des évènements cardiovasculaires demeurent à démontrer. Plusieurs études sont actuellement en cours, notamment dans le cadre de l’insuffisance cardiaque et de la néphropathie diabétique. L’intérêt et surtout l’innocuité d’une association d’un inhibiteur de la rénine avec un IEC et/ou un ARA2 dans un but notamment de maximiser le blocage du SRA au cours de l’insuffisance rénale chronique est lui aussi à démontrer. Note de l’éditeur : L’aliskiren a été approuvé, le 5 mars 2007, par les Autorités de Santé aux Etats-Unis (US Food and drug administration, FDA) pour le traitement de l’hypertension artérielle, en monothérapie et en association à d’autres anti-hypertenseurs.
Conclusions et perspectives Les inhibiteurs de la rénine sont une classe thérapeutique nouvelle dans la
Les points essentiels • L’idée du blocage de la rénine est une idée ancienne. • Le système rénine-angiotensine-aldostérone est un système endocrinien tendant à maintenir la pression artérielle systémique par plusieurs mécanismes. • L’aliskiren est hypotenseur et réduit l’activité rénine plasmatique ainsi que l’aldostérone plasmatique chez le sujet sain. • L’efficacité hypotensive de l’aliskiren semble comparable à celle du losartan et de l’irbésartan pour des doses similaires chez des patients modérément hypertendus. • L’association de l’aliskiren à un diurétique thiazidique a montré un effet hypotenseur important chez des hypertendus modérés avec environ 80 % de patients répondeurs. • La tolérance de l’aliskiren dans les études cliniques disponibles a été satisfaisante.
Références [1] Staessen JA, Li Y, Richart T. Oral renin inhibitors. Lancet 2006;368:1449-56. Erratum in : Lancet 2006;368:2124. [2] Azizi M. Renin inhibition. Curr Opin Nephrol Hypertens 2006;15:505-10. [3] Stanton A, Jensen C, Nussberger J, O’Brien E. Blood pressure lowering in essential hypertension with an oral renin inhibitor, aliskiren. Hypertension 2003;42:1137-43. [4] Gradman AH, Schmieder RE, Lins RL, et al. Aliskiren, a novel orally effective renin inhibitor, provides dose-dependent antihypertensive efficacy and placebo-like tolerability in hypertensive patients. Circulation 2005;111:1012-8. [5] Villamil A, Chrysant SG, Calhoun D, et al. Renin inhibition with aliskiren provides additive antihypertensive efficacy when used in combination with hydrochlorothiazide. J Hypertens 2007;25:217-26.
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