Les signatures moléculaires commerciales : quelle utilité clinique ?

Les signatures moléculaires commerciales : quelle utilité clinique ?

Bull Cancer 2015; 102: S102–S105 Controverse • Pour en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/bulcan www.sciencedirect.com Sein Les signa...

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Bull Cancer 2015; 102: S102–S105

Controverse • Pour

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/bulcan www.sciencedirect.com

Sein Les signatures moléculaires commerciales : quelle utilité clinique ? Suzette Delaloge1,2, Mahasti Saghatchian1, Amal Ghouadni1, Mahmoud Fekih1, Fabrice André1,2 Reçu le 2 avril 2015 Accepté le 9 avril 2015

1. Department of medical oncology, Institut Gustave-Roussy, 114, rue Edouard-Vaillant, 94805 Villejuif cedex, France 2. Inserm U981, Institut Gustave-Roussy, 114, rue Edouard-Vaillant, 94805 Villejuif cedex, France

Correspondance : Suzette Delaloge, Institut Gustave-Roussy, 114, rue Edouard-Vaillant, 94805 Villejuif cedex, France. [email protected]

Mots clés Cancer du sein Prédiction Pronostic Signature moléculaire

Keywords Breast cancer Molecular signatures Prediction Prognosis

 Résumé La place des signatures moléculaires dans la prise en charge adjuvante des cancers du sein reste un sujet largement débattu. Les discussions doivent tenir compte des modalités de validation scientifique, de l’impact sur les pratiques, des bénéfices attendus ainsi que des questions de financement. Cet article présente les arguments clés nécessaires pour une utilisation raisonnée des signatures moléculaires commerciales.

 Summary Molecular signatures of breast cancer: What clinical utility? The role of molecular signatures in the adjuvant management of breast cancer remains a debated topic. Discussions should take into account the level of scientific validation, the impact on practice, the expected benefits and financing issues. This article presents the key points for a rational use of commercial molecular signatures.

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ans les quinze dernières années, des «  signatures  » moléculaires ou « profils d’expression » ont été développés dans l’objectif initial de mieux définir le pronostic individuel des patientes atteintes de cancer du sein localisé et mieux discriminer les indications thérapeutiques (chimiothérapie adjuvante). La validité analytique de ces signatures développées ensuite commercialement (Oncotype DX™, Mammaprint®, Prosigna/PAM50™, Endopredict®, GenomicGrade®, BCI™) est

aujourd’hui bien établie. La validité clinique de plusieurs d’entre elles, selon les critères EGAPP, est largement établie également, sur l’objectif pronostique initialement défini pour leur développement, à savoir la survie sans rechute métastatique à 10 ans [1]. Néanmoins, leur utilité clinique est évaluée différemment selon les auteurs ou les pays et, en France, aucune de ces signatures moléculaires commerciales n’est actuellement remboursée en l’absence de niveau de preuve IA d’utilité clinique [2].

Bulletin du

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tome 102 > Suppl. au n°6 > Juin 2015 © 2015 Société Française du Cancer. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Il s’agit d’une entité bien définie par l’Evaluation of Genomic Applications in Practice and Prevention (EGAPP, www.egappreviews.org/about.htm), qui propose depuis 2004 une évaluation objective stricte des biomarqueurs dans le domaine de la santé, avec des niveaux de preuve. Les critères EGAPP évaluent la validité analytique d’un test, totalement indispensable, puis sa validité clinique et enfin son utilité clinique, distincte de la validité (un test peut être valide mais ne servir à rien, par exemple s’il distingue deux groupes de pronostics mauvais ou très mauvais sans thérapeutique différentielle dans les deux cas) [3]. La validité clinique d’après EGAPP correspond à un ensemble de données montrant que le test a une valeur statistique indépendante démontrée (dans le cas présent, valeur pronostique en analyse multivariée). L’utilité clinique correspond à la démonstration que l’utilisation du test a permis d’améliorer un paramètre médical. D’une façon générale, une utilité clinique de niveau IA ne peut être démontrée que via des essais randomisés. Dans l’ère de l’Evidence-based Medecine, les changements de pratique sont basés sur des résultats d’essais randomisés. Néanmoins, compte tenu du délai avant la survenue des événements et du coût des essais randomisés, la réalisation de ceux-ci pour valider des biomarqueurs est complexe. Récemment, a donc émergé la question de la possibilité d’appliquer des biomarqueurs en l’absence d’essais prospectifs. Une nouvelle échelle de niveau de preuve a été publiée en 2009 par Simon et Hayes [4]. Cette nouvelle échelle prévoit que « des résultats concordants obtenus à partir d’études rétrospectives réalisées avec des échantillons collectés prospectivement dans le cadre d’essais randomisés » sont associés à un niveau de preuve IB et pourraient justifier d’une mise en pratique de ces mêmes biomarqueurs.

Niveaux de preuve actuels des signatures moléculaires commerciales sur leur objectif principal : la survie sans métastase à 10 ans Les différentes signatures moléculaires commerciales de première puis de seconde génération ont été développées dans l’objectif de mieux définir le pronostic de femmes atteintes de cancers du sein localisés et de désescalader les indications de chimiothérapie adjuvante [5-9]. Ces tests ont ensuite été évalués pour nombre d’entre eux concernant leur capacité à prédire le bénéfice de la chimiothérapie adjuvante [10]. Les tests commerciaux disponibles, présentés de façon résumée dans le tableau  I, ont, pour la plupart, un niveau de validité analytique très élevé. Il est à noter que, si les tests de première génération ont été développés de façon très centralisée, les tests de seconde génération sont décentralisés, réalisables de façon analytiquement satisfaisante, sur les plateformes locales dédiées [11]. Les niveaux de preuve de validité clinique de ces tests sont bons : tous ont été développés sur de larges populations avec beaucoup

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de recul (plus de 20 000 femmes testées pour la plupart dans des essais prospectifs randomisés), avec des séries multiples de validation, de nombreuses analyses multivariées. Les tests de seconde génération ont été développés dans des populations plus sélectionnées [8]. Leur valeur ajoutée a été démontrée, par rapport aux informations apportées par tous les paramètres conventionnels : masse tumorale, âge, grade et de biomarqueurs immunohistochimiques incluant la prolifération [8]. Plusieurs de ces tests, de par les multiples, larges études, confirmées de façon indépendante, de méthodologie solide, rétrospectives mais sur des essais prospectifs, ont un niveau de preuve d’utilité clinique IB sur le critère « prédiction de la survie sans métastases à 10 ans », et un niveau II à IB sur le critère « prédiction du bénéfice de la chimiothérapie » [1]. Ces deux critères peuvent être résumés dans le paramètre « aide à la désescalade prudente et raisonnée de la chimiothérapie adjuvante sans perte de chance pour la patiente ». De nombreuses sociétés savantes, autorités de santé et tutelles dans de nombreux pays considèrent ces niveaux de preuve suffisants pour autoriser le remboursement de certains de ces tests dans l’optique d’une aide à la décision de chimiothérapie adjuvante (ASCO, NCCN, Saint-Gallen, ESMO, NICE…). On pointera le fait que les niveaux de preuve sont élevés souvent dans le cas des cancers du sein sans envahissement ganglionnaire, mais plus faibles en général en cas d’envahissement (exemple OncotypeDX™ à très fort niveau IB dans un cas, mais II dans l’autre avec une seule étude) [1,12]. Beaucoup d’experts pointent actuellement le fait que la biologie prime vraisemblablement largement sur la masse tumorale et que les niveaux de preuve en cas de N- pourraient être extrapolés aux N+, ce qui reste très débattu. L’ensemble des études d’impact et leur méta-analyse font état d’une diminution des indications de chimiothérapie adjuvante d’environ 30 % [13,14], et d’un changement global de décision autour de 40 % en moyenne, ce qui ne démontre pas mais suggère effectivement une utilité pragmatique. Un niveau de preuve  IA ne pourra être apporté que par les résultats des 3  grands essais prospectifs randomisés testant l’hypothèse que l’utilisation du test a permis de réduire les indications de chimiothérapie adjuvante tout en maintenant les survies identiques. C’est l’objectif des essais MINDACT (Mammaprint®), TAILORx et RXPponder (OncotypeDX™). Les premiers résultats de MINDACT devraient être disponibles en décembre 2015.

Signatures moléculaires : une utilité clinique, oui, mais dans toutes les situations ? Le test 70 gènes Mammaprint® a été développé dans l’ensemble des cancers du sein sans distinction. Les autres tests ont été développés dans les cancers du sein localisés positifs pour le récepteur aux œstrogènes et négatifs pour HER2, situations correspondant à un besoin médical fort de désescalade de chimiothérapie. Les tests de seconde génération comme Endopredict® ont été développés pour intégrer les données cliniques et les

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Qu’est-ce que l’« utilité clinique » d’un biomarqueur ?

Controverse • Pour

Les signatures moléculaires commerciales : quelle utilité clinique ?

Controverse • Pour

S. Delaloge, M. Saghatchian, A. Ghouadni, et al.

Tableau I

Données résumées concernant les principales signatures moléculaires commerciales pronostiques des cancers du sein localisés Test

Méthode

Modèle industriel

Situation évaluée

Critère principal

Utilité clinique critère principal*

Essais Valeur de Pronostic Risque prédiction à long résiduel cliniques de bénéfice terme de rechute prospectifs de la malgré un chimio* traitement adéquat

OncotypeDX™ [1,5]

RT-PCR sur paraffine

100 % centralisé (Californie)

RE+, N- et 1-3 N+

Survie sans métastase à 10 ans

IB

IB

III-II

III

TAILOR X NRxponder 1-3N+

Mammaprint® [1,6]

DNA array sur tissu frais ou paraffine

100 % centralisé (Amsterdam)

Tous cancers N-, 1-3 N+

Survie sans métastase à 10 ans

II-IB

II

– 

– 

MINDACT

Endopredict® [1,8]

RT-PCR sur paraffine

Décentralisé sur plateformes locales

RE+, N- et N+ postménopause

Survie sans métastase à 10 ans

II-IB

II

III-II

III

– 

PAM50 (ProsignaROR-S™) [1,7]

Hybridation Décentralisé mRNA puce sur sur paraffine plateformes locales

Tous cancers

Survie sans métastase à 10 ans

II-IB

II

III-II

– 

– 

Breast cancer Index™ [1,9]

qRT-PCR sur paraffine

100 % centralisé

RE+, N-

Survie sans rechute à 10 ans

II-IB

– 

III-II

– 

– 

qRT-PCR sur PCR-GG® (ex MapquantDX®, paraffine grade génomique) [1,9]

100 % centralisé

Tous cancers

Survie sans rechute

III-II

III



ASTER

* Selon les évaluations faites par diverses sociétés savantes et recommandations nationales/internationales (ASCO, NCCN, ESMO, Saint-Gallen, INCa).

variables conventionnelles afin de raffiner le pronostic et la discrimination [8]. Il apparaît aujourd’hui que la valeur ajoutée des tests moléculaires en deçà des caractéristiques conventionnelles (masse tumorale, grade, RE RP HER2, voire prolifération) est limitée à un sousgroupe : tumeurs d’envahissement ganglionnaire faible ou nul, de grade intermédiaire, RE positif, HER2-, de stade limité. Dans cette population, la discrimination des tests est plus élevée. Dans des populations de pronostic spontanément très favorable ou au contraire moins bon, les tests ont clairement une valeur ajoutée moindre, même si non nulle. Le besoin médical est aussi majeur dans cette « zone grise » largement reconnue par les prescripteurs [15], dans laquelle l’hétérogénéité de prise en charge est très importante.

Signatures moléculaires commerciales : une « utilité clinique » dans d’autres objectifs et niveaux de preuve

Remplacement de l’analyse classique histologique et immunohistochimique Certains tests associent actuellement la détermination du statut des récepteurs hormonaux et de HER2 en remplacement potentiel de l’immunohistochimie. Actuellement, la validité analytique de ces tests est bonne mais leur validité clinique discutable, ne permettant pas l’utilisation en routine.

Information sur le risque de rechute tardive

Définition de sous-types moléculaires Seul Prosigna/PAM50™ a été développé pour identifier à la fois un pronostic (Recurrence score ROR) et permettre la classification en sous-types moléculaires dérivés des premières descriptions de S104

Perou et al. [7,16] : cancers du sein luminaux A et B, basal-like, HER2. À ce jour, aucune valeur ajoutée clinique n’a été démontrée ou même suggérée à la détermination des sous-types de cette manière ou d’une autre. Cette approche des sous-types ne peut donc être utilisée pour l’instant qu’en recherche. La partie pronostique « ROR » du test ayant, quant à elle, un niveau de preuve clinique bien meilleur (tableau 1).

Il s’agit là d’un besoin médical majeur et d’une piste émergente d’utilité clinique potentielle des tests pronostiques. Plusieurs de ces tests ont été récemment réévalués pour leur capacité à prédire le pronostic à long terme, au-delà de 5 ans, des cancers du sein RE+ HER2-. Prosigna™, Breast Cancer Index™, Endopredict® ou encore OncotypeDX® semblent avoir la capacité de discriminer

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le pronostic au-delà de 5 ans [17-19]. Les niveaux de preuve actuels en validité clinique sont III à II au mieux. Une perspective majeure pourrait concerner les décisions d’hormonothérapie prolongée ou non, mais ceci reste conceptuel pour l’instant.

Information sur le risque de rechute métastatique malgré un traitement optimal De la même façon, plusieurs de ces tests ont été réévalués pour leur capacité à prédire le risque résiduel de rechute métastatique malgré un traitement adéquat, incluant une chimiothérapie. Là encore, il apparaît que les classes de hauts risques de plusieurs tests sont de pronostic résiduel péjoratif et permettraient potentiellement l’identification de populations justifiant de traitements additionnels/de substitution plus efficaces. Les niveaux de preuve sont II à III et des évaluations complémentaires sont indispensables.

Coûts de santé Les premières études médico-économiques suggéraient un bénéfice financier potentiel pour les autorités de santé, à l’utilisation large de tests génomiques décisionnels en situation adjuvante chez des femmes atteintes de cancer du sein localisé. Cependant, les données ultérieures montrent que ces « bénéfices » sont hautement dépendants du modèle de financement de la santé du pays (coûts de chimiothérapie beaucoup plus élevés aux ÉtatsUnis) et surtout qu’avec les drogues standard de chimiothérapie adjuvante actuellement tombées dans le domaine public, les coûts ont réduit considérablement. Seule une utilisation des tests dans des populations restreintes et ciblées et à des coûts réduits peut être compatible avec un modèle économique favorable [20]. C’est le choix du NICE anglais, par exemple, qui prend en charge OncotypeDX™ à certaines conditions (www.nice. org.uk/guidance/dg10).

Controverse • Pour

Les signatures moléculaires commerciales : quelle utilité clinique ?

Déclaration d’intérêts  : Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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