La Revue de médecine interne 31 (2010) 17–22
Mise au point
Les syndromes somatiques fonctionnels Functional somatic syndromes M. Rabhi ∗ , K. Ennibi , J. Chaari , F. Toloune Service de médecine interne, hôpital militaire d‘instruction Mohammed V, Rabat, Maroc Disponible sur Internet le 10 avril 2009
Résumé Les syndromes somatiques fonctionnels sont souvent une source de difficultés diagnostiques et thérapeutiques. Cette revue aborde leur définition, leur fréquence, leur classification, leur étiopathogénie, les déterminants de leur histoire naturelle et les principes du traitement. Les syndromes somatiques fonctionnels sont caractérisés par la survenue de symptômes variés et fluctuants, sans anomalies somatiques objectives démontrées. Il s’agit d’une situation fréquente en pratique médicale et dans la population générale. Des facteurs prédisposants, précipitants et perpétuants influencent leur histoire naturelle. Une meilleure approche physiopathologique vise actuellement à abolir la classique distinction entre l’origine biomédicale d’un côté et l’origine psychologique de l’autre. La meilleure reconnaissance du rôle des facteurs psychologiques a abouti à l’élaboration d’interventions thérapeutiques adaptées et personnalisées. La classification future des syndromes somatiques fonctionnels doit intégrer les deux approches, organique et psychologique. L’amélioration de la qualité de la prise en charge thérapeutique passe par une prise de conscience du corps médical et une meilleure formation initiale et continue. © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Syndromes somatiques fonctionnels ; Somatisation
Abstract Functional somatic syndromes are a diagnostic and therapeutic challenge to the medical community. In this article, we review the definition, epidemiology, classification, etiology, and common determinants of natural history and management of functional somatic syndromes. Functional somatic syndromes are characterized by high morbidity due to various, fluctuating symptoms without objective somatic findings. They are common in medical care and the general population. Predisposing, precipitating and perpetuating factors influence the natural history of the functional somatic syndromes. Recent proposals to improve their classification tend to discard the traditional separation of symptoms into medical or psychiatric clusters. Moreover, interest in the psychological nature and treatment of functional somatic syndromes has expanded, culminating in the development of tailored psychological interventions for these conditions. The future classification of functional somatic syndromes should reflect the need for a balance between organic and psychological approaches. At present, patients with functional somatic syndromes are often dissatisfied with the care they receive, so training of medical students and doctors is mandatory to improve their skills regarding these conditions. © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Functional somatic syndromes; Somatization
1. Introduction Les syndromes somatiques fonctionnels (SSF) sont une situation clinique très fréquente, en médecine de ville [1], comme en médecine hospitalière [2] et dans les services d’urgence [3]. Certains SSF ont bénéficié de l’élaboration de critères diagnostiques et d’études contrôlées concernant la prise en
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Auteur correspondant. BP 6594, Rabat Madinat Al Irfane 10000, Maroc Adresse e-mail : m
[email protected] (M. Rabhi).
charge thérapeutique (fibromyalgie, syndrome de fatigue chronique, côlon irritable. . .). Cependant, le grand chevauchement des symptômes et l’hypothèse d’un tronc physiopathologique commun « bio-psycho-social » alimentent toujours le débat quant à l’existence d’un ou de plusieurs SSF [4–8]. Au-delà de ces considérations nosologiques, l’impact pratique des SSF est considérable puisque toutes les spécialités médicales sont concernées et le coût pour la société est grand [9–11]. Par ailleurs, l’abord, le suivi, et le traitement des SSF nécessitent une compétence particulière du praticien et une participation active et éclairée du patient. Or, l’insistance, compréhensible,
0248-8663/$ – see front matter © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.03.011
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du corps médical à poser un diagnostic de maladie organique [12] devant des symptômes physiques variés, alarmants, parfois d’évolution chronique, rapportés par des patients anxieux et convaincus d’avoir une maladie grave, peut aboutir à des situations inextricables qui reflètent encore aujourd’hui toute la difficulté de prise en charge des SSF.
Tableau 1 Syndromes somatiques fonctionnels selon les spécialités médicales. Gynécologie
Douleurs pelviennes chroniques
ORL
Acouphènes idiopathiques Vertige idiopathique
Neurologie
Céphalées chroniques Pseudo-crises épileptiques Syndromes moteurs idiopathiques
Cardiologie
Syncope idiopathique Douleur thoracique atypique
Pneumologie
Syndrome d’hyperventilation
Médecine militaire
Syndrome de la guerre du golfe
Médecine interne et rhumatologie
Syndrome de fatigue chronique Fibromyalgie Syndrome myofascial Dorsalgies basses
Maladies infectieuses
Maladie de Lyme chronique EBV chronique Brucellose chronique
2. Définition Les SSF sont définis par l’existence d’une association de symptômes physiques amenant le patient à consulter et qui restent sans explication après des examens cliniques et complémentaires bien conduits. Les symptômes rapportés appartiennent essentiellement à trois catégories : douleurs de siège divers (céphalées, douleurs thoraciques, douleurs abdominales, algies pelviennes, arthromyalgies. . .), troubles fonctionnels de divers appareils (vertiges, acouphènes, palpitations, troubles du transit. . .), fatigue et épuisement. La souffrance et l’invalidité occasionnées par ces symptômes contrastent avec l’absence d’une anomalie structurelle ou physiologique clairement démontrée. Les SSF ont une dimension perceptive (le sujet ressent des symptômes), cognitive (le sujet attribue aux symptômes ressentis un caractère menac¸ant) et comportementale (le sujet est demandeur de soins médicaux). Les symptômes sont vécus par le malade comme le signe d’une maladie grave alors que le médecin conclut à la normalité des investigations cliniques et paracliniques. Cela est à l’origine d’une insatisfaction du patient et d’une frustration du médecin qui n’arrive pas à le soulager malgré plusieurs tentatives d’explications et de réassurance. Parfois, la relation médecin/malade est ouvertement conflictuelle, le patient remettant en cause les compétences du médecin et son incapacité à identifier la maladie en cause. 3. Fréquence Une enquête réalisée sur la population générale a conclu à l’existence d’au moins un symptôme physique par mois chez 80 % des personnes interrogées [13]. Les SSF concernent 15 à 50 % de l’activité de médecine générale [14–17] et le tiers des patients se présentant à la consultation hospitalière [2]. Une étude réalisée sur des patients américains qui consultaient pour des symptômes récents tels une douleur thoracique, une dyspnée, des vertiges ou des céphalées a montré qu’une cause organique était démontrée dans seulement 16 % des cas [18]. Pour ce qui est de certains SSF bien individualisés par des critères diagnostiques validés, la prévalence est également élevée avec 15 % pour le syndrome du côlon irritable [19], 0,2 à 2,6 % selon les critères utilisés pour le syndrome de fatigue chronique et 1 à 2 % de la population générale pour la fibromyalgie [20]. 4. Classification Les symptômes exprimés sont extrêmement polymorphes et peuvent se regrouper de fac¸on variée pour former des syndromes et des entités plus ou moins bien définis et retrouvés
Gastroentérologie
Côlon irritable
Médecine du travail
Sick building syndrome Hypersensibilité chimique multiple
Psychiatrie
Troubles somatoformes
dans la quasi-totalité des spécialités médicales (Tableau 1). Les appellations des SSF peuvent témoigner soit de leur sévérité et gravité (fibromyalgie), de leur étiologie présumée (maladie de Lyme chronique), des facteurs déclenchants supposés (syndrome d’hypersensibilité chimique multiple), d’une manifestation centrale (syndrome de fatigue chronique) ou d’une région du corps (douleurs thoraciques atypiques). La multiplicité des symptômes et leur variabilité font qu’un même patient peut se croire atteint de plusieurs SSF successivement, c’est le phénomène de « pathoplasticité » [21]. Par ailleurs, l’étiquette diagnostique attribuée au patient dépend certes des symptômes rapportés, mais elle est également influencée par le contexte médiatique et par la spécialité médicale à laquelle le patient a recours [22]. Ainsi, chez un même patient poly-symptomatique, les diagnostics de colopathie fonctionnelle, de fibromyalgie et de céphalées de tension peuvent être successivement posés s’il est examiné respectivement par un gastroentérologue, un interniste et un neurologue. En réalité, les SSF partagent plusieurs caractéristiques communes, au-delà du chevauchement des symptômes physiques : • la prédominance féminine [23] ; • une association significativement plus élevée avec l’anxiété et la dépression comparativement aux affections organiques [24] ; • une altération de la qualité de vie aussi importante que dans les affections organiques [25] ; • une réponse favorable aux interventions visant le fonctionnement du système nerveux central telles les thérapies comportementales, la psychothérapie et la psycho-pharmacothérapie.
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Ces caractéristiques communes et l’existence fréquente de syndromes de chevauchement compliquent la classification des SSF. Ainsi, dans l’International Classification of Diseases 10th revision (ICD 10 ), on retrouve des termes utilisés pour nommer les différents SSF individualisés. Cette nomenclature est bien accueillie par les médecins et leurs patients mais elle suggère une vision des SSF comme des entités séparées et indépendantes impliquant un traitement symptomatique dirigé contre le(s) symptôme (s) dominant(s). Parallèlement, dans le chapitre V de l’ICD 10 et dans le Diagnostic and Statistical Manual (DSM), les symptômes médicalement inexpliqués sont classés sous la rubrique « troubles somatoformes », suggérant une entité unique à expression variée et impliquant les caractéristiques comportementales et psychologiques du patient. 5. Étiopathogénie Les étiologies des SSF s’inscrivent au sein d’un éventail physiopathologique dont les extrêmes sont les causes purement psychologiques et les causes purement organiques. Les tenants d’une cause organique proposent l’appellation de « signes physiques non expliqués par une cause médicale connue » au lieu de « signes physiques médicalement inexpliqués ». La négativité du bilan paraclinique et l’absence d’une étiologie organique relèveraient ainsi des limites de nos connaissances et de nos moyens d’exploration actuels. Certaines avancées physiopathogéniques récentes semblent plaider en faveur de cette hypothèse. En effet, une anomalie du contrôle central de la douleur ou de la perception douloureuse périphérique [26,27] et des altérations musculaires ont été démontrées dans la fibromyalgie [28]. Par ailleurs, le syndrome de fatigue chronique pourrait compliquer une réponse immunologique inappropriée résultant de ou permettant un portage continu d’un germe ou de certains de ses antigènes [29]. Et enfin, le syndrome du côlon irritable serait peut-être, pour certains, une maladie inflammatoire cryptogénétique intestinale (MICI) a minima [30], l’expression d’une maladie cœliaque [31] ou un syndrome postinfectieux succédant à une gastroentérite [32]. À l’autre bout du spectre, les SSF peuvent être l’expression d’une anxiété et/ou d’une dépression. Dans les cultures où la maladie mentale est fortement stigmatisée, les affections psychiatriques peuvent être verbalisées uniquement par des symptômes physiques [33]. La dépression peut en effet se manifester par une anorexie, un amaigrissement, une fatigue, un trouble du sommeil, un abaissement du seuil de la douleur, voire des troubles cognitifs. L’anxiété peut occasionner la survenue aiguë de vertiges, d’une dyspnée, de palpitations et de douleurs thoraciques. Entre les tenants d’une origine purement mentale et d’une origine purement organique, des hypothèses alternatives existent. Les SSF résulteraient d’un dysfonctionnement et d’une désadaptation du système nerveux central face aux situations de stress [34]. Par ailleurs, il est de plus en plus suggéré que les SSF résulteraient d’une interaction complexe entre des mécanismes physiques, psychologiques et sociaux, d’où un modèle physiopathologique bio-psycho-social [35]. Ainsi, un même patient peut réunir les critères de deux ou plusieurs SSF bien définis, tels une
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fibromyalgie et un syndrome de fatigue chronique ou une fibromyalgie et un syndrome du côlon irritable. Une physiopathologie commune expliquerait ces syndromes de chevauchement, avec l’hypothèse que les différents SSF ne seraient que des variantes d’un même trouble général de l’humeur qui répond bien aux médicaments antidépresseurs, à la psychothérapie et aux thérapies cognitives et comportementales [36]. 6. Histoire naturelle La sévérité, la chronicité et la périodicité des SSF sont très variables mais typiquement, l’évolution est chronique ou à rechutes. Les facteurs influenc¸ant l’éclosion et l’évolution du tableau clinique peuvent être classés en facteurs prédisposants, précipitants et perpétuants. Les facteurs prédisposants sont à l’origine d’une vulnérabilité du sujet à présenter des SSF. Il s’agit de l’hérédité [37], d’une altération de la réponse du système nerveux central aux stimuli nociceptifs [38,39], de difficultés à l’enfance [37,40–42], d’une affection organique chronique chez le sujet ou sa famille [43,44], ou d’une maladie mentale chronique [45]. Les facteurs précipitants peuvent être d’ordre biologique [46], psychosocial [47], des troubles psychiatriques aigus [48] ou des préoccupations de santé publique (rôle des média) [49]. Les facteurs perpétuants sont à l’origine d’une exacerbation et d’une pérennisation des symptômes et de l’invalidité qui en résulte. Il s’agit de facteurs cognitifs [50] (se croire atteint d’une maladie grave menant à une interprétation erronée des symptômes physiques ressentis), du rôle de la désinformation [51], de la situation professionnelle et des compensations accordées au statut de malade [52] et de l’absence de couverture sociale [49]. 7. Principes du traitement 7.1. Éliminer une affection organique 7.1.1. Étude des antécédents pathologiques Les SSF font souvent l’objet d’un long suivi médical et d’investigations multiples. Il importe lors d’une première consultation de prendre le temps d’étudier le dossier médical du patient pour ne pas évoquer à tort une affection organique grave et/ou chronique devant le cortège symptomatique rapporté. Il est utile de contacter les médecins qui ont assuré le suivi antérieur pour connaître le résultat des investigations qu’ils ont prescrites et leurs conclusions. Cela permet d’éviter des bilans redondants et d’analyser le regroupement des symptômes, qui, par leur multiplicité, leur chronicité et l’absence de sémiologie évocatrice, dans un contexte psychosocial difficile peut orienter naturellement vers un SSF. L’interrogatoire recherchera systématiquement la notion de trouble du sommeil ou un antécédent de laxité ligamentaire. 7.1.2. Examen physique et investigations complémentaires Un examen physique détaillé initial et sommaire lors des consultations ultérieures est indispensable. Il valide les préoccupations du patient et l’aide à construire une relation de confiance
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avec le praticien. Certains éléments doivent être particulièrement recherchés : stigmates d’alcoolisme ou de toxicomanie, blessures, cicatrices, ecchymoses ou brûlures pouvant indiquer des violences subies et non avouées, des tentatives de suicide ou d’automutilation. Les examens complémentaires sont utiles pour l’évaluation de l’état physiologique. Cependant, ils ont un potentiel iatrogène, exagèrent l’anxiété du patient, surtout dans l’attente des rendez-vous et des résultats, et enfin comportent le risque de faux-positifs qui est d’autant plus grand qu’ils sont demandés systématiquement, sans orientation sémiologique évocatrice. La règle est donc de s’abstenir d’évoquer et de rechercher une maladie organique sans fondement clinique sérieux, car cela équivaudrait à ouvrir une boîte de Pandore qui peut être difficilement refermée même devant des résultats négatifs. 7.1.3. Explication des résultats négatifs et suivi Une étape importante, lors de laquelle l’attitude du médecin revêt une importance particulière, consiste justement à expliquer les résultats négatifs au patient [53]. L’attitude de rejet est la plus commune. Elle consiste à douter de la réalité des symptômes rapportés, décréter une absence de cause et sous-entendre un trouble imaginaire. Ailleurs, le médecin peut reconnaître la réalité des symptômes mais déclare ne pas avoir d’explications. Dans ces deux situations, le patient reste persuadé qu’il est porteur d’une maladie, peut-être grave, qui n’a pas encore pu être décelée. Son angoisse est amplifiée et la recherche de soins continue, pérennisant le cercle vicieux. L’attitude idéale, et la moins courante, consiste à proposer un mécanisme psychosocial tangible aux symptômes, témoigner de l’empathie et proposer des solutions dans lesquels le patient prend une part active. Ainsi, les souffrances exprimées sont légitimées et il se construit une alliance médecin/patient plutôt qu’une aliénation du patient. Certains traitements pharmacologiques (antalgiques, antiinflammatoires non stéroïdiens, myorelaxants, antispasmodiques, ralentisseurs du transit. . .) ou non pharmacologiques (acupuncture, massages, chiropratique, biofeedback, prolothérapie. . .) peuvent être efficaces quand un processus physiologique périphérique est impliqué (tension musculaire, fonction intestinale, arthromyalgies, douleur nociceptive. . .). Les consultations doivent idéalement se dérouler chez le même praticien, à intervalles fixes de quatre à six semaines. Parfois, la présence des proches est souhaitable pour répondre à leurs questions et identifier certaines attitudes qui peuvent entretenir les symptômes tel le fait de culpabiliser le patient ou celui de le confiner dans un statut de malade et le décharger de ses responsabilités familiales. 7.2. Rechercher un contexte psychosocial Plusieurs études ont démontré l’existence d’un lien étroit entre les SSF et les difficultés psychosociales, les troubles psychiatriques, l’altération de la qualité de vie et le recours aux services de soins [54–57]. Les épisodes dépressifs majeurs et de trouble panique sont à rechercher systématiquement à cause de leur prévalence dans les SSF et de l’amélioration notable du statut fonctionnel suite à leur prise en charge thé-
rapeutique [58]. La probabilité de diagnostiquer une affection psychiatrique sous-jacente est proportionnelle au nombre de symptômes fonctionnels rapportés [17]. La spasmophilie, ou tétanie normocalcémique, constitue à ce propos l’archétype du trouble somatique fonctionnel ne faisant pas l’unanimité sur sa définition, sa physiopathologie ni même sur son existence réelle. Il s’agit pourtant d’un syndrome fréquent, invalidant, riche en symptômes variés et inquiétants, dominés par les signes d’hyperexcitabilité neuromusculaire (paresthésies, myoclonies palpébrales, spasmes musculaires, réflexes vifs, signes de Chvostek positif) associés à une hyperventilation. L’excès d’adrénaline chez un sujet présentant une hypersensibilité neuromusculaire et affective et des troubles anxieux et du sommeil serait à l’origine d’une vitesse de propagation excessive de l’influx nerveux et de l’hyperventilation, elle-même source d’une alcalose et de désordres ioniques possiblement à l’origine des symptômes. L’interrogatoire à la recherche d’un trouble psychiatrique doit être mené avec tact et prudence, un grand nombre de patients nie toute difficulté d’ordre psychologique et/sociale et se trouve offensé si une allusion quelconque y est faite, croyant que cela décrédibiliserait leurs plaintes somatiques et les placerait dans une position de simulateurs [59]. Une manière d’éviter cet écueil est de savoir suggérer un lien de cause à effet entre les facteurs psychosociaux et les symptômes physiques. Ainsi, le médecin peut expliquer que l’anxiété déclenche la libération d’hormones telle l’adrénaline, à l’origine d’une accélération du rythme cardiaque et d’une contraction de la paroi musculaire du type digestif, d’où la tachycardie, les palpitations et les douleurs abdominales. Un autre exemple est la diminution du seuil de perception douloureuse dans la dépression. Le patient doit jouer un rôle actif, en partenariat avec le praticien, dans le cadre d’une alliance thérapeutique collaborative. Il doit être rassuré sur l’évolution de ses symptômes, incité à quitter le statut de malade dans lequel il s’est enfermé et aidé à identifier et à gérer d’éventuels facteurs de stress psychosociaux. Il est également encouragé à composer avec les symptômes plutôt que de chercher leur éradication, à améliorer son statut fonctionnel en faisant de l’exercice physique gradué et en poursuivant normalement son activité professionnelle et de loisir. Certains patients nécessitent un avis psychiatrique spécialisé, idéalement dans le cadre de la psychiatrie de liaison. Le psychiatre peut mettre en évidence des facteurs de stress, confirmer un diagnostic d’anxiété ou de dépression ou autre, décider d’un traitement psychopharmacologique, évaluer le risque suicidaire et le potentiel de violence chez des patients aux antécédents évocateurs. Il est très important d’évoquer cette consultation de psychiatrie tôt dans la prise en charge du patient qui présente un SSF et ne pas attendre la négativité d’un diagnostic étiologique exhaustif à la recherche d’une maladie organique. On peut vaincre la réticence du patient, sa peur d’être stigmatisé et de ne pas être pris au sérieux en lui rappelant qu’on prend acte de sa souffrance physique et en lui expliquant que cette souffrance peut affecter son humeur et générer une anxiété et qu’un soutien mental sera une aide précieuse. Par ailleurs, une visite de contrôle sera programmée juste après la consultation de psychiatrie pour bien
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insister qu’il s’agit d’une prise en charge conjointe et non pas d’un abandon. Les thérapies cognitives et comportementales ont montré leur efficacité sur des études contrôlées pour réduire les symptômes somatiques, l’anxiété et l’invalidité résultant des SSF [60,61]. Ces thérapies aident le patient à réexaminer ses convictions concernant son état de santé et ses attentes du corps médical et à explorer les effets du statut de malade et de l’effet des facteurs psychologiques sur les symptômes. Les techniques utilisées (désensibilisation, exercices physiques, relaxation, stratégies comportementales) aident le patient à reprendre le cours de ses activités et à rompre certains comportements morbides qui entretiennent les SSF. L’approche cognitive et comportementale implique le patient en lui faisant jouer un rôle actif dans la stratégie thérapeutique et en le convainquant d’abandonner l’idée que la guérison ne peut résulter que d’une intervention technique sur un sujet passif. 8. Perspectives Certains SSF bien individualisés (par exemple le côlon irritable, la fibromyalgie, la dyspepsie non ulcéreuse, les céphalées de tension) ont bénéficié de progrès thérapeutiques issus de la médecine fondée sur les preuves [62–65]. Les classifications futures des troubles mentaux sont un sujet de débat. La catégorie « troubles somatoformes » pourrait être supprimée au profit de l’introduction du concept de « troubles généraux de l’interface médecine-psychiatrie » [66–69]. Cette évolution conceptuelle permettrait de prendre en considération tous les facteurs causaux des SSF et de mieux soigner les patients en proposant une prise en charge multidisciplinaire et intégrative. Par ailleurs, une meilleure formation initiale et continue des étudiants en médecine, des médecins généralistes et spécialistes et des psychiatres en matière de SSF, doit permettre une prise en charge coordonnée, efficace et intégrée, plutôt qu’une approche uniquement biomédicale ou psychologique, ou pire, le rejet pur et simple du patient [70,71]. Conflits d’intérêts Aucun. Références [1] Dirkzwager AJ, Verhaak PF. Patients with persistent medically unexplained symptoms in general practice: Characteristics and quality of care. BMC Fam Pract 2007;8:33. [2] Bass C, Sharpe M. Medically unexplained symptoms in patients attending medical outpatient clinics. In: Weatherall DA, Ledingham JG, Warrell DA, editors. Oxford textbook of medicine. 4th ed. Oxford: Oxford University Press; 2003. p. 1296–303. [3] Stephenson DT, Price JR. Medically unexplained physical symptoms in emergency medicine. Emerg Med J 2006;23:595–600. [4] Wessely S, Nimnuan C, Sharpe M. Functional somatic syndromes: One or many? Lancet 1999;354:936–9. [5] olde Hartman TC, Lucassen PL, van de Lisdonk EH, Bor HH, van Weel C. Chronic functional somatic symptoms: A single syndrome? Br J Gen Pract 2004;54:922–7.
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