L’impact sanitaire et humain du changement organisationnel, une nouvelle problématique de santé au travail

L’impact sanitaire et humain du changement organisationnel, une nouvelle problématique de santé au travail

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E´ditorial

L’impact sanitaire et humain du changement organisationnel, une nouvelle proble´matique de sante´ au travail Health and human impact of organizational change: A new stake for occupational health W. Daba,*, D. Salomonb a

Laboratoire mode´lisation et surveillance des risques sanitaires, Cnam, hygie`ne et se´curite´, 292, rue Saint-Martin, 75003 Paris, France b Centre de sociologie des organisations, risques et intelligence, 33, bis rue Henri-Barbusse, 75005 Paris, France

es entreprises sont soumises a` de fortes pressions concurrentielles et e´conomiques qui les poussent a` conduire de nouveaux projets pour s’adapter. Dans ces e´volutions organisationnelles, pourquoi et comment prendre en compte les aspects humains et sanitaires pour les salarie´s ? La question est d’autant plus pertinente que de fac¸on re´currente, des strate´gies ou des projets de re´organisation d’entreprise sont remis en cause en raison d’atteintes re´elles ou de craintes pour la sante´. Ils sont de ce fait, pour certains, retarde´s, perturbe´s, voire annule´s. C’est un premier aspect. Un second est que le fait de ne pas inte´grer les aspects sanitaires et humains dans la conduite du changement peut ge´ne´rer des affections pour la sante´ ou des facteurs de risque. Articuler le changement organisationnel et les dimensions humaines et sanitaires constitue donc une nouvelle proble´matique de la sante´ au travail dont l’importance est croissante. Il s’agit de sortir d’un cercle vicieux dans lequel des projets insuffisamment pre´pare´s portent atteinte a` la sante´ ou ge´ne`rent une inquie´tude excessive et partant, des blocages, des mouvements de protestation et une perte globale de performance. Une telle inte´gration permettrait d’ame´liorer les contextes de travail des salarie´s et leur sante´ tout en favorisant la dynamique ne´cessaire aux entreprises. Si la capacite´ d’adaptation des entreprises a` l’e´volution rapide des marche´s, a` la pression concurrentielle de´sormais mondiale et a` l’innovation technologique est une condition de leur survie, comment concilier cette ne´cessite´ de changement et la protection de la sante´ conside´re´e au sens large, de l’eˆtre humain au travail ? L’action des me´decins du travail et des * Auteur correspondant. e-mail : [email protected]

services de sante´ au travail peut trouver la` une nouvelle entre´e. Pour cela, il serait ne´cessaire de disposer d’un mode`le d’inte´gration de la sante´ et de la qualite´ de vie au travail dans la politique de l’entreprise. Cet article propose d’initier une re´flexion permettant d’aboutir a` un mode`le ge´ne´ral et ope´rationnel situant l’action des me´decins du travail dans les processus de transformation. Quelles sont les principales caracte´ristiques souhaitables d’un tel mode`le ?

Au-dela` des risques psychosociaux, ope´rationnaliser une obligation le´gale La pression du changement a surtout e´te´ prise en compte jusqu’a` pre´sent au travers du prisme des « risques psychosociaux » [1]. Outre la maıˆtrise des risques lie´s aux agents chimiques, physiques ou biologiques auxquels les travailleurs sont expose´s, la dimension psychosociale est venue souligner la ne´cessite´ de s’inte´resser aux relations entre l’organisation du travail et la sante´. Cela constitue une avance´e dans la mesure ou` des situations jusque-la` confine´es ont pu faire l’objet d’interventions salutaires et que dans certains cas, soulever la question des facteurs psychosociaux a permis une e´volution des rapports de pouvoir dans un sens plus favorable a` la sante´. Cependant, cette approche reste partielle et conduit a` amalgamer des proble`mes de natures diffe´rentes. Quand on se focalise sur les caracte´ristiques individuelles du travail pouvant provoquer une de´te´rioration de la sante´ du salarie´, on construit parfois des causalite´s simples en pointant uniquement le management ope´rationnel. Certes, celui-ci joue un roˆle inde´niable [2,3], mais en re´alite´, l’enjeu est plus large. Il

1775-8785X/$ - see front matter ß 2013 Publie´ par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.admp.2012.12.010 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2013;74:3-6

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est de pouvoir articuler les niveaux de la sante´, du bien-eˆtre et de la coope´ration ainsi que la satisfaction des salarie´s, en les traduisant, de fac¸on adapte´e au milieu conside´re´, en actions a` mener et en crite`res d’e´valuation et de suivi. Ce que vit un salarie´ ou une e´quipe dans son cadre professionnel est le produit d’interactions multiples inse´re´es dans une organisation ge´ne´rale de l’entreprise et dans des unite´s lie´es a` des taˆches, des me´tiers ou des territoires qui sont les lieux ou` se concre´tisent les rapports professionnels. Les manifestations de stress, de de´motivation, d’absente´isme, etc. constituent certes des signaux a` prendre en compte. Ils me´ritent d’eˆtre interpre´te´s sans parti pris ni a priori et surtout sans approche accusatoire. L’impact sanitaire et humain des re´formes organisationnelles n’a pas encore fait l’objet d’approche syste´matique, bien que l’importance de l’enjeu ait e´te´ souligne´e dans des rapports d’expertise [4]. En particulier, mal instruits en amont, ces impacts sont souvent pris en compte quand il est trop tard et cela cou ˆ te cher [5]. Le rapport Lachmann et al. souligne que « les changements, meˆme minutieusement pre´pare´s, sont trop souvent mis en œuvre tre`s rapidement, voire brutalement. . . Nous recommandons de faire pre´ce´der toute de´marche de changement majeur d’une analyse des conse´quences humaines du changement ». Si un tel mode`le d’analyse a priori des risques existe dans le domaine environnemental (volet sanitaire des e´tudes d’impact [6]), on ne dispose pas d’un e´quivalent en sante´ au travail. Il s’agit pourtant d’une obligation du Code du travail. En effet, la proble´matique de la relation entre le changement et la sante´ est de´ja` inscrite dans le cadre des obligations le´gales de l’employeur. L’article L. 4121-1 de ce Code e´nonce que « L’employeur prend les mesures ne´cessaires pour assurer la se´curite´ et prote´ger la sante´ physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :  des actions de pre´vention des risques professionnels et de la pe´nibilite´ au travail ;  des actions d’information et de formation ;  la mise en place d’une organisation et de moyens adapte´s ». Un peu plus loin, la loi indique que « L’employeur veille a` l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances ». Les entreprises n’ont pas suffisamment pris en compte cette exigence. Il est vrai qu’il paraıˆt complique´ d’y re´pondre. La difficulte´ est celle de la multiplicite´ des facteurs a` prendre en compte dans un processus de changement. Pourtant, si cette question est inte´gre´e en amont de tout processus, la coope´ration et le bien-eˆtre au travail devraient s’en trouver ame´liore´s.

Une vision syste´mique du changement Toute organisation est le produit de l’interaction dynamique d’acteurs et de syste`mes [7]. L’entreprise choisit ses salarie´s

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comme elle est choisie par eux. S’y associent des cultures professionnelles et organisationnelles, des repre´sentations et des perceptions de leur roˆle, de leur implication, de la sante´ et de la relation entre le travail et la sante´. Le contrat de travail noue une relation qui inte`gre des e´le´ments implicites (pourquoi un salarie´ choisit ou accepte de travailler pour une organisation, pourquoi une entreprise recrute les salarie´s qu’elle emploie). Ces ensembles sont e´troitement imbrique´s et re´gule´s par les marges d’autonomie que de´gagent les individus ou les collectifs de travail et qu’ils cherchent a` pre´server. Celles-ci ouvrent des jeux qui peuvent contribuer a` ame´liorer leur sante´, leur bien-eˆtre et leur coope´ration ou a` l’oppose´, les de´te´riorer. Tout projet de changement provoque une modification de l’e´quilibre entre ces diffe´rents facteurs et met donc en jeu les termes meˆmes du lien entre le salarie´ et l’organisation et partant, la nature de la coope´ration qui s’installe. Il est difficile d’en pre´voir le sens et la porte´e. Par conse´quent, il est ne´cessaire de mettre en place un processus qui inte`gre en amont de tout projet et au meˆme niveau que ses crite`res de performance, les aspects sanitaires et humains pour que l’implication et le bien-eˆtre des salarie´s puissent non seulement contribuer au succe`s du projet, mais en eˆtre une partie constitutive. En comple´ment, de la meˆme fac¸on que le projet fait l’objet d’e´tapes et de suivi, les facteurs humains doivent eˆtre analyse´s, traduits de fac¸on concre`te, suivis et corrige´s le cas e´che´ant. Cette approche rele`ve ne´cessairement d’une de´marche inte´gre´e et participative. En ce sens, on peut de´finir le management sanitaire et humain de la conduite du changement comme un processus inte´grant les impacts sur la coope´ration, le bien-eˆtre et la sante´ (BEST) des salarie´s aux crite`res de performance du projet et de son suivi, afin de renforcer les aspects positifs pour les salarie´s, d’en limiter les e´ventuels effets inde´sirables et d’estimer les ressources ne´cessaires pour cet accompagnement. Quatre ordres de questions structurent la de´marche d’accompagnement sanitaire du changement et doivent eˆtre pris en compte par l’e´quipe qui le pilote. C’est autour d’elles que le mode`le d’inte´gration de la sante´ doit eˆtre e´labore´ :  la de´finition des enjeux et des objectifs. Ce questionnement comporte, d’une part, une analyse de l’ensemble des enjeux du projet pour l’entreprise et, d’autre part, une cartographie de celui-ci permettant d’en de´crire les contours et les implications pour l’organisation, les salarie´s et les diffe´rentes parties prenantes. Quelles sont les raisons d’eˆtre du projet, l’urgence du changement, son ampleur, la nature de la transformation envisage´e (rationalisation ou rupture ?) et l’historique des re´formes pre´ce´dentes (succe`s, e´chec, difficulte´s). C’est la` qu’interviennent des enjeux comple´mentaires concernant les relations – y compris implicites – entre l’organisation et ses salarie´s ainsi qu’avec son environnement. La coope´ration des travailleurs et leur satisfaction constituent des facteurs-clefs de re´ussite de l’ensemble.

L’impact sanitaire et humain du changement organisationnel

Figure 1. Repre´sentation sche´matique du management sanitaire et humain de la conduite du changement organisationnel.

Un autre e´le´ment important concerne l’explicitation et la formation relatives aux changements envisage´s, pour l’entreprise, les e´quipes et les salarie´s. Ces objectifs sont-ils explicites, explique´s, partage´s ?  la de´finition de facteurs pour prendre en compte la coope´ration, le bien-eˆtre et la sante´ des salarie´s et leur traduction pour le projet et de les e´valuer. C’est ici que le roˆle des me´decins du travail est cle´. Joue en premier lieu le contexte sante´ de l’entreprise, la fac¸on dont le dialogue social se de´roule au sein des instances repre´sentatives, les discussions sur la strate´gie et les espaces de travail, les rapports avec l’inspection du travail, le niveau des accidents du travail, des maladies professionnelles, de l’absence au travail, du turn-over, la manie`re dont a e´te´ e´labore´ et mis a` jour le document unique d’e´valuation des risques, les e´ventuels ante´ce´dents de faute inexcusable de l’employeur. En second lieu, intervient l’existence d’une politique de sante´-se´curite´ : est-elle formalise´e ? Be´ne´ficie-t-elle de moyens de´die´s ? Est-elle soutenue par des compe´tences spe´cifiques ? Fait-elle l’objet de revues re´gulie`res en comite´ de direction ? Ces deux e´le´ments de´terminent la nature des donne´es sanitaires mobilisables et la capacite´ d’interpre´ter ces signaux. S’ils ve´hiculent des signes de difficulte´s ou des informations alarmantes, l’organisation doit alors s’atteler a` en approfondir les causes et travailler a` y reme´dier ;  les programmes d’action a` mobiliser, en de´finissant les e´tapes, les e´quipes et les moyens a` mettre en œuvre. Ces

outils sont traditionnellement classe´s selon qu’ils visent l’homme (pre´vention individuelle), l’environnement technique (pre´vention collective des agents chimiques, physiques et biologiques) ou l’organisation prise au sens large. Ces cate´gories n’e´puisent pas ce qui peut eˆtre conside´re´ comme pertinent pour une organisation donne´e. Pour chaque cate´gorie d’outils, on de´terminera les objectifs attendus, les traductions concre`tes en crite`res permettant d’e´valuer l’efficacite´ recherche´e ; on de´finira la ou les entite´s responsables, le calendrier de de´ploiement et les modalite´s de suivi et de correction ;  les crite`res d’e´valuation. Au plan individuel et collectif, les impacts attendus doivent eˆtre de´finis a` l’avance et si possible quantifie´s meˆme de fac¸on tre`s simple, pourvu qu’ils puissent donner des tendances. Cette e´laboration doit pouvoir associer diffe´rentes parties prenantes et se centrer sur la pertinence au regard des re´sultats recherche´s. Cela suppose de re´fle´chir au syste`me et aux flux d’informations, aux crite`res d’alerte et d’efficacite´ en couplant ide´alement la performance e´conomique et la performance sanitaire.

Cette de´marche est sche´matise´e sur la fig. 1.

Conside´rations ope´rationnelles La re´ussite d’un projet de changement suppose avant tout un engagement de la direction ge´ne´rale et de la hie´rarchie ainsi

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qu’une dynamique favorisant la coope´ration des e´quipes et des collaborateurs. La cle´ du succe`s re´side donc dans la confiance que les changements envisage´s ame´lioreront l’implication et la satisfaction des salarie´s et respecteront les inte´reˆts et la sante´ de chacun. Cette confiance ne proce`de pas seulement de conside´rations techniques. Elle n’est pas uniquement lie´e a` la communication. Elle repose sur une dynamique de partage des de´marches et une strate´gie d’intervention multicrite`res [8] impliquant notamment la faisabilite´ strate´gique, juridique, technique, sociale, e´thique, e´conomique, etc. mais surtout la reconnaissance des e´quipes et des salarie´s. Une attention particulie`re doit eˆtre accorde´e aux modifications de pouvoir et d’influence qu’induisent les transformations envisage´es. La France a globalement un retard certain a` rattraper dans la qualite´ des relations entre employeur et salarie´s ce qui nuit a` la compe´titivite´ des entreprises. Ainsi, le rapport de Davos sur la compe´titivite´, classe la France au 137e rang sur ce the`me spe´cifique [9]. Un point fondamental est celui de l’incertitude qui est un de´terminant majeur de la perception des risques [10]. Tout changement accroıˆt d’une fac¸on ou d’une autre l’incertitude et donc l’inquie´tude qui devient une source de blocage si elle est forte. Corre´lativement, tout ce qui permet de re´duire cette incertitude favorise la confiance et l’appropriation du changement. C’est en cela que la prise en compte syste´matique des aspects humains et sanitaires dans des projets de changement, outre son inte´reˆt intrinse`que pour la protection des salarie´s, peut aider a` les re´ussir. On incrimine souvent les « re´sistances au changement » quand, en re´alite´, il s’agit avant tout d’une incapacite´ a` comprendre leur sens, a` les pre´parer de fac¸on compe´tente et partage´e et ce faisant, a`

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mobiliser les e´nergies positives pour l’accomplissement du projet.

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

Re´fe´rences [1]

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[4] [5] [6]

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