APTITUDE ET AUTONOMIE E N P S Y C H I AT R I E G É R I AT R I Q U E
Entre déliance et reliance au sein de la famille :
la complexité du travail d’accompagnement des parents âgés dépendants psychiques face au paradoxe du changement P. PEYRÉ(1), F. DE LA FOURNIÈRE(2)
INTRODUCTION Sous l’intitulé même du XIIe Congrès de Psychogériatrie de Langue Française, qui s’est déroulé à Pau les 18 et 19 septembre 2003 : « Les changements dans les familles durant l’accompagnement des parents âgés dépendants psychiques. Quels soins ? Quel accompagnement ? Quelle aide ? » – et comme l’ont très concrètement mis en relief les deux cas cliniques présentés par F. de La Fournière –, se cache en fait toute la complexité écosystémique, gériatrique et gérontologique confondues des relations globales de la personne âgée à soi (domaine de l’auto : identité), aux autres (domaine de l’hétéro : altérité) et aux choses (domaine de l’éco : relation). Face à l’infinité de lectures possibles du contexte ainsi problématisé entre statique des liens (liens qui fixent) et dynamique des liens (liens qui libèrent), il convient de préciser l’angle sous lequel nous concevons une telle complexité. Pour nous, envisager les soins, l’accompagnement et l’aide que les individus ou les institutions apportent aux parents âgés dépendants psychiques, et envisager les changements corrélatifs à cette prise en charge/prise en compte au sein même de la famille, c’est, fondamentalement, se poser la question éthique et pragmatique suivante : comment veiller à la santé de ces personnes âgées, comment assurer leur protection et leur adaptation au monde qui les entoure, comment les aider globalement à résoudre les problèmes liés au vieillissement aggravé qui les caractérise ? Et pour quels changements ? Vaste problème qui, face aux incertitudes du changement, pose la question du « comment » du travail d’accompagnement autant que celle de ses buts et de ses résultats. Mais, suprême complication, la réponse à ces questions est ellemême subordonnée à l’interrogation sur le sens de l’accompagnement, sa nature, ses potentialités. Bref, à tout ce qui le détermine en profondeur. L’ACCOMPAGNEMENT, UN SIGNE DES TEMPS De fait, l’accompagnement que tout un chacun (aidant formel ou informel) pratique à la manière de Monsieur Jourdain faisant de la prose, est et reste problématique. Ce
qui ne l’empêche pas de connaître actuellement, dans les professions qui travaillent sur autrui (éducation, santé, travail social), une vogue sans précédent. Mais le concept d’accompagnement, transdisciplinaire et trans-spécifique, même s’il oblige à mettre de l’ordre dans les rapports entre toutes ces formes de reliance qui se télescopent aujourd’hui entre l’éducation pour la santé, les traitements, les soins et l’aide, reste un concept plutôt flou - et ce n’est pas le moindre de ses paradoxes ! C’est un mot-éponge, un terme-valise qui complique parfois plus qu’il n’aide à clarifier. Pour les éducateurs (1), « Accompagner, c’est quitter son propre chemin pour aller sur le chemin de l’autre, ni devant ni derrière mais à côté, pour regarder ensemble dans la même direction afin d’aider l’autre à voir ses obstacles, à les identifier, à les prioriser et à trouver les moyens de les surmonter. En étant conscient d’avoir soi-même ses propres obstacles, bien identifiés, il faut essayer d’être capable de mettre son propre chemin entre parenthèses le temps de l’accompagnement. La limite est de ne pas transférer un obstacle sur le chemin de l’autre ». Le travail social, lui, est passé, en une quinzaine d’années, de l’aide à l’accompagnement, puis au contrat. Chemin faisant, il s’est complexifié des progrès de la médecine et de la psychologie où la promotion de la santé s’est elle-même accompagnée des progrès des soins infirmiers, établissant la nuance entre le traitement de la maladie (to cure) et les soins aux personnes (to care). Soins, accompagnement et aide participeraient ainsi de logiques incrémentielles cœxtensives, c’est-à-dire de pratiques diversifiées dont les interactions sont en interrelation suivant des programmes séquentiels où l’accompagnement apporte une aide, l’aide appelle des soins qui se différencient (soins autonomes : se soigner ; soins administrés : être soigné), et les soins régulent le besoin d’accompagnement entre dépendance et autonomie. Avec les thérapeutes familiaux, mais avec tous les autres théoriciens et praticiens de l’accompagnement aussi, il est intéressant d’interroger ce que signifie cette évolution du vocabulaire. Certes, nous n’en avons pas l’espace au cours de cet article. Tout au plus, pourrons-nous aller au cœur des significations de l’accompagnement en suivant l’idée cardinale de J.-P. Boutinet qui, restant sur le versant universel de
(1) Professeur des Universités, Directeur du Département des Sciences Sanitaires et Sociales de l’Université de Pau. Laboratoire des processus d’accompagnement et de formation, UFR « Sciences et Techniques », « Carrières Sanitaires et Sociales », Université de Pau et des Pays de l’Adour, avenue de l’Université, BP 1155, 64013 Pau Cedex. (2) Médecin-chef, Centre de Gériatrie Jean-Vignalou, Centre Hospitalier, 64000 Pau.
44
NEUROLOGIE • PSYCHIATRIE • GÉRIATRIE - Année 4 - Juillet-Août 2004
l’anthropologie, prend le pouls de l’accompagnement et interprète quelques-uns de ses symptômes fondateurs. Pour J.-P. Boutinet, les pratiques d’accompagnement, aussi riches que fragiles, épousent originellement la forme d’une remédiation paradoxale : « En fin de compte, nos espaces sociaux, pas plus que leurs devanciers, ne sont tentés par aucune forme d’anthropophagie ; ils ne veulent pas dévorer leurs sujets atteints par telle ou telle souffrance lancinante, happés par tel ou tel type de suicide ; aussi proposent-ils des remédiations, si ténues soient-elles. L’accompagnement fait partie de ces remédiations qui se veulent des régulateurs structurels ; il a été mis en place pour rendre supportable la souffrance des sujets… » (2). Comme le confirme le thème du Congrès pré-cité, l’accompagnement est devenu aujourd’hui une quasi-nécessité psychologique et culturelle. Mais, comme le souligne J.-P. Boutinet, « la professionnalisation de l’accompagnateur et le statut existentiel de la personne accompagnée demeurent problématiques ». Manifestement, l’accompagnement ne procède pas de logiques linéaires ; il s’inscrit dans l’hypercomplexité écosystémique dans laquelle tout système thérapeutique est pris dès lors que ce n’est plus la « simple » guérison du patient qui est en ligne de mire, mais bien le paradoxe du changement, cette « demande de changement sans changement » au sens des thérapeutes familiaux systémiques. Le mot « changement » véhicule en effet bien des ambiguïtés, à commencer par celle où, à défaut de pouvoir agir efficacement sur le malade, à défaut de pouvoir parler de guérison en ce qui le concerne, il faut également prendre en compte la famille - quand elle est là, ultime rempart à la déliance, à l’hospitalisation et à d’autres trajets où il faudra encore traiter, soigner, aider…, accompagner ! Dans ce contexte familial de la dépendance psychique, où les ambiguïtés apparentes de l’accompagnement des parents âgés cachent autant de paradoxes que l’ont peut imaginer de cas possibles, essayons donc, avant même de pouvoir envisager quelque approche que ce soit des méthodes d’accompagnement et des changements que l’on peut en attendre, de prédéfinir ce qu’est l’accompagnement dans ses trajets intimes. Dans cette perspective, la voie des paradoxes qui structurent les pratiques d’accompagnement permet de fixer quelques repères significatifs. L’ACCOMPAGNEMENT, PARADOXALE»
UNE
dynamique, historique et génétique, où le présent est souvent hypertrophié. Ce présent hypertrophié (3), c’est celui des crises et autres menaces ou catastrophes qui ont toujours des répercussions durables au sein de la famille. Souvent lourdes et définitives, ces répercussions pèsent sur la qualité des relations interpersonnelles et s’enracinent dans la mémoire familiale. Dégradant le climat affectif, il n’est pas rare qu’elles déchirent aussi le tissu familial dont elles sapent les fils, à la base. Pour les thérapeutes familiaux, la crise et tous les dysfonctionnements qui l’entourent mettent à l’épreuve les capacités d’adaptabilité de la famille. Or, dans le contexte de la dépendance psychique des parents âgés, ces capacités sont particulièrement sollicitées. Elles appellent à la fois la mise en place de réponses gérontopsychiatriques appropriées en externe, et le changement des modèles relationnels des membres de la famille en interne. Mais si la crise est éphémère, les dysfonctionnements sont durables. La crise diffère radicalement de la situation d’urgence où seules les réponses appropriées sont indispensables. C’est en ce sens que l’accompagnement des parents âgés qui, suivant ses formes, s’applique à la crise autant qu’aux dysfonctionnements du système est à la fois : – interminable côté famille (la crise entraîne des dysfonctionnements qui entraînent des crises ; elle chronicise la situation de dépendance et est vécue de façon permanente et continue par le patient et sa famille) ; – et transitoire côté soignants et travailleurs sociaux (dans la mesure où l’accompagnement intervient de façon déterminée dans le temps et dans l’espace, en général en dehors des crises dont il essaie de prévenir ou d’atténuer les effets en agissant sur les causes, et entre différents lieux du domicile à l’hôpital). Ainsi mises à l’épreuve, les capacités d’adaptation du système participent d’un équilibre fragile entre les mécanismes d’homéostasie qui défendent son intégrité et l’irruption de données nouvelles, internes ou externes, susceptibles de modifier cet équilibre. Les crises et autres menaces ou catastrophes sont alors autant de situations critiques à l’occasion desquelles tout peut basculer et évoluer entre le maintien à domicile et l’hospitalisation, soit que la plasticité de la famille ait permis à ses membres de s’adapter à la situation, soit que sa rigidité l’ait conduite à se décharger sur l’hôpital, soit qu’une solution mixte ait pu être mise au point.
«REMÉDIATION
Inspirés par le modèle anthropologique de J.-P. Boutinet (2), cinq paradoxes fondateurs nous semblent gouverner les pratiques d’accompagnement dans le domaine de l’action psychogériatrique. Ils donnent un aperçu des changements possibles entre le souhaitable et le possible en vue d’une qualité globale des soins dans la continuité même des ruptures et transitions de la vie, là où les équilibres entre le vrai, l’utile et l’efficace revêtent des formes tout aussi particulières que décisives de gravité individuelle et collective. Un paradoxe temporo-spatial : le procès interminable, mais transitoire, entre maintien à domicile et hospitalisation Entre santé et maladie, l’accompagnement se situe dans l’évolutif de la famille, ses joies, ses peines, sa cohésion et ses fractures. Au carrefour de ces passages, il procède d’une fonction
Un paradoxe d’orientation : une situation où les protagonistes ne (peuvent/veulent) pas savoir où ils vont (sens, signification), mais apprennent de concert à (pouvoir/vouloir) aller quelque part (direction, méthode) De fait, entre deux crises ou deux situations-problèmes, à domicile, à l’hôpital ou dans toute autre structure médicalisée, l’accompagnement prend en charge des personnes sinon désorientées, du moins en forte déshérence. Or, accompagner, cela implique de savoir physiquement, techniquement, méthodologiquement et d’un point de vue éthique, à la fois où l’on va, car si l’on ne sait pas où l’on va ni comment et pourquoi y aller, on risque de se retrouver ailleurs, et de ne pas le savoir ! Si bien que la notion d’accompagnement, qui implique l’idée de co-pilotage conscient et volontaire réunissant accompagnant et accompagné, et donc de co-évolution, n’est souvent qu’une belle euphémisation de l’action de conduire, de diriger, voire de décider à la place de l’accompagné pour aller tout de même quelque part, c’est-à-dire « là où il faut » selon
NEUROLOGIE • PSYCHIATRIE • GÉRIATRIE - Année 4 - Juillet-Août 2004
45
APTITUDE ET AUTONOMIE E N P S Y C H I AT R I E G É R I AT R I Q U E le pouvoir de l’autorité dominante. Derrière ce paradoxe de l’orientation où la déshérence joue le rôle de boussole, il faut bien, en effet, aller quelque part pour sortir du sas actuel, en se persuadant qu’une issue est possible. La problématique de l’aide, aide à saisir ce paradoxe. L’aide se définit comme « l’action d’intervenir en faveur d’une personne en joignant ses efforts aux siens » (Dictionnaire Le Petit Robert). Cette définition implique que la personne aidée fasse des efforts dans une direction qu’elle a ellemême déterminée. L’aide est un appui. Mais l’intervention médico-sociale n’a-t-elle pas parfois pour objectif d’imprimer sa propre direction, ses propres finalités ? Cette prise en charge de la personne et du projet d’autrui, justifiée par le mandat confié aux travailleurs sanitaires et sociaux par la société, risque d’entraîner la dépendance ou, au contraire, l’opposition, si bien qu’on ne peut pas ne pas se poser beaucoup de questions lorsque l’on veut réellement accompagner. Un paradoxe relationnel : un parcours solidaire mais asymétrique, inégal, où l’on marche côte à côte, dans des directions semblables (comparables) mais non identiques (pas pareilles), et où, franchissant le tabou de la parentification, les enfants des parents finissent par devenir les parents de leurs parents L’accompagnement correspond à une situation duale incarnée dans une relation à la fois paritaire et asymétrique entre deux protagonistes ou acteurs principaux : l’accompagnant et l’accompagné. Mais la nature même de cette situation où l’accompagné est en état de dépendance psychique renvoie davantage à une réalité de suivi et de protection, plutôt qu’à un parcours où l’un et l’autre des protagonistes cheminent côte à côte, à égalité de statut, car les rôles sont ici prescrits dans l’ordre d’une relation naturelle (familiale) et/ou contractuelle (institutionnelle) précise de soins, d’aide ou de soutien. L’accompagnant est un expert (un adulte, un aîné), et l’accompagné est une personne plutôt démunie (un enfant). Si bien que si l’on se rapproche des figures de l’analyse transactionnelle, les enfants du patient, côté famille, peuvent finir par jouer le rôle de parents de leurs propres géniteurs, et côté institution, le pouvoir d’expert peut contribuer au cynisme des accompagnants face à des personnes dépendantes et donc sans défense. D’où l’importance du cadre institutionnel apportant toutes les garanties nécessaires de compétence et de moralité de ses membres. La problématique de l’accompagnement proprement dit résume ce paradoxe. L’accompagnement, c’est « l’action de se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui ». L’accompagnateur ne décide pas de la direction ; il est plus en retrait que l’aidant. Il va « de compagnie avec ». Ce terme est apparu il y a une dizaine d’année dans le vocabulaire du travail social pour signifier une attention accrue au respect de l’autonomie de l’autre. En situation familiale, il convient donc pour l’accompagnant d’être un peu plus égal que l’autre ! C’est ce qui se passe notamment dans ce renversement de statuts où les enfants promus au rôle d’accompagnants deviennent, en somme, les aînés de leurs parents.
46
En situation institutionnelle, et cette asymétrie nous ramène au premier paradoxe, l’accompagnement, interminable pour les membres de la famille directement impliqués par les liens du sang, ne peut qu’être transitoire pour tout autre protagoniste, travailleur sanitaire ou social, n’agissant que par délégation dans l’ici et maintenant de la ponctualité des tâches pendant la durée de son mandat institutionnel. Un paradoxe de la détermination : un réseau de pratiques qui reposent sur le compromis du volontaire et du déterminé, de l’offre institutionnelle et de la demande individuelle, des tensions entre le micro- et le macrosocial... et où le principal porteur de la demande (la personne âgée dépendante) ne sait pas nécessairement formuler ce dont elle a besoin Une telle réalité interactionnelle qui caractérise pratiquement toutes les formes d’internement et de placement dans des institutions, participe à la fois des soins et du contrôle social. Elle est bien connue dans le domaine de la psychothérapie institutionnelle systémique où elle est modélisée sous la forme d’un « triangle des incertitudes » au cœur duquel le code familial crée l’infantilisation du malade dans ses relations évoquées à la famille et aux soignants. Si bien que l’accompagnement, dans ses projets comme dans ses réalisations, oscille entre des contingences individuelles et collectives déterminant des conceptions variables du changement (changement ouvert ou fermé) en fonction des états du système (tableau I). De ce point de vue chaotique, la figure du contrat qui contient les termes de ce paradoxe est la grande présente/absente du projet d’accompagnement. En effet, le contrat est une « convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Dans cette définition, le terme de « convention » implique l’accord de deux parties, clairement situées comme différentes au départ. Or, la personne âgée dépendante n’est a priori pas en mesure de participer en première personne aux négociations indispensables à l’élaboration de ce contrat. Le terme de « contrat » appartient au vocabulaire juridique, alors que l’aide et l’accompagnement relèvent du domaine psychosocial. Le contractant est un sujet de droit ; il n’est plus défini par le besoin, le manque ou la dépendance. Quand il est institué par des textes officiels, le contrat traduit encore le passage du rapport singulier entre l’aidant et l’aidé à un rapport triangulaire dans lequel la société elle-même est directement présente. Ainsi, retiendrons-nous avec M.-F. Freynet (4) que le passage de l’aide à l’accompagnement, puis au contrat traduit une évolution du travail social vers une plus grande clarification de son rapport aux exclus et une meilleure perception des différences de position. Le dialogue singulier est rompu. Par la procédure du contrat, la société est présente au cœur même de la relation professionnelle. L’inégalité des positions des différents contractants ne doit cependant pas être occultée. En ce qui concerne le RMI, par exemple, le législateur a eu la prudence de ne pas faire de la signature du contrat d’insertion une condition nécessaire au versement de l’allocation. C’est cette même logique
NEUROLOGIE • PSYCHIATRIE • GÉRIATRIE - Année 4 - Juillet-Août 2004
Tableau I : Entre espace et temps, orientation et relation, détermination et lien social : les figures du changement selon une conception dichotomique liée aux principales composantes qui le déterminent. Composantes du changement
Composantes liées aux contingences de l’environnement (acteurs collectifs)
Composantes liées aux stratégies des protagonistes (acteurs individuels)
Conception du changement
La famille
Les institutions
Les accompagnés
Les accompagnants
Conception ouverte (changement indéterminé)
Conjecture (Prévision)
Conjoncture (Politique de la solidarité)
Avenir (Utopie)
Sens de l’action (Compétence et éthique s’incarnant dans le Projet de vie du patient)
Conception fermée (changement déterminé)
Prédiction (Divination)
Planification (Action sanitaire et sociale)
Devenir (Projet personnel)
Direction de l’action (Co-pilotage, protocoles : Projet de soins du patient)
qui prime dans l’accompagnement, comme le montre le paradoxe de la détermination de l’accompagnement qui traduit qu’il ne peut pas exister d’autre contrat que tacite ou moral entre des parties dont l’acteur principal, l’accompagné, ne peut pas être signataire en première personne puisque dépendant. Un paradoxe du lien social : une démarche donc qui pour intégrer et individualiser commence par exclure, et entretient de ce fait la dépendance Du paradoxe précédent, il résulte que si je ne suis pas partie prenante du choix et des méthodes de la personne qui m’accompagne, je ne suis pas accompagné : je suis tout simplement encadré aux termes d’un contrat que d’autres ont fait sur ma tête. S’il poursuit ainsi un objectif manifeste de socialisation permanente pour lutter contre la désadaptation et l’exclusion, l’accompagnement des parents âgés dépendants consiste en première instance à ne pas laisser seule une personne dont l’autonomie est menacée et, par là même, susceptible d’être dangereuse pour elle-même, ou impossible à supporter pour les autres. On retrouve, à ce niveau, toute l’ambiguïté qui existe du fait que l’accompagnement doit relever le défi de « ne pas laisser » seul et d’individualiser à la fois. On rejoint le paradoxe d’Épiménide le Crétois (« Tous les Crétois sont des menteurs ») : quand on contrôle la dépendance, on renforce l’autonomie, et quand on renforce l’autonomie, on contrôle la dépendance. Les liens sociaux, dans ces conditions, demandent à être suffisamment fermes pour contrôler, et souples pour optimiser l’autonomie du sujet dans sa dépendance.
EN GUISE DE SYNTHÈSE Lié aux projets des acteurs individuels (soignés, soignants) et collectifs (famille, institution), le changement apparaît écartelé entre différentes logiques paradoxales sur lesquelles pèsent bien des incertitudes. Pour essayer d’y voir plus clair dans cette problématique, il est possible de croiser les conceptions polaires qui orientent le changement (ouvert, fermé) avec les composantes qui le déterminent (les acteurs). On repère ainsi les formes archétypales du changement aux différents niveaux des logiques qui le déterminent. CONCLUSION Nous rappellerons l’expression de Robert Castel qui parle de tous ces valides invalidés que nous sommes tous en puissance par les lois de la nature, et nous conviendrons avec J.-P. Boutinet que, dans le contexte particulier qui nous occupe, les personnes accompagnées « restent davantage le jouet des paradoxes […] que des acteurs stratégiques capables de rebondir d’un paradoxe sur l’autre ». Au delà de toutes les techniques et méthodes d’accompagnement possibles, le grand intérêt théorique et heuristique de ses pratiques est qu’il fait émerger dans le concret de ses implications personnelles et de ses engagements professionnels, entre carte et territoire, entre individu et société, entre santé et maladie, autonomie et dépendance, projet de vie et projet de soins, le réel problème de l’articulation entre une solidarité intergénérationnelle et une transmission transgénérationnelle qui sont les deux composantes du lien social, aujourd’hui mis à mal I
NEUROLOGIE • PSYCHIATRIE • GÉRIATRIE - Année 4 - Juillet-Août 2004
47
APTITUDE ET AUTONOMIE E N P S Y C H I AT R I E G É R I AT R I Q U E
RÉSUMÉ - SUMMARY Dans les situations d’accompagnement des parents âgés dépendants psychiques, le projet des accompagnés n’est pas toujours un projet qu’ils ont délibérément choisi, qui leur tient à cœur. Par la force des choses, ce projet leur est imposé : il leur tient à corps et parfois même à cris. Faire de cette trajectoire, où tout peut varier à chaque instant sans réel changement ni échappatoire possible, un parcours de vie le moins cahoteux possible pour le sujet et son entourage, telle est la finalité du travail d’accompagnement dans tout contexte familial et/ou institutionnel. La démarche est ainsi complexe au gré des liens à tisser et à retisser le plus durablement possible entre les acteurs, en vue d’optimiser la survie des systèmes biologique, psychologique et social qu’ils constituent indissociablement entre autonomie et dépendance, stabilité et changement. En suivant le fil conducteur de la dynamique relationnelle à travers des études de situations concrètes, les auteurs se proposent d’appréhender l’accompagnement en montrant en quoi et pourquoi ce travail hypercomplexe en soi - technique et humain à la fois - se complique des paradoxes qui le constituent. In situations where psychically dependent aged parents are accompanied, their project is not necessarily one they have freely chosen and which has any special place in their hearts. The project is imposed on them by force of circumstances: it takes hold of their bodies and can cause voices to be raised. Making this trajectory, in which everything can vary at any moment without any real prospect of lasting change or escape, as smooth a life as possible both for the parent concerned and for the people around him or her is the goal of accompaniment in any family and/or institutional context. The approach is therefore complex as a result of the bonds which need to be tied and retied as durably as possible between the individuals involved with a view to optimizing the survival of the biological, psychological and social systems which they build up indissociably between autonomy and dependence, stability and change. Following the central thread of relational dynamics through the study of concrete situations, the authors propose to examine the issue of accompaniment by showing how and why this intrinsically hypercomplex process -which is both technical and human- is further complexified by the paradoxes of which it is made up.
MOTS
CLÉS
- KEY-WORDS
Parents âgés dépendants psychiques, projet, accompagnement, lien social, dépendance, autonomie, changement, paradoxe, complexité. Psychically dependent aged parents, project, accompaniment, social link, dependency, independence, changes, paradox, complexity.
Références 1. Marguin C. Pratiques d’accompagnement. Education Permanente 2002 ; 153 (Suppl) : 79. 2. Boutinet JP. L’accompagnement dans tous ses états. Education Permanente 2002 ; 153 : 241-50. 3. Boutinet JP. L’éducation à l’orientation prise au jeu de nouvelles temporalités. L’orientation scolaire et professionnelle n° 30 : 71-84. 4. Freynet MF. Les médiations du travail social. Contre l’exclusion, (re)construire les liens. Chronique Sociale, Lyon, 1995.
48
NEUROLOGIE • PSYCHIATRIE • GÉRIATRIE - Année 4 - Juillet-Août 2004