12e CONGRÈS DE LA SFAP
Med Pal 2006; 5: 266-268 © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Lits identifiés en soins palliatifs : concept noble, politique floue… Bernard Wary, Service Régional de Soins Palliatifs, CHR Metz-Thionville.
À
l’heure où les unités de soins palliatifs (USP) se sentent en danger, car non seulement elles ne se développent pas mais se dégradent voire risquent de fermer, à l’heure où les soins palliatifs voient leur spécificité remise en cause (à vouloir trop s’ouvrir, on peut perdre son âme et les soins de support, autre concept flou s’il en était, sont souvent tentés d’engloutir les soins palliatifs dans une vaste nébuleuse dictée par des critères politico-économiques), à l’heure où pleuvent les circulaires et lois sur un quotidien que plus d’un soignant jugera bien aride, il est temps d’analyser nos pratiques et la politique de santé menée, car entre effets d’annonce et réalité de terrain, l’écart semble se creuser inéluctablement. Au travers de la mise en place des lits identifiés en soins palliatifs (et qui plus est de « la prise en charge identifiée de malades en soins palliatifs hors unité de soins palliatifs », nouvelle dénomination réglementaire depuis 2005), nous avons cherché à savoir si nos craintes n’étaient que préjugés personnels, ou si elles étaient partagées, fondées ou non.
Rappel historique Suite à la loi du 9 juin 1999 et à l’annonce du second plan de développement des soins palliatifs par Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, un groupe de travail était réuni à la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS), au ministère de l’emploi et de la solidarité, sous la houlette de Gabrielle Hoppe et Aude Le Divenah (première réunion le 19 décembre 2000) dans le but de rédiger une circulaire ministérielle permettant de mettre en œuvre cette loi. La méthode de travail était tout à fait intéressante et honnête, avec un réel souci d’échange entre toutes les catégories d’acteurs, soignants et administratifs ; la lourdeur théorique s’est très vite effacée devant la motivation et le sérieux des personnes impliquées, et le travail a abouti
effectivement à la circulaire pressentie (circulaire relative à l’organisation des soins palliatifs du 19 février 2002). Cette circulaire a pour objet de préciser les principes d’organisation de la prise en charge des soins palliatifs et de fournir aux acteurs les éléments de définition homogènes. Si les concepts d’USP et d’EMSP (équipe mobile de soins palliatifs) sont bien connus et définis en 2001, c’està-dire trois ans après le lancement du premier plan triennal, de nouvelles pratiques apparaissent, dont les réseaux et les lits identifiés en soins palliatifs. L’objectif est noble : « les soins palliatifs doivent progressivement s’intégrer dans la pratique de tous les soignants » pour que « tout malade qui en requiert ait accès aux soins palliatifs et à un accompagnement ». À cette époque, l’expression « lits identifiés » recouvre divers concepts comme « lits de relais, lits de répit, lits d’ancrage, lits de replis, lits dédiés, lits de recours, lits de secours… ». Cette nouvelle notion de lits identifiés remplace alors tous ces concepts et présente les caractéristiques suivantes : – répondre aux demandes extérieures au service ou à l’établissement, pour des cas complexes, dans une activité de proximité, par une hospitalisation en évitant les transferts inutiles et inappropriés ; – répondre aux demandes internes en accueillant des malades dont l’état requiert des soins palliatifs, habituellement suivis dans le service ou l’établissement ; – ils sont situés hors USP et peuvent se situer en service de courte durée, de soins de suite et rééducation, de longue durée et en hospitalisation à domicile ; – faire partie du projet d’établissement ; – avoir une activité palliative effective depuis plusieurs années ; – avoir un projet de service structuré, concerté et validé (formation spécifique du personnel, réflexion continue de l’équipe, soutien de l’équipe, personnel adapté à la mission). Par ailleurs et conformément à la loi du 9 juin 1999, les agences régionales d’hospitalisation (ARH) ont pour mission de recenser ce qui se passe (ou ne se passe pas) dans leur région.
Wary B. Lits identifiés en soins palliatifs : concept noble, politique floue… Med Adresse pour la correspondance :
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Bernard Wary, Service Régional de Soins Palliatifs, CHR Metz-Thionville, 57126 NDLR : Ce texte a fait l’objet d’une présentation à l’occasion de la Journée des Équipes Mobiles du 12e Congrès de la SFAP (Montpellier – 15-17 juin 2006).
Médecine palliative
266
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N° 5 – Octobre 2006
Bernard Wary
Une enquête concernant les volets obligatoires « soins palliatifs » dans les schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) a été réalisée en 2003 par la DHOS. Face à la demande inattendue d’identification en soins palliatifs, le comité de suivi et la DHOS ont dû élaborer un guide de demande de lits identifiés en soins palliatifs, avec recommandation de mise en place progressive. Rappelons ici que les besoins au niveau national ont été évalués à cinq lits identifiés pour 100 000 habitants, ce qui est très en deçà du besoin ressenti par les professionnels. Les établissements ont alors adressé leurs demandes à leur ARH, dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens (COM) pour le financement de ces lits identifiés. Les différences entre région sont importantes ; en Lorraine, l’ARH a nettement pris partie pour l’identification de lits, estimant que le double du chiffre préconisé par la DHOS n’était pas exagéré ; mais il faut aussi dire que la Lorraine est l’une des dernières régions à ne pas avoir d’USP ! Politique du cœur ou du porte-monnaie, la question est posée… C’est ici que s’immisce mon premier mauvais sentiment… Ne sommes-nous pas en train de revivre la dérive que les quinquas de la gériatrie ont connu lorsqu’on leur disait, il y a une quinzaine d’années, que la gériatrie n’était pas une spécialité, que tout le monde devait savoir prendre en charge les personnes âgées, etc. ? Et les femmes et les hommes âgés atteints de démence ou autres infirmités, pris en charge dans les unités de long séjour spécialisées, avec une approche pluridisciplinaire et multiprofessionnelle, se sont retrouvés dans des maisons de retraite dites médicalisées EHPAD actuellement) où les murs et les plaquettes de présentation sont aussi élogieux que la tristesse et la solitude qui rodent quotidiennement dans les chambres et couloirs ou les belles salles polyvalentes inoccupées… Les lits identifiés en soins palliatifs ne doivent pas être des lieux de soins palliatifs au rabais sous prétexte d’amélioration et d’accessibilité aux soins palliatifs ; tout le monde saurait et pourrait offrir des soins palliatifs aujourd’hui… Désolé, c’est une imposture ! Quatre ans après la circulaire, nous avons réalisé une enquête en Lorraine, auprès de huit équipes mobiles et de huit structures ayant des lits identifiés, pour appréhender le vécu de chacun et essayer d’en tirer d’éventuelles conclusions.
Lits identifiés en soins palliatifs: vécu des équipes mobiles De cette enquête ressortent les faits suivants : 1. La création de lits identifiés en soins palliatifs (LISP) a modifié l’activité des EMSP, avec une diminution nette là où la notion de soins de support a englobé celle
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de soins palliatifs (en particulier dans les services de cancérologie) et a au contraire augmenté là où les structures ayant des lits identifiés continuent à travailler en complémentarité avec l’EMSP. 2. Si des soupçons de dérives (notamment euthanasie clandestine) sont évoqués, un seul cas a été constaté dans une structure où l’EMSP n’était plus appelée. Lorsque le travail EMSP-LISP se fait en complémentarité, aucune dérive n’est constatée. 3. Dans les LISP travaillant seuls, on constate un manque, voire une absence d’évaluation de la douleur et des symptômes au profit d’une simple estimation, évidemment plus subjective et aléatoire. Au contraire, le travail en commun améliore et objective les pratiques, protocoles et décisions collégiales. – Là où la collaboration diminue avec l’EMSP, les soins palliatifs se résument souvent à une approche médicale, voire simplement médicamenteuse (« Nous, on prescrit beaucoup de morphine… »). La pluridisciplinarité et surtout la multiprofessionalité diminuent ou disparaissent, les soins palliatifs se résumant à l’intervention d’une infirmière ou d’une aidesoignante isolée, sans partage ni décision éclairée. 4. Les EMSP apprécient les lits identifiés car c’est souvent la seule possibilité d’hospitalisation adaptée, tant pour un cap à passer que pour un répit ; mais elles insistent sur la nécessaire complémentarité. 5. Les EMSP craignent surtout les dérives dans les services qui ont fait appel à un moment donné à elles, ne les appellent plus, et ne sont pas rentrées dans une démarche d’identification. Le risque d’amalgame (soins palliatifs-euthanasie par exemple) et de dérives (banalisation de la sédation) est ici majeur.
Lits identifiés en soins palliatifs: vécu des structures ayant obtenu l’identification Avant d’analyser le vécu, donnons ici quelques caractéristiques de ces lits en Lorraine : – localisation : deux tiers en gériatrie et SSR, pour un tiers en médecine ; – nombre : 144 (au 01-04-2005) ; – ancienneté : un à cinq ans ; – moyens spécifiques alloués : oui pour les deux structures les plus anciennes, c’est-à-dire créées avant la circulaire de février 2002, non pour toutes les autres : un paradoxe ! De l’analyse du questionnaire ressortent les faits suivants : 1. L’identification des lits a conduit à une augmentation de l’activité palliative dans 40 % des cas, alors qu’elle
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est restée identique dans 60 % des structures. Les demandes d’aide à la décision connaissent la même évolution, alors que les demandes d’intervenants paramédicaux augmentent de 60 % ; à noter que 20 % des structures ne font jamais appel aux bénévoles d’accompagnement (ce sont les mêmes qui n’appellent plus non plus l’EMSP depuis qu’elles sont identifiées). 2. Quarante pour cent des structures ayant des LISP n’ont jamais fait appel à une EMSP du secteur. Quant à celles qui faisaient appel à l’EMSP avant leur identification, 80 % diminuent très intensément leur demande et 40 % ne collaborent plus du tout. 3. Depuis leur identification, toutes les structures notent une amélioration des pratiques, à savoir : – utilisation systématique d’outils d’évaluation : augmentation dans 80 % des structures ; – décision collégiale : augmentation dans 40 % des structures ; – prescription d’antalgiques : augmentation dans 40 % des structures ; – prescription d’HYPNOVEL : augmentation dans 60 % des structures ; – protocoles de soins anticipés mis en place dans 60 % des structures ; – malades sédatés : augmentation dans 20 % des structures et diminution également de 20 % des cas (statu quo dans 60 % des cas). 4. Les actions de formation ont été mises en place dans les trois quarts des structures ; à noter que tous les médecins référents des lits identifiés ont un DIUSP. La formation de terrain est la plus pratiquée (80 %), les actions de formation continue n’étant mise en place que dans 60 % des structures. En revanche, les structures ayant des LISP n’offrent quasiment jamais de formation aux autres services de leur établissement. 5. Toutes les structures ayant des LISP prônent la complémentarité avec les EMSP, mais la réalité de terrain est différente (moins d’appel, voire arrêt de collaboration pour 40 % d’entre elles).
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6. L’identification des lits de soins palliatifs est vécue comme une avancée par 80 % d’entre elles, mais le manque de moyens alloués est systématiquement décrié.
Que peut-on en conclure? Les lits identifiés en soins palliatifs peuvent et doivent être une avancée. Mais cela n’est possible que si : – la complémentarité avec les équipes mobiles est effective ; – la formation est réelle et adaptée aux soignants ; – les moyens matériels sont accordés en conséquence. Ces conditions sont aujourd’hui rarement remplies, alors qu’elles nous paraissent obligatoires. Elles devront également faire l’objet d’une évaluation annuelle. Les lits identifiés en soins palliatifs ne remplacent ni les unités, ni les équipes mobiles de soins palliatifs (ils n’ont en particulier pas vocation à assurer l’enseignement et la recherche). Souffrant d’un manque évident de moyens, ils desservent alors la promotion et la diffusion des soins palliatifs, réduisant leur approche pluridisciplinaire et multiprofessionnelle à une simple offre médicamenteuse teintée d’humanisme… La Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, le comité de suivi du développement des soins palliatifs et les coordinations régionales de soins palliatifs doivent être vigilants, mais également moteur et créateur pour dénoncer les dérives et faire des propositions concrètes, en particulier aux ARH. Car les soins palliatifs sont encore fragiles en France et ils pourraient bien se faire manger par leurs propres rejetons, que ce soit à la sauce « soins de support » ou dans le cadre de la nouvelle gouvernance. Pour que le concept reste noble, la politique doit être claire ! À nous d’y contribuer…
N° 5 – Octobre 2006