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Rev Neurol (Paris) 2006 ; 162 : 6-7, 750-752
Brève communication Myosite orbitaire idiopathique bilatérale N. El Ouafi1, M.A. Rafai2, H. Fadel3, I. Gam2, I. Slassi2 1
Unité de Radiologie, Hôpital Mohammed V, Tanger, Maroc. Service de Neurologie — Explorations fonctionnelles, CHU Ibn Rochd, Quartier des Hôpitaux, Casablanca, Maroc. 3 Unité de Neurologie, Hôpital Al Kortobi, Tanger, Maroc. Reçu le : 30/06/2005 ; Reçu en révision le : 06/09/2005 ; Accepté le : 27/09/2005. 2
RÉSUMÉ Introduction. La myosite orbitaire est une entité rare. Elle se définit par l’inflammation localisée de la musculature extra-oculaire. Observation. Nous rapportons le cas d’une jeune femme, âgée de 44 ans, qui consulta pour des douleurs orbitaires majorées par les mouvements oculaires, associées à un œdème péri-orbitaire et à une diplopie. Le reste de l’examen neurologique et somatique était sans particularités. Les examens biologiques dont le taux de la créatine kinase et le bilan thyroïdien étaient normaux. Le scanner X orbitaire mit en évidence une hypertrophie fusiforme bilatérale des muscles droits interne et externe. Le diagnostic de myosite orbitaire fut retenu et la patiente mise sous corticothérapie 1 mg/kg/j avec une évolution spectaculaire sur le plan clinique et une disparition des douleurs et de la diplopie. Conclusion. La myosite orbitaire est une affection rare. La douleur orbitaire représente le signe clinique majeur. Dans 90 à 95 p. 100 des cas, elle est unilatérale. Les formes bilatérales restent exceptionnelles et doivent faire rechercher d’autres étiologies, en particulier l’ophtalmopathie thyroïdienne. Le protocole thérapeutique n’est pas bien codifié, mais la corticothérapie s’avère le plus souvent efficace.
Mots-clés : Myosite orbitaire bilatérale • Douleur orbitaire • Corticothérapie
SUMMARY Bilateral idiopathic orbital myositis. N. El Ouafi, M.A. Rafai, H. Fadel, I. Gam, I. Slassi, Rev Neurol (Paris) 2006; 162: 6-7, 750-752 Introduction. Orbital myositis is an idiopathic inflammation of the extraoccular muscles. It is often included under the broad description of orbital pseudotumor. It is commonly a unilateral affection. Case report. We report one case of bilateral orbital myositis in a 45-year-old woman. The first symptoms were diplopia and acute bilateral orbital pain exacerbated by eye movements. Physical examination especially neurological was normal. Serum creatine kinase and biological thyroid function were normal. CT scan found a bilateral enlargement of rectus oculi medialis and lateralis. Clinical improvement was obtained a few days after oral corticosteroid treatment with remission of all signs. Conclusion. Orbital myositis is a rare entity. 90-95p.cent of cases are unilateral. Bilateral forms are exceptional and in this case require search for specific etiologies particularly thyroid ophthalmopathy. There is controversy concerning treatment options but corticosteroids are still the most common first choice therapy with good outcome.
Keywords: Bilateral orbital myositis • Orbital pain • Corticosteroids
INTRODUCTION
OBSERVATION
La myosite orbitaire idiopathique est une inflammation localisée à la musculature extra-oculaire. Elle fait partie des pseudo-tumeurs orbitaires regroupant toute masse intraorbitaire inflammatoire non néoplasique (Rootman et Nugent, 1982 ; Attarian et al., 2003). La prévalence et l’incidence de cette affection rare sont difficiles à apprécier en raison du nombre restreint de cas et de séries rapportés dans la littérature. Les formes bilatérales sont exceptionnelles. Nous rapportons l’observation d’une femme, âgée de 44 ans, atteinte d’une myosite orbitaire idiopathique bilatérale dont l’évolution fut favorable sous corticothérapie.
Cas n° 010/2003.— Une femme, âgée de 44 ans, droitière, sans profession, sans antécédents pathologiques particuliers, présenta de façon rapidement progressive en deux jours, des douleurs frontoorbitaires bilatérales, permanentes, lancinantes et exacerbées par les mouvements oculaires, associées à une diplopie. À l’examen clinique, il existait une légère exophtalmie droite, un chémosis bilatéral et une parésie bilatérale de l’abduction des yeux avec limitation antalgique de la latéralité du regard. Il n’y avait pas de baisse de l’acuité visuelle ; les réflexes cornéens étaient présents, les pupilles réactives et symétriques. Le fond d’œil était normal. Le reste de l’examen neurologique, en particulier des nerfs crâniens, et somatique était sans particularités. Le tout évoluait dans un contexte
Tirés à part : M.A. RAFAI, Service de Neurologie, Pavillon 30, CHU Ibn Rochd, Quartier des Hôpitaux, Casablanca, Maroc. E-mail :
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Fig. 1. – Scanner X orbitaire en coupe (a) axiale et (b) coronale : hypertrophie des muscles orbitaires de façon bilatérale plus marquée sur les droits internes. Orbital CT scan in (a) axial and (b) coronal plans: enlargement of bilateral orbital muscles particulary of the rectus medialis.
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Fig. 2. – Scanner X orbitaire de contrôle après traitement en coupe (a) axiale et (b) coronale : régression de l’hypertrophie musculaire. Control orbital CT scan after treatment in (a) axial and (b) coronal plans: regression of orbital muscles enlargement.
d’apyrexie et de conservation de l’état général. Le scanner X cérébral sans et avec injection de produit de contraste ne révélait pas d’anomalies. Le scanner X orbitaire (octobre 2003) réalisé en coupes axiales et coronales de 2 mm d’épaisseur avec et sans injection de contraste mit en évidence une hypertrophie de tous les muscles de l’orbite prédominant sur le droit interne qui mesurait 10 mm d’épaisseur ainsi que des tendons et une augmentation de la densité de la graisse intracônique, des globes oculaires de taille et de morphologie normales (Fig. 1a et 1b). Les examens biologiques standards (numération formule sanguine, bilan d’hémostase, bilan hydro électrolytique, électrophorèse des protides sériques) et le dosage des CPK, LDH étaient normaux de même que le bilan thyroïdien (TSH, T4). Le bilan immunologique comportant en particulier les anticorps anti-thyroglobuline était négatif. Les sérologies VIH, VHC, VHB et syphilitique étaient négatives. Le diagnostic retenu fut celui d’une myosite orbitaire idiopathique. Une corticothérapie orale à base de prédnisone à la dose de 1 mg/kg/j fut instaurée avec une amélioration spectaculaire et une régression totale des signes après quatre jours. Le scanner X de contrôle (mars 2004) montra une régression importante de l’hypertrophie des muscles droits internes et supérieurs, et totale des autres groupes musculaires (Fig. 2a et 2b). Après 20 jours à 1 mg/kg/j, la corticothérapie fut diminuée et interrompue sur 15 jours. L’évolution fut marquée par une persistance de l’amélioration (18 mois de recul).
DISCUSSION La myosite orbitaire idiopathique est une affection rare (Rootmann et Nugent, 1982 ; Snebold, 1997 ; Attarian et al., 2003). Les femmes sont deux fois plus touchées que les hom-
mes avec une moyenne d’âge de 37 ans (extrêmes 3-84 ans) (Scott et Siatkowski, 1997). Classiquement, la myosite orbitaire idiopathique est une maladie aiguë, comme chez cette patiente, mais des formes subaiguës ou chroniques plus rares existent (Weinstein et al., 1983). La douleur représente le principal symptôme : elle est constante, orbitaire ou péri-orbitaire, permanente et profonde, le plus souvent inaugurale, brutale et exacerbée par les mouvements oculaires. D’autres signes sont possibles : une diplopie, une exophtalmie, une injection conjonctivale, un chémosis, un œdème péri-orbitaire et palpébral, un ptôsis et une limitation de l’oculomotricité (Attarian et al., 2003). Chez cette patiente, la douleur était associée à une diplopie, un chémosis bilatéral et une limitation de la latéralité du regard en rapport avec la douleur. L’imagerie constitue l’élément clé du diagnostic, permettant de préciser la topographie de l’atteinte et de visualiser les structures avoisinantes (Attarian et al., 2003). Le scanner X orbitaire, en coupes axiales, et coronales représente l’examen de choix (Patrinely et al., 1989 ; Weber et al., 1999). Il met en évidence une augmentation du volume du muscle et de sa densité après injection du produit de contraste et un épaississement des tendons (Dick et al., 1992). L’imagerie par résonance magnétique, utilisée en deuxième intention, permet essentiellement de préciser l’extension du processus, en particulier vers le sinus caverneux. (Hardman et al., 1995 ; Weber et al., 1999). Sur le plan topographique, plusieurs muscles peuvent être touchés, mais l’atteinte du droit externe reste la plus fréquente (33-38 p. 100), suivie de celle du droit interne (29-
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CONCLUSION Le diagnostic des formes bilatérales des myosites orbitaires est basé sur des arguments cliniques, scannographiques et biologiques. Le caractère exceptionnel des formes bilatérales ne doit pas être à l’origine d’un retard diagnostique afin d’instaurer rapidement un traitement corticoïde souvent efficace.
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