ARCPED-4196; No of Pages 4
Rec¸u le : 19 mai 2015 Accepte´ le : 11 mars 2016
Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com
Fait clinique
Narcolepsie chez l’enfant obe`se. A` propos de 2 cas Narcolepsy in sleepy obese children. Two case reports C. Rives-Langea, A. Karsentya,*, H. Chantereaua, L. Oderdaa, B. Duberna, M. Lecendreuxb,c, P. Touniana a
Service de nutrition et gastro-ente´rologie pe´diatriques, hoˆpital Trousseau, AP–HP, universite´ Paris 6, 26, avenue du Dr-Arnold-Netter, 75012 Paris, France b Centre pe´diatrique des pathologies du sommeil, CHU Robert-Debre´, AP–HP, 48, boulevard Serrurier, 75019 Paris, France c CNR narcolepsie-hypersomnie, 75019 Paris, France
Summary
Re´sume´
Narcolepsy is a disabling disorder, characterized by excessive daytime sleepiness, irresistible sleep attacks, and partial or complete cataplexy. Many cases of obesity and precocious puberty have been reported in narcoleptic children, suggesting that the deficiency of hypocretin in narcolepsy could also be implicated in appetite stimulation. We report the observations of two young girls, who were referred for obesity and who developed narcolepsy accompanied by an abrupt weight gain. In both cases, specific drugs promoted wakefulness and overweight stabilization. Narcolepsy has to be suspected in sleepy obese children and not misdiagnosed as obstructive apnea. A nocturnal polysomnography with multiple sleep latency tests should be performed to confirm the diagnosis and begin specific treatment that is effective for sleep disorders and weight gain. ß 2016 Published by Elsevier Masson SAS.
La narcolepsie de type 1 (ICSD-3) est une affection neurologique qui se manifeste principalement par une somnolence diurne excessive, des acce`s de sommeil irre´sistibles et des cataplexies partielles ou comple`tes. Des cas d’obe´site´ et de puberte´ pre´coce associe´s a` ce type de narcolepsie ont e´te´ rapporte´s, sugge´rant que le de´ficit en hypocre´tine implique´ dans la narcolepsie pourrait e´galement donner lieu a` une stimulation de l’appe´tit. Nous rapportons les observations de deux adolescentes suivies pour obe´site´ et ayant pre´sente´ un tableau de narcolepsie s’accompagnant d’une acce´le´ration brutale de la prise de poids. La mise en place d’un traitement symptomatique adapte´ a entraıˆne´ dans les deux cas une ame´lioration de la vigilance et un de´but de stabilisation du poids. Une somnolence diurne excessive (SDE) chez l’enfant obe`se doit faire e´voquer le diagnostic de narcolepsie, parfois pris a` tort pour un syndrome d’apne´es-hypopne´es obstructives au cours du sommeil, bien que les deux pathologies puissent eˆtre associe´es. La re´alisation d’une polysomnographie suivie de tests ite´ratifs de latence d’endormissement permet d’e´tayer le diagnostic et d’envisager l’introduction d’un traitement spe´cifique efficace sur les troubles de l’e´veil, et pouvant e´galement ame´liorer la prise ponde´rale excessive. ß 2016 Publie´ par Elsevier Masson SAS.
1. Introduction
irre´sistibles amenant l’enfant a` s’endormir en toutes situations, en particulier, lorsqu’il est inactif [1]. Les cataplexies (perte soudaine et brutale du tonus musculaire) associe´es sont inconstantes mais peuvent eˆtre tre`s se´ve`res chez l’enfant. Elles peuvent eˆtre ge´ne´ralise´es, occasionnant des chutes, ou partielles (facie`s cataplectique), de´clenche´es le plus souvent par des e´motions positives (rire, surprise) [1]. Une prise de poids acce´le´re´e contemporaine de la narcolepsie est souvent rapporte´e, pre´ce´dant meˆme parfois l’apparition des
La narcolepsie de type 1 est une affection neurologique rare, parfois difficile a` diagnostiquer chez l’enfant lorsque le tableau clinique est incomplet. Il peut en effet se re´sumer a` une somnolence diurne excessive et des acce`s de sommeil * Auteur correspondant. e-mail :
[email protected] (A. Karsenty). http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2016.03.012 Archives de Pe´diatrie 2016;xxx:1-4 0929-693X/ß 2016 Publie´ par Elsevier Masson SAS.
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premiers symptoˆmes neurologiques [2]. Une puberte´ pre´coce n’est pas rare dans cette pathologie [3]. Le de´ficit en hypocre´tine 1, incrimine´ comme e´tant a` l’origine de la narcolepsie de type 1, pourrait e´galement eˆtre responsable de ces deux affections [4]. Chez l’enfant obe`se, l’existence d’une somnolence diurne excessive est souvent rapporte´e a` un syndrome d’apne´es du sommeil (SAS), surtout si elle s’accompagne de ronflements nocturnes, d’une e´nure´sie ou de ce´phale´es matinales. Meˆme si elle est plus rare, il faut e´galement savoir e´voquer le diagnostic de narcolepsie, surtout si la somnolence s’accompagne d’une acce´le´ration brutale de la prise de poids. Bien que le diagnostic puisse eˆtre exclusivement clinique, la re´alisation d’une polysomnographie suivie de tests ite´ratifs de latence d’endormissement (TILE), la pre´sence d’un haplotype de susceptibilite´ HLA DQB1*06:02 et d’un taux effondre´ d’hypocre´tine dans le liquide ce´phalo-rachidien (LCR) (principalement dans les formes avec cataplexies) conforteront le diagnostic [1]. Nous rapportons les observations de deux adolescentes pour lesquelles un diagnostic de narcolepsie contemporain de la constitution d’une obe´site´ a e´te´ pose´.
2. Observations 2.1. Observation 1 Cette adolescente, d’origine antillaise, aˆge´e de 10 ans et demi, n’avait pas d’ante´ce´dents particuliers en dehors d’une [(Figure_1)TD$IG]
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surcharge ponde´rale chez ses deux parents. Elle n’avait pas eu de vaccination contre la grippe H1N1 (un lien entre augmentation du risque de narcolepsie chez l’enfant et l’adulte jeune ayant rec¸u le vaccin, tre`s largement utilise´ lors de la pande´mie grippale de 2009–2010, ayant e´te´ reconnu dans plusieurs e´tudes europe´ennes) [5]. Une prise de poids de 23 kg en 1 an (correspondant a` une acce´le´ration du Z score de l’indice de masse corporelle [IMC] de + 5,7 de´viation standard [DS]) (fig. 1a) coı¨ncidait avec l’apparition depuis un an d’une hypersomnolence diurne avec retentissement scolaire et irritabilite´. Un facie`s hypotonique et des cataplexies au rire e´taient e´galement pre´sents. Le trace´ de la courbe d’IMC a mis en e´vidence un rebond d’adiposite´ vers l’aˆge de 4 ans et demi. Le stade pubertaire a e´te´ e´value´ S2P2 selon la classification de Tanner. La de´pense e´nerge´tique de repos mesure´e par calorime´trie indirecte e´tait de 1120 kcal/24 h. L’absorptiome´trie biphotonique a mis en e´vidence une masse grasse de 40,2 kg. L’enqueˆte alimentaire a re´ve´le´ une hyperphagie et une tachyphagie prandiale ainsi que la pre´sence de grignotages durant la journe´e. Les ingesta ont e´te´ e´value´s a` 3795 kcal/j (13,5 % : protides, 30,4 % : lipides, 56,1 % : glucides). La leptine´mie (42 ng/mL) e´tait adapte´e a` la masse grasse. L’imagerie par re´sonance magne´tique (IRM) ce´re´brale e´tait normale. La polysomnographie a e´limine´ un SAS. Un haplotype HLA DRB1*15/DQB1*06:02 a e´te´ mis en e´vidence. Le diagnostic de narcolepsie a e´te´ confirme´ par la re´alisation de TILE qui ont objective´ un temps de latence d’endormissement
Figure 1. Courbes d’indice de masse corporelle (IMC) des patientes des observations 1 (a) et 2 (b) : acce´le´ration de l’IMC contemporaine du de´but des symptoˆmes de narcolepsie.
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Narcolepsie et obe´site´
diurne marque´e avec des e´pisodes de cataplexie avaient permis d’orienter le diagnostic. Les parents de´crivaient une modification concomitante du comportement alimentaire de leur fille, avec des vols d’aliments, une impulsivite´, et une intole´rance a` la frustration. Les ingesta ont e´te´ e´value´s a` 3000 kcal/j (16 % : protides, 29,6 % : lipides, 54,4 % : glucides). Cela s’e´tait mate´rialise´ par une prise de 15 kg en quelques semaines (correspondant a` une acce´le´ration du Z score de l’IMC de + 6,8 DS) (fig. 1b). Le bilan endocrinien s’est ave´re´ normal. L’aˆge osseux e´tait avance´ (10 ans), peut-eˆtre en raison de la surcharge ponde´rale (stade pubertaire S1P2 selon la classification de Tanner). La de´pense e´nerge´tique de repos a e´te´ mesure´e a` 1200 kcal/24 h. L’absorptiome´trie biphotonique a re´ve´le´ une masse grasse de 28,3 kg et la leptine´mie e´tait adapte´e (52 ng/mL). L’enfant n’avait pas rec¸u de vaccination contre la grippe H1N1. L’IRM ce´re´brale s’est ave´re´e normale. La polysomnographie avec re´alisation de TILE a confirme´ le diagnostic de narcolepsie. Le dosage des hypocre´tines dans le
tre`s court et des endormissements en sommeil paradoxal (SOREMPS pour Sleep Onset Rapid Eye Movement Periods). Le taux d’hypocre´tine dans le LCR e´tait effondre´ (< 10 pg/ mL). Tre`s rapidement apre`s l’instauration d’un traitement par me´thylphe´nidate, une ame´lioration de la vigilance et de l’humeur a e´te´ note´e, suivie quelques semaines plus tard d’un de´but de stabilisation de l’IMC, en lien avec une diminution des ingesta (diminution de 870 kcal/j).
2.2. Observation 2 Cette jeune fille de 9 ans, e´galement d’origine antillaise, avait une surcharge ponde´rale apparue de`s l’aˆge de 6 mois, plusieurs anne´es avant l’apparition des premiers signes de la narcolepsie (fig. 1b). Il existait des ante´ce´dents familiaux de surcharge ponde´rale chez les deux parents. Des troubles de l’humeur e´taient apparus depuis quelques anne´es, pris pour une de´pression. Puis progressivement, une somnolence
[(Figure_2)TD$IG]
PRISE ALIMENTAIRE
Veille/sommeil
Orexines (hypocrénes)
Noyau paraventriculaire Hypothalamus latéral
Neurones NPY/AgRP
Neurones POMC
Noyau arqué
Lepne
Tissu adipeux Figure 2. Re´gulation de la prise alimentaire au niveau ce´re´bral. La leptine intervient dans le controˆle de la prise alimentaire par le biais de diverses populations neuronales de l’hypothalamus qui expriment les re´cepteurs de l’hormone. Elle inhibe la synthe`se de mole´cules qui stimulent l’appe´tit (neuropeptide Y et hypocre´tines) et stimule la synthe`se de neuropeptides anorexige`nes (POMC).
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LCR n’a pu eˆtre re´alise´ en raison du refus de la patiente. La mise en route d’un traitement par modafinil a entraıˆne´ rapidement une ame´lioration de la vigilance, une normalisation du comportement alimentaire (diminution des ingesta de 300 kcal/j) et un de´but de stabilisation de l’IMC (fig. 1b).
3. Discussion Le lien entre narcolepsie et obe´site´ est connu [2], mais la coı¨ncidence entre le de´but de la narcolepsie et l’acce´le´ration de la prise ponde´rale doit attirer l’attention du clinicien. Kotagal et al. avaient de´crit une augmentation de l’IMC chez de jeunes patients narcoleptiques il y a plus de dix ans [2,6]. Si le risque d’obe´site´ associe´ a` l’apparition d’une narcolepsie est donc connu, la simultane´ite´ entre la survenue des signes neurologiques et l’accroissement de l’IMC d’une part, et la stabilisation de l’IMC par re´duction des ingesta observe´e sous traitement de la narcolepsie d’autre part, n’e´taient pas distinctement de´crites dans les publications pre´ce´dentes [2,3,6]. Le me´canisme a` l’origine de la prise de poids dans les narcolepsies n’a pas encore e´te´ formellement identifie´. Une de´faillance du syste`me hypocre´tinergique semble l’hypothe`se la plus solide [7,8]. En effet, les hypocre´tines ou orexines, neuropeptides produits exclusivement par un petit groupe de neurones sie´geant dans l’hypothalamus dorsolate´ral, interviennent a` la fois dans les syste`mes de veille, mais aussi dans la re´gulation du comportement alimentaire et du me´tabolisme basal, par le biais de connexions neuronales avec d’autres aires ce´re´brales, comme le noyau arque´, centre de la re´gulation de la faim [7,8] (fig. 2). Un de´faut de production des neurones a` hypocre´tine a e´te´ e´voque´, mais l’absence de corre´lation entre la surcharge ponde´rale et le taux effondre´ d’hypocre´tine bouscule cette hypothe`se [9]. Un dysfonctionnement du signal leptine a e´galement e´te´ envisage´, interagissant avec les populations neuronales a` neuropeptide Y et pro-opiome´lanocortine ; leur profil d’action e´tant inverse de celui de la leptine [8]. La baisse de la leptine´mie mise en e´vidence chez les patients narcoleptiques, apre`s ajustement sur l’IMC, soutient cette hypothe`se [10,11], bien que ces re´sultats soient conteste´s [12].
narcolepsie et d’une prise de poids excessive. Une somnolence diurne excessive avec prise de poids rapide chez l’enfant obe`se doit faire e´voquer le diagnostic de narcolepsie, apre`s avoir e´limine´ un SAS, bien que les deux diagnostics puissent eˆtre associe´s. Comme dans ces deux observations, la mise en place du traitement de la narcolepsie pourrait e´galement entraıˆner une re´duction des ingesta qui expliquerait la stabilisation du poids.
De´claration de liens d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts.
Re´fe´rences [1]
[2] [3]
[4]
[5]
[6] [7]
[8]
[9] [10] [11]
4. Conclusion [12]
Ces deux observations confirment qu’un meˆme trouble du fonctionnement ce´re´bral est a` la fois responsable d’une
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