Origine et renouveau du concept de démence dans la schizophrénie

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Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 457–462 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Mémoire Origine et renouveau du concept de démence dans l...

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Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 457–462 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/

Mémoire

Origine et renouveau du concept de démence dans la schizophrénie Origin and renewal of the dementia concept in schizophrenia J.-M. Azorin *, A. Kaladjian, E. Fakra SHU Psychiatrie Adultes, CHU Sainte-Marguerite, 13274 Marseille Cedex 09, France Reçu le 6 avril 2005 ; accepté le 16 mai 2005 Disponible sur internet le 23 novembre 2005

Résumé Une littérature de plus en plus importante est consacrée au rôle que pourrait jouer un processus démentiel dans l’évolution du trouble schizophrénique. L’histoire même du concept de démence semble avoir tracé la voie qui mène à ce regain d’intérêt. Si la définition de la démence comme affection de la cognition remonte, en psychiatrie, à Pinel, au XIXe siècle le trouble est conçu à la fois comme une maladie du cerveau mais qui peut avoir une étiologie psychique. La notion de « démence précoce » résume, dans le cadre de la schizophrénie, ces conceptions. L’identification d’une atteinte cognitive extensive paraissant indépendante des symptômes psychiatriques a constitué une étape importante dans la réflexion sur les relations entre démence et schizophrénie. Les études de suivi d’ordre neuropsychologique ou en neuro-imagerie ont montré que cette atteinte pouvait dans certains cas progresser, plaidant pour une étiologie dégénérative. Des descriptions cliniques ont confirmé ces observations. Des modèles neuropathologiques et neurobiologiques de ce déficit cognitif sont aujourd’hui proposés, qui sont à même de déboucher sur des stratégies préventives dans le traitement de la schizophrénie. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract An increasing amount of current literature on schizophrenia is devoted to the role dementia may play in its course. This renewed interest had the way paved by the very history of the dementia concept. Before Kraepelin coined the term of "dementia praecox" as the hallmark of a common terminal state for hebephrenia, catatonia and paranoid psychosis, dementia acquired, as soon as the end of the 18th-century its cognitive meaning. In France, Pinel yet spoke of an "abolition of thinking", but in the same time considered dementia as one of the four forms of mental alienation, alongside with mania, melancolia and idiotism. During the 19-th century dementia was defined as an acquired deficit of intelligence supported by a brain disease, but which could be due to a mental illness. Owing to progress in neuropathology, several diseases such as Alzheimer or Pick illnesses were identified as causes of dementia, so that the concept was annexed by neurologists and received less interest from psychiatrists, during the last century. That seemed to change, twenty years ago, when clinical discussions emerged around the issues raised by depressive (pseudo) dementia. In psychiatry, the broader conceptualization of schizophrenia introduced by Bleuler in 1911 has not been widely adopted, many authors having been continuing sharing the Kraepelinian view that, at least one form of the disease, was a chronic progressive illness leading to severe impairments in cognitive and social functioning. Historical variations in diagnostic criteria used for schizophrenia had an impact on the way psychiatrists assessed outcome of the disease, leading some of them to consider schizophrenia as a nosological category without natural boundaries and propose to abandon the concept. However the use of narrow criteria is currently prevailing. Advances in neurocognitive testing and changes in theoretical models allowed, at the end of the last century, to document that schizophrenia was characterized by a broadly based cognitive impairment. Deficits were found in various domains: global and selective verbal memory, non-verbal memory, bilateral and unilateral motor performance, visual and auditory attention, general intelligence, spatial ability, executive function, language and interhemispheric tactile-transfer test performance. The hypothesis according to which the vast majority of these cognitive deficits had a neurodevelopmental origin was recently challenged by findings from longitudinal neurocognitive and neuroimaging studies. Some studies, for example, show that if first episode patients have smaller left hippocampal volumes as compared with controls, there is also an association of smaller right hippocampal volumes with increased illness duration in chronic schizophrenia. Others have shown that neuropsychological evaluations before

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Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-M. Azorin).

0003-4487/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2005.05.008

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treatment permitted differentiation of primary deficits from changes secondary to medication or chronicity. Clinicians reported that in some cases of chronic schizophrenic patients, dementia could be a complication of the disease, sharing common neuropsychological features with frontotemporal dementia. The effect of age was discussed too, as seeming to play sometimes a part. Even if the cause of the degenerative process that appears to occur in the brains of some schizophrenic patients remains largely unknown, advances in neuropathological models of degeneration in the brain as well as in mechanisms and factors underlying its process, gave rise to hypotheses liable to explain how degenerative dementia could occur in schizophrenia. Excess products of membrane degeneration which was evidenced by magnetic resonance spectroscopy suggests increased apoptosis in some schizophrenic patients. Deficits in neurotrophic factors, free radical oxidation, excess glutamate activity have been implicated as well as abnormalities in dopamine and cortisol metabolism. Growing evidence that some newer antipsychotics seem capable to interfere with these processes, slowing down their progression and even stopping it, has contributed to the renewal of the concept, opening new avenues to preventive strategies in the treatment of schizophrenia. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Antipsychotiques ; Déficit cognitif ; Démence ; Histoire ; Neurodégénératif ; Schizophrénie Keywords: Antipsychotics; Cognitive deficit; Dementia; History; Neurodegenerative; Schizophrenia

Certaines entités psychiatriques connaissent, au cours de leur histoire, des périodes d’éclipse et de résurgence, à intervalles de temps plus ou moins longs. Cela a, par exemple, été le cas de l’hystérie et, à une époque plus récente, des troubles maniacodépressifs, en particulier dans leurs formes atténuées. Les raisons qui régissent ces mouvements de balancier sont probablement multiples. La pertinence d’une intuition clinique peut s’avérer en désaccord avec les conceptions dominantes d’une époque ; les modèles théoriques permettent de rassembler sous forme de concepts nosographiques des aspects seulement partiels des tableaux cliniques ; enfin certaines entités doivent attendre d’être validées par des méthodes dont le développement technique est encore insuffisant ou imparfait à une époque donnée. L’intelligence du concept d’hystérie est probablement indissociable du plein essor des modèles analytiques alors que celui des formes atténuées de la bipolarité est à la fois lié aux progrès de la neurobiologie et de la psychopharmacologie. Le concept de démence tel qu’il a pu apparaître au sein des troubles schizophréniques, en précurseur même de leur définition actuelle, est exemplaire de tels mouvements. Nous proposons dans les lignes qui suivent d’en présenter une généalogie rapide jusqu’à sa réapparition récente, à travers les principales étapes qui ont pu marquer cette évolution, avant d’en discuter la validité et de dessiner les pistes de recherche susceptibles d’en élucider les principaux facteurs et mécanismes. 1. Aperçu historique Depuis la fin du XVIIIe siècle, époque qui a vu naître la psychiatrie comme discipline autonome, le vocable de démence a toujours figuré parmi les grandes catégories diagnostiques de celle-ci. Dès Pinel, le terme désigne ainsi l’une des quatre formes de l’aliénation mentale aux côtés de la manie, de la mélancolie et de l’idiotisme. La démence est une « abolition de la pensée » dans laquelle le jugement n’est pas seulement erroné, comme dans la manie, mais n’existe plus. Il est intéressant de souligner, avec d’autres [13], l’acception « cognitive » du concept. Celle-ci sera reprise par Esquirol qui en fait « une affection cérébrale […] caractérisée par l’affaiblissement de la sensibilité, de l’intelligence et de la volonté » dont il souligne

le caractère acquis, par opposition à l’idiotisme. Georget y apportera, peu après, la notion d’irréversibilité, en faisant un « affaiblissement général des facultés intellectuelles, résultant de l’usure de l’organe qui les produit, par suite de l’âge ou de maladies mentales ou autres ». Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le terme revêt ainsi le sens d’un syndrome d’étiologies variées parmi lesquelles figurent les affections mentales, que l’expression classique de « démence vésanique » consacrera. Certains verront là une preuve de la nature « organique » des maladies mentales. Ce fut notamment le cas de Kraepelin qui réunit sous le terme de « démence précoce », dans les éditions successives de son traité, la catatonie de Kahlbaum, l’hébéphrénie d’Hecker et les psychoses paranoïdes, caractérisées par leur évolution terminale commune vers un état d’affaiblissement intellectuel associé à une déchéance somatique. La première moitié du XXe siècle, marquée par les progrès de l’anatomopathologie, consacrera le mouvement amorcé par Bayle au siècle précédent, à savoir la mise en évidence de lésions cérébrales spécifiques aboutissant à l’individualisation d’affections démentielles bien définies : maladie d’Alzheimer, maladie de Pick, maladie de Binswanger… [5,13,26]. L’annexion des démences par la neurologie associée à l’échec de l’anatomopathologie dans les grandes affections mentales aura pour résultat, à la faveur d’un intérêt croissant des psychiatres pour les modèles psychodymaniques, de conduire à une situation bien résumée par Lantéri-Laura [26], à savoir que tout autre usage du terme de démence « devient obsolète, de sorte que les locutions de démence vésanique et de démence précoce […] ne peuvent plus relever que d’un passé révolu, mais dont il faut connaître l’histoire ». Dans les années 1980 néanmoins, un regain d’intérêt pour ces notions verra progressivement le jour autour du concept clinique de « pseudodémence dépressive » dont certains auteurs réfuteront le préfixe de « pseudo », voyant dans cette entité une authentique « démence » [4]. Le développement de la neuropsychologie et de la neuro-imagerie en psychiatrie, largement favorisé par le mouvement néokraepelinien, alimentera par la suite le renouveau d’une telle problématique. On assistera parallèlement, dans les systèmes de classification nosographique, au retour d’une définition syndromique de la démence dont l’incurabilité n’est plus, depuis longtemps, un

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critère. Ainsi dans le DSM-IV [3], la notion de démence renvoie à « l’apparition de déficits cognitifs multiples qui comportent une altération de la mémoire et au moins l’une des perturbations cognitives suivantes : aphasie, apraxie, agnosie ou perturbation des fonctions exécutives » ; déficits qui doivent s’accompagner d’une altération du fonctionnement socioprofessionnel et représenter un déclin par rapport au fonctionnement antérieur. En psychiatrie, l’abandon du concept de « démence précoce » au profit de la schizophrénie n’a pas manqué de susciter, très tôt, de nombreuses critiques. Dide et Guiraud par exemple, ont toujours défendu l’idée d’une forme indépendante déficitaire [12], préfigurant ainsi les conceptions actuelles d’auteurs tels que Carpenter et al. [7]. L’accent mis sur les aspects déficitaires dans la définition même de la maladie a pu, en particulier, expliquer l’apparent épuisement de l’effet des neuroleptiques classiques sur la maladie qui est contemporain du mouvement néokraepelinien [21]. 2. Déficits cognitifs dans la schizophrénie La recherche de déficits cognitifs dans la schizophrénie a fait, depuis plus de 20 ans, l’objet d’un nombre croissant de travaux [17,36]. En 1965, Perse [31] écrivait déjà : « La détérioration mentale des schizophrènes est un fait reconnu et constaté de façon unanime. » Une méta-analyse, datant de 1998 [22], a recensé 204 études portant sur les performances comparatives de patients schizophrènes et de sujets contrôles à différents tests cognitifs, retenant 22 variables de comparaison. Les fonctions testées étaient la mémoire verbale (globale et sélective), la mémoire non verbale, les performances motrices uni- et bilatérales, l’attention visuelle et auditive, l’intelligence générale, les habiletés spatiales, les fonctions exécutives, le langage et le transfert interhémisphérique. Les auteurs mettent en évidence, dans ce travail, l’existence de nombreux déficits cognitifs d’intensité variable chez les patients schizophrènes. Ces déficits paraissent relativement indépendants d’un certain nombre de paramètres cliniques ou sociodémographiques tels que la dose de neuroleptiques, l’âge de début de la maladie, la durée des troubles ou la fréquence des hospitalisations, mais l’étude semble manquer de puissance à ce niveau, de tels paramètres n’étant pas toujours rapportés avec précision dans les différentes études citées. Une autre méta-analyse, publiée l’année suivante [1], mais portant uniquement sur les fonctions mnésiques, rapporte des résultats comparables sur la base de 70 études relatives aux performances sur la mémoire de rappel et de reconnaissance. Dans cette analyse, seuls les symptômes négatifs semblent avoir une relation, mais qui reste peu importante, avec le déficit mnésique. La stabilité des déficits cognitifs avec le temps est généralement interprétée comme un argument en faveur de l’hypothèse neurodéveloppementale de la schizophrénie [2,8]. Néanmoins, un certain nombre d’études transversales ayant comparé des patients en premier épisode à des patients ayant présenté de multiples épisodes [35] ou des patients à différents niveaux de

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leur évolution [2] vont dans le sens d’une progression des déficits, du moins pour certains d’entre eux. Une étude longitudinale ayant porté sur 142 patients et 206 sujets témoins [20] n’a pu mettre en évidence, sur une période de cinq ans, une progression des déficits, mais l’observation de certains cas individuels montre au contraire l’existence d’une aggravation neurocognitive sur des durées de suivi analogues [11]. Les données de l’imagerie cérébrale semblent plus probantes. Un certain nombre d’études transversales montrent notamment l’existence d’une diminution de volume de l’hippocampe gauche lors d’un premier épisode, alors que la diminution de volume semble être bilatérale chez les patients chroniques [37]. Il en va de même pour les études longitudinales dont certaines indiquent une progression lente de l’élargissement ventriculaire [25] ou une diminution de volume de la matière grise frontotemporale associée à une augmentation de la taille des sulcus cérébraux sur une période de quatre ans en liaison avec la sévérité des symptômes [29]. Une étude originale qui a porté sur des sujets à haut risque a pu montrer qu’après une année de suivi, les sujets qui devenaient psychotiques présentaient, par rapport à ceux qui ne le devenaient pas, une diminution de volume dans les régions frontale inférieure et médiotemporale gauches incluant l’hippocampe [37]. 3. Données cliniques Peu d’auteurs ont abordé le problème dans une perspective purement clinique, en se posant la question de savoir si le diagnostic de démence pouvait être justifié chez certains patients schizophrènes. Bien que portant sur un nombre limité de patients, le travail le plus original de ce point de vue est probablement celui de de Vries et al. [11]. Les auteurs ont pu identifier un sousgroupe de patients schizophrènes satisfaisant aux critères DSM-IV de démence, ayant des scores au MMSE inférieurs à 24 et qui présentaient un déclin cognitif évalué par l’existence d’une différence de plus de 15 points entre le QI actuel et le QI prémorbide (le premier étant apprécié par l’échelle de Wechsler, le second à l’aide de la NART). Tous les patients étaient âgés de moins de 65 ans afin d’éviter les problèmes liés à la prévalence des démences de cause organique au-delà de cet âge. L’existence d’une affection de cet ordre était d’ailleurs exclue par un examen clinique approfondi et une batterie de tests et d’investigations appropriés. Cliniquement, ces patients présentent des troubles de la mémoire, des troubles de l’orientation dans le temps et dans l’espace, des perturbations du jugement et du raisonnement avec des difficultés d’évaluation de leur âge, de leur durée de séjour dans le service, une incapacité à donner le nom du Premier ministre ou celui de la capitale d’un pays. Leur entourage rapporte, en outre, des épisodes pendant lesquels ils se sont perdus dans la rue, des difficultés d’habillage ou d’alimentation avec incapacité de gérer un budget ou de subvenir aux tâches ménagères. Dans le service, ils témoignent d’une inaptitude à s’adapter aux activités routinières et certains d’entre eux souffrent d’incontinence.

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La plupart de ces patients avaient un bon niveau d’adaptation prémorbide, certains ayant même occupé plusieurs emplois. Ils se caractérisent également par une longue histoire de symptômes psychotiques, avec une durée de la maladie schizophrénique allant de 9 à 30 ans et une évolution lente de leur syndrome démentiel. Sur le plan cognitif, il existe une atteinte des fonctions visuospatiales prédominant sur la Figure de Rey et l’identification de silhouettes et des troubles du langage portant plus particulièrement sur la sémantique. En revanche, la plupart des tests de mémoire et des tâches exécutives étaient perturbés. L’échelle PANSS ne montre pas de différence entre ces patients et un groupe de schizophrènes ne présentant pas de syndrome démentiel, au niveau des scores positif, négatif et de psychopathologie générale, alors qu’une différence significative existe au niveau de l’item désorientation, confirmant le fait que le syndrome démentiel ne peut être la conséquence ou le reflet directs de la symptomatologie psychiatrique. Le scanner cérébral ne met pas en évidence d’altération caractéristique, les schizophrènes déments et non déments ne montrant pas de différence au niveau de l’élargissement ventriculaire, de la taille des sillons corticaux ou de l’existence d’une atrophie médiotemporale. Le SPECT réalisé chez les seuls patients déments mettait en évidence des zones d’hypoperfusion, en particulier au niveau des régions frontales et temporales. L’évolution de l’un des patients déments déjà évaluée sur le plan cognitif six ans auparavant permettait de confirmer l’existence d’un syndrome démentiel en montrant l’existence d’un déclin cognitif au niveau de l’intelligence générale, de la mémoire et des fonctions exécutives. 4. Aspects critiques Affirmer l’existence clinique d’une authentique démence schizophrénique suppose que soient exclues les autres causes possibles de démence. Dans l’étude qui vient d’être citée, un certain nombre d’arguments plaident en faveur de l’autonomie d’une telle entité. La durée relativement importante des symptômes psychotiques avant l’apparition du syndrome démentiel exclut l’existence d’une affection neurologique dont les premiers symptômes seraient de nature psychiatrique. La comorbidité avec une démence de type Alzheimer, une démence vasculaire ou une maladie à corps de Lewy semble également peu probable. L’atrophie médiotemporale caractéristique de la maladie d’Alzheimer n’est pas retrouvée, les schizophrènes déments ne se différenciant pas des non-déments sur cet indice. La démence vasculaire est exclue par l’absence d’éléments en faveur d’une affection cardiovasculaire. Enfin, le déclin cognitif semble beaucoup moins rapide que dans le cas des trois affections qui viennent d’être mentionnées. La démence frontotemporale est en revanche plus difficile à exclure, du fait de sa fréquence dans le présenium, de sa progression parfois lente et d’anomalies neuropsychologiques et neuroradiologiques voisines, posant parfois d’importants problèmes de diagnostic différentiel, en particulier dans le cas des schizophrènes tardives [33]. Néanmoins, dans la démence

frontotemporale les symptômes psychotiques sont rares et, quand ils existent, ils précèdent de peu l’apparition du syndrome démentiel. Les études qui ont pu être réalisées en post mortem chez les patients schizophrènes ne montrent d’ailleurs pas de comorbidités fréquentes avec les affections qui viennent d’être mentionnées [18]. Les effets de l’âge sur le déclin cognitif des patients schizophrènes ont fait l’objet de plusieurs études et de nombreuses discussions [19]. Davidson et al. [9], par exemple, ont pu mettre en évidence, au cours d’une étude rétrospective, des différences de performance cognitive de trois points au score MMSE par décennie chez des schizophrènes sévères dont l’âge était compris entre 25 et 95 ans. Le déclin cognitif peut, dans certains cas, être inapparent jusqu’à un certain âge, pour se manifester ensuite de façon nettement marquée par rapport aux sujets sains [19]. Une étude ayant porté sur 300 patients schizophrènes de plus de 65 ans montre, sur un suivi de trois ans, un risque de déclin cognitif de 12,6 % pendant la première étape du suivi (15 à 18 mois), 15 % en plus remplissant les critères de déclin pendant la seconde étape (30 à 36 mois) avec un taux global de déclin de 27,6 %. Les facteurs de risque associés étaient le vieillissement, de faibles niveaux de scolarité et des symptômes positifs sévères [18]. Au cours d’une autre étude, Friedman et al. [16] ont suivi pendant six ans 108 patients schizophrènes âgés de 20 à 80 ans, les patients de plus de 50 ans étant comparés à un groupe de 126 sujets sains et à un groupe de 118 patients souffrant de maladie d’Alzheimer. Dans ce dernier groupe, plus de 90 % présentent une aggravation de leurs troubles cognitifs indépendamment de l’âge ; les sujets sains, sans tenir compte de l’âge, ne présentent aucun risque d’aggravation ; les patients schizophrènes, quant à eux, ne présentent aucun déclin avant l’âge de 65 ans, alors qu’il existe une aggravation après 65 ans. Ces données sont à rapprocher d’une étude histopathologique menée en post mortem chez des patients psychiatriques institutionnalisés âgés [14]. Si seulement 8 % des patients schizophrènes montrent des critères neuropathologiques de maladie d’Alzheimer associés à une atteinte cognitive sévère, en revanche 68 % montrent un déficit cognitif comparable associé à un taux de plaques séniles et de dégénérescence neurofibrillaire moins important que dans le groupe souffrant de maladie d’Alzheimer mais significativement plus élevé que chez les patients sans déficit cognitif. Les auteurs interprètent ces résultats en suggérant l’effet conjoint d’une dégénérescence sénile et de la schizophrénie dans l’apparition d’un déclin cognitif sévère. L’atteinte des fonctions cognitives sous l’effet de l’âge serait un processus continu dont témoignerait notamment l’apparition de plaques séniles. Le seuil à partir duquel ce processus donnerait lieu à l’apparition d’un déclin cognitif serait plus bas chez certains sujets schizophrènes, du fait d’une vulnérabilité liée à une moindre réserve cognitive. Mais cette vulnérabilité, si elle est peut-être d’origine neurodéveloppementale, pourrait aussi être associée à un processus progressif, susceptible de conduire lui-même, lorsqu’il est suffisamment avancé, à une détérioration cognitive cliniquement parlante.

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5. Mécanismes et facteurs pathogéniques La possibilité d’une origine neurodégénérative aux troubles cognitifs de la schizophrénie a longtemps été réfutée en raison de l’absence de gliose retrouvée dans la plupart des études anatomopathologiques [18], phénomène qui a largement alimenté l’hypothèse neurodéveloppementale. La découverte que la dégénérescence des tissus cérébraux pouvait relever non seulement de processus nécrotiques mais également de l’apoptose a contribué au regain d’intérêt pour l’hypothèse neurodégénérative. Contrairement aux phénomènes de nécrose qui s’accompagnent d’une réaction inflammatoire et d’une prolifération gliale, la mort neuronale par apoptose survient en l’absence de telles manifestations. Le processus semble continu au cours de la vie d’un organisme et entretient un équilibre avec les phénomènes de régénération tissulaire [25]. Une technique telle que la spectroscopie par résonance magnétique en a permis la quantification, en mettant notamment en évidence une anomalie du métabolisme des phospholipides membranaires dans la schizophrénie, avec à la fois une augmentation de leurs catabolites et une diminution de leurs précurseurs au niveau du cortex préfrontal. Très marquées au début de la maladie, ces anomalies paraissent néanmoins se poursuivre tout au long de l’évolution [25]. Elles sont compatibles avec l’augmentation des taux de phospholipase A2 qui a pu être mise en évidence chez certains patients schizophrènes, la phospholipase A2 catalysant l’hydrolyse des phospholipides membranaires qui elle-même donne lieu à la production de molécules neurotoxiques [25]. Des déficits en enzymes chargées de l’élimination de substances toxiques telles que les radicaux libres, susceptibles de déclencher des phénomènes d’apoptose, ont été également rapportés dans la schizophrénie, qu’il s’agisse des superoxydes dismutases ou des glutathions peroxydases [25]. La prévention de l’apoptose joue un rôle important dans le métabolisme cérébral. Elle est en grande partie liée à l’existence de facteurs neurotrophiques qui sont produits par les cellules cérébrales et inhibent l’initiation des programmes de mort neuronale. Plusieurs études ont ainsi mis en évidence une diminution des taux de NGF (Nerve growth factor) dans le liquide céphalorachidien ou le plasma de schizophrènes non traités [25]. L’hyperglutamatergie qui elle-même pourrait être secondaire à des phénomènes d’hypoglutamatergie a été également évoquée, le glutamate étant neurotoxique à fortes concentrations [34]. À l’inverse de ce que l’on observe dans la maladie d’Alzheimer, le déficit cholinergique ne paraît pas impliqué dans les phénomènes de neurodégénérescence évoqués dans la schizophrénie [14]. Ainsi une étude récente [28] ne retrouve pas d’association entre les scores de démence et l’expression de la sous-unité alpha 7 du récepteur nicotinique dans le cortex préfrontal des patients schizophrènes. L’hypothèse probablement la plus séduisante, mais qui n’est pas incompatible avec plusieurs de celles qui viennent d’être évoquées, fait jouer un rôle central à la dopamine. L’hyperdo-

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paminergie induit fréquemment une hypercortisolémie qui ellemême accentue l’hyperdopaminergie dans un phénomène en boucle, l’hypercortisolémie étant susceptible d’induire une atrophie hippocampique et une détérioration cognitive [39]. D’autres auteurs ont évoqué le rôle de l’hypodopaminergie préfrontale qui a pu être associée à l’existence d’une démence dans un certain nombre d’états pathologiques [14]. Une telle hypodopaminergie serait potentialisée par le déficit dopaminergique lié à la sénescence [7]. L’hyperdopaminergie mésolimbique étant liée à l’hypodopaminergie préfrontale [10], une telle hypothèse pourrait à la fois rendre compte de la relation qui a pu être faite entre répétition des épisodes et démence [32], de l’augmentation du risque avec l’âge et de la localisation des lésions. Certains auteurs évoquent cependant la possibilité de processus en partie indépendants pour rendre compte au sein du « groupe des schizophrénies » des pathologies neurodéveloppementale, épisodique et neurodégénérative. De tels processus pourraient alors être sous le contrôle de sites génétiques différents [25]. Leur existence, liée à celle de vulnérabilités multiples, a pu, au-delà même des conceptions bleulériennes, alimenter l’idée que la schizophrénie n’était plus qu’un « artefact conceptuel qui ne correspond à aucun regroupement naturel de patients » [6]. Un certain nombre d’études récentes, qu’elles soient d’ordre clinique, neuropsychologique, épidémiologique ou de neuroimagerie, accréditent la notion d’un risque d’évolution démentielle dans la schizophrénie. Si quelques-unes d’entre elles, telles que celles réalisées en spectroscopie par résonance magnétique, laissent à penser que les premières années suivant l’épisode initial sont essentielles pour l’installation de ce risque [25], réhabilitant en cela le concept d’une démence précoce, d’autres, comme les études cliniques et de suivi, font jouer un rôle aggravant et parfois décisif aux effets de l’âge. Les mécanismes sous-tendant ce type de trouble restent hypothétiques mais leur connaissance et leur compréhension pourraient avoir des applications thérapeutiques importantes. En effet, plusieurs études récentes réalisées tant chez l’animal que chez l’homme suggèrent qu’à la différence des neuroleptiques classiques, les antipsychotiques de seconde génération, non seulement ne semblent pas avoir d’effets neurotoxiques [15] mais pourraient avoir des propriétés neurotrophiques [24,30] ainsi que des effets sur la neurogenèse [38]. Les premiers résultats d’une étude clinique comparative de l’olanzapine et de l’halopéridol sur un suivi de deux ans chez des patients en premier épisode montrent, à l’aide de l’imagerie cérébrale, un effet neuroprotecteur nettement plus marqué avec l’olanzapine qu’avec l’halopéridol dans plusieurs régions du cerveau et notamment au niveau des régions frontales et temporales, assorti d’un effet procognitif plus prononcé [23,27]. Ces travaux ouvrent la voie, dans la mesure où ils s’avéreraient confirmés, à la possibilité d’un effet préventif de l’évolution démentielle par un traitement antipsychotique précoce et approprié. Ils n’excluent pas que d’autres mesures thérapeutiques, telles que la réhabilitation cognitive par exemple, puissent avoir le même type d’effet [19].

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