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lée [4, 5] et il s’agit dans ces cas d’un syndrome auto-immun multiple de type III. La polychondrite atrophiante elle-même est associée dans près de 25 à 35 % des cas à une autre maladie auto-immune ou de système [6-8] ; dans la plupart des séries de polychondrite atrophiante de la littérature, l’association de celle-ci à une thyropathie auto-immune est signalée mais avec une fréquence variable. Kaye et Sones [9] ne la trouvent qu’une fois sur 14 ; Mc Adam et al. [6] en dénombrent quatre cas dans leur série personnelle de 26 polychondrites atrophiantes, et en retrouvent quatre autres dans une revue de littérature de 136 cas. Pour leur part, Ebringer et al. [7] dans leur série de 14 polychondrites atrophiantes, signalent deux cas de thyroïdite et la présence d’anticorps antithyroïdiens isolés chez deux autres patients. Arlet et al. [10] mentionnent cette association une fois sur 12. Dans l’importante série de 112 cas de polychondrite atrophiante de la Mayo Clinic rapportée par Michet et al. [11], l’association à une thyroïdite de Hashimoto est présente quatre fois. Trentham et Le [8] dans leur série de 66 polychondrites atrophiantes trouvent 15 % d’hypothyroïdies. Quant à Piette [12], il ne trouve aucun cas dans sa série personnelle de 29 polychondrites atrophiantes. L’affection auto-immune associée à la thyropathie est habituellement simultanée, plus de 50 % des cas pour Gaches et al. [1] ; moins souvent, elle est diagnostiquée après la maladie thyroïdienne (25 % pour Gaches et al. [1], Clayton [4] et notre observation), et exceptionnellement de façon antérieure [5]. Quelle que soit la chronologie, cette association n’est vraisemblablement pas fortuite. Bien que pathogénie de la polychondrite atrophiante demeure inconnue, plusieurs données suggèrent un mécanisme auto-immun incluant l’intervention de facteurs humoraux et cellulaires [7, 8]. L’association fréquente de la polychondrite atrophiante à d’autres maladies auto-immunes fait évoquer le rôle possible d’un terrain génétique prédisposant particulier, en relation notamment avec le système HLA [5, 8]. La découverte d’une thyropathie auto-immune ou d’une polychondrite atrophiante doit rendre très vigilant quant à la coexistence ou à la survenue ultérieure d’une autre maladie dysimmunitaire compte tenu de la fréquence avec laquelle ces deux maladies se trouvent associées à une ou plusieurs autres affections auto-immunes. 1 Gaches F, Delaire L, Nadalon S, Loustaud-Ratti V, Vidal E. Fréquence des maladies auto-immunes chez 218 patients atteints de pathologies thyroïdiennes auto-immunes. Rev Méd Interne. 1998 ; 19 : 173-9. 2 Humbert P, Dupond J. Les syndromes auto-immuns multiples (SAM). Ann Méd Interne 1988 ; 139 : 159-68. 3 Bouchou K, André M, Cathebras P, Klisnick A, Schmidt J, Aumaître O, et al. Pathologie thyroïdienne et syndromes auto-immuns multiples. Aspects clinique et immunogénétique à propos de 11 observations. Rev Méd Interne 1995 ; 16 : 283-7. 4 Clayton RN, Hoffenberg R. Relapsing polychondritis : an autoimmune disease. Br Med J 1978 ; ii : 999-1000. 5 Takamatsu K, Nishiyama T, Nakauchi Y, Yamano T, Ohno F. A case of insulin dependent diabetes mellitus associated with relap-
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S024886630100443X/COR Rev Méd Interne 2001 ; 22 : 890–1
Polychondrite atrophiante associée à un adénocarcinome rectal et une fibromatose musculoaponévrotique chez une Africaine S.B. Gning1, J.L. Perret1*, B. Cissokho2, M. Sane1, B. Ndoye3 1
Service de médecine interne, hôpital Principal, BP 3006, Dakar, Sénégal ; 2service d’otorhinolaryngologie, hôpital Principal, BP 3006, Dakar, Sénégal ; 3service de biologie, hôpital Principal, BP 3006, Dakar, Sénégal (Reçu le 29 janvier 2001 ; accepté le 6 juin 2001) polychondrite atrophiante / adénocarcinome colique / fibromatose musculoaponévrotique / Afrique relapsing polychondritis / colic adenocarcinoma / muscular aponeurotic fibromatosis / Africa
La polychondrite atrophiante est une maladie rare qui se caractérise par une atteinte inflammatoire récidivante et progressivement destructrice du cartilage prédominant sur les tissus extra-articulaires, principalement ceux des oreilles, du nez et de l’arbre respiratoire. Nous rapportons ici une observation remarquable par sa survenue chez une patiente de race noire et son association à un adénocarcinome rectal en présence d’une fibromatose musculoaponévrotique. Une Sénégalaise née en 1961, mère de deux enfants, sans antécédent personnel ou familial remarquable, a présenté à partir de 1991 un tableau de polychondrite atrophiante qui a débuté par une chondrite trachéale bientôt associée à des loca *Correspondance.
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lisations auriculaires et nasales typiques sur fond de polyarthralgies. En 1992, la constitution d’une sténose de la trachée et 1’échec d’une tentative de résection–anastomose compliquée de paralysie récurrentielle imposaient une trachéotomie définitive. L’examen anatomopathologique pratiqué à cette occasion montrait des plages de destruction cartilagineuse associées à des infiltrats lymphoplasmocytaires et des zones de fibrose. Durant les trois années suivantes, de brèves cures de prednisolone étaient prescrites à l’occasion de poussées inflammatoires espacées. En 1996, l’apparition d’un syndrome rectal associé à une altération de l’état général faisait découvrir une tumeur de l’ampoule contraignant à une amputation abdominopérinéale avec colostomie iliaque gauche. Il s’agissait d’un adénocarcinome liberkhunien bien différencié classé en stade A de Dukes avec un stroma massivement inflammatoire. Devant un bilan d’extension négatif, dont l’absence d’autres localisations à l’endoscopie et à l’examen de la pièce opératoire, aucune mesure thérapeutique complémentaire n’était envisagée. En 1997, les arthralgies devenaient permanentes et invalidantes. Elles s’associaient à de multiples épisodes hémoptysiques qu’une inspection endoscopique limitée depuis la canule rapportait à une importante inflammation trachéale. L’état général était altéré avec une asthénie, une perte de 6 kg, une fébricule à 38 °C et un syndrome inflammatoire biologique marqué. Les recherches d’une éventuelle cause infectieuse associée (surinfection à germes courants, paludisme, tuberculose, infection par le VIH) restaient négatives comme celles d’anticorps antinucléaires ou de facteur rhumatoïde. Une corticothérapie continue, d’abord à 40 mg/j, puis à 20 mg/j était nécessaire. En mai 1999, on découvrait un nodule sous-cutané suspubien droit de 2 cm de diamètre que la biopsie–exérèse identifiera comme une fibromatose musculoaponévrotique. L’état général était alors satisfaisant. La base du nez était déformée en « pied de marmite » et les pavillons des oreilles étaient mutilés mais il n’y avait pas de tuméfaction des cartilages costaux. Les articulations n’étaient ni déformées ni tuméfiées. On retrouvait un syndrome sec buccal avec une histologie de classe Chisolm IV à la biopsie des glandes salivaires accessoires et une surdité mixte bilatérale. Il n’y avait pas d’atteinte oculaire. La radiographie thoracique et l’échographie cardiaque étaient normales. Il n’y avait pas d’anomalie métabolique, hépatique ou rénale. Du méthotrexate était introduit en prise orale hebdomadaire de 7,5 mg en association avec 15 mg/j de prednisolone. La patiente était revue en août pour une phlébite du membre inférieur droit par thrombose fémoro-iliaque alors que les touchers pelviens et une échographie abdominopelvienne étaient normaux. Après une évolution favorable sous traitement anticoagulant par héparine, puis antivitamine K, la patiente consultait deux mois plus tard pour des douleurs de la racine du membre inférieur droit. Une radiographie du bassin objectivait alors une lyse de l’aileron sacré homolatéral et la tomodensitométrie identifiait un blindage tumoral com-
primant l’uretère et la veine cave. Un abord chirurgical mettait en évidence une tumeur inextirpable d’histologie répondant à un adénocarcinome. La malade évoluait dans un tableau de carcinose pelvienne et de cachexie pour décéder en juillet 2000. Les caractéristiques histopathologiques du processus chondritique et la topographie des atteintes satisfont aux critères diagnostiques de polychondrite atrophiante, qu’il s’agisse de ceux de McAdam et al. [1] ou de Michet et al. [2]. Les manifestations articulaires ont été dominées par des douleurs sans fluxions ni déformations, comme c’est souvent le cas [3]. Le déficit auditif peut être d’origine mixte par implication du conduit auditif externe et atteinte cochléovestibulaire directe [4]. L’association avec un syndrome de GougerotSjögren a été plusieurs fois décrite [1]. Des lésions oculaires, fréquemment retrouvées [5], n’étaient pas mises en évidence ici. Il n’y avait pas non plus d’atteinte cardiovasculaire ou rénale qui sont inconstantes [5] mais qui aggravent le pronostic d’un risque viscéral. Les anticorps antiphospholipides, retrouvés chez des sujets porteurs de polychondrite atrophiante et présentant des thromboses veineuses récidivantes [6], n’ont pas été recherchés mais la sérologie syphilitique était négative et le temps de céphaline activée n’était pas allongé. La malade n’a pas bénéficié d’un traitement par dapsone qui peut parfois prévenir et juguler les poussées alors que la place du méthotrexate reste à définir [7]. Avec 550 cas recensés en 1998 [8], la polychondrite atrophiante demeure une affection rare. Bien que réputée ubiquitaire, ce cas constituerait la première observation rapportée en Afrique sub-saharienne. La présentation caricaturale des formes évoluées favorise pourtant l’identification de la maladie. En zone d’endémie lépreuse, les arthralgies et les atteintes céphaliques pourraient évoquer une forme lépromateuse mais l’atteinte auriculaire de cette infection concerne le lobe qui n’est pas touché par la polychondrite atrophiante et les prélèvements adéquats mettraient facilement en évidence le bacille de Hansen. L’association avec un adénocarcinome rectal est d’autant plus remarquable que les cancers rectocoliques sont rares en Afrique [9]. Quelques observations font état d’affections malignes chez des porteurs de polychondrite atrophiante. Il s’agit principalement de myélodysplasies [10] ou de tumeurs lymphoïdes [11] et de néoplasmes d’origine chondrocytaire [12]. La coïncidence d’un cancer colique a été déjà rapportée deux fois [2, 13] et une observation signale une forme métastatique d’adénocarcinome d’origine indéterminée [14]. Un statut « paranéoplasique » a pu être évoqué pour la polychondrite atrophiante devant la précession de la maladie sur la découverte de cancers [15], cependant les effectifs disponibles restent bien trop faibles pour conclure. Les proliférations d’origine fibroblastique à malignité locale de la fibromatose musculoaponévrotique ne semblent pas avoir été décrites dans la polychondrite atrophiante. En revanche, elles se rencontrent volontiers dans la polypose colique familiale [16], entité dont n’était pas suspecte la patiente mais l’absence de vérification autopsique n’autorise pas l’exclu
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sion formelle d’un autre site colique à l’origine de l’envahissement pelvien terminal. Le déterminisme de la polychondrite atrophiante demeure encore mal connu mais des facteurs immunologiques et génétiques interviennent certainement [17]. Dans le cas présenté, on peut noter que les chondrites, l’inflammation majeure du stroma de la tumeur rectale et la fibromatose musculoaponévrotique réalisent différentes atteintes du tissu conjonctif qui pourraient traduire une prédisposition ou une exposition particulières de celui-ci. 1 McAdam LP, O’Halan MA, Bluestone R, Pearson CM. Relapsing polychondritis. Prospective study of 23 patients and review of the literature. Medicine (Baltimore) 1976 ; 55 : 193-215. 2 Michet CJ, McKenna CH, Luthra HS, O’Fallon WM. Relapsing polychondritis, survival and predictive role of early disease manifestations. Ann Intern Med 1986 ; 104 : 74-8. 3 Balsa A, Expinosa A, Cuesta M, MacLeod TI, Cijon-Banos J, Maddison PJ. Joint symptoms in relapsing polychondritis. Clin Exp Rheumatol 1995 ; 13 : 425-30. 4 Molina JF, Espinosa LR. Relapsing polychondritis. Baillières Best Pract Res Clin Rheumatol 2000 ; 14 : 97-109. 5 Zeuner M, Straub RH, Albert ED, Scholmerich J, Lang B. Relapsing polychondritis : clinical and immunological analysis of 62 patients. J Rheumatol 1997 ; 24 : 96-101. 6 Empson M, Adelstein S, Garsia R, Britton W. Relapsing polychondritis presenting with recurrent venous thrombosis in association with anticardiolipin antibody. Lupus 1998 ; 7 : 132-4. 7 Trentham DE, Le CH. Relapsing polychondritis. Ann Intern Med 1998 ; 129 : 114-22. 8 Miyasaka LS, de Andrade A, Bueno CE, Atallah AN. Relapsing polychondritis. Rev Paul Med 1998 ; 116 : 1637-42.
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