Sociologie du travail 44 (2002) 337–355 www.elsevier.com/locate/soctra
Quand les normes de pratiques deviennent une ressource pour les médecins When standards become a resource for doctors: The case of oncology Patrick Castel *, Ivanne Merle Centre de sociologie des organisations (CSO–FNSP–CNRS), 19, rue Amélie, 75007 Paris, France
Résumé La thèse développée dans cet article questionne l’idée reçue selon laquelle la normalisation des pratiques médicales est un phénomène allant contre l’intérêt des médecins. Dans le domaine de la cancérologie, les représentants du corps médical tiennent une place prépondérante dans l’initiation de la démarche et les normes de pratique représentent pour eux des ressources dans l’exercice de leur activité. Premièrement, ces règles sont une aide à la décision et un outil pour accroître leur légitimité vis-à-vis de l’extérieur. Deuxièmement, elles sont peu précises ; en conséquence, les médecins peuvent les adapter, se les approprier et apprendre éventuellement à y voir des avantages qu’ils n’avaient pas perçus au premier abord. Cette possibilité de mise en forme locale des règles et les mécanismes d’apprentissage qu’elles autorisent sont, pour les auteurs, une des raisons fondamentales qui expliquent que les médecins les acceptent. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The standardization of medical practices is generally presented as going against doctors’ interests. In oncology, the representatives of the medical corps have a preponderant position in initiating standardization procedures; for these doctors, standards are resources in the exercise of
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P. Castel). > Nous tenons à remercier Sebastien Dalgalarrondo, Erhard Friedberg et Christine Musselin pour leur aide et leurs précieux conseils, ainsi que Lynda Sifer pour sa participation à cette étude. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 0 3 8 - 0 2 9 6 ( 0 2 ) 0 1 2 3 7 - 2
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their profession. Since standards are not very precise, the doctors can adapt them as a function of their interests and of relations within the medical corps at the local level. They can appropriate them and eventually learn to see advantages in them, which they did not notice at first. The learning mechanisms for which standards allow and the possibility for locally formulating regulations are basic reasons why doctors accept standards for their practice of medicine. © 2002 E´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Pratique médicale; Normalisation; Système de santé; Cancérologie Keywords: Medical practices; Standardization; Health system; Oncology; France
En France, on assiste depuis une dizaine d’années à un mouvement de rationalisation des pratiques médicales, dont l’introduction des références médicales opposables1 par la loi du 4 janvier 1993 et l’instauration d’un système d’information de santé2 par les ordonnances du 24 avril 1996 constituent les mesures législatives et réglementaires les plus marquantes. La cancérologie a été particulièrement concernée par ce mouvement. Les médecins impliqués dans la prise en charge des patients atteints de cancer ont non seulement été visés par les mesures destinées à l’ensemble de la profession médicale, mais ils ont été aussi la cible de mesures plus spécifiques : les principes directeurs de ces mesures ont été mentionnés dans une circulaire en mars 19983 et ont été réaffirmés en 2000 dans le Programme national de lutte contre le cancer, du secrétariat d’État à la Santé et à l’Action sociale, plus connu sous le nom de « plan cancer ». Dans la plupart des études qui lui sont consacrées, la normalisation des pratiques médicales est présentée comme une composante du mouvement plus général de rationalisation du système de santé. Elle aurait été conçue pour « chasser les « mauvaises » pratiques », éliminer les dépenses inutiles et rendre ainsi le système de santé français plus efficient (Kerleau, 1998). Il s’agirait d’un phénomène extérieur et défavorable aux médecins, qui trouverait son fondement dans un ensemble de contraintes législatives et réglementaires que les pouvoirs publics imposeraient pour contrôler les pratiques et limiter l’autonomie des médecins (Ogien, 2000). Deux types d’arguments sont avancés pour montrer que ce mouvement va à l’encontre des intérêts des médecins. Le premier est qu’il se heurte à leur conception de la médecine, par la dépersonnalisation des soins qu’il entraîne. Selon certains auteurs, il existerait en effet deux
1 De nombreuses études ayant mis en évidence des disparités dans les pratiques médicales (entre zones géographiques, entre établissements de soins et entre médecins), des normes de pratiques, appelées RMO (références médicales opposables), ont été élaborées pour éliminer les « actes non nécessaires ou inadéquats » (Kerleau, 1998). 2 Le système d’information de santé a été mis en place « dans l’intention affichée de donner aux responsables politiques et administratifs les moyens de juger, sur une base objective, de la validité et de l’opportunité des pratiques thérapeutiques mises en œuvre » (Ogien, 2000). 3 Circulaire DGS/DH n° 98/188 du 24 mars 1998 relative à l’organisation des soins en cancérologie dans les établissements d’hospitalisation publics et privés.
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approches différentes et a priori concurrentes de la médecine4. La première considère la santé comme un bien privé qui nécessite une prise en charge curative personnalisée, centrée sur les intérêts des patients. Dans cette approche, le médecin accorde une grande importance aux caractéristiques psychologiques et sociales propres à chaque patient et propose les traitements les plus adaptés à sa situation, selon « les règles de l’art ». Les relations de confiance et d’intimité qui s’instaurent au fil du temps entre le médecin et son patient, le respect du secret professionnel et l’unicité de tout acte thérapeutique seraient des valeurs fondamentales dans cette conception individuelle de la médecine. Ces valeurs opèreraient de fait une différenciation entre les médecins et entre les patients dans la mesure où les spécificités de chaque individu, qu’il soit soignant ou soigné, interviennent de manière totalement légitime lors du « colloque singulier » (Ogien, 2000 ; Setbon, 2000). La seconde approche de la médecine est au contraire intrinsèquement collective : elle opère un glissement de la conception du soin comme « acte individuel » vers une conception du soin comme « produit d’un système organisé » (Setbon, 2000, p. 54). La santé est alors appréhendée comme un droit que les pouvoirs publics confèrent à leurs citoyens. Ce droit à la santé réclame une prise en charge à la fois curative et préventive, fondée sur des études cliniques réalisées dans une perspective statistique et probabiliste sur des cohortes d’individus (Berg, 1995). Cette conception de la médecine serait partagée par les acteurs politiques, les représentants des autorités de tutelle et les directeurs d’établissements de soins. Elle aurait en revanche peu de succès auprès des médecins, car leur tâche se limiterait dès lors à appliquer les guides de pratiques établis selon les « normes scientifiques » et les patients seraient assimilés à de simples probabilités statistiques. Cette conception de la médecine opèrerait une sorte d’homogénéisation entre les médecins et entre les patients, qui deviendraient de simples offreurs et demandeurs substituables sur le marché de la santé. Le second argument se fonde sur la réduction de l’autonomie médicale et sur la modification des relations de pouvoir que la normalisation des pratiques impliquerait entre le médecin et les autres acteurs, et cela, bien que les guides de pratiques soient généralement élaborés par des représentants du corps médical. Pour Eliot Freidson (Freidson, 1985), la normalisation des pratiques médicales engendre un processus de stratification interne à la profession médicale par la distinction hiérarchique qu’elle opère entre ceux qui élaborent les normes et ceux qui les appliquent. D’autres auteurs soulignent que ces guides de pratiques, une fois élaborés, accroissent sensiblement les risques de contrôle externe exercé sur les médecins (Ritzer et Walczak, 1988 ; Chandernagor et Dumond, 1996). Ils constituent en effet une ressource potentiellement mobilisable par les acteurs extérieurs à la profession médicale – les pouvoirs publics, les autorités de tutelle, les directeurs d’établissements de soins, les compagnies d’assurance, les patients, les juges… – qui ont intérêt pour des raisons politiques, comptables, financières ou juridiques à « ouvrir une brèche dans le monopole détenu par la profession médicale » lors de la phase de prise de décision thérapeutique (Setbon, 2000, p. 60).
4 Philippe Mossé (Mossé, 1998), Jozien Bensing (Bensing, 2000), Albert Ogien (Ogien, 2000) et Michel Setbon (Setbon, 2000), par exemple, s’inscrivent dans un tel cadre d’analyse, même s’ils représentent des disciplines différentes : économie, santé publique et sociologie.
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Par rapport à ces analyses, la thèse que nous développons dans cet article est relativement atypique. Dans le domaine de la cancérologie, non seulement les représentants du corps médical tiennent une place prépondérante dans l’initiation de la démarche de normalisation, mais, en outre, les autres médecins y adhèrent massivement et y participent activement. Certes, ils expriment certaines réticences quant aux risques qu’une utilisation de ces règles formalisées par les acteurs extérieurs conduise à mieux contrôler leur pratique. Mais ils sont en premier lieu sensibles aux ressources qu’elles représentent pour l’exercice de leur activité. De plus, ces règles générales nécessitant une déclinaison locale et n’étant pas trop précises, les médecins locaux peuvent les adapter en fonction de leurs enjeux et des relations qu’ils entretiennent entre eux, se les approprier et apprendre éventuellement à y voir des avantages qu’ils n’avaient pas perçus au premier abord. Cette possibilité de mise en forme locale des règles est, selon nous, une des raisons fondamentales qui expliquent que les médecins y adhèrent. Nous nous appuyons sur les résultats de quatre enquêtes menées dans des régions présentant des caractéristiques différentes. Près de 150 entretiens ont été entrepris à cette occasion auprès de médecins impliqués dans la prise en charge de patients atteints de cancer, de directeurs d’établissements de soins et de représentants des autorités de tutelle. Conduits de manière semi-directive, ils visaient à interroger la place occupée par les outils de normalisation dans la pratique des médecins et dans les relations qu’ils entretiennent avec les autres acteurs.
1. Des cancérologues à l’origine de la normalisation des pratiques La prise en charge des patients atteints de cancer fait intervenir de multiples acteurs médicaux : des généralistes, des spécialistes d’organes (gynécologues, pneumologues, gastro-entérologues…), des radiologues, des anatomo-pathologistes5, des chirurgiens, des radiothérapeutes, des chimiothérapeutes… Des stratégies thérapeutiques, c’est-à-dire des traitements combinés dans un ordre défini, sont proposées par les médecins aux patients atteints de cancer dès que le diagnostic a été établi. Il existe principalement trois moyens de traitement du cancer : la chirurgie, qui permet de retirer des tumeurs cancéreuses lors d’opérations ; la radiothérapie, qui consiste à circonscrire ou à détruire les cellules cancéreuses en les exposant à des rayons X ; et la chimiothérapie, qui vise à détruire les cellules cancéreuses ou à maîtriser leur prolifération à l’aide de médicaments administrés le plus souvent par voie veineuse. La mise en œuvre des traitements n’a aucun caractère automatique : la prise de décision thérapeutique est une tâche à part entière pour les médecins et les chances de survie des patients sont directement fonction de la qualité de cette décision. Compte tenu du nombre de médecins qui sont susceptibles d’intervenir et du fait que les différents 5 Les anatomo-pathologistes sont des médecins spécialisés dans l’étude des modifications de forme ou de structure provoquées par les maladies au sein des organes. Grâce à des analyses microscopiques de cellules (cytologie) et de tissus (histologie) de l’organisme, les anatomo-pathologistes parviennent à confirmer ou à infirmer un premier diagnostic de cancer et à déterminer le type de cancer dont il s’agit.
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médecins impliqués exercent souvent dans des structures de soins différentes – CLCC (centres de lutte contre le cancer)6, CHU (centres hospitaliers universitaires), centres hospitaliers généraux, cliniques privées à but lucratif ou non lucratif et cabinets libéraux –, une coordination est perçue comme nécessaire. Or, depuis 1998, deux principes sont censés organiser cette prise de décision : les cas des patients doivent être examinés collectivement par les représentants des différentes spécialités susceptibles d’intervenir dans leur prise en charge et la décision doit être fondée sur des schémas de prise en charge élaborés a priori et scientifiquement valides7. Même si les pouvoirs publics, à travers la circulaire de mars 1998 et le Plan cancer de 2000 (cf. supra), ont repris à leur compte ces principes pour encadrer la prise de décision thérapeutique et en font l’un des leviers principaux de l’amélioration de la prise en charge des patients atteints de cancer, ces principes ont une origine plus ancienne et ce sont des médecins (et en particulier des cancérologues des CLCC) qui ont tenté de les promouvoir au départ. En effet, la participation concertée des différents praticiens spécialistes à la définition de la stratégie thérapeutique est un principe fondamental de fonctionnement des CLCC. Dès les années 1920, avec l’émergence des traitements du cancer par rayons, les médecins fondateurs des centres anticancéreux ont souhaité que le radiothérapeute prenne place, aux côtés du chirurgien et du « médecin de famille », « dans le conseil devant lequel le cas de chacun de ces malades [devait] être examiné » (Regaud, 1926)8. Théoriquement, chaque cas devait donc être débattu entre les différents médecins pour décider de la stratégie à adopter. Avec l’arrivée des traitements médicaux dans les années 1970 (Löwy et Gaudillière, 1998), c’est le chimiothérapeute qui est désormais appelé à côtoyer le chirurgien, le radiothérapeute, ainsi que les spécialistes du diagnostic. Pour tenter de structurer cette collégialité, les directeurs des CLCC ont mis alors en place progressivement des comités dits « pluridisciplinaires » qui réunissent à fréquence régulière les représentants des différentes spécialités et au sein desquels les dossiers des malades sont examinés. « La décision concernant le traitement est prise en commun, après que chacun a pu exprimer ses possibilités et proposer ce qui, pour le malade en cause, semble plus judicieux et en particulier, le plus simple » (Denoix, 1982, p. 7). Au cours de cette période, les directeurs des CLCC continuent de défendre cette organisation qui est selon eux la plus adaptée à la lutte contre le cancer par rapport à l’organisation plus traditionnelle de la médecine, fondée sur la prise de décision individuelle (Denoix, 1972). Ils opposent en particulier le 6 Les CLCC sont des établissements de soins privés à but non lucratif, participant au service public hospitalier. Leur direction est assumée par un médecin, nommé par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Ils ont des missions de soin, d’enseignement et de recherche. Il existe 20 CLCC en France, rassemblés depuis 1964 au sein d’une fédération patronale et scientifique. 7 Au-delà du système de santé, ce processus présente également des points communs avec les démarches d’assurance qualité mises en place dans le secteur industriel, puisqu’il s’agit ici de procédures formalisées qui, une fois élaborées collectivement, sont supposées encadrer certaines pratiques et décisions individuelles (Cochoy et al., 1998 ; Dubuisson, 1999). Certains acteurs médicaux s’en revendiquent d’ailleurs explicitement. 8 Dans son histoire de la lutte contre le cancer en France, Patrice Pinell (Pinell, 1992) a montré comment les initiateurs de la lutte contre le cancer avaient réussi à ce que les centres anticancéreux soient fondés sur ce principe de collégialité inspiré de l’organisation de la « médecine de guerre ».
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modèle « transversal » des CLCC, qui se caractérise par la participation conjointe de médecins spécialisés à la fois dans la pathologie « cancer » et dans une technique de traitement, au modèle de prise en charge « vertical » des autres établissements, au sein desquels le malade est confié à un service spécialisé dans un organe. Selon eux, ce modèle « vertical » présenterait le risque de favoriser la technique dominante du service (le plus souvent la chirurgie) sans débattre des autres options thérapeutiques, en même temps qu’il rendrait plus difficile le traitement du cancer quand il touche plusieurs organes. À partir des années 1980, des rapports publics ont encouragé la diffusion de ce modèle dans les autres établissements de soins et ont noté les disparités entre eux dans ce domaine (Cachin, 1986 ; Igas, 1993), sans trouver d’écho réglementaire avant 1998. Quant à l’élaboration de guides de pratiques en cancérologie, elle s’inscrit dans un mouvement plus général de développement des recommandations de pratique clinique en médecine depuis une dizaine d’années (Bensing, 2000). Ce sont des propositions développées avec méthode et destinées à aider le praticien et le patient à prendre la décision appropriée sur la conduite thérapeutique à tenir dans des circonstances cliniques données (Institute of Medicine, 1990). De façon schématique, on peut distinguer celles qui s’appuient sur les avis d’experts reconnus (appelés fréquemment conférences de consensus) de celles qui sont établies à partir d’une analyse critique de la littérature, fondée sur une quantification du niveau de preuve scientifique (Durieux et Roche, 1995 ; Sauvagnac, 2000). Cette dernière méthode a pour but de limiter la subjectivité des préconisations dont la première peut être accusée. Parfois, ces deux approches sont combinées : l’avis des experts est mobilisé lorsque les données de la science sont insuffisantes ou absentes. Un tel mouvement est observable dans le domaine particulier de la cancérologie. En fonction du stade de la prise en charge du cancer (phase de diagnostic, de traitement ou de suivi post-thérapeutique) et de la gravité de la maladie9, des schémas de prise en charge sont définis a priori. Ces schémas précisent, quand il y a lieu, les articulations entre les différents types de traitement, c’est-à-dire l’ordre dans lequel le chirurgien, le chimiothérapeute et le radiothérapeute interviennent. Ils ont donc pour but de déterminer le mode de coordination des différents intervenants. L’entreprise la plus ambitieuse à ce jour a été lancée en 1993 par la FNCLCC (Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer). En réponse à un rapport de l’Igas (Igas, 1993) qui posait la question de l’utilité de maintenir le statut particulier des CLCC, la FNCLCC lança notamment un programme d’amélioration de la qualité des soins, afin de justifier l’existence de ces établissements spécialisés. Un des axes de ce programme10 consiste à élaborer des guides de pratiques pour la prise en charge des tumeurs de l’adulte et de l’enfant à partir d’une information scientifique, validée et classée en fonction du niveau de preuve existant et du degré de cohérence des données disponibles. Il a pour double objectif d’homogénéiser les pratiques inter-CLCC et de 9 Depuis les années 1950, les cancérologues ont élaboré une nomenclature internationale (dite TNM) qui permet de classer les tumeurs cancéreuses en fonction de leur étendue (Ménoret, 1999). Ce faisant, elle facilite l’élaboration de recommandations, puisqu’elle identifie des stades de la maladie auxquels pourront correspondre des traitements spécifiques. 10 L’autre axe concerne le lancement d’une démarche d’accréditation dans les CLCC (cf. Robelet, 2001).
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diffuser les bonnes pratiques dans les autres établissements11. Là aussi, ce n’est qu’en 1998 que les pouvoirs publics ont affirmé la nécessité de tels guides en cancérologie.
2. Les intérêts de la normalisation des pratiques médicales 2.1. La normalisation au service d’objectifs stratégiques variés Dans chacune des quatre régions étudiées, des guides de pratiques sont élaborés et des réunions pluridisciplinaires et interétablissements de prise de décisions thérapeutiques se mettent en place dans le cadre de réseaux, dont la normalisation des pratiques constitue explicitement le cœur du projet. Cela nous paraît significatif de la volonté des médecins qu’elle soit une démarche concertée et consensuelle, car ces réseaux représentent pour leurs membres une nouvelle organisation formelle12, maîtrisée par des représentants (en majorité médicaux) des établissements, au sein de laquelle il n’existe pas de liens hiérarchiques établis et qui est censée dépasser les oppositions traditionnelles (entre établissements de soins, entre secteur public et secteur privé…). Pour autant, les objectifs initiaux de ces réseaux et de la normalisation qu’ils entendent tous promouvoir divergent selon les régions. Dans la région Vastecontrée, le directeur du CLCC a initié la démarche de normalisation au début des années 1990, soit avant même la parution des textes officiels redessinant l’organisation de la lutte contre le cancer. Elle visait à repositionner le CLCC dont l’activité avait ralenti en raison de la concurrence avec les autres établissements de la région : trois CHU qui revendiquent un leadership scientifique à côté du CLCC et un nombre croissant d’hôpitaux publics et privés qui développent une activité cancérologique. Il était attendu de la création d’un réseau régional, au sein duquel les médecins définiraient en commun des stratégies thérapeutiques et développeraient des réunions pluridisciplinaires, qu’il permette d’améliorer les relations des médecins du CLCC avec les autres médecins. Le CLCC renonçait aux traitements standards qui pouvaient être effectués à proximité du domicile des patients, favorisait cette prise en charge de proximité par le travail sur l’harmonisation des pratiques et la transmission de connaissances et en retour, espérait se voir confier les traitements plus complexes. Dans cette perspective, la démarche d’élaboration de guides de pratiques était voulue la plus large possible : tous les médecins de la région ont été invités à participer aux groupes de travail qui devaient couvrir l’essentiel des pathologies cancéreuses. Au total, entre deux et trois cents médecins, répartis en une dizaine de groupes de travail, ont participé régulièrement à ces travaux qui ont abouti à la rédaction de plusieurs centaines de pages d’arbres décisionnels, et continuent de se rencontrer à fréquence régulière pour les 11 L’élaboration des 45 premiers documents a mobilisé près de 1500 praticiens, dont près de la moitié à l’extérieur des centres, un conseil scientifique composé exclusivement de personnalités extérieures et une équipe permanente de documentalistes et de méthodologistes. 12 Chaque réseau a un statut juridique, du personnel et des objectifs propres, ainsi qu’un conseil d’administration constitué d’individus provenant de différents établissements ou institutions.
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actualiser. Dans un premier temps, les médecins des trois CHU n’ont pourtant pas participé à la démarche en raison de la concurrence qui existait entre CHU et CLCC. Le cas de la région Calmeplaine est similaire dans la mesure où il s’agit d’une démarche précoce, initiée par le directeur du CLCC, impliquant un nombre très élevé de médecins de la région et visant à améliorer la coordination entre les établissements. Toutefois, les motivations initiales sont un peu différentes : le CLCC souffrait d’une suractivité en raison d’une offre régionale en cancérologie moins développée qu’à Vastecontrée. Les médecins du CHU, qui ont développé des activités complémentaires à celles du CLCC, sont partie prenante. Faciliter le développement de la prise en charge de proximité par une normalisation des pratiques devait permettre à ces deux établissements de se recentrer sur des prises en charge plus complexes et de se repositionner en anticipant un développement futur de l’offre régionale. L’initiation de la démarche de normalisation peut répondre également à une stratégie défensive vis-à-vis de l’évolution de la politique sanitaire, c’est-à-dire que l’objectif prioritaire est de s’y conformer, afin d’éviter toute stigmatisation par les autorités de tutelle – l’ARH (Agence régionale de l’hospitalisation) en particulier –. C’est le cas de la région de Vertevallée. En dépit de la concurrence qui oppose les structures de soin dans cette région, des médecins issus du CLCC, d’un des deux CHU de la région et de deux structures représentatives des médecins libéraux, ont décidé de s’organiser en réseau lorsque les ordonnances du 24 avril 1996 ont été promulguées. Bien que ces médecins aient immédiatement perçu cette forme d’organisation des soins comme un outil de contrôle potentiellement utile aux autorités de tutelle, ils ont également très vite pris conscience qu’un tel réseau pourrait être conforme à leurs intérêts respectifs s’ils s’engageaient dans sa conception13. Malgré le climat de méfiance réciproque qui régnait au départ, ils sont finalement parvenus au consensus suivant : le réseau allait être structuré par et pour les médecins. Une telle stratégie s’apparente à celle décrite par Franck Cochoy pour la mise en œuvre des démarches qualité : il s’agit pour certains acteurs de « prendre les devants » et « de s’imposer à soi-même et de façon préventive des mesures de contrôle proches de celles que l’État pourrait à tout moment de toutes façons imposer » (Cochoy, 2001, p. 103). L’une des actions concrètes devant légitimer l’utilité du réseau fut l’élaboration de guides de pratiques. Dans cette optique, la démarche peut être plus limitée au départ et moins participative ; l’essentiel est de montrer de la bonne volonté. Ainsi, alors que les groupes de travail chargés de concevoir ces guides devaient être initialement composés de médecins volontaires, ils n’ont finalement réuni que des médecins qui s’étaient très rapidement impliqués dans la construction du réseau de soins. À l’heure actuelle, les guides de pratiques, diffusés aux autres établissements de la région, couvrent quatre localisations tumorales et d’autres sont en cours d’élaboration. Dans le cas de la région Métropole, le processus de normalisation vise à la fois à se conformer aux orientations de la politique sanitaire et à améliorer la coordination entre offreurs de soins. Sous la pression financière d’une ARH qui faisait de la collaboration 13 On peut ici faire le rapprochement avec les phénomènes d’isomorphisme mis en évidence par John W. Meyer et Brian Rowan (Meyer et Rowan, 1977), où il s’agit de ressembler, d’un point de vue formel, à ce qui paraît légitime.
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entre CHU et CLCC l’un des axes majeurs de sa politique régionale, les responsables des deux établissements ont entamé des discussions pour s’y conformer. L’élaboration de guides de pratiques communs sur quelques localisations tumorales et la mise en place de réunions pluridisciplinaires interétablissements ont été un moyen d’y parvenir. Selon les médecins des deux structures, ce travail en commun a atténué la perception d’une concurrence entre eux. À côté de cela, les deux structures qui souffraient d’une suractivité par rapport à leurs moyens disponibles ont proposé aux médecins des autres structures régionales de participer à un réseau de télémédecine pour améliorer la coordination régionale. Les médecins du CLCC et du CHU conseillent les médecins des autres structures et leur laissent les cas standard. En retour, ils se voient confier les cas plus rares. De leur côté, les autres établissements espèrent tirer de cette collaboration une plus grande légitimité auprès des patients et de l’ARH, ainsi que l’acquisition de connaissances supplémentaires auprès des médecins spécialisés. 2.2. L’adhésion des médecins à la démarche Les représentants des établissements ne sont pas les seuls moteurs de la normalisation des pratiques médicales. Non seulement les autres médecins y participent, mais ils y trouvent des avantages pour l’exercice de leur activité. 2.2.1. Une aide concrète dans leur activité Les guides de pratiques et les réunions de concertation pluridisciplinaire sont avant tout perçus par les médecins comme des outils qui leur apportent une aide concrète dans leur travail quotidien. Certes, certains expriment des réticences quant à l’éventuelle dépersonnalisation des soins que ces dispositifs peuvent entraîner. « Il y a le facteur humain qui est un peu limite dans les référentiels de pratique, il y a la sensibilité propre de chacun, il y a ce que ressent le patient quand il est à votre place et quand on lui explique ce qu’on va faire. […] Certains professeurs ont peut-être perdu un peu le terrain. Ils se basent sur des statistiques, des protocoles, des essais. Ils ont un peu perdu le drame humain que cela peut représenter. […] Tout mon raisonnement est sous-tendu par une prise en charge aussi personnalisée que possible. » (Chirurgien.)14
Mais, même ceux-là considèrent avant tout que ces dispositifs leur permettent de résoudre les difficultés auxquelles ils se heurtent lors de la phase de prise de décision thérapeutique. En effet, en premier lieu, les informations que les médecins doivent mobiliser pour choisir des traitements adaptés à la situation particulière des patients qu’ils prennent en charge étant de différentes natures (médicales, scientifiques, psychologiques sociales…), de différentes provenances (littérature scientifique, référents universitaires, confrères, représentants de l’industrie pharmaceutique…) et en évolution constante (la cancérologie est un domaine où les connaissances scientifiques évoluent à 14 Les extraits d’entretiens que nous citons ne sont pas des cas isolés, mais illustrent des points de vue exprimés de façon récurrente par les médecins interrogés.
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un rythme extrêmement rapide et la maladie elle-même est évolutive), la mobilisation et le traitement des informations disponibles s’avèrent particulièrement complexes. « Je savais que je modifiais ma pratique, mais je ne savais pas pourquoi. On se demandait pourquoi on faisait telle chimiothérapie au lieu de telle autre. Était-ce pour faire plaisir à tel laboratoire ? J’avais perdu toute confiance dans les essais thérapeutiques. Je voyais une profusion de publications. Sur le sein, il y en avait 5 000. Sur les 5 000, lesquelles je prends ? Je fais un jeu de fléchettes ? » (Chimiothérapeute.)
Dans la mesure où les guides de pratiques offrent une synthèse des principales connaissances médico-scientifiques, ils opèrent une sélection parmi le flux d’informations que le médecin est supposé traiter. Le médecin accède donc plus facilement aux informations et voit ainsi sa charge de travail allégée sur ce plan. En outre, parce qu’ils sont élaborés collectivement et validés par des experts, ils ont une dimension rassurante, dans un contexte d’action où l’erreur a un coût très important, puisqu’il en va de la survie du patient. « Vous savez finalement, utiliser les référentiels [du réseau], cela revient à suivre les avancées de la science. C’est plus facile d’accéder aux informations, ça a un côté pratique. C’est plus facile que d’aller dans les cartons chercher des informations, c’est un gain de temps. » (Médecin interniste.)
De la même manière, les réunions de concertation pluridisciplinaire facilitent à la fois l’accès aux informations pour les médecins et sont rassurantes. D’un côté, en effet, elles concentrent « dans une unité de lieu et de temps » toutes les informations qui doivent être mobilisées au cours du processus de décision thérapeutique : résultats des différents examens et autres informations qui ont une influence sur la prise de décision (situation professionnelle et familiale, état psychologique…). De l’autre, elles leur permettent d’échapper en partie à l’incertitude à laquelle ils sont soumis quand ils doivent prendre une décision individuellement, dans la mesure où elles favorisent le cumul des connaissances de tous les participants, la confrontation des points de vue de chacun et la prise de décision collective. Elles permettent aux médecins de faire valider certaines de leurs décisions ou d’amener à la discussion des cas qui correspondent mal aux guides de pratiques existants. « Dans les référentiels, il y a toujours des choix, ce sont des arbres de décision qui attendent une réponse oui/non. Mais souvent en médecine, la réponse c’est « c’est foireux », « c’est gris ». Pour réduire la marge d’incertitude, c’est intéressant d’être en groupe. Le fait qu’il y ait des avis contradictoires peut faire pencher la balance. » (Gastro-entérologue.) « Après, on voit l’intérêt de prendre la décision à plusieurs. On a le droit d’avoir des doutes [quand on prend une décision]… C’est pas un panaris ! Après, l’intérêt, c’est d’avoir des informations, parce que vous pouvez ne pas avoir été à un congrès, on vous renseigne sur le dernier truc. Vous apprenez des choses. » (Chirurgien.)
Les dispositifs de normalisation permettent ensuite aux médecins de devenir acteurs de leur formation. Selon eux, le fait de participer activement à l’élaboration des guides de pratiques à l’échelle régionale les aide à se les approprier, d’une part et le fait de
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retranscrire les différentes étapes des décisions thérapeutiques prises en réunions de concertation pluridisciplinaire dans un compte rendu écrit les aide à s’en souvenir quand ils rencontrent de nouveau un cas similaire, d’autre part. « Il faut comprendre que dans les référentiels, il y a un énorme côté pédagogique. […] Le gastro-entérologue ou le chirurgien qui est dans son coin et qui ne fait pas que du cancer, il va acquérir une formation. Mais il ne suffit pas de dire : « j’ai un référentiel et je l’applique », il faut s’impliquer dans l’élaboration du thésaurus, voir ce qu’il y a dans la littérature, voir ce qu’il y a dans les revues spécialisées – parfois, il y a des choses passionnantes, parfois, il y a des conneries. Parce que vous participez à la rédaction des référentiels, vous les connaissez, c’est important et surtout vous les implémentez, vous les faites vôtres. […] Les [comités de concertation pluridisciplinaire] ont exactement la même vertu pédagogique. » (Chirurgien.)
Si ces dispositifs sont effectivement perçus par les médecins comme des médias pertinents pour accéder aux informations indispensables, ils sont plus que cela à leurs yeux : ce sont de véritables outils d’aide à la décision. Les guides de pratiques attirent l’attention des médecins sur les questions qu’ils doivent se poser et leur proposent des solutions préétablies. « On a le bilan d’extension, le bilan de l’état du malade, qui permettent de cataloguer le malade dans les différents standards. On a des contre-indications à éliminer […] et normalement, on arrive à mettre les patients dans les cases. » (Gastro-entérologue.)
Les médecins espèrent ainsi gagner en autonomie par rapport à leurs pairs : ils peuvent se référer de plus en plus aux normes établies collectivement et répertoriées formellement dans les guides de pratiques au lieu de dépendre systématiquement de l’avis de référents universitaires ou même du conseil informel de collègues15. « Les référentiels, ça me sert de guide d’un point de vue pratique. Comme on est seul dans les petits centres comme le nôtre, on a besoin de documents sûrs qu’on peut consulter n’importe quand, sans déranger tout le monde. » (Chirurgien.)
Les médecins estiment en outre que ces dispositifs contribuent à améliorer la qualité de la prise en charge des patients atteints de cancer en réduisant considérablement la part occupée par les facteurs subjectifs dans les décisions thérapeutiques. De nombreux 15 Il nous semble intéressant de relier l’incertitude à laquelle sont soumis les médecins lorsqu’ils doivent prendre une décision thérapeutique à l’analyse proposée par Lucien Karpik (Karpik, 1996) sur les situations d’incertitude auxquelles sont confrontés les offreurs et les demandeurs lors des échanges marchands. Bien que nos objets d’étude soient relativement différents, nous avons constaté que les dispositifs mobilisés par les acteurs pour réduire l’incertitude à laquelle ils font face présentent des caractéristiques communes. Dans notre cas, les médecins ont aussi recours à des « dispositifs de jugement ». Certains dispositifs sont fondés sur « la confiance personnelle » et le recours aux réseaux de relations interpersonnelles (cas de réunions pluridisciplinaires). D’autres sont fondés sur « la confiance impersonnelle », le recours à des « classements » et à des « guides » (cas des guides de pratiques). Si le « réseau » permet aux médecins de capitaliser les savoirs et les expériences de leurs confrères, les guides de pratiques présentent des avantages substantiels à leurs yeux : ils permettent de hiérarchiser les différentes solutions possibles selon leur efficacité (les niveaux de preuve), donnent une validité objective à ces solutions et présentent les avantages de la formalisation (les guides sont facilement reproductibles et toujours mobilisables).
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médecins considèrent en effet que leur perception des problèmes et les solutions qu’ils proposent pour les résoudre sont nécessairement perturbées par de tels facteurs : leur relation avec le patient et leur spécialité sont par exemple des éléments qui peuvent avoir un impact direct sur la décision prise. À leurs yeux, les guides de pratiques et les réunions de concertation pluridisciplinaire sont des garde-fous qui les obligent à évacuer cette part de subjectivité pour choisir les traitements parfaitement conformes aux données de la science et adaptés aux patients. Ils sont aussi une incitation à s’intéresser aux informations qui sortent de leur spécialité et à découvrir ainsi de nouveaux traitements. « Les comités de concertation ont amélioré les pratiques, parce que plus on connaît la spécialité du camarade, plus on peut travailler ensemble. Pour résoudre un problème, par exemple, il peut y avoir plusieurs techniques. Si vous ne connaissez qu’une seule technique, vous aurez tendance à l’utiliser à chaque fois. Or il est possible qu’un collègue utilise une autre technique plus efficace. Par exemple, une technique peut être meilleure parce qu’elle n’oblige pas à endormir un patient âgé. » (Chimiothérapeute.)
2.2.2. Une source de légitimation de leurs pratiques vis-à-vis des tiers Le processus de normalisation des pratiques médicales est aussi perçu par les médecins des quatre régions comme une source de légitimation de leurs pratiques vis-à-vis de l’extérieur. Certes, ils ne sont pas insensibles aux risques de contrôle externe qu’il pourrait entraîner. Par exemple, l’intégration de critères économiques dans les guides de pratiques pourrait constituer un outil pour poursuivre la politique de maîtrise des dépenses de santé. L’existence de guides de pratiques pourrait de plus offrir des arguments aux patients ou à leurs proches pour mettre en cause la pertinence des traitements proposés par les médecins, voire engager des actions en justice16. « Tous les référentiels de cancérologie sont disponibles sur internet. Ça m’est déjà arrivé qu’un patient me pose des questions pendant dix minutes, qu’il finisse par sortir un référentiel qu’il avait pris sur internet et qu’il me dise : « effectivement, vous avez raison, c’est ça ». Des gens comme ça n’hésiteront pas à sortir les référentiels s’ils ne sont pas appliqués. Et puis, il y a des risques juridiques. C’est bien d’avoir un guide de bonnes pratiques, mais c’est gênant d’avoir des règles trop précises, opposables en matière juridique. Ça peut être gênant et ce n’est pas encore bien cerné. » (Gastro-entérologue.)
Mais ils perçoivent avant tout qu’ils peuvent utiliser les dispositifs de normalisation pour résister au contrôle exercé par les régulateurs du système de soins. Dans la mesure où ces dispositifs sont considérés par ces derniers comme des gages de qualité, les médecins qui en ont l’usage peuvent légitimement espérer que l’on cesse de mettre en doute la qualité de leur travail17 et que cela facilite l’accréditation de leurs établisse-
16 Sur le lien entre « rationalisation juridique » et « rationalisation scientifique » dans le secteur de la santé, voir Daniel Benamouzig (Benamouzig, 2000). 17 De façon similaire, Marc Berg, Klasien Horstman, Saskia Plass et Michelle Van Heusden (Berg et al., 2000) ont montré que les médecins de la sécurité sociale aux Pays-Bas voient dans l’instauration de standards un moyen de revaloriser leur discipline et de légitimer leurs décisions vis-à-vis des tiers.
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ments18. Les médecins estiment par ailleurs qu’ils peuvent leur permettre de mieux résister à la politique de maîtrise des dépenses de santé : dans la mesure où les décisions thérapeutiques sont justifiées scientifiquement et/ou collectivement, les autorités de tutelle manqueront d’arguments pour justifier les restrictions budgétaires en matière de prescriptions de chimiothérapies. « On veut mettre en place des [unités de concertation pluridisciplinaires]. Chacun apporterait son cas. Pour les cas simples, on ne ferait que valider. Pour les cas difficiles, on en discuterait. Et pour les cas les plus difficiles, on demanderait l’avis des hospitalo-universitaires. Tout ça avec, à chaque fois, un compte rendu de séance. Comme ça, si on nous demandait quelque chose ou si on avait un contrôle des tutelles, de l’ARH ou d’ailleurs, on pourrait dire que notre fonctionnement est valable. » (Chirurgien.)
Ces dispositifs sont aussi pour les médecins un moyen de mieux résister à l’éventuelle pression exercée par les patients ou par leurs proches, dans la mesure où ils constituent un argument utilisable quand ceux-ci ne sont pas satisfaits des traitements proposés. Ils peuvent permettre d’éviter toute surenchère thérapeutique ou de prouver le bien-fondé de leurs décisions en cas de recours en justice. Les médecins qui exercent dans des petits établissements de soins peu connus ont même le sentiment que le fait d’adhérer à ces dispositifs est perçu par les patients, leurs proches et leurs médecins traitants comme un gage de qualité qui évite ainsi la fuite des patients vers des établissements plus réputés. Ces dispositifs sont donc susceptibles d’aider les médecins à maintenir, voire à améliorer, leur positionnement concurrentiel sur le marché local. « Je n’hésite pas à envoyer une photocopie du référentiel aux médecins généralistes qui se posent des questions pour leur montrer que je sais ce qu’il faut faire, que je fais du travail sérieux et pour tranquilliser le patient. En fait, c’est plus machiavélique que ça, j’anticipe un peu sur un truc : certains patients partent d’ici pour aller à Moyenne-ville, ils partent de Moyenne-ville pour aller à Grande-ville, ils partent de Grande-ville pour aller à Très-grandeville… […] Derrière, il y a finalement l’idée qu’un médecin de Grande-ville est nécessairement meilleur qu’un médecin de Moyenne-ville. […] Certains patients se renseignent avant de venir me voir et viennent avec une certaine méfiance. Nous, on peut calmer cette méfiance en leur montrant les référentiels. » (Chirurgien.)
3. Les dynamiques locales de la normalisation L’adhésion aux dispositifs de normalisation n’est pas identique entre les régions et à l’intérieur même des régions. Il n’est pas ici question d’étudier les processus différenciés de diffusion des normes. Cela pourrait faire l’objet d’un autre développement. En revanche, nous souhaitons souligner ces différences et montrer en quoi, loin de représenter un frein à la normalisation des pratiques, elles sont au contraire une condition 18 Introduite au sein du système de santé par les ordonnances du 24 avril 1996, l’accréditation est une procédure d’évaluation des établissements de santé et a pour objectif de s’assurer que ces établissements développent une démarche d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins délivrés aux patients (Robelet, 2001).
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pour que les médecins acceptent de s’impliquer dans la démarche – même à des degrés divers – et apprennent à cerner de plus en plus les avantages des dispositifs de normalisation. Les règles de départ à respecter sont en effet suffisamment imprécises et incomplètes pour nécessiter une déclinaison locale et laisser aux acteurs de soin une marge de liberté dans cette déclinaison. 3.1. L’adaptation aux situations concurrentielles locales L’adhésion aux dispositifs de normalisation varie selon le type de relations que les acteurs des établissements entretiennent entre eux. Certains médecins y ont rapidement adhéré, d’autres ont exprimé plus de réticences. Les praticiens des établissements qui sont en concurrence directe avec ceux du CLCC et du CHU de leur région ont été plus réticents au départ. À l’inverse, dans chaque région, les praticiens qui ont été formés dans le CLCC et ont gardé des liens avec ses cancérologues ont été immédiatement intéressés par cette démarche. Ils ont été les premiers à s’impliquer dans l’élaboration de guides de pratiques19 et étaient favorables au développement de la pluridisciplinarité qu’ils avaient pu expérimenter lors de leur formation. On retrouve une telle différence au niveau des spécialités médicales : nous avons pu observer une tendance à une adhésion plus rapide de la part des chimiothérapeutes que de la part des chirurgiens. En effet, la normalisation constitue pour les premiers une réponse plus évidente à leurs enjeux du moment. En premier lieu, l’évolution des connaissances est particulièrement rapide dans cette discipline et l’enjeu de maîtrise ou de justification des coûts liés aux médicaments particulièrement prégnants. Ensuite, un modèle de prise de décision collégiale et l’existence de schémas thérapeutiques prédéfinis peuvent permettre aux chimiothérapeutes d’être intégrés plus tôt dans la prise en charge, alors que, comme les chirurgiens sont en général les spécialistes qui voient le malade en premier, ils ont la possibilité de prendre la décision thérapeutique sans prendre leur avis. « Quand j’étais chef de clinique en 1987, je n’ai jamais vu [le chef de service ORL] demander leur avis au radiothérapeute ou au chimiothérapeute. Et le chimiothérapeute prenait des notes. Le patron d’ORL donnait le choix thérapeutique, point final. Le chimiothérapeute n’avait qu’à se taire et le radiothérapeute encore plus. Maintenant, ce n’est plus le cas. Et heureusement. » (Chirurgien.)
Le flou, qui entoure l’articulation entre les réunions pluridisciplinaires et les guides de pratiques, d’une part et la composition de ces réunions d’autre part, permet selon nous que les « médecins réticents » ne se transforment pas en « médecins opposants ». D’abord, un médecin peut, dans un premier temps, avoir une utilisation opportuniste des réunions pluridisciplinaires, en présentant seulement les cas complexes qui ne correspondent pas aux guides de pratiques, et continuer de prendre des décisions individuelles 19 Ils ne sont cependant pas les seuls. Même parmi les médecins qui étaient méfiants en raison de la concurrence qu’ils percevaient avec les établissements hospitalo-universitaires, certains ont tout de même décidé de participer aux premières réunions « pour voir ».
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à partir de ces guides20. Ensuite, les médecins locaux peuvent organiser des réunions pluridisciplinaires en invitant des médecins avec lesquels ils s’estiment peu en concurrence. Par exemple, dans les régions de Vertevallée et de Vastecontrée, en raison de la concurrence qui demeure forte entre les établissements hospitalo-universaires et les autres établissements, les fondateurs des réseaux ont laissé aux médecins locaux le soin de définir eux-mêmes les modalités des réunions pluridisciplinaires. Ces derniers sont libres de demander ou non à un professeur du CLCC ou du CHU de participer aux réunions. Lorsqu’ils le font, ils choisissent en général la spécialité de ce médecin de manière à ce qu’il leur apporte des connaissances qu’ils n’ont pas et à ce qu’il ne risque pas de « capter » leurs malades à cette occasion. De ce point de vue, des chimiothérapeutes très impliqués dans des activités de recherche et spécialisés dans des cancers rares sont des profils très appréciés des participants locaux, parce qu’ils cumulent expertise et faible risque de concurrence. De façon significative, dans un centre hospitalier général, les médecins recourent en alternance à l’aide de deux chimiothérapeutes, l’un provenant du CHU, l’autre du CLCC. Ils entendent ainsi se protéger de tout risque d’influence de l’un ou l’autre des établissements hospitalo-universitaires. À l’inverse, la relative légitimité dont jouissent les établissements hospitalouniversitaires de Métropole et de Calmeplaine vis-à-vis des autres établissements a permis que leurs médecins jouent un rôle central de coordination. Alors que ces derniers souhaitaient que les médecins des autres établissements limitent le recours à leurs conseils pour les cas complexes, les autres médecins ont tendance, lors des réunions pluridisciplinaires, à leur présenter tous les dossiers, y compris des cas considérés comme standards et pour lesquels il existe des guides de pratiques. 3.2. Une dynamique d’apprentissage La dynamique qui se met en place dans toutes les régions étudiées permet que l’adhésion à la normalisation évolue positivement au cours du temps, tant au niveau du nombre de participants qu’au niveau du degré d’implication individuelle. Certains acteurs découvrent peu à peu l’intérêt de la démarche en y participant, de sorte que nous pouvons parler de processus d’apprentissage. Par exemple, des chirurgiens au départ réticents apprennent à voir les avantages qu’ils peuvent tirer de la pluridisciplinarité et des guides de pratiques. C’est un moyen pour eux de demander aux chimiothérapeutes de justifier le recours de plus en plus fréquent aux traitements médicaux, qui pèsent sur le budget des établissements, et de réaffirmer que la chirurgie reste souvent la base du traitement en cancérologie.
20 Il est en revanche difficile de savoir avec exactitude si l’absence de participation à leur élaboration a une influence sur le recours aux guides de pratiques. Les médecins concernés (i.e. essentiellement ceux de Métropole et de Vertevallée) n’ont pas une attitude différente et mettent en avant les mêmes avantages que nous avons détaillés précédemment. Tout juste peut-on remarquer chez les médecins de Vertevallée une tendance plus fréquente à mentionner le recours à d’autres sources d’information : avis informels, autres guides de pratiques.
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« Il m’est arrivé d’intervenir sur le plan de la méthodologie. C’était pour titiller mes collègues chimiothérapeutes [il sourit]. Les chimiothérapeutes ne se sont pas mis d’accord sur l’évaluation de la performance d’un traitement. En chirurgie, on a réussi : on a le taux de survie et les récidives. Les chimiothérapeutes ont inventé des dizaines de critères : taux de réponse, taux de rémission, etc. Ils ont inventé ces critères pour montrer ce qu’ils veulent. De temps en temps, il faut leur rappeler qu’il faut un peu plus de rigueur dans leurs résultats. » (Chirurgien.)
Cela leur permet aussi d’acquérir une meilleure connaissance de ces stratégies thérapeutiques complémentaires, de façon à en informer les patients en amont des traitements, par exemple. En conséquence, certains d’entre eux intensifient leur participation aux réunions pluridisciplinaires, alors même qu’ils en avaient au départ une utilisation opportuniste. Cet apprentissage nous semble permis par le fait que la mise en œuvre de la normalisation implique des discussions entre médecins au sein des groupes de travail et des réunions pluridisciplinaires et intensifie les relations entre eux. Même lorsque des recommandations cliniques nationales ou internationales existent, elles sont rarement « prêtes à l’emploi » et nécessitent un travail des médecins pour les rendre plus facilement utilisables (par leur traduction en arbres de décision par exemple), pour les actualiser en fonction des dernières publications, pour les préciser21 ou pour privilégier une stratégie lorsque plusieurs options sont scientifiquement valides22 – ce qui est fréquent en cancérologie. Les choix qui s’opèrent alors sont révélateurs des enjeux concurrentiels liés à cette normalisation et de la capacité des acteurs à s’entendre malgré cela. Les médecins d’un établissement donné vont chercher à ce que les règles élaborées n’avantagent pas les concurrents. Par exemple, ne pas afficher de standards qui risqueraient de les défavoriser parce qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires pour les respecter. En conséquence, après les protestations de ces derniers, les autres participants au groupe de travail vont essayer de trouver un juste milieu acceptable pour tout le monde23. Comme pour la mise en œuvre des normes ISO, on peut dire que l’élaboration des normes de pratiques est une « écriture plurielle », « porteuse de symétrie » (Cochoy et al., 1998) et remettant quelque peu en cause la hiérarchie médicale. Les médecins, et en particulier les hospitalo-universitaires, doivent accepter de discuter d’égal à égal avec les autres médecins. Ce n’est plus nécessairement le « leader d’opinion » qui a raison ; non seulement il doit justifier ses décisions, mais les autres médecins osent désormais de plus en plus émettre un avis différent. 21 Une recommandation peut se contenter d’indiquer que tel cas nécessite une chimiothérapie en complément de l’exérèse chirurgicale, par exemple ; il reste alors aux médecins à décider du type de chimiothérapie le plus adéquat et de son dosage. 22 C’est le cas par exemple des documents de la FNCLCC (cf. supra) qui n’ont pas pour but de trancher entre différentes options à partir du moment où il est estimé qu’elles ont le même niveau de validation scientifique. 23 Parfois, l’accord consiste à ne rien préconiser du tout. Mais, même dans ce cas, les médecins cherchent à le justifier et limitent la portée de l’incident, ce qui tend à renforcer l’hypothèse selon laquelle les médecins voient dans la normalisation un moyen de (re)légitimation vis-à-vis des acteurs extérieurs par l’affichage d’une relative cohésion.
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« Les actes d’autorité, ça n’existe plus. Le vieux patron qui dit « je pense que », ça n’existe plus. Aujourd’hui, l’interne vous regarde en rigolant et dit : « Vous avez vu ça dans quelle revue ? » Aujourd’hui, quand on vient mesurer la différence entre les traitements A et B, il faut des outils, c’est précis. Il ne suffit plus de dire « je pense que ». » (Chirurgien.)
Ces résultats relativisent l’analyse d’E. Freidson (Freidson, 1985) selon laquelle la normalisation des pratiques impliquerait une stratification interne à la profession médicale. C’est que son analyse nous semble négliger toute la phase d’appropriation et de déclinaison locale des normes, après que les grandes lignes de recommandations ont été élaborées par les experts nationaux ou internationaux. En outre, au fur et à mesure de leur participation aux réunions pluridisciplinaires ou aux groupes de travail, les médecins apprennent à identifier les domaines de compétences des autres et leur font plus confiance quand ils constatent que leurs collègues n’ont pas pour objectif de « capter » leurs patients. Ils sont donc plus enclins à leur demander des conseils, voire à leur confier certains patients, ce qui améliore les relations entre eux et augmente l’intérêt de ces dispositifs.
4. Conclusion La normalisation en cancérologie est un processus collectif. Elle implique des adaptations par rapport aux préconisations nationales (ou internationales dans le cas des guides de pratiques) et des négociations locales entre médecins d’une même région. Paradoxalement, la normalisation implique donc la mise en œuvre de dynamiques particulières, qui contribuent à la régionalisation du système de santé, à sa « territorialisation », au détriment d’une version centralisée de la régulation de ce système. Au cours de cette étude, nous avons été amenés à relativiser les analyses qui ne voient, dans la rationalisation des pratiques médicales, qu’un phénomène impulsé par les gestionnaires dans un but de maîtrise des dépenses et susceptible de menacer l’autonomie des médecins vis-à-vis des patients et des administrateurs du système de santé. Non seulement, dans notre cas, ce sont des médecins qui sont souvent à l’origine de ce mouvement ou qui se le réapproprient pour mieux le maîtriser, mais ils y voient aussi des avantages pour exercer leur activité et un moyen de résister aux pressions extérieures. Il reste à savoir si une telle analyse peut s’appliquer à d’autres pathologies que le cancer. La pluralité des intervenants et l’inscription du traitement du cancer dans la durée (Ménoret, 1999) rendent-elles plus acceptable l’idée d’une nécessaire coordination que dans d’autres maladies ? L’évolution rapide des connaissances, les enjeux humains et financiers liés à cette maladie rendent-ils plus évident le besoin de garde-fous élaborés collectivement ? Dans cette perspective, il nous paraît fécond de voir dans quelle mesure les résultats d’études menées sur les démarches qualité dans le domaine industriel et commercial sont généralisables au domaine médical. Certains auteurs ont montré que la mise en œuvre des normes ISO ou les procédures des démarches qualité ne font pas nécessairement le jeu des managers et des clients (Cochoy et al., 1998 ; Dubuisson, 1999). De façon similaire, dans notre étude, nous avons tenté de montrer que les dispositifs de normalisation des
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pratiques médicales ne font pas nécessairement le jeu des régulateurs et des patients dans le secteur de la santé. De même, comme Denis Segrestin (Segrestin, 1997) a montré que les normes ISO, loin d’appauvrir les échanges interfirmes, contribuent à pérenniser les partenariats, nous avons avancé que les normes de pratiques médicales n’accroissent pas nécessairement la substituabilité des offreurs de soins et peuvent contribuer à renforcer les relations entre eux. Pour finir, nous souhaiterions mettre en avant le fait que la poursuite de ce mouvement est conditionnée, selon nous, à la capacité des différents acteurs à trouver les solutions pour conserver son caractère dynamique et élargir de plus en plus son assise. Les guides de pratiques ne seront utilisés que s’ils sont régulièrement mis à jour, par exemple. Mais la viabilité dépend plus sûrement encore de la capacité des médecins et des autorités de tutelle à trouver des accords sur le financement de ces nouvelles activités pour les médecins et sur les modalités de contrôle qui peuvent être envisagées en retour.
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