Annales Médico-Psychologiques 167 (2009) 550–562
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Recherches actuelles sur l’intelligence sociale et les troubles envahissants du développement (TED) Social intelligence in pervasive developmental disorders: Current researches I. Comte-Gervais 1,2 Centre de référence pour les troubles des apprentissages, hôpital E.-Herriot (HCL), place d’Arsonval, 69437 Lyon cédex 03, France Disponible sur Internet le 13 août 2009 Résumé Ce dossier est une revue de la littérature sur les hypothèses neuropsychologiques et cognitives qui tentent d’expliquer la sémiologie des troubles envahissants du développement (TED). L’intelligence sociale des TED et des TED-NS (troubles envahissants du développement non spécifié) est présentée à travers quelques paradigmes expérimentaux. Ces travaux interrogent sur les moyens actuels d’évaluation de l’intelligence sociale et posent la question de la difficulté du diagnostic différentiel pour les TED-NS. ß 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Social intelligence in pervasive developmental disorders and in pervasive developmental disorder not specified. This article is a review of the literature on the neuropsychological and cognitive hypotheses which explain pervasive developmental disorder not specified’s (PDD-NS) social intelligence presented with experiences. Works ask on the evaluation of social intelligence and the difficulties for diagnosis PDD-NS. ß 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Autisme ; Intelligence sociale ; Théorie de l’esprit ; Trouble envahissant du développement ; Trouble envahissant du développement non spécifié Keywords: Autism; Pervasive developmental disorder; Pervasive developmental disorder not specified; Social intelligence; Theory of mind
1. LES TROUBLES ENVAHISSANTS DU DÉVELOPPEMENT (TED) 1.1. Historique et évolution du syndrome autistique Le syndrome autistique a été individualisé par le psychiatre Léo Kanner, en 1943 [37]. Par la suite, Kanner puis Asperger [2] ont adopté le terme d’« autisme » pour qualifier la nature de la perturbation sous-jacente de ces enfants.
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Adresse e-mail :
[email protected]. Psychologue, neuropsychologue. Membre du laboratoire du lip de Grenoble.
Auparavant, déjà en 1911 le psychiatre Bleuler [14] avait appelé « autisme », du grec autos signifiant « soi », l’une des perturbations de base de la schizophrénie, à savoir le rétrécissement relationnel, entraînant un abandon de la vie sociale avec repli sur soi. Mais, contrairement à la schizophrénie ainsi décrite, cette perturbation semblait se manifester dès la naissance. C’est la raison pour laquelle Kanner [37] reformule ce concept et l’utilise pour la première fois en le différenciant des formes de psychoses infantiles déjà répertoriées. Après avoir observé un groupe de 11 enfants, il décrit l’autiste de la façon suivante : « Il semblait presque se retirer dans sa coquille et vivre au-dedans de lui-même. [. . .] Quand on l’amenait dans une pièce, il était complètement indifférent aux gens et allait
0003-4487/$ see front matter ß 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.amp.2009.07.010
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instantanément vers les objets. [. . .] Quand une main lui était tendue de façon telle qu’il ne pouvait pas l’ignorer, il jouait brièvement avec, comme si c’était un objet détaché. [. . .] Il ne répondait pas quand on l’appelait et ne regardait pas sa mère quand elle lui parlait. . . » L’isolement autistique extrême correspondant à « l’incapacité de ces enfants à établir des rapports normaux avec les gens et entre les événements survenant dès le début de la vie » apparaît comme le trouble fondamental. Kanner envisage la possibilité d’une anomalie constitutionnelle et précise : « Les troubles de l’enfant sont hérités des parents et non créés par eux. » Celui-ci poursuit d’ailleurs que si « à aucun moment, je n’ai désigné les parents comme source primaire, postnatale de pathogénicité », il n’exclut cependant pas le rôle de l’environnement dans l’apparition d’un syndrome pouvant provenir d’une « réfrigération affective dont ces enfants ont été l’objet de la part de leur parents. . . ». Le facteur environnemental serait ainsi toujours fondamentalement « une donnée pathogénique hautement déterminante en ce qui concerne les premiers stades du développement de leur personnalité ». Peu après, en 1944, Asperger [2], à Vienne, décrivit des cas d’enfants présentant un tableau clinique similaire à celui observé par Kanner, mieux connu aujourd’hui sous le terme de syndrome d’Asperger. Ceux-ci ont en commun le fait de peu communiquer et de montrer des difficultés d’adaptation sociale, contrastant avec des aptitudes intellectuelles souvent normales et un meilleur développement du langage que celui des autistes. Il faut cependant faire observer que le discours reste très maladroit, marqué souvent par une prosodie inadaptée et une inversion pronominale. À cela s’associent une grande maladresse sensorimotrice et une perturbation du fonctionnement émotionnel et social [10]. Les troubles du contact, sans atteindre le retrait autistique, restent encore importants, rendant l’enfant très solitaire. Ces autistes développent souvent des modes de pensée très particuliers fondés sur des bases de raisonnement pseudologiques complexes, souvent rigides et peu perméables aux idées d’autrui. Ils investissent parfois des domaines précis à caractère souvent pointu où ils peuvent faire preuve d’une mémoire très particulière, proche du « calculateur prodige », entraînant même chez eux une hypertrophie des capacités mnésiques. Les formes typiques de l’autisme sont les plus faciles à diagnostiquer car tout le monde s’accorde sur leurs descriptions. Cependant, il existe des formes « apparentées » dénommées « TED non spécifiés » (TED-NS) dans le DSM-IV et correspondant à l’appellation « Pervasive Developmental Disorders Not Otherwise Specified (PDDNOS) = TED non spécifiés » dans la littérature anglo-saxonne. Dans ces états atypiques, il apparaît bien, comme dans l’autisme, un déficit au niveau des interactions sociales [64], mais à terme s’y juxtaposent des troubles hétérogènes. Pour être plus précis, les enfants avec un PDDNOS, s’ils montrent moins de déficits sociaux que les descriptions classiques de l’autisme, accusent néanmoins une certaine faiblesse au niveau des habiletés sociales et en tout cas davantage que ceux présentant un désordre développemental, comme un retard de
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langage, par exemple [43]. Le diagnostic est ainsi fait tardivement et souvent posé par défaut, lorsque les signes comportementaux de l’autisme n’apparaissent pas de façon caractéristique. L’existence de « types » ou de « profils » cliniques différents d’enfants répondant au diagnostic d’autisme a amené des chercheurs comme Lorna Wing [68] à parler du « continuum de l’autisme ». Cette notion de continuum a évolué vers le concept de « trouble du spectre autistique (TSA) » [69], qui englobe une définition plus large. Wing indique que dans cette population, la sensibilité sociale atteint pour la majorité un fort pourcentage, alors qu’une minorité a un niveau très faible d’empathie. Autrement dit, à l’extrémité de la courbe se trouverait le groupe des autistes, mais également d’autres pathologies psychiatriques et même des personnes considérées comme normales. Le recoupement de ces groupes divers (ex. : le groupe des autistes fusionnant partiellement avec celui des Asperger) et leur variation selon d’autres critères que la mentalisation et la sensibilité sociale amènent à considérer que la notion de « spectre autistique » est plus adaptée que celle de « continuum autistique ». Cela nous amène ainsi à nous poser la question fondamentale suivante : sous le diagnostic d’autisme y a-t-il des pathologies différentes ou simplement des degrés de gravité dans le syndrome autistique ? C’est à cette question qu’essaient aussi de répondre les recherches actuelles. À noter que le syndrome de Rett et le trouble désintégratif de l’enfance font aussi partie des TED, mais nous avons choisi de limiter notre étude et, dans la suite de ce travail, nous associerons les TED à l’autisme de Kanner et les TED-NS à l’autisme atypique. 1.2. Épidémiologie L’autisme est une affection rare, touchant approximativement entre quatre et 15 enfants pour 10 000 [23,25,51]. Cette variation dépend, entre autres, des critères diagnostiques choisis et des techniques d’enquête. Certes, les 11 patients de Kanner provenaient essentiellement de milieux socioéconomiques aisés, mais les études épidémiologiques montrent que l’autisme est présent dans tous les milieux. Comme l’a confirmé Fombonne [23], l’autisme touche tous les pays où on l’a recherché et toutes les classes sociales. Son indice reste stable dans le temps et d’un pays à l’autre. Le sex-ratio moyen de trois à quatre garçons pour une fille d’après la CIM-10 [70], quatre à cinq garçons pour une fille d’après le DSM-IV [1], tend à s’égaliser en cas de déficience mentale associée. L’autisme est souvent lié à un retard intellectuel. Seul un quart environ des autistes ont un quotient intellectuel dans la zone de la normale (QI > 70), les deux tiers d’entre eux se situant dans la zone de débilité modérée ou sévère (QI < 50), [51]. Des chiffres semblables sont rapportés par Bert [12] et Fombonne [23]. Si le modèle de l’autiste « intelligent » n’est pas faux, il ne représente cependant pas la majorité des situations cliniques.
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Bien que la définition et le diagnostic s’établissent initialement sur des troubles de nature comportementale, un consensus semble s’opérer actuellement dans la littérature internationale sur l’existence d’une possible origine biologique. On sait, en effet, que certaines pathologies concomitantes apparaissent plus fréquemment chez les sujets autistes que dans la population normale [23,25,51]. Le syndrome peut d’ailleurs être associé à des troubles neurologiques tels que l’épilepsie ou à des maladies d’ordre génétique (syndrome de l’X fragile, sclérose tubéreuse de Bourneville, rubéole congénitale). 1.3. Les caractéristiques symptomatiques Après avoir exposé la description sémiologique effectuée par Kanner en 1943 [37], on a pu constater la grande variété de formes cliniques se situant aussi bien au niveau des déficits concernant les principaux symptômes que dans certaines capacités relativement préservées. On peut ainsi retenir deux classifications internationales actuellement utilisées : L’ICD-10 (International Classification of Diseases, dixième version) publiée par l’Organisation mondiale de la santé [19,70] ; et le DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual, quatrième version) établie par l’Association américaine de psychiatrie [1]. Dans ces deux classifications, l’autisme est répertorié dans la catégorie des « TED » sous l’intitulé « troubles autistiques » ; ceux-ci doivent être distingués des « troubles atypiques du développement ». On peut formuler ainsi les principaux critères retenus, avec les caractéristiques comportementales qu’ils sous-tendent : le retrait social, pouvant aller jusqu’à la recherche de l’isolement ; les difficultés de communication verbale et non verbale, le langage étant insuffisamment suppléé par les gestes et la mimique ; la pauvreté de l’activité imaginative, s’accompagnant d’une intolérance au changement ; une limitation et une restriction des activités et des centres d’intérêt, s’associant souvent à des conduites stéréotypées et ritualisées ; l’âge requis : il n’est pas possible de faire le diagnostic avant trente mois. Pour poser le diagnostic d’autisme, ces classifications demandent d’en exclure tout autre trouble du développement tel que le syndrome de Rett, un trouble désintégratif de l’enfance, le syndrome d’Asperger ou encore, pour la CIM-10, l’hyperactivité. On sait que le syndrome autistique typique ne devient patent que vers l’âge de deux trois ans. C’est alors que l’on peut observer, ainsi que Frith [25] et Rogé [51] les ont bien décrites, les trois altérations fondamentales suivantes. Des anomalies qualitatives des relations sociales qui se traduisent par des difficultés à créer et à comprendre des relations sociales. Chez le jeune enfant, on observe des troubles de l’attachement très divers qui peuvent aller de
l’indifférence totale, « le retrait autistique », à des conduites d’agrippement excessif. Dans la relation, la réciprocité sociale et émotionnelle est absente. L’enfant n’initie pas (ou peu) le contact de son entourage et répond lui-même très peu aux sollicitations extérieures. Les contacts physiques en deviennent quasiment instrumentaux : ainsi, le comportement envers les personnes ressemble à des activités de manipulation d’objet. En situation sociale, l’enfant paraît bizarre, s’isole et ne s’adapte pas. Un dysfonctionnement de la communication et de l’imagination est également perceptible. Les autistes éprouvent des difficultés importantes pour comprendre et utiliser les signaux de communication, qu’ils soient verbaux ou non. Les expressions faciales et émotionnelles, les gestes et le langage restent assez pauvres et mal coordonnées, d’utilisation rare ou inappropriée, sans valeur communicative, les rendant ainsi le plus souvent inintelligibles par l’entourage. De même, lorsque le langage est relativement élaboré, il persiste souvent des anomalies dans le rythme, l’intonation ou le volume sonore. Lorsque le langage existe, celui-ci est marqué par l’emploi de mots isolés, une écholalie ou encore une inversion pronominale. La polysémie, les métaphores sont souvent incomprises et les mots pris dans un sens uniquement littéral. Ces dernières caractéristiques langagières traduisent en fait l’altération de l’imagination. Il en est de même pour les jeux de faire-semblant ou les jeux symboliques, ceux-ci étant peu ou mal interprétés et presque toujours absents, les difficultés pour imiter restant au devant de la scène clinique. La restriction des activités et des centres d’intérêt apparaît nettement. Un enfant autiste présente souvent une attirance exclusive, spécifique et intense, pour certains types d’objets ou stimulations sensorielles (visuelles, auditives, tactiles, olfactives, gustatives ou vestibulaires). Les postures et gestes stéréotypés sont fréquents : balancements du corps, mains agitées très rapidement, souvent devant les yeux, marche sur la pointe des pieds. . . De nombreux comportements, même s’ils peuvent paraître adaptés, deviennent routiniers, se répétant mécaniquement et toujours dans les mêmes circonstances. Lorsque l’on tente de les interrompre ou de les modifier (accidentellement ou non), on se heurte à des réactions émotionnelles violentes : angoisses ou colères incontrôlables, pouvant aller parfois jusqu’à des conduites d’automutilation. Ces principaux symptômes sont souvent accompagnés d’importants retards et d’hétérogénéité développementale [25,51]. Des variations considérables peuvent être enregistrées entre différents domaines d’activités. Ainsi, quelques rares autistes présentent des compétences tout à fait exceptionnelles et déterminées pour l’une de leurs activités de prédilection. Des dons en dessin ou en musique sont souvent retrouvés. À l’échelle d’intelligence de Weschler (WISC-IV) [65], certains réussissent très bien l’épreuve des « cubes ». En dehors de ces profils psychologiques particuliers, d’autres troubles peuvent fréquemment s’y associer [51], tels que des troubles du sommeil (insomnies), de l’alimentation (maniérisme alimentaire, goûts exclusifs souvent inhabituels), des difficultés d’acquisition de la propreté, des anomalies motrices (hypoou hypertonie, bizarrerie des postures et des mouvements. . .),
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des troubles sensoriels (réactions excessives ou extrêmement atténuées à certains types de stimuli), des perturbations émotionnelles (anxiété fréquente et importante, colères brusques et très intenses, phobies, obsessions ou quelquefois dépressions). . . Wing [67] en conclut qu’il existerait pour l’autiste comme une limitation dans la capacité à découvrir l’environnement, à former des concepts complexes le concernant et à comprendre qu’autrui peut intervenir en tant que partenaire potentiel de l’échange social. Actuellement, s’il n’existe pas de traitement à visée curative de l’autisme, des interventions éducatives et thérapeutiques permettent toutefois d’améliorer l’adaptation au monde social de ces patients. 1.4. Les hypothèses étiologiques actuelles L’hypothèse d’une origine psychoaffective est restée très prégnante jusque dans les années 1970, car les psychanalystes la situaient, au moins partiellement, comme un trouble de l’établissement des relations précoces entre l’enfant et sa mère. Ainsi, une dépression maternelle ou un rejet inconscient de l’enfant par sa mère pouvaient le provoquer. Cette hypothèse a été très contestée et aucune recherche ne l’a par la suite validée. D’ailleurs, les études réalisées chez les parents d’enfants autistes montrent qu’ils ne sont pas plus touchés que les autres par d’éventuels troubles psychologiques : perturbations émotionnelles ou troubles de la personnalité [51]. C’est la raison pour laquelle la recherche s’est orientée vers d’éventuelles étiologies d’ordre biologique et dans des domaines très spécialisés tels que la génétique, la neurologie ou la neurophysiologie. Des déficits cognitifs bien spécifiques concernant le traitement de l’information ont également pu être évoqués, ces différentes hypothèses n’étant pas exclusives les unes des autres. 1.4.1. Hypothèses génétiques De nombreuses recherches génétiques sont actuellement en cours. Kanner [37] supposait déjà que les enfants autistes avaient des difficultés innées pour initier des contacts affectifs. Plusieurs arguments sont venus étayer cette hypothèse : la prévalence de l’autisme chez les garçons (quatre fois plus de garçons que de filles touchés par ce handicap), l’association de l’autisme avec certaines maladies génétiques (X fragile, sclérose tubéreuse de Bourneville...), la récurrence de l’autisme dans une même famille et les études chez les vrais jumeaux qui admettent des taux de concordance très élevés [12,63]. À ce propos, il faut noter qu’il peut se produire qu’un enfant se révèle autiste sans que l’autre soit nécessairement atteint [51] ; dans ce cas, on peut pourtant relever chez ce dernier certains traits autistiques, entraînant des déficits sociaux non négligeables à l’âge adulte. Des résultats récents de Jamain et al. [36] montrent l’altération des gènes NLGN3 et NLGN4 dans des familles dont deux membres sont atteints. Ces gènes détermineraient une prédisposition à l’autisme. Ils se situent dans des régions du
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chromosome X qui avaient été associées à l’autisme dans d’autres études. 1.4.2. Syndrome autistique associé à une affection neurologique Des problèmes neurologiques pourraient coexister avec un syndrome autistique. De nombreux autistes développent des pathologies neurologiques [51] et 25 % sont atteints d’épilepsie (un tiers, d’après Frith [25]). Les techniques d’imagerie et les études postmortem indiquent certaines particularités au niveau cérébral : périmètre crânien et poids cérébral plus élevés que la moyenne, anomalies du système limbique et du cervelet qui correspondraient à des perturbations du développement cellulaire dans les trente premières semaines de gestation. . . L’hypothèse d’un trouble du développement cérébral a été examinée par Garreau [27]. Les études sur ce sujet soulignent des particularités dans le fonctionnement cérébral de ces enfants, telles que des rythmes « hypermatures » dans les électroencéphalogrammes, des perturbations des processus attentionnels, un retard de maturation métabolique frontale vers trois ou quatre ans observable au niveau du débit sanguin cérébral régional et d’une hypoperfusion frontale prolongée. De l’analyse de tous ces éléments, il ressort que l’autisme pourrait provenir de perturbations très précoces du développement cérébral, dont l’origine n’est pas encore vraiment déterminée : transmission génétique, complications périnatales, infections. . . Il est aujourd’hui difficile de saisir précisément les caractéristiques neurologiques et neurophysiologiques déterminantes. Les anomalies semblent être très diverses et les connaissances actuelles ne permettent pas de les intégrer dans un ensemble cohérent. Même si l’on disposait d’un tel modèle, on pourrait se demander si ces altérations constitueraient une définition, une cause ou une conséquence de l’autisme. 1.4.3. Hypothèses biochimiques, métaboliques et immunologiques Si les hypothèses neurologiques demeurent incertaines, il en est de même au niveau biochimique, où il est difficile de mettre en évidence des neuromédiateurs « clés » pouvant intervenir dans l’autisme [51]. Une augmentation du taux de sérotonine plaquettaire a pu être observée chez plus d’un tiers des patients ; d’autres substances chimiques seraient également en cause (le système opiacé, la dopamine, l’épinéphrine, les peptides. . .), mais toutes ces études ne sont pas encore très concluantes, notamment à cause d’importantes variations interindividuelles. Un parallèle pourrait cependant être établi entre symptômes cliniques et neurobiologiques, dans certains sous-groupes de patients [20]. En ce qui concerne les relations entre l’autisme et les maladies métaboliques, elles sont encore difficiles à établir. Néanmoins, l’autisme est souvent associé à la phénylcétonurie, l’homocystinurie, le syndrome de Lesch-Nyhan. Enfin, des facteurs obstétricaux, postnataux et immunologiques sont souvent impliqués, mais ces anomalies sont trop diverses pour que l’on puisse envisager leur participation éventuelle à l’étiologie de l’autisme.
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1.5. Hypothèses développementales et cognitives Actuellement, la plupart des recherches concernant les causes de l’autisme se concentrent plus sur l’étiologie biologique que sur les causes environnementales. En effet, il est possible qu’un ou plusieurs gènes puissent être impliqués et ce en fonction du degré de sévérité de l’autisme. D’où l’importance d’évaluer les autistes sur la présence d’un déficit psychologique type, pour identifier le ou les gènes éventuellement en cause. 1.5.1. L’approche neuropsychologique L’approche neuropsychologique a permis de mettre en évidence, chez de jeunes autistes, des compétences très surprenantes et même paradoxales, compte tenu de l’ampleur des troubles observés par la suite [25,51]. Il n’y a apparemment pas, du moins au début, de véritable évitement du contact social ou du regard (recherches de Hermelin et O’Connor [33]) et il existe des comportements d’attachement affectif, de reconnaissance des personnes familières, de réaction aux séparations [59]. À ce stade précoce, les conduites de ces enfants sont finalement assez proches de ceux présentant un retard mental. Cependant, des difficultés bien particulières apparaissent comme la perturbation de l’attention conjointe. Nous avons déjà mentionné que les autistes privilégient le pointage protoimpératif par rapport au pointage protodéclaratif, en relation avec les réactions d’attention et d’émotion, c’est-à-dire lorsque l’acte communicatif lui-même est sollicité. Le « langage des yeux » reste également impossible, dans la mesure où ces enfants regardent peu ou pas les autres. En l’absence de contact visuel social, il est impossible d’identifier le but des actions d’autrui, mais aussi d’en saisir leurs états mentaux, à travers leurs mimiques, par exemple ; ainsi la régulation des interactions devient-elle défaillante. Si l’intégration des états mentaux d’autrui dans la relation paraît problématique, il faut néanmoins noter qu’elle ne se résout pas à un unique mécanisme de perception. Ainsi, selon Tager-Flusberg [62], 100 % des autistes sont capables d’attribuer une perception, c’est-à-dire d’adopter la perspective visuospatiale d’autrui, quand seulement 20 % peuvent reconnaître une croyance. Des anomalies apparaissent également dans les conduites de jeu et dans l’imitation. Ces déficits dans le domaine de l’imagination et en particulier dans les jeux de « faire-semblant » seraient dus à une incapacité à distinguer une situation réelle d’une situation de « faire-semblant » [31]. Nadel [46] observe aussi que l’autiste semble avoir des capacités limitées d’imitation, ce qui entraîne des difficultés dans l’apprentissage de nouveaux comportements et l’apparition de troubles du contact. Se surajoute aussi un déficit dans la perception et l’expression des émotions. Le schéma normal du développement de la compréhension sociale et émotionnelle semble perturbé, dès le début de la vie, dans l’autisme. La mimique est souvent peu expressive, reflétant vraisemblablement la mise à distance de l’affect, et le manque de syntonie patent entre ce dernier et des réactions émotionnelles paradoxales relève d’une certaine discordance.
À la suite de Léo Kanner [37] qui suggérait que l’autisme provenait d’un manque de contact affectif, d’autres chercheurs comme Hobson [35] ont pensé que l’enfant autiste n’était pas apte à percevoir les émotions. Il était donc difficile pour celui-ci d’interpréter les expressions du visage et d’établir le contact affectif adéquat. À ce propos, Schultz et al. [56] ont mis en évidence que c’est la région spécifique du traitement des objets qui serait bien activée lors de la présentation d’un visage, tandis que Klin et al. [38] ont montré que les autistes favorisaient davantage la partie basse du visage et principalement la bouche, alors que les sujets témoins se concentraient sur les yeux. C’est la raison pour laquelle, sans doute, en regardant des photos de visages exprimant des situations affectives bien ciblées, si la plupart de ces enfants étaient capables de les qualifier avec exactitude (« joyeux » et « triste » par exemple), certains faisaient cependant des erreurs en les décrivant comme des expressions de surprise et parfois même se fixant sur l’ouverture de la bouche en les assimilant à des états non cognitifs, tels que baîller ou avoir faim. En 2003, Damasio [21] de son côté, parle d’un trouble plus spécifique touchant les émotions dites « sociales » et qui comprennent, notamment, la honte, l’embarras, le mépris. Happé et al. [32] ont essayé de mettre ces difficultés sociales en évidence avec l’IRMf. Ils ont comparé cinq sujets volontaires sains à cinq adultes présentant un autisme sans retard mental associé, l’écoute d’une histoire induisant une métareprésentation. Cela activait chez les volontaires sains une aire frontale gauche (aire 8 de Brodmann) tandis que les autistes activaient l’aire 9/10 préfrontale. De son côté, Baron-Cohen et son équipe ont mené une étude en IRMf portant sur la perception des émotions complexes [9]. Dans celle-ci, il était demandé aux sujets de porter des jugements sur des émotions à partir de la simple présentation d’un regard. Cette tâche active habituellement un large réseau comprenant principalement le gyrus temporal supérieur, le cortex préfrontal et l’amygdale. Chez les personnes autistes, les résultats montrent une hypoactivation de l’amygdale (la région clé impliquée dans les émotions), lorsqu’ils doivent juger l’émotion d’autrui. Ce résultat est venu renforcer l’hypothèse proposée il y a quelques années d’un déficit de la théorie de l’esprit dans l’autisme. En définitive, si ces enfants peuvent ainsi paraître égocentriques en ne suscitant pas, de la part de l’entourage, le désir d’établir un contact même rudimentaire, c’est qu’ils sont, en fait, profondément incapables de ressentir qu’on puisse être triste alors qu’ils sont joyeux et inversement. Manifester alors de la compassion ou de l’empathie reste, pour eux, difficilement accessible, les interactions sociales n’en devenant que plus pauvres et plus rares. Ces dysfonctionnements bien particuliers dans les conduites sociales perturbent précocement le développement d’une conscience d’eux-mêmes comme d’autrui. L’image de soi ne devrait y être néanmoins que partiellement affectée. En effet, nous ne pouvons nous construire une image cohérente qu’à partir de faits autobiographiques personnels telle que certaines situations sociales nous la révèlent ou selon ce que l’entourage nous en renvoie et que nous utiliserons ensuite dans la
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construction de notre identité. Les personnes autistes peuvent déterminer avec exactitude leur sexe, leur âge, leur résidence ; mais elles resteront très ambiguës pour tout ce qui est en relation avec le vécu, c’est-à-dire les sentiments éprouvés, ou même pour appréhender leur personnalité profonde. De ce fait, le second aspect du concept du soi, à savoir l’estime de soi, risque d’être totalement défaillant. En l’absence de certitudes quant à leur réalité affective, celles-ci ne pourront pas s’investir ni émettre des jugements de valeur sur elles-mêmes et à plus forte raison sur les réactions des autres dont elles ne pourront pas intégrer les sentiments dans la constitution d’une éventuelle estime de soi. Toutes les réponses affectives inadaptées pourraient relever d’une déficience au niveau de l’empathie, témoignant en cela d’une distorsion de la conscience de soi et de celle d’autrui, dont ils sont incapables de se différencier. En effet, s’ils peuvent éprouver du plaisir et des émotions, ils présentent néanmoins un déficit expressif dans des situations complexes comme, par exemple, partager sa joie avec quelqu’un, car cela nécessite de délaisser pour un temps leur propre état émotionnel. Il existe aussi de nombreux indices cliniques en faveur d’un trouble de la perception auditive chez l’enfant autiste. Ainsi, on observe souvent un intérêt particulier pour la musique, des comportements d’autostimulation auditive, des réactions paradoxales à l’environnement sonore avec une hyper et/ou hyporéactivité aux sons, hyporéactivité qui entraîne fréquemment une suspicion de surdité. Boddaert et al. [16], de leur côté, ont observé une augmentation du débit sanguin cérébral plus importante dans les régions auditives temporales à droite qu’à gauche ; que ce soit lors de l’écoute de tons purs ou lors de l’écoute de sons proches de la parole. L’analyse des réponses cérébrales du traitement des sons simples montre que l’amplitude des réponses temporales est d’autant plus réduite que les enfants présentent des difficultés importantes dans le domaine de la communication [17]. Il existerait donc une relation possible entre ces réponses reflétant l’intégration d’un message auditif simple et le développement de la communication. Plus récemment, une étude en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a montré chez cinq adultes autistes une activation réduite de la région postérieure du gyrus temporal supérieur, habituellement dévolue au traitement de la voix humaine [28]. L’ensemble de ces résultats tend à montrer une mauvaise latéralisation hémisphérique lors de l’écoute de sons verbaux et non verbaux chez des sujets autistes. Ces anomalies du traitement cortical de l’information auditive pourraient être impliquées dans les troubles majeurs de l’acquisition du langage des autistes. En effet, ce dernier déficit cognitif peut se manifester, soit par un mutisme complet, soit par des écholalies, des logorrhées ou des verbigérations vraiment absconses. Parfois, le langage reste présent et assez riche, voire même sophistiqué, mais le débit et le rythme sont particuliers. Il arrive aussi qu’ils commentent à haute voix leurs propres actions. D’autres encore acquièrent le langage de manière mécanique et peu flexible. L’univocité du mot est caractéristique car celui-ci a tendance à garder le sens qu’il avait dans son contexte initial,
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sans généralisation à une autre situation. Ils semblent préoccupés par leurs propres pensées, sans tenir compte des stimulations de l’environnement. Il est difficile pour eux de faire partager un événement, leurs intérêts, et de s’informer de ceux d’autrui. Le langage métaphorique paraît aussi inadapté, entraînant une articulation défectueuse, avec des intonations souvent mal contrôlées, le son primant alors sur le sens des mots. À ce stade, la compréhension du langage, des relations sociales et affectives, demeure purement littérale. Ces enfants ont du mal à interpréter les mots se référant à des concepts abstraits, tels que le temps, la couleur, la taille et les sentiments [26]. Ils sont parfois capables de saisir le langage utilisé dans son contexte habituel, c’est-à-dire en association avec les comportements non verbaux correspondants, mais ils ne réagissent plus quand celui-ci disparaît. Cependant, la plupart du temps l’interprétation des signes verbaux et non verbaux demeure extrêmement restreinte. Peeters [48] affirme : « Lorsque le sens ‘‘ initial’’ des mots est altéré, les enfants atteints d’autisme peuvent en être très perturbés. » Si le langage est utilisé comme vecteur des pensées du locuteur, ou doit être compris au second degré (ironie, humour, métaphore, etc.), des anomalies spécifiques y seront alors observées. On peut observer aussi une difficulté à utiliser les pronoms personnels, le « je » et le « tu », ce qui, selon Hobson [34], correspond à la méconnaissance de la réciprocité du rôle de chacun dans le dialogue, à l’incapacité de s’identifier à la fois comme auditeur et producteur de paroles. Il a du mal à concevoir qu’une autre personne puisse être en même temps responsable de ses actes (le « je ») et sous la dépendance relative d’autrui et interpellé par autrui (le « tu »). C’est pourquoi les phrases entendues ou prononcées par lui sont uniquement liées aux événements auxquels elles ont été associées, sans référence aux rôles individualisés et subtils des partenaires de l’échange. L’écholalie représente aussi une des caractéristiques de la précarité à reconnaître la différenciation et la complémentarité soi–autrui dans la relation. Ce trouble du langage traduit l’impossibilité pour l’enfant à se situer comme sujet dans une interaction langagière. Ce défaut d’implication personnelle peut être interprété comme un autre témoin sémiologique d’un soi incomplet. Cette conception est en opposition avec celle de Rutter [53] pour qui l’anomalie fondamentale de l’autisme serait constituée primitivement par un trouble central de la perception et de la compréhension du langage : séquençage, abstraction, codage (sans qu’il existe pour autant de véritable surdité). Pour cet auteur, l’isolement autistique ne serait que la conséquence de ce déficit. Rutter en veut pour preuve le fait que l’on rencontre, de façon significativement plus élevée, des retards de langage ou des troubles de l’apprentissage de la lecture dans les fratries d’enfants autistes. Dans le domaine plus spécifique de la mémorisation du langage, les recherches de Minshew et al. [44] ont mis en évidence que dans une tâche d’apprentissage de quinze mots comme le California Verbal Learning Test, dans lequel le
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matériel ne serait encodé que de façon littérale, respectant systématiquement l’ordre de présentation des items, ces sujets n’utiliseraient jamais spontanément les caractéristiques sémantiques des mots pour en faciliter la mémorisation. Mottron et Belleville [45] interprètent ce déficit comme une véritable dysfonction sémantique, amenant les autistes à tenir compte des caractéristiques sonores des mots aux dépens de leur signification. Reprenant la constatation clinique que chez l’autiste la compréhension du langage est littérale, Frith [26] estime que les difficultés dans le domaine langagier ne se situeraient ni au niveau phonétique ou syntaxique, mais au niveau sémantique, c’est-à-dire dans la capacité à donner sens au langage dans un but de communication. Pour celle-ci, ce serait donc le langage pragmatique qui se trouverait atteint. La compréhension des normes sociales établissant ce qui est acceptable ou non dans une conversation deviendrait problématique ; ainsi n’hésiterat-il pas à demander à une personne avec qui il vient de faire connaissance : « Quel âge avez-vous ? » Tager-Flusberg [61] note que ces enfants peuvent se référer à des émotions basales (joie, tristesse, désir) en utilisant les expressions correspondantes (« je veux », « j’aime »), ou à des perceptions visuelles ou auditives (« je vois », « j’entends »). En revanche, ils n’utilisent jamais ou rarement les termes évoquant les cognitions ou les croyances qui se rapportent à ces émotions. Tager-Flusberg constate que s’il existe 100 % d’enfants autistes capables d’attribuer à l’autre une perception – « il voit » – seulement 80 % réussissent à attribuer un désir – « il veut ». Le score tombe à 60 % quand il leur est demandé d’attribuer une représentation – « il imagine ». Enfin, uniquement 40 % d’entre eux réussissent à reconnaître un simulacre – « il fait semblant » – et 20 % une croyance – « il croit que ». De leur côté, Bloom et al. [15] ont ainsi montré que les enfants avec autisme sont incapables de se servir de leurs intentions pour donner des noms à leurs propres dessins. Il semble que la capacité de prêter des intentions aux différents interlocuteurs joue un rôle crucial dans la liaison rapide habituelle entre un son et un sens. Ainsi, les effets d’un déficit de la théorie de l’esprit auraient un impact sur l’acquisition du langage. Enfin, toutes ces observations nous laissent suggérer que les autistes pourraient avoir de réels dysfonctionnements, surtout en ce qui concerne le maniement de la théorie de l’esprit, comme, par exemple, l’incapacité à attribuer de fausses croyances [3], à intégrer de vraies connaissances [40], ou encore pour prédire la surprise chez un sujet trouvant un autre objet que celui auquel il s’attendait [3]. Cela nous amène à exposer maintenant les modélisations cognitives responsables de la sémiologie des TED et de l’autisme, en particulier. 1.5.2. Les principaux modèles cognitifs explicatifs de l’autisme et des troubles envahissants du développement (TED) 1.5.2.1. Déficit dans les aptitudes à mentaliser. Le manque d’aptitude à mentaliser peut expliquer les déficits des autistes
dans les comportements de socialisation, de communication et d’imagination, c’est-à-dire dans des contextes où la prise en compte des états mentaux est primordiale. Cette incapacité à mentaliser ou à lire dans l’esprit d’autrui est bien la conséquence d’une incapacité à se construire des métareprésentations de la réalité et serait à l’origine de leurs problèmes relationnels. Pourtant, ce déficit n’apparaît pas systématiquement dans l’autisme, étant donné que 20 % des enfants réussiraient dans les tâches classiques de la théorie de l’esprit. Il faut cependant préciser que ceux qui « sortent du lot », les « talentueuses minorités », comme les appelle Uta Frith, ont un âge mental bien supérieur à ceux qui échouent. Une étude ultérieure a toutefois montré que réussir le test de Sally-Anne n’impliquerait pas ipso facto que la TOM soit normale puisque ces enfants vont avoir, par ailleurs, de sérieuses difficultés dans des tâches plus élaborées, dites de second ordre. De nombreuses objections ont néanmoins été rapportées sur ce type de tâches : ainsi celles de fausse croyance de second ordre ne permettraient pas de tester les concepts mentaux d’un niveau beaucoup plus complexe que ceux appréhendés dans les tâches de premier ordre. Il faut en effet souligner que de nombreux adultes normaux seraient en difficulté dans des tâches de quatrième ou cinquième ordre, alors qu’il n’y a aucune raison pour que leur compréhension des états mentaux soit insuffisante. Les tâches de second ordre permettraient donc seulement d’évaluer la capacité à stocker des représentations en mémoire de travail [52]. Le second problème soulevé serait que ceux qui réussissent les tests classiques de théorie de l’esprit présentent malgré tout des difficultés importantes dans la compréhension de situations sociales [38]. Il existe donc une différence importante entre les résultats obtenus aux épreuves de théorie de l’esprit et le comportement social quotidien. À la suite de ces résultats, pour éviter l’influence de la consigne verbale des tests TOM qui demandent un certain niveau de conceptualisation, des auteurs ont utilisé un paradigme différent : il s’agissait dans cette expérience de visionner des formes géométriques se déplaçant soit aléatoirement, soit selon un pattern évoquant une scène d’interaction sociale [18]. Les activations cérébrales lors de la présentation de ces scènes ont ensuite été comparées chez un groupe d’autistes et de témoins. Les résultats montrent dans les deux groupes une activité soutenue au niveau des aires visuelles, liée à la perception de ces mouvements particuliers. Chez les personnes autistes, on relève des anomalies de l’activité cérébrale lors de l’observation des scènes sociales. Ces anomalies touchent des régions jouant un rôle clé dans la cognition sociale : l’amygdale, la jonction temporo-pariétale avec le sillon temporal supérieur et la région frontale médiane. Ce déficit en « mind reading » avait déjà été évoqué dans de nombreuses études [8,24] qui ont permis de comprendre que ces enfants ne souffrent pas d’une absence totale de théorie de l’esprit, mais plutôt d’un retard de développement de cette capacité, sans pour autant jamais atteindre le niveau de maturité qui leur permettrait de combler ce déficit.
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Cependant, le fait que tous les autistes ne réussissent pas les tests TOM nous amène à exposer d’autres modèles pour une approche plus précise des altérations spécifiques au fonctionnement cognitif de l’autiste. 1.5.2.2. L’altération du fonctionnement exécutif. Des difficultés dans le fonctionnement exécutif et plus précisément dans la planification de stratégies visant à atteindre des objectifs, dans la capacité à inhiber une action inutile et dans celle de passer d’une activité à une autre, sont des caractéristiques de la pensée autistique. Il en ressort que cette hypothèse d’altération psychologique, clé de l’autisme, en termes de processus cognitifs déviants, fournit des explications sur des troubles tels que la restriction des intérêts, une résistance obsessionnelle au changement, des conduites stéréotypées et répétitives, et ce parmi des îlots d’aptitudes relativement conservés. Plumet, Hughes, Tardif et Mouren-Siméoni [50] expliquent que leurs difficultés sur les tâches TOM peuvent être liées à des problèmes d’inhibition concernant des réponses non pertinentes ; ainsi leurs performances sont-elles identiques sur des tâches de fausse croyance (Théorie de l’esprit) comme sur des tâches de structure inhibitrice analogue mais ne mettant pas en jeu la Théorie de l’esprit. Cependant, les altérations du fonctionnement exécutif sont présentes dans de nombreux autres syndromes (TOC, Gilles de la Tourette, schizophrénie, TDA. . .) et l’on pourrait en déduire que celles-ci ne sont pas forcément des éléments caractéristiques de l’autisme. Pourtant, si dans toutes ces pathologies on retrouve ce même déficit, pourquoi sont-elles cliniquement si différentes les unes des autres ? Pour répondre à cette question, il serait nécessaire de tester séparément chaque composante de la fonction exécutive, car cela nous conforterait dans l’idée que ces divers troubles seraient consécutifs à des perturbations mettant en jeu des opérations bien particulières du fonctionnement exécutif. Par exemple, il semblerait que les fonctions de planification, de mémoire de travail et de flexibilité attentionnelle soient davantage centrales dans l’autisme que la fonction d’inhibition [47]. Du point de vue neurophysiologique, des relations ont été évoquées entre ce trouble des fonctions exécutives et un dysfonctionnement des régions frontales, et plus particulièrement du cortex préfrontal dorso-latéral reconnu comme étant généralement impliqué dans ces types de traitement [41]. D’autres études portent sur le trouble de l’adaptation à l’environnement des autistes. Il a ainsi été mis en évidence que la détection d’un changement engendre précocement chez l’enfant autiste un état d’activation cérébrale très particulier et qui persiste bien après la stimulation [29]. L’IRMf met en évidence un dysfonctionnement du cortex cingulaire antérieur gauche situé dans la partie frontale médiane1. Ce traitement 1
Gomot, Bernard, Davis, Belmonte, Ashwin, Bullmore, B Baron-Cohen. Change detection in children with autism an auditory event-related fMRI study. Neuroimage 2006;29:475-484.
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atypique du changement pourrait contribuer à la restriction des activités et des intérêts des personnes autistes, qui ainsi rechercheraient au maximum la similarité et éviteraient de se confronter à la nouveauté. En résumé, ces difficultés dans le domaine du fonctionnement exécutif pourraient contribuer aux comportements répétitifs et rigides observés, en émettant toutefois la réserve que celles-ci ne puissent rendre compte de toute la symptomatologie autistique, car il est très difficile de démontrer leur rôle dans les aspects sociaux de cette pathologie ; ils ne permettent pas, non plus, d’en résoudre toute la problématique plus spécifiquement cognitivoaffective. 1.5.2.3. La thèse du déficit de la « cohérence centrale » de U. Frith. C’est la raison pour laquelle Uta Frith [25] propose une autre approche purement cognitive. Dans le domaine de la perception spatiale, les autistes regardent davantage l’arrièreplan et ont des temps de fixation plus courts. En outre, ils se fixent souvent sur certains vécus perceptuels très limités et sur des détails mineurs de leur environnement, négligeant la perception globale de celui-ci. Partant de cette constatation, U. Frith a montré, à l’aide du test dit « des images cachées », que ceux-ci auraient une grande propension à faire abstraction du contexte perceptif au sein d’un ensemble formel structuré pour, contrairement aux autres enfants, ne s’attacher à repérer que des formes partielles. Cet auteur en conclut que ceux-ci vivraient ainsi dans un monde fait d’expériences spatiales fragmentées, sans cohésion interne. Pour expliquer ces constatations, elle postule l’existence d’une déficience au niveau de certains processus centraux du traitement de l’information : à savoir une faiblesse de la force de cohérence centrale. Ce mécanisme autoriserait l’assemblage de bribes d’informations disparates, pour leur donner sens, dans l’élaboration de schémas globalement efficients. Les autistes seraient incapables de donner une réalité conceptuelle à un regard ou à une activité gestuelle, d’assembler des interprétations ou d’organiser différents aspects d’une situation pour les intégrer dans la construction d’un tout potentiellement intelligible. Au niveau verbal, Happé, en 1997 [30], a montré que les autistes échouent fréquemment aux tests de lecture impliquant des homographes, puisque la compréhension de leur signification dépend de la prise en compte du contexte général de la phrase. Toutefois, lorsqu’on demande aux autistes de façon explicite de bien tenir compte de ce contexte, leurs résultats se normalisent. Cela indique donc que leurs traitements globaux ne sont absolument pas spontanés. Cette altération psychologique de la « cohérence centrale » permettrait d’expliquer, malgré la préservation de certains îlots de compétence (comme la reproduction minutieuse de détails retrouvés dans les productions graphiques de certains autistes), les difficultés d’attention conjointe, entraînant une altération de la Théorie de l’esprit ainsi que les mouvements répétitifs et stéréotypés, les intérêts restreints, les sensations de morcellement et un certain détachement vis-à-vis de l’environnement social, du fait de leur difficulté à l’organiser en un ensemble logique et compréhensible.
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1.6. Conclusion Si les autistes ont des difficultés particulières pour appréhender les perceptions, les désirs et les croyances d’autrui comme étant différents des leurs et à interpréter leurs propres émotions et actions comme leur étant bien singulières, dans le contexte des normes, des attentes et des conventions culturelles cela s’inscrit alors comme un handicap certain pour participer pleinement à la vie sociale. Pour Sigman et Capps [59], les autistes souffriraient d’un certain degré d’altération des précurseurs d’une compréhension sociale et émotionnelle sophistiquée (adaptée au contexte). Le trouble pourrait provenir de l’altération de la capacité de réponse émotionnelle ou d’une capacité diminuée pour appréhender ses propres états affectifs et ceux d’autrui. Autrement dit, le désordre pourrait être d’ordre affectif ou cognitif et il est même très probable que le trouble autistique provienne de déficits dans ces deux domaines. Le manque d’envie ou d’aptitude à partager une réponse émotionnelle limite de façon drastique la compréhension de leurs représentations, ainsi que leur expérience tant identitaire que celle relative à autrui, perturbant d’autant leurs relations sociales. Les intérêts restreints et les étranges conduites d’attention seraient la conséquence plutôt que la cause des déficits cognitifs et sociaux. Toute description de l’autisme se doit donc d’expliquer les altérations de la relation interpersonnelle et de l’activité imaginative, celles-ci ayant comme corollaires des troubles de la socialisation. Or s’il n’existe pas de déficits globaux dans ces domaines, le trouble autistique se manifeste précisément dans des contextes qui supposent que l’on comprenne, que l’on partage et que l’on influence, en tenant compte de la perspective d’autrui. À la lumière des faits ainsi exposés concernant les modèles cognitifs explicatifs de l’autisme, nous allons maintenant nous intéresser à quelques expériences réalisées en vue de dégager certaines particularités de leur fonctionnement mental, au niveau de l’intelligence sociale, en essayant d’y explorer les notions relatives à la théorie de l’esprit. 2. INTELLIGENCE SOCIALE ET TED : PRÉSENTATION DE QUELQUES PARADIGMES EXPÉRIMENTAUX 2.1. Les autistes sont-ils capables de posséder une théorie de l’esprit ? L’autisme, comme nous venons de le voir, se caractérise par l’association de trois types de troubles relatifs à l’aspect relationnel, à la production imaginative et à la communication sociale. Des chercheurs comme U. Frith [26] ont essayé de trouver une composante cognitive unique pour expliquer cette association reposant sur une mauvaise compréhension des états mentaux, par suite d’une défection d’une composante innée qui interviendrait à ce niveau.
Une telle hypothèse impliquerait en particulier qu’ils soient, comme le relevait déjà Frith [25], « des behavioristes naturels et que contrairement aux individus normaux, ils ne se sentent pas obligés d’entretisser la pensée et le comportement pour engendrer de la cohérence ». Par exemple, s’ils ne présupposent pas qu’on puisse être gentil ou cruel, ils n’analysent pas non plus, ni les comportements pris au premier degré, ni les intentions sous-jacentes susceptibles d’en modifier la signification, telles que la tromperie, la flatterie, la persuasion ou l’ironie, qui leur posent pourtant de réels problèmes d’interprétation. De ce fait, ces enfants passent beaucoup de temps seuls, isolés et semblent plutôt attachés à l’environnement inanimé. Par ailleurs, toujours selon Frith [25], l’absence d’aptitudes sociales serait due à la problématique autistique, et non à un manque d’intérêt social [25]. En effet, si les problèmes sociaux sont indissociables des déficits cognitifs et de communication [55], les particularités spécifiques de ces enfants sont l’expression d’une impuissance de base à comprendre et à construire des relations [54], les conditions préalables à la communication leur faisant défaut. Ainsi ont-ils des besoins dont ils ne sont pas toujours réellement conscients. En effet, la personne autiste échoue même dans la reconnaissance de l’effet communicatif de ses propres productions verbales. De plus, Uta Frith [25] ajoute que l’isolement autistique pourrait s’expliquer par l’absence de l’instinct social inné présent chez les petits enfants. Il a été démontré que les bébés autistes n’émettent pas les mêmes signaux communicatifs préverbaux pour traduire la joie, la surprise, la frustration que les « normaux ». Le développement des comportements d’attachement en est retardé car l’enfant autiste peut traiter l’adulte comme un objet à manipuler, non par désir pervers de mal le considérer, mais parce qu’il ne reconnaît pas les relations possibles entre les êtres humains. Cette méconnaissance entraîne inévitablement des anomalies dans la communication verbale ainsi que dans la compréhension des indices non verbaux qui accompagnent le discours de l’interlocuteur. S’ils ne reconnaissent pas qu’une autre personne peut ne pas savoir ce qu’eux-mêmes savent, il est évident qu’ils ne vont pas éprouver la nécessité de lui faire part de ce nouveau savoir. De même, s’ils ne savent pas reconnaître qu’ils ne savent pas tout, ils ne peuvent pas être motivés pour acquérir de nouvelles connaissances. 2.2. Exploration de la Théorie de l’esprit dans l’autisme Différentes expériences ont été proposées aux autistes pour évaluer leur performance en TOM. Nous allons maintenant présenter les plus connues, dont les analyses des réponses vont sans doute nous permettre d’en tirer des enseignements intéressants concernant l’évolution des états mentaux chez ces enfants. 2.2.1. Le paradigme de Sally-Anne [3] Cette étude porte sur 20 enfants autistes dont les résultats seront comparés à ceux de 14 enfants trisomiques et de 27 enfants « normaux ».
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Les résultats des enfants trisomiques et des enfants « normaux » sont semblables ; ils répondent que Sally va aller chercher la bille dans le panier, là où elle-même l’a déposée. En revanche, les enfants autistes répondent : « dans la boîte ». Ils ne sont cependant pas en difficulté à la question portant sur la réalité, c’est-à-dire savoir où est réellement la bille ; question à laquelle ils répondent toujours correctement. Les autistes n’ont pas apprécié que leur propre connaissance de la localisation actuelle de la bille et la connaissance pouvant être attribuée à Sally (la poupée) soient différentes. Ils ont donc prédit le comportement de la poupée sur la base de leurs croyances ; alors que les enfants trisomiques et à l’évidence les enfants « normaux » réussissent parfaitement cette prédiction. Ces résultats sont en faveur de l’hypothèse que les enfants autistes échouent à employer la théorie de l’esprit. Ils sont inaptes à se représenter des états mentaux et incapables d’imputer des croyances à autrui, devenant ainsi gravement désavantagés pour prédire le comportement de leurs semblables. 2.2.2. Le crayon dans la boîte de « Smarties » Avec un test totalement différent et que nous avons déjà exposé par ailleurs (« le test des Smarties »), Perner, Frith, Leslie et Leekam [49] ont évalué individuellement 26 enfants autistes, âgés de trois à treize ans, sur des tâches correspondant aux capacités d’enfants « normaux » de trois à quatre ans. Sur les 26 autistes de cette étude, seulement quatre réussissent l’épreuve ; les autres ne savent donc pas ajuster leurs réponses en fonction des connaissances d’autrui. Ainsi, la plupart des enfants autistes ont-ils des difficultés avec la théorie de l’esprit, leur échec n’étant pas dû à un simple retard mental (résultats comparés avec un groupe ayant des problèmes de langage). Ce que peuvent faire aisément des enfants « normaux » à partir de quatre ans, seule une minorité d’enfants autistes, avec un âge mental de treize ans, peuvent le réaliser. Tout semble se passer comme si les autistes étaient aveugles à leur propre pensée antérieure et à celle potentiellement différente des autres. En restant ainsi ignorants de leur environnement comme de leur propre monde, leur vécu reste limité à de vagues perceptions et sensations actuelles. 2.2.3. Des bandes dessinées pour physiciens, behavioristes et psychologues : le concept d’intentionnalité de Baron-Cohen, Leslie et Frith Dans une autre étude, Baron-Cohen, Leslie et Frith [4] ont repris ces tests, mais cette fois en employant une technique surtout non verbale. Ils ont utilisé un test en bandes dessinées constitué de quatre images illustrant une histoire, lorsque les planches sont correctement placées : une histoire de type « mécaniciste » qui montre une interaction physique entre objets et personnes (un homme par exemple shoote dans une pierre, laquelle dévale une colline et tombe dans l’eau) ; une histoire de type « behavioriste » avec des interactions comportementales (une petite fille prend la glace d’un petit garçon et la mange) ;
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une histoire de type « mentaliste ». Une petite fille pose son jouet derrière elle, pendant qu’elle cueille une fleur et quelqu’un le lui prend ; elle se retourne et est surprise de ne plus le retrouver. Les réponses à ces tests mettent de nouveau en évidence les performances très médiocres obtenues par les enfants autistes avec les histoires impliquant la croyance, alors que leur capacité pour celles impliquant les désirs et les buts d’un personnage étaient au moins comparables à celle d’enfants trisomiques ayant le même âge ou à celles d’enfants normaux du groupe contrôle âgés de quatre ans. En revanche, les enfants autistes ont très bien réussi dans l’agencement d’histoires impliquant la causalité physique, ce qui ne requiert pas la reconnaissance des états mentaux. Ces performances démontrent que le déficit de compréhension des croyances en tant que cause psychologique du comportement – déficit spécifique de l’autisme – n’est pas dû à des problèmes de langage ou à une incapacité à en saisir la causalité. Cela écarte aussi l’hypothèse d’un déficit général concernant la mise en ordre logique des enchaînements séquentiels. 2.2.4. La compréhension des émotions Baron-Cohen [6] a démontré que les enfants autistes sont capables de comprendre des situations émotionnelles et qu’ils sont aussi bons qu’un groupe d’enfants handicapés mentaux lorsqu’il s’agit de saisir l’émotion sous-tendue par des désirs. En revanche, ils se révèlent moins performants que les enfants normaux de cinq ans ou que des enfants mentalement handicapés pour prédire l’émotion suggérée par la croyance. Baron-Cohen [7] a aussi étudié l’émotion liée à la croyance ou à la connaissance d’un événement et à la frustration supposée qui en découle. Il propose, pour ce faire, une histoire que l’on raconte à l’enfant. Un éléphant n’aime boire que du lait. Il déteste l’eau. Il a du lait dans son verre. Il s’en va et pendant ce temps-là, un singe lui remplace son lait par de l’eau. Que va penser l’éléphant en voyant l’eau dans son verre ? (émotion directe : il est déçu). Que va penser l’éléphant au moment où il se dirige vers son verre avant de constater le changement de contenu ? (émotion cognitive : il est content car il croit, il sait qu’il va boire du lait). Baron-Cohen constate que la compréhension des émotions causées par la croyance chez les enfants autistes est défaillante. Seuls ceux de bon niveau sont capables d’accéder à cette compréhension. Si la connaissance des émotions causées par les situations et désirs est correcte, d’autres émotions cognitives telles que la surprise, l’embarras, la curiosité, seraient particulièrement pauvres. 2.2.5. La capacité à différencier les entités mentales des entités physiques Le fait de comprendre que le cerveau est un organe avec des fonctions mentales peut être considéré également comme un élément fondamental de la théorie de l’esprit. Dans cette optique, Baron-Cohen [5], après s’être assuré qu’ils connaissaient la localisation du cerveau, a demandé à des enfants autistes : « à quoi sert le cerveau ? » La plupart ont donné des réponses en référence à l’action motrice comme par exemple : « ça nous fait bouger ». Seul un petit nombre d’entre
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eux se réfèrent au rôle mentaliste du cerveau en répondant : « c’est pour penser ». À contrario, les enfants mentalement handicapés et les enfants normaux âgés de cinq ans font référence à la fonction mentale de celui-ci en y associant des rôles tels que : « rêver, se souvenir, garder des secrets. . . ». Cette expérience nous amène à nous poser la question suivante : les autistes peuvent-ils différencier les entités mentales des entités physiques ? Pour ce faire, Baron-Cohen [5] a testé cette capacité, en s’inspirant de la méthode utilisée chez les enfants normaux par Wellman et Estes [66]. L’auteur raconte une histoire concernant deux personnages : l’un possède un objet tandis que l’autre y pense, rêve, fait semblant, ou se souvient. Après chaque histoire, l’enfant doit déterminer quel personnage peut exercer une action sur l’objet – par exemple, « lequel peut toucher l’objet ? ». Les enfants normaux et ceux handicapés mentalement réussissent le test, en indiquant que c’est celui qui possède l’objet qui peut le toucher, alors que la majorité des enfants autistes échouent à ce type de test. De même, en utilisant la méthode de Flavell, Green et Flavell [22] chez les enfants normaux pour tester leur capacité à distinguer l’apparence de la réalité, Baron-Cohen a montré que seul un faible pourcentage de sujets autistes était capable de réussir ce type d’épreuve. L’ignorance de ces derniers à faire la distinction entre apparence et réalité prouve qu’ils sont dominés par leur perception et donc incapables de prendre en compte leur savoir. Tous les chercheurs admettent que cette capacité cognitive de mentalisation peut ne pas être déficitaire. Son développement peut seulement en être retardé, ce qui expliquerait la déviance du profil de développement de la capacité d’attribution des différents contenus mentaux, si l’on compare ce profil à celui d’enfants retardés mentaux et d’enfants normaux appariés par âges mentaux verbaux et non verbaux. 2.3. Intelligence sociale, TOM et trouble envahissant du développement non spécifique (TED-NS) Les TED-NS sont souvent un diagnostic d’attente qui a son intérêt puisqu’il permet d’intervenir précocement auprès d’un élève dont le dysfonctionnement dans les interactions sociales réciproques, dans les modes d’expression ou dans les préoccupations inhabituelles se caractérise par des manifestations atypiques ou incomplètes. Beaucoup de personnes atteintes de TED-NS ne donnent pas lieu à un diagnostic de trouble du spectre autistique, soit parce que leurs symptômes se développent plus tard que prévu par les critères diagnostiques, soit parce qu’elles présentent des symptômes non mentionnés dans ces critères. Les personnes présentant des déficiences au niveau social ou communicationnel, ou des comportements ou des intérêts stéréotypés, mais qui ne répondent aux critères d’aucun trouble envahissant du développement reçoivent généralement un diagnostic de TED-NS. Outre les déficits dans le comportement social (évitement du regard, manque d’intérêt pour la voix humaine, semble
indifférent à l’affection, absence de comportement d’attachement typique, peu de jeu d’imitation et d’expression faciale. . .), il existe des patterns de comportement inhabituel comme une résistance à tous changements, un comportement ritualisé, des réponses sensorielles inhabituelles. . . À cela se surajoutent des déficits dans le développement du langage oral. Ainsi, beaucoup d’enfants TED-NS ne babillent pas ou commencent à babiller durant leur première année puis s’arrêtent. Les prémices du langage montrent souvent de l’écholalie. Leur discours est caractérisé par la monotonie, avec peu de changement d’expression émotionnelle. Les difficultés de prononciation sont habituelles mais diminuent à mesure que les enfants grandissent. Des anomalies grammaticales sont fréquentes dans le discours spontané de ces enfants avec des phrases qui peuvent être télégraphiques, brèves, monotones. Les mots qui ont des sons semblables vont avoir une signification confuse. De nouveaux mots peuvent être créés. Les prépositions, conjonctions et pronoms sont souvent omis. Quand les TED-NS arrivent à développer un langage fonctionnel, on observe qu’ils répètent souvent les phrases. Leur discours n’utilise pas l’imagination, l’abstraction, les émotions subtiles. Ils sont bavards à propos de leurs intérêts et éprouvent d’énormes problèmes à parler de quelque chose où le contexte n’est pas immédiat. Au niveau cognitif, les TED-NS ont plutôt une bonne mémoire visuelle et vont être déficitaires dans les modalités séquentielles et dans la pensée abstraite. Ces enfants sont aussi peu sensibles à l’humour. Récemment, il a été montré que les enfants porteurs de TED-NS avaient un déficit caractérisé en TOM ; évalué dans l’épreuve « The brain function task », de Baron-Cohen [5] et la tâche de fausse croyance de Perner, Frith, Leslie et Leekam [49], comparés aux enfants ayant un retard de langage. Leurs problèmes à ce niveau semblent cependant moins importants que ceux des autistes [58], bien qu’ils aient une compréhension des désirs, des croyances et des émotions d’autrui retardée d’environ six mois par rapport aux enfants normaux [57]. Dernièrement, Begeer, Rieffe, Terwogt et Stockmann [11] ont révélé que les enfants TED-NS réussissent les tâches de fausses croyances quand ils sont dans la condition d’être récompensé alors que les enfants autistes échouent. Ces résultats indiquent le rôle joué par les facteurs sociaux dans la connaissance de la TOM. 3. PERSPECTIVES ET HYPOTHÈSES DE TRAVAIL Bishop [13] et Baron-Cohen [8] ont mis l’accent sur le fait qu’une théorie de l’esprit était absente ou tout au moins défaillante chez les enfants autistes, et ce indépendamment du retard mental. Cependant, environ 20 % de ces derniers pouvaient accéder à une théorie de l’esprit de premier ordre d’un âge verbal d’au moins quatre ans, de la même façon d’ailleurs que les enfants témoins. Dans ces conditions, l’installation d’une théorie de l’esprit et les performances obtenues aux tests relatifs à cette théorie semblent donc fortement associées au développement du langage des enfants [42].
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Les recherches génétiques effectuées à ce sujet reconnaissent une certaine relation entre problème de langage et autisme, car on retrouve, en effet, davantage de difficultés langagières dans la parenté des autistes [39]. Yirmiya, Salamonica-Levi et Shulman [71] indiquent l’existence d’une corrélation significativement positive entre aptitudes verbales et performances en théorie de l’esprit, mais sans qu’il existe de relation significative avec l’âge mental performance ; tandis que Sparrevohn et Howie [60] relèvent la même corrélation en ce qui concerne l’âge mental verbal. Happé (1995) a également prolongé cette étude chez les déficients mentaux d’étiologie mixte. Il en ressort que pour ceux-ci, on ne retient pas de corrélation entre les aptitudes verbales et les compétences en théorie de l’esprit, tandis que Yirmiya et al. [71] notent encore, pour les mêmes sujets, comme ceux d’ailleurs atteints du syndrome de Down, une absence de relation à ce niveau, concernant les aptitudes mentales. Ainsi, si ces différentes études nous confortent bien dans l’idée qu’une relation directe puisse s’établir entre la théorie de l’esprit et l’aptitude verbale chez les TED, en revanche la relation avec l’aptitude mentale (échelle performance du WISC) ne peut être mise en évidence. En ce qui concerne les déficients mentaux, l’aptitude en théorie de l’esprit ne semble reliée ni à l’âge mental performance, ni à l’âge mental verbal. Les dernières études de Liss et al. [41] indiquent que le QI verbal est fortement lié à l’adaptation sociale (qu’il y ait de l’autisme ou non). Les tests de langage et la mémoire verbale sont les meilleurs « marqueurs » de compétence sociale. On peut donc en conclure que si la théorie de l’esprit n’est pas un déficit spécifique de l’autisme puisque les tests TOM sont parfois réussis toutefois, il persiste toujours un déficit de l’interaction sociale. En outre, les lacunes du comportement social qui affectent les TED dans leur vie quotidienne rendent actuellement difficile toute rééducation. De plus, les TED-NS posent des problèmes de diagnostic différentiel par rapport aux troubles spécifiques du développement du langage oral (dysphasies). C’est dire l’importance d’élaborer des outils, notamment de nouveaux questionnaires et des échelles adéquates, tant pour évaluer leur adaptation sociale en mettant en évidence les déficits émergeant dans leurs conduites que pour tester leurs capacités à mentaliser. 4. CONFLITS D’INTÉRÊTS Pas de conflits d’intérêts. RÉFÉRENCES [1] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. (DSM-IV, 4e édition). The American Psychiatric Association. Washington D.C; 1994, Author, trad.fr.1996, Masson: Paris. [2] Asperger H. Die autistiken Psychopathen im Kindesalter. Archiv für Psychiatrie und Nervenkrankheiten 1944;117:76–136. [3] Baron-Cohen S, Leslie AM, Frith U. Does the autistics child’s have a theory of mind? Cognition 1985;21:37–46.
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