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Mise au point
Reconnaître et traiter les intoxications oxycarbonées aiguës en 2005 Recognizing and treating acute carbon monoxide poisonings in 2005 J.-C. Raphael Service de réanimation médicale, hôpital Raymond-Poincaré, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France
Résumé L’intoxication oxycarbonée aiguë reste une cause importante de mortalité et de morbidité. Le diagnostic est souvent difficile, voire méconnu. En dehors des cas évidents, il repose sur l’association des différents paramètres : signes cliniques, dosage du CO dans l’air, dans l’air expiré, dans le sang, recherche d’une source de contamination. Le tableau clinique est dominé par le risque de séquelles neurologiques secondaires, de gravité faible mais de prévalence élevée. L’oxygénothérapie normobare au masque est le traitement immédiat de toute intoxication. Ce traitement initial est complété par de l’oxygénothérapie hyperbare chez les patients ayant présenté un coma initial, chez la femme enceinte quels que soient les signes neurologiques observés chez la mère. L’intoxication, quelle qu’en soit la cause, doit être signalée, faire l’objet d’une enquête technique pour les causes domestiques et professionnelles. La victime doit être prévenue du risque de récidive et de complications neurologiques secondaires. L’effort de prévention et de recherche doit être amplifié afin de diminuer la morbidité de cette intoxication. © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. Abstract Carbon monoxide (CO) poisoning is still complicated by a high mortality and morbidity rate. Diagnosis can be obvious but is most of time difficult and sometimes remained unknown. It is usually based on clinical signs and must be confirmed by assessment of CO level in room air or in patient’s expired breathing or blood and detection of a source. Mild neurological sequel are very common. Normobaric oxygen is the first line treatment. Comatose and pregnant patients must undergo hyperbaric oxygen. All CO poisoning has to be declared to sanitary authority, which will in turn conduct a technical inspection to remove the source. The patient must be informed that he is at risk of new poisoning and of neurological complications. Progress in prevention and research in therapeutics are needed in order to reduce CO related morbidity. © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. Mots clés : Intoxication oxycarbonée aiguë ; Signes cliniques ; Troubles neurologiques ; Oxygénothérapie hyperbare ; Prévention Keywords: Carbon monoxide poisoning; Clinical signs; Neurological sequel; Hyperbaric oxygen; Prevention
L’intoxication aiguë au monoxyde de carbone (CO) reste une cause importante de morbidité et de mortalité dans le monde. De très nombreuses publications ont largement décrit la physiopathologie, les signes cliniques inauguraux, les complications secondaires, les principes thérapeutiques. Pourtant il
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persiste de nombreuses divergences dans la prise en charge de ces patients. Cela s’explique en partie par la multiplicité des intervenants (service mobile d’urgences, médecins généralistes et spécialistes, médecins libéraux et médecins hospitaliers, médecins du travail, services sociaux, etc.). Il est facile de comprendre qu’il n’est pas aisé de donner de la cohérence à ces groupes de formation et d’activités professionnelles très diverses. Pourtant cette intoxication serait responsable d’environ 200 à 300 décès par an en France, provoquerait environ 6000
1624-0693 /$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. doi:10.1016/j.reaurg.2005.10.015
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hospitalisations sans compter le coût supplémentaire pour la collectivité des arrêts de travail et des difficultés de reprise de l’activité professionnelle dans certains cas. Sur l’initiative de la direction générale de la santé (DGS, Conseil supérieur d’hygiène publique de France), un groupe d’experts multidisciplinaires a été chargé d’élaborer un référentiel de prise en charge. Ce travail est maintenant achevé [1]. Nous avons eu l’honneur et le plaisir de présider ce groupe. C’est à ce titre que nous tenterons de résumer les principales informations actuellement disponibles. Volontairement nous nous sommes limités à trois aspects qui paraissent les plus importants : ● les difficultés diagnostiques ; ● la description des complications neurologiques secondaires qui sont actuellement un des problèmes majeurs de cette intoxication ; ● les principes de la prise en charge initiale et surtout du suivi de ces victimes qui sont encore peu connus. 1. Les difficultés diagnostiques Toutes les situations aboutissant à une combustion incomplète, par défaut d’oxygène, d’une substance contenant du carbone provoquent la production de CO. Les causes sont donc extrêmement nombreuses. Certaines intoxications surviennent en milieu professionnel (gardien de parking), d’autres posent des problèmes spécifiques (incendie). En France, les causes accidentelles et domestiques sont les plus fréquentes, provoquées par différents appareils de chauffage mal utilisés ou mal surveillés (chauffe-eau, poêle à charbon, chaudière collective). L’intoxication est souvent collective et saisonnière, ce qui peut poser de réels problèmes de prise en charge en cas d’afflux massif et simultané des victimes dans les services d’urgences. Les signes cliniques inauguraux sont polymorphes, dénués de la moindre spécificité et évoluent avec le temps. En l’absence de contexte évocateur (intoxication collective, identification d’une source de CO), le diagnostic est extrêmement difficile voire impossible. Il existe des formes immédiatement mortelles, ce qui pose des problèmes médicolégaux. Le coma inaugural est présent dans 3 à 13 % des séries récentes. Habituellement, le patient reprend connaissance sous oxygène, ce qui est un élément important du diagnostic. Les signes les plus fréquemment rencontrés sont des céphalées, des vertiges, une sensation de faiblesse musculaire, des troubles digestifs notamment chez l’enfant. Les troubles de l’électrocardiogramme (ischémie sous-épicardique ou sous-endocardique) sont fréquents, peuvent apparaître d’emblée ou secondairement. Ils n’ont habituellement pas de retentissement clinique. En dehors des cas évidents, le diagnostic repose sur la recherche d’arguments directs ou indirects en faveur de l’exposition au CO. Le CO peut être dosé dans l’air ambiant, dans l’air expiré (si le sujet est conscient), dans le sang, la méthode habituelle est la mesure du taux de carboxyhémoglobine (HbCO). Il existe une bonne corrélation entre le CO mesuré dans l’air expiré et dans
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le sang. Plusieurs techniques de dosage sont disponibles [1] qui ne peuvent ici être détaillées. Certaines difficultés pratiques peuvent être soulignées. Le taux de CO dans l’atmosphère peut être très variable en fonction de l’aération de la pièce. La durée réelle de l’intoxication est habituellement peu connue. Le taux d’HbCO dans le sang dépend du délai de prélèvement par rapport à l’intoxication et de la FiO2 administrée au patient. Un taux d’HbCO normal n’élimine donc pas le diagnostic. L’examen de la littérature montre que les définitions utilisées sont très variables d’une étude à l’autre, ce qui ne facilite pas les comparaisons et les études épidémiologiques. En fait le diagnostic repose souvent sur un faisceau d’arguments et non sur l’examen d’un seul paramètre. Pour ces différentes raisons, la DGS dans un but épidémiologique, a défini par circulaire les cas qui nécessitent une déclaration (Tableau 1) et les sujets à risque (Tableau 2) qui doivent être signalés afin d’éviter une aggravation de ces manifestations. Pour le clinicien, ces définitions sont pertinentes en termes de prévention, de l’aide au diagnostic, mais toutes ces situations ne nécessitent sans doute pas une intervention thérapeutique. Dans les essais thérapeutiques disponibles, les malades inclus ont habituellement des taux d’HbCO supérieurs à 10 %
Tableau 1 Définition du cas certain d’intoxication au monoxyde de carbone Cas no 1 : sujet présentant des signes cliniques évocateurs d’intoxication au CO et carboxyhémoglobinémie mesurée ou estimée (dans l’air expiré) supérieure ou égale à 6 % chez un fumeur (ou une personne dont le statut tabagique est inconnu) ou à 3 % chez un non-fumeur ; Cas no 2 : sujet présentant des signes cliniques évocateurs d’intoxication au CO et concentration de CO mesuré dans l’atmosphère supérieure à 10 ppm ; Cas no 3 : sujet présentant des signes cliniques évocateurs d’intoxication au CO et installation défectueuse après enquête ; Cas no 4 : carboxyhémoglobinémie mesurée ou estimée (dans l’air expiré) supérieure ou égale à 6 % chez un fumeur (ou une personne dont le statut tabagique est inconnu) ou à 3 % chez un non-fumeur et installation défectueuse après enquête ; Cas no 5 : carboxyhémoglobinémie mesurée ou estimée (dans l’air expiré) supérieure ou égale à 10 % chez un fumeur (ou une personne dont le statut tabagique est inconnu) ou à 6 % chez un non-fumeur ; Cas no 6 : carboxyhémoglobinémie mesurée ou estimée (dans l’air expiré) supérieure ou égale à 6 % chez un fumeur (ou une personne dont le statut tabagique est inconnu) ou à 3 % chez un non-fumeur et sujet exposé dans les mêmes conditions (locaux, véhicule…) qu’un patient appartenant à une des catégories précédentes ; Cas no 7 : sujet présentant des signes cliniques évocateurs d’intoxication au CO et sujet exposé dans les mêmes conditions (locaux, véhicule…) qu’un patient appartenant à une des catégories précédentes.
Tableau 2 Définition de la situation à risque d’intoxication par le monoxyde de carbone Cas no 1 : Espace où a eu lieu une intoxication ou suspicion d’intoxication oxycarbonée en raison de troubles évocateurs avec, chez la personne intoxiquée, une carboxyhémoglobinémie mesurée ou estimée par dosage du monoxyde de carbone dans l’air alvéolaire égale ou supérieure à 3 % chez le nonfumeur ou 6 % chez le fumeur, Cas no°2 : Espace où la concentration atmosphérique en monoxyde de carbone est égale ou supérieure à 10 ppm, Cas no 3 : Présence d’une installation attestée dangereuse par évaluation
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chez un fumeur et 6 % chez un non-fumeur (cas no 5 du Tableau 1). 2. Complications neurologiques secondaires Outre les troubles neurologiques initiaux, l’intoxication oxycarbonée peut être suivie de troubles secondaires de gravité variable. Ces manifestations sont à la fois la conséquence de l’anoxie initiale, mais aussi d’une action toxique directe du CO sur le système nerveux central qui par différents mécanismes participent à l’apparition de lésions démyélinisantes, d’œdèmes et d’apoptoses. De nombreuses publications ont décrit la physiopathologie, les lésions anatomiques et l’imagerie de ces lésions [1]. Malgré tout il faut connaître les limites de ces descriptions. Souvent la cause d’intoxication est mixte associant du CO mais également d’autres substances potentiellement toxiques (gaz d’échappement, incendie, alcool, etc.). Les modalités initiales de prise en charge peuvent être incorrectes ou mal décrites. Pourtant, et c’est un point essentiel, un des objectifs principaux de la prise en charge immédiate est de limiter la fréquence et la gravité de ces troubles. En effet, une fois apparu, il n’existe pas pour l’instant de thérapeutique spécifique. Les troubles neurologiques peuvent apparaître immédiatement après l’intoxication, ou après un intervalle libre variant de quelques jours à trois ou quatre semaines. Ils peuvent être graves, objectivés par l’examen neurologique traditionnel, ils peuvent être mineurs nécessitant une étude particulière des fonctions cognitives. 2.1. Manifestations graves Ce sont les mieux connues car leur description est ancienne, ce sont actuellement les moins fréquentes. Dans les séries anciennes, leur prévalence variait entre 6 et 15 % [2–4] alors que plus récemment elle est comprise entre 1 et 4 % [5–7]. Il est difficile d’expliquer cette baisse de gravité (modification des causes de l’intoxication, meilleure prise en charge...) mais elle est confirmée par la majorité des auteurs. Typiquement, on constate des altérations majeures des fonctions cognitives associées à diverses manifestations neurologiques (syndrome pyramidal, déficit moteur, manifestations extrapyramidales). L’imagerie cérébrale confirme le diagnostic en montrant des anomalies, d’ailleurs non spécifiques, de la substance blanche, des cornes d’Amon de l’hippocampe et des globes pâles. L’amélioration spontanée est possible, le plus souvent l’état persiste ou s’aggrave aboutissant à un état grabataire. Plusieurs auteurs ont tenté d’identifier une population « à risque ». Il est reconnu que le taux d’HbCO initial mesuré lors de l’admission à l’hôpital n’a pas de valeur pronostique. En revanche, la plupart des auteurs s’accordent pour reconnaître les facteurs de risque suivants : la gravité du tableau clinique initial (coma), l’âge élevé, la durée d’exposition, l’existence de pathologies associées (diabète, hypertension artérielle), le retard de l’administration de l’oxygène.
Il existe peu de données sur le problème spécifique de la femme enceinte et du fœtus. Des observations font état de taux de mortalité très élevée (60 % chez le fœtus) et de lésions majeures du système nerveux central. Malgré tout, ces descriptions sont anciennes, rétrospectives et les détails de la prise en charge immédiate ne sont pas toujours détaillés. Plus récemment [8], il a pu être montré qu’après utilisation systématique de l’OHB, le taux d’avortement n’était pas supérieur à la population témoin. Le suivi ultérieur, après l’accouchement, n’a pu être fait. 2.2. Manifestations cliniques mineures Le risque de troubles neuropsychiques secondaires, de gravité faible mais de prévalence élevée, est de connaissance plus récente. Certaines manifestations peuvent en effet, survenir ou persister après l’intoxication comme une sensation d’asthénie, des troubles de la vision, de l’audition, de la mémoire, des céphalées, des manifestations dépressives, des modifications du comportement. Ces troubles peuvent s’associer, responsables de différents tableaux cliniques, de difficultés professionnelles ou scolaires. Bien que « subjectives », ces manifestations ont été authentifiées par différentes séries de la littérature. Elles peuvent être objectivées par l’interrogatoire [5], une batterie de tests neuropsychiques [9]. Des anomalies persistantes de l’électroencéphalogramme [10] ou de l’imagerie [11] ont également été retrouvées sans que l’on ne retrouve toujours de corrélation entre les signes cliniques et les anomalies des examens complémentaires. La prévalence de ces troubles est d’environ 30 à 40 % un mois après l’intoxication. Ce chiffre dépend toutefois des séries étudiées et des moyens diagnostiques. Ces troubles diminuent avec le temps [12], ils peuvent persister pendant des mois [13]. Contrairement aux séquelles graves, ces troubles apparaissent quelle que soit la gravité initiale de l’intoxication oxycarbonée. Le taux initial mesuré à l’hôpital d’HbCO n’a pas de valeur pronostique [14]. L’existence initiale d’un syndrome cérébelleux pourrait être un indice de mauvais pronostic [13]. Ils peuvent également être observés chez l’enfant mais sont encore plus difficiles à diagnostiquer. Leur prévalence paraît plus faible 3. Les principes de la prise en charge 3.1. Prise en charge immédiate Sur les lieux mêmes de l’intoxication, les premières mesures consistent à soustraire la victime de l’atmosphère toxique, de protéger les sauveteurs et si possible de confirmer le diagnostic (mesure du CO dans la pièce, prélèvements de sang veineux pour dosage d’HbCO). Il ne faut pas oublier que le CO peut également être responsable d’explosion. En plus de l’évaluation des paramètres de base (troubles neurologiques, paramètres respiratoires et circulatoires), l’oxygénothérapie à fort débit (12 à 15 l/min chez l’adulte) est re-
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commandée par tous les auteurs. Cela nécessite le recours à un masque étanche ou à une tente de tête chez l’enfant. Différentes enquêtes ont montré que ces mesures simples ne sont pas toujours appliquées [15]. Le traitement symptomatique des formes graves et/ou d’autres complications (coma, collapsus, atteinte pulmonaire, brûlures associées) dépasse le cadre de cette mise au point. La durée de l’oxygénothérapie recommandée est d’environ 12 heures. 3.2. Place de l’oxygénothérapie hyperbare (OHB) Il n’est pas utile de rappeler ici les contraintes pratiques, le coût et les morbidités potentielles de ce traitement [16]. Nous ne parlerons pas de la « posologie » de chaque séance, de l’intérêt ou non de répéter les séances. La question pratique est de connaître les situations où il est légitime de prendre l’avis d’un centre d’hyperbarie. En association avec les mesures précédentes, le but principal de l’OHB est de tenter de limiter la fréquence et/ou la gravité des manifestations neurologiques secondaires. Toute la question actuelle est de savoir si nous disposons d’un niveau de preuves suffisantes pour confirmer cette hypothèse. Les travaux disponibles sont contradictoires ce qui s’explique aisément par des divergences importantes dans la méthodologie utilisée, la population étudiée, et les critères de jugement. Sans entrer dans les détails [16], une première méta-analyse [17] conclut que sur les six essais à l’époque publiés, il est impossible de démontrer un résultat favorable de l’OHB. Au moins un symptôme neurologique persistait un mois après l’intoxication chez 81 des 273 patients traités par OHB (34 %) comparé à 80 des 218 traités par oxygénothérapie (37 %) (odd ratio pour un bénéfice de l’OHB 0,88, intervalle de confiance 95 %, 0,41–1,66). Plus récemment, [13], un autre essai organisé en double insu montre un effet favorable de l’OHB. Les auteurs ont ici utilisé des doses importantes d’oxygène (trois séances d’OHB répétées entre 6 et 12 heures), et utilisés des tests neuropsychiques comme critères de jugement. Un suivi prolongé (un an) a de plus été effectué. Le résultat principal est que le pourcentage de séquelles cognitives évaluées six semaines après l’intoxication est plus faible dans le groupe OHB (25 %) que dans le groupe oxygène normobare (46 %) (oddratio 0,45, intervalle de confiance 0,22–0,92, p = 0,03). On doit toutefois signaler que la population étudiée est manifestement sélectionnée (pas de décès, pas de séquelles graves), que cette diminution de séquelles cognitives n’a pas d’impact sur les activités quotidiennes (professionnelles ou autres). Ces messages à l’évidence contradictoires nécessitent de poursuivre les évaluations sur les effets de l’OHB avant d’avoir un avis définitif. En attendant une position raisonnable est l’abandon de l’utilisation systématique de l’OHB, de privilégier les indications aux formes initialement comateuses [1] quel que soit le taux d’HbCO, même si l’évolution est rapidement favorable ce qui est actuellement la situation la plus fréquente. Deux cas particuliers doivent être distingués :
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● il n’y a aucune étude disponible chez les enfants qui représentent pourtant 20 à 30 % des intoxiqués. La même attitude leur est proposée en sachant que les troubles neurologiques initiaux peuvent être très difficiles à évaluer notamment chez le jeune enfant ; ● chez la femme enceinte, il n’existe pas d’étude comparative, qui serait sans doute refusée par les comités d’éthique. Malgré l’absence de preuves, et sur les arguments précédemment développés, il est habituel de proposer systématiquement de l’OHB chez les femmes enceintes quel que soient les signes neurologiques observés chez la mère. 3.3. Organisation du suivi La prise en charge de ces victimes ne se limite pas aux mesures initiales, même si elles sont d’une importante cruciale. Le risque de récidive, les complications neurologiques secondaires, imposent d’établir un suivi de ces victimes. Les règles simples et de bon sens ne sont pas toujours connues et encore moins appliquées. L’afflux simultané de victimes, le temps habituellement court passé dans les structures de soins explique en partie ces lacunes. La seule solution est d’élaborer prospectivement les procédures de suivi et d’en informer les différents médecins concernés (Tableau 3). 3.3.1. Éviter les récidives La déclaration des cas, quelle qu’en soit l’étiologie, est organisée par circulaire depuis 1985. Elle permet d’améliorer les données épidémiologiques, et de préciser la cause des intoxications notamment dans les causes domestiques ou professionnelles. En effet, les enquêtes techniques organisées par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) devraient permettre d’éviter qu’un patient intoxiqué, ne retourne sans contrôle, dans son environnement habituel. En pratique, ce processus se heurte à de nombreuses difficultés (temps nécessaire à faire une déclaration, enquête, etc.). Il est néanmoins indispensable d’informer le patient des risques qu’il encourt si les précautions élémentaires de sécurité n’ont pas été observées. 3.2.2. Suivi médical Les victimes, les médecins traitants doivent être informés du risque de manifestations neurologiques secondaires bien que cela puisse déclencher chez certains patients un recours excessif aux systèmes de soins. L’idéal est sans doute que cela soit notifié dans le compte rendu d’hospitalisation. Le recours systématique au test neuropsychique est pour l’instant peu réaliste. Certains centres antipoisons ont développé des services habilités à faire ce suivi (appels téléphoniques ou consultations). La prescription d’un arrêt de travail dépend de l’évaluation des degrés d’inaptitude au travail notamment dans les tâches nécessitant un effort intellectuel important. L’existence d’anomalies initiales de l’ECG nécessiterait de refaire un ECG de contrôle, un mois environ après l’intoxication notamment chez les sujets à risque de maladies coronariennes.
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Tableau 3 Organisation du suivi Objectifs Lutter contre la récidive
Diagnostiquer les complications secondaires Reconnaître l’incapacité de travail
Faire un ECG de contrôle en cas d’anomalie initiale et chez le patient avec antécédents cardiovasculaires
Moyens Informer le patient et/ou sa famille du risque de récidive Obtenir son consentement éclairé à une enquête technique par le service santé-environnement de la DDASS Alerter le service santé-environnement de la DDASS Lettre au médecin traitant Inciter le patient à consulter en cas de troubles Prescription d’un arrêt de travail Rédiger le certificat initial des lésions (si accident de travail). Suivi ECG
Risques Récidive Violation du secret médical
Ne pas rapporter à l’intoxication les troubles secondaires Mauvaise évaluation de la morbidité Méconnaître l’inaptitude fonctionnelle au travail, à la vie courante Méconnaître l’anomalie éventuelle ou son aggravation
Les femmes enceintes doivent bénéficier d’un examen obstétrical avec une échographie vérifiant la vitalité fœtale. Le gynécologue, l’obstétricien et le pédiatre doivent être prévenus du risque de séquelles neurologiques chez le nouveau-né.
[6] Blettery B, Virot C, Janoray P, Piganiol G. L’intoxication aiguë à l’oxyde de carbone en service d’urgence. Intérêt des signes de début. Quatre vingt-dix observations. Ann Med Interne (Paris) 1983;133:99–101.
4. Conclusion
[8] Elkharrat D, Raphaël JC, Korach JM, Jars-Guincestre MC, Chastang C, Harboun C, et al. Acute carbon monoxide intoxication and hyperbaric oxygen in pregnancy. Intens Care Med 1991;17:289–92.
La prise en charge de l’intoxication oxycarbonée aiguë ne se limite pas au traitement symptomatique des conséquences immédiates de l’intoxication. Des efforts de prévention et de suivi doivent être amplifiés. Cela nécessite une organisation et une centralisation des données actuellement imparfaites. Un effort important de recherches, physiopathologique et clinique, doit également être poursuivi afin de mieux préciser les thérapeutiques qui permettraient de réduire le risque ultérieur de séquelles neurologiques. Références [1]
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