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L’élévation de la troponine en dehors des syndromes coronariens aigus Troponin elevation in the absence of acute coronary syndrome O. Nallet ∗ , G. Gouffran , Y. Lavie Badie Service de cardiologie, centre hospitalier Le Raincy-Montfermeil, rue du Général-Leclerc, 93370 Montfermeil, France Rec¸u le 4 juillet 2016 ; accepté le 2 septembre 2016
Résumé Les troponines sont les biomarqueurs les plus sensibles et spécifiques de souffrance myocardique. Les causes d’élévation de la troponine sont multiples, ischémiques ou non ischémiques. Le diagnostic différentiel avec le syndrome coronarien aigu secondaire à une rupture de plaque peut être difficile. Comme tout test diagnostique, la troponine ne doit être dosée que s’il existe une indication clinique. L’interprétation initiale d’une élévation de la troponine repose sur la clinique, l’ECG, son taux et sa cinétique. En dehors du syndrome coronarien aigu, la troponine a toujours une valeur pronostique mais sa place en routine pour stratifier le risque des patients est limitée à quelques situations comme l’embolie pulmonaire, les péricardites et myocardites. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es. Mots clés : Troponine ; Syndrome coronarien aigu ; Infarctus de type 2 ; Myocardite ; Takotsubo ; Stratification du risque
Abstract Cardiac troponins are the most sensitive and specific markers of myocardial injury. Cardiac troponin elevation are common in many diseases and do not necessarily indicate the presence of a thrombotic acute coronary syndrome. In clinical practice, interpretation of dynamic changes of troponin may be challenging. Troponin evaluation should be performed only if clinically indicated and must be interpreted in the context of clinical presentation, ECG changes, troponin level and kinetic. In the absence of thrombotic acute coronary syndrom, troponin retains a prognostic value. Its practical interest as a risk criteria is limited to a few situations like pulmonary embolism, pericarditis an myocarditis. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Troponin; Acute coronary syndrome; Type 2 myocardial infarction; Myocarditis; Takotsubo; Risk stratification
L’élévation du taux plasmatique de troponine cardiaque avec une cinétique d’augmentation ou de diminution est un critère central de la définition universelle de l’infarctus du myocarde [1]. Les troponines cardiaques T et I sont spécifiques du myocarde et leur élévation témoigne d’une souffrance cellulaire dont les causes sont cependant multiples [2–8] (Tableau 1). Les cardiologues et les urgentistes sont régulièrement confrontés à l’interprétation parfois difficile d’un taux de troponine élevé. L’amélioration de la sensibilité analytique des troponines
∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (O. Nallet).
de haute sensibilité (TnHs) rend cette situation encore plus fréquente. 1. Mécanismes de l’élévation de la troponine Le complexe troponine est composé de 3 sous unités – troponine C, troponine I, troponine T – qui sont situées sur le filament fin (actine) de l’appareil contractile des muscles striés squelettiques et cardiaque. Ces protéines interviennent dans la régulation de la contraction musculaire. La troponine C fixe le calcium et va initier les modifications géométriques qui conduisent à la contraction. La troponine I inhibe la contraction en l’absence de calcium. La troponine T fixe l’ensemble
http://dx.doi.org/10.1016/j.ancard.2016.09.006 0003-3928/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.
Pour citer cet article : Nallet O, et al. L’élévation de la troponine en dehors des syndromes coronariens aigus. Ann Cardiol Angeiol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.ancard.2016.09.006
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Tableau 1 Les élévations de la troponine en dehors de l’infarctus de type 1 [14]. Troubles du rythme et de la conduction Insuffisance cardiaque Urgence hypertensive Malades de réanimation (choc, brûlures, sepsis, hypoxie, anémie) Myocardites/myopéricardites Cardiomyopathie de Takotsubo Maladie structurale du cœur (rétrécissement aortique, cardiomyopathie dilatée, hypertrophique ou infiltrative) Dissection aortique Embolie pulmonaire et autres hypertensions pulmonaires Insuffisance rénale et maladies cardiaques associées Spasme coronaire Évènement neurologique aigu (AVC ischémique ou hémorragique) Contusion myocardique et procédures cardiaques invasives Toxiques (chimiothérapies anticancéreuses, venin de serpent) Sports extrêmes Rhabdomyolyse Hypo- ou hyperthyroïdie
du complexe troponine à l’actine et à la tropomyosine. Les isoformes cardiaques des troponines I et T (cTn I, cTn T) sont uniquement exprimées dans le muscle cardiaque. L’essentiel des troponines est fixé aux protéines contractiles. Environ 5 % à 8 % de la troponine I et T est non liée et libre dans le cytosol [8,9]. La fraction libre de la troponine est la première à passer dans le plasma, quel que soit le mécanisme de la souffrance cellulaire. La demi-vie de la troponine dans le sang est d’environ deux heures. Une rapide augmentation et diminution de la troponine dans les 24 heures correspond en partie à une libération de la troponine libre et à des lésions cellulaires potentiellement réversibles plus qu’à une nécrose cellulaire bien qu’il ne soit jamais possible d’éliminer des nécroses très limitées. Différents mécanismes peuvent donc conduire à une élévation de la troponine [8]. Ils sont mal connus et leur part respective est impossible à évaluer : • la nécrose cellulaire avant tout (ischémique, inflammatoire, infiltrative, traumatique, toxique) ; • l’apoptose avec préservation de l’intégrité membranaire dans l’insuffisance cardiaque terminale [10] ; • le renouvellement normal des myocytes est une des explications de la présence de TnHs chez le sujet sain [11] ; • la dégradation des protéines contractiles sans mort cellulaire, possible au cours d’épisodes transitoires d’ischémie de 15 minutes [12] ; • l’augmentation transitoire de la perméabilité membranaire lors d’une ischémie myocardique brève ou de l’étirement (stretch) des cellules. C’est un des mécanismes de l’élévation de la troponine dans l’embolie pulmonaire lorsqu’il existe une dilatation aiguë des cavités droites ; • la formation de bulles membranaires à l’occasion d’une anoxie, observée dans des cultures de myocytes cardiaques mais pas chez l’homme ; • le sepsis, au cours duquel le rôle des protéines de choc thermique, du facteur de nécrose tumoral a été évoqué.
L’accumulation de produits toxiques pourrait jouer un rôle dans l’insuffisance rénale ; • le seuil qui définit la valeur supérieure de la normale est le 99e percentile d’une population en bonne santé. Ce choix du 99e percentile résulte d’un consensus de sociétés savantes internationales de cardiologie et de biochimie et conduit à un taux acceptable de faux-positifs égal à 1 % [4]. On peut dire que la première cause d’élévation de la troponine en dehors des syndromes coronariens aigus (SCA) est la définition statistique de la normalité chez le sujet sain. 2. Les différents scénarios d’interprétation d’une troponine positive Le dosage des troponines conventionnelles et de haute sensibilité a été développé pour améliorer le diagnostic et la stratification du risque des douleurs thoraciques et des SCA sans sus-décalage de ST. Cependant, la pratique quotidienne montre que la troponine n’est pas toujours dosée de fac¸on appropriée. Dans une cohorte rétrospective de 295 patients consécutifs avec une troponine positive aux urgences de notre centre, seulement 23 % des patients se plaignaient de douleur thoracique et les autres motifs de dosage de la troponine étaient hétérogènes (dyspnée, chute, malaise, palpitation, altération de l’état général, choc non cardiogénique, divers) [13]. Finalement, nous n’avons porté le diagnostic d’infarctus de type 1 que dans 21 % des cas. Les chiffres rapportés dans la littérature sont très variables, ce qui traduit l’hétérogénéité des populations étudiées. Une « troponine positive » est un motif régulier d’avis cardiologique, en particulier aux urgences. Il existe différents scénarios d’interprétation selon la présence d’une douleur thoracique, l’élévation aiguë ou chronique de la troponine. Au centre du raisonnement se trouvent le patient et son histoire clinique, le taux et la cinétique de la troponine (augmentation/diminution ou élévation chronique) et la présence d’un diagnostic alternatif à celui de SCA pour expliquer la troponine positive. À partir de ces éléments, on doit estimer la probabilité pré-test de SCA. La valeur prédictive d’un test dépend de la prévalence de la maladie dans une population et dans le cas de la troponine, de la prévalence d’infarctus (Tableau 2). Une troponine positive aux urgences n’a pas la même valeur prédictive positive d’infarctus chez un patient à bas risque cardiovasculaire que chez un coronarien connu. 2.1. Premier scénario : le patient a une douleur thoracique Le diagnostic principal est le syndrome coronarien aigu, répondant à la définition d’infarctus de type 1 : nécrose myocardique d’origine ischémique secondaire à une rupture de plaque. Des arbres décisionnels avec la TnHs sont proposés dans les dernières recommandations ESC 2015 sur les SCA sans susdécalage de ST pour confirmer ou exclure le diagnostic [14]. Ils ne sont valides que si on les interprète en fonction de la clinique et de l’ECG. La valeur prédictive positive pour l’infarctus d’une troponine au-delà de 5 fois le 99e percentile est supérieure à 90 %. Elle est seulement de 50 à 60 % au-dessus de 3 fois cette valeur.
Pour citer cet article : Nallet O, et al. L’élévation de la troponine en dehors des syndromes coronariens aigus. Ann Cardiol Angeiol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.ancard.2016.09.006
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Tableau 2 Estimation semi-quantitative de la valeur prédictive positive (VPP) et négative (VPN) de la troponine selon le scénario clinique [4]. Douleur angineuse typique
Ischémie ECG ou troubles de la cinétique en échographie
Facteurs de risque ou antécédents cardiovasculaire
Probabilité pré-test de SCA
Troponine
Valeur prédictive d’infarctus type 1
Information pronostique
Oui
Oui
Oui
Forte (> 80 %)
Non
Non
Non
Faible (< 10 %)
Positive Négative Positive Négative
VPP élevée VPN élevée VPP faible VPN élevée
Oui Oui Oui Oui
Par ailleurs, il existe d’autres causes de nécrose myocardique d’origine ischémique, qui ne sont pas des syndromes coronariens aigus par rupture de plaque. Ce sont les infarctus de type 2, qui peuvent être par exemple une inadéquation entre les besoins et les apports myocardiques en oxygène, le spasme coronaire, les troubles du rythme, les embols coronaires, l’anémie profonde, le bas débit. Tout n’est pas toujours simple. Ainsi, la cocaïne peut être responsable d’une souffrance myocardique par une association de spasme et d’effets sympathomimétiques. Elle accélère aussi le développement de l’athérome et peut favoriser une rupture de plaque [15]. L’embolie pulmonaire est une autre cause d’augmentation de la troponine. Le mécanisme avancé est l’augmentation brutale de la post-charge ventriculaire droite entraînant une augmentation du stress pariétal, associé à un certain degré de nécrose. Dans cette pathologie, la troponine entre dans la stratification pronostique et doit donc être dosée de fac¸on systématique [16]. Les diagnostics non ischémiques de douleur thoracique à troponine positive sont les pathologies inflammatoires aiguës et le Takotsubo. Les myocardites et le syndrome de Takotsubo s’accompagnent d’une élévation de la troponine dont les valeurs et la cinétique sont proches de celle des SCA. Les myocardites aiguës partagent des étiologies communes avec les péricardites aiguës et ces syndromes se chevauchent [17,18]. Une atteinte du myocarde peut accompagner les péricardites aiguës. Sur le plan nosologique, on parle de « myopéricardite » ou de « périmyocardite » selon que respectivement l’atteinte prédominante est le péricarde ou le myocarde [18,19]. La différence entre ces deux entités est subtile et il existe souvent une confusion entre les deux termes dans la littérature et dans la pratique clinique. Dans une cohorte prospective de 486 péricardites aiguës, la troponine était positive chez 140 patients : myopéricardite n = 114 ; périmyocardite n = 26 [20]. Dans cette série, le pronostic était bon et la troponine n’était pas un marqueur pronostique. Dans les recommandations européennes, la troponine est un critère de risque mineur des péricardites aiguës [18]. Le syndrome de Takotsubo peut simuler un SCA [21,22]. Dans le registre observationnel multicentrique franc¸ais OFSETT, 117 patients ont été inclus [23]. Le symptôme initial était une douleur thoracique (80,5 %) ou une dyspnée (24,1 %) ; 91,5 % étaient des femmes et l’âge moyen était de 71,4 ans. L’élévation de la troponine était modeste avec une médiane du pic à 4,9 pg/mL (0,9–215), ce qui représente un multiple égal à 9 (2,7–22,4) du 99e percentile des tests biochimiques utilisés dans les différents centres. Le rapport des pics de BNP (ou NTproBNP) sur troponine était à 1,01 à la différence des SCA où l’élévation de la troponine est plus importante que celle du BNP.
Les auteurs proposent ce rapport dans le diagnostic différentiel avec les STEMI. L’IRM cardiaque est maintenant un examen clé pour le diagnostic des douleurs thoraciques avec élévation de la troponine quand la coronarographie ne montre pas de lésions. Dans les séries publiées, le diagnostic final est le plus souvent une myocardite, un infarctus « à coronaires normales » ou une cardiomyopathie. Mais l’IRM ne résout pas tout et il reste encore 20 à 30 % de diagnostics indéterminés [24,25]. L’étude Criminal, mise en place par le Collège national des cardiologues des hôpitaux (CNCH), évalue l’IRM dans les douleurs thoraciques avec troponine positive sans lésion coupable visible à la coronarographie. Pour augmenter la valeur diagnostique de l’IRM, les patients inclus doivent avoir un pic de troponine supérieur à 10 fois la valeur supérieure de la normale. On attend les résultats pour 2017 et il sera particulièrement intéressant de comparer le diagnostic porté par le clinicien avant l’IRM avec le diagnostic final après l’IRM. 2.2. Deuxième scénario : le patient ne se plaint pas de douleur thoracique Les étiologies sont variées et on va retrouver, en premier lieu, un certain nombre de causes ischémiques non douloureuses, entrant dans la définition de l’infarctus de type 2 : l’hypoxie et l’anémie profondes par exemple. Il existe aussi des causes non ischémiques, pour lesquelles l’augmentation de la troponine est plutôt liée à un dommage myocardique direct, dont les mécanismes peuvent être divers et souvent mal élucidés : le sepsis, l’insuffisance cardiaque, les accidents vasculaire cérébraux, l’hémorragie sous arachnoïdienne, les toxiques (anthracyclines), l’électrisation, les procédures d’ablation de rythmologie, les maladies infiltratives, la rhabdomyolyse, etc. Dans cette situation, où la probabilité d’infarctus est le plus souvent faible ou intermédiaire, deux attitudes opposées sont à éviter. La première est d’avoir une vision trop cardiologique du problème, ce qui conduit à des hospitalisations inadaptées en USIC, à des explorations invasives et à des traitements antithrombotiques qui peuvent être inutiles et dangereux. La seconde attitude est de négliger ce résultat car une élévation a toujours une signification pronostique et certains SCA ont une présentation très atypique [4,14,26]. Le cardiologue doit faire preuve de bon sens clinique, évaluer la probabilité clinique de SCA, s’aider d’examens complémentaires simples comme l’échographie, évaluer le rapport risque-bénéfice d’un traitement antithrombotique et décider si une prise en charge spécialisée est justifiée. Ces malades sont difficiles à prendre en charge d’autant que différents mécanismes d’élévation de la troponine peuvent être associés chez
Pour citer cet article : Nallet O, et al. L’élévation de la troponine en dehors des syndromes coronariens aigus. Ann Cardiol Angeiol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.ancard.2016.09.006
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un même malade. Les malades de réanimation, les sepsis en sont un exemple. Il faudrait revoir ces patients à distance de l’épisode aigu s’ils n’ont pas été hospitalisés en cardiologie car il existe d’authentiques coronariens parmi eux. Mais ils sont souvent perdus de vue. 2.3. Troisième scénario : l’élévation de la troponine est chronique C’est par définition une situation courante chez les sujets sains (1 %) puisque c’est le 99e percentile qui définit la valeur supérieure de la normale. Il s’agit bien sûr de valeurs faibles. Des taux anormalement élevés peuvent s’observer dans des populations où la prévalence d’HTA, de diabète, de score calcique coronaire supérieur à 100 est élevée. L’insuffisance cardiaque et rénale chronique, certaines cardiomyopathies sont des causes d’élévation de la troponine basale associée à une augmentation du risque de mortalité et de morbidité cardiovasculaire. Les situations d’acutisation de ces pathologies peuvent donner lieu à des variations, en général modestes, du taux de troponine par rapport au taux basal. 3. Quand et pourquoi doser la troponine en dehors des SCA ? La troponine a un intérêt diagnostique dans les SCA, les myocardites et le Takotsubo. C’est aussi une variable pronostique et son élévation est toujours associée à un pronostic plus péjoratif. Ceci est vrai pour toutes les causes, dans les élévations aiguës ou chroniques (Tableau 1). Mais les situations où la troponine est une variable suffisamment puissante pour faire partie de la stratification du risque sont limitées. C’est utile dans l’embolie pulmonaire, les myocardites, les péricardites, l’urgence hypertensive. Elle peut faire partie de la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux ischémiques dans les centres spécialisés de neurologie. Il est déconseillé de la doser en routine dans les autres situations comme les infections aiguës, le sepsis, l’insuffisance rénale aiguë et les malades graves de réanimation. Dans les syncopes, l’élévation de la TnHs est fréquente mais elle apporte peu d’informations quand son dosage est systématique [27]. L’intérêt est nul dans la dissection aortique. Il est surtout non recommandé de l’utiliser comme variable du tri des patients dans les services d’urgences. Utilisée ainsi, la troponine devient une source de confusion, de prise en charge inadaptée et d’une augmentation du temps de passage aux urgences. Le temps gagné par les protocoles de dosage rapproché de la troponine dans la douleur thoracique serait vite dépassé par la prise en charge de ces patients.
de la troponine [4,28,29]. Les mécanismes physiopathologiques de cette élévation sont mal connus, non univoques et leur part respective reste controversée. L’incidence élevée chez l’insuffisant rénal de l’HTA, de l’hypertrophie ventriculaire gauche, de la maladie coronaire chronique, de l’insuffisance cardiaque est une explication possible. La surcharge volémique responsable d’un étirement chronique des cardiomyocytes en est une autre. La diminution de la clairance rénale de la troponine joue un rôle mais n’explique pas tout. La troponine intacte est une grosse molécule et son élimination par le rein est improbable. Mais il a été démontré que la troponine T est dégradée en petits fragments qui sont filtrés par le rein et sont détectés par les tests biochimiques. Une élévation chronique de la troponine est un marqueur de mauvais pronostic chez l’insuffisant rénal. Dans une métaanalyse de 2005, la troponine T était positive chez 12 à 66 % d’insuffisants rénaux terminaux asymptomatiques et la troponine I chez 0,4 à 38 % [30]. Le risque relatif de décès cardiaque était de 2,64 plus élevé quand la troponine était positive. Des échantillons plasmatiques de 489 patients sans pathologie aiguë ont été analysées pour évaluer la corrélation entre la fonction rénale et différents biomarqueurs cardiaques [31]. Les taux de troponine I et surtout T variaient selon la fonction rénale avec un taux moyen 2,9 à 3,6 fois plus élevé quand le DFG était inférieur à 15 mL/min/1,73 m2 . L’intérêt de la troponine selon la fonction rénale pour le diagnostic précoce d’infarctus a été évalué dans série de 2813 patients admis pour suspicion de NSTEMI [32]. La précision diagnostique de la troponine diminuait discrètement quand le DFG était inférieur à 60 mL/min. Avec les seuils habituels du 99e percentile des 7 troponines testées dans cette étude, la sensibilité diagnostique augmentait au prix d’une forte diminution de la spécificité. Les valeurs seuils déterminés à partir des courbes ROC étaient entre 1,9 et 3,4 plus élevés chez les patients en cas d’insuffisance rénale chronique. Les auteurs suggèrent d’utiliser des valeurs seuils plus élevées que le 99e percentile pour le diagnostic d’infarctus en cas d’insuffisance rénale chronique mais la troponine de haute sensibilité reste très performante pour le diagnostic d’infarctus chez l’insuffisant rénal. 4.2. Faux-positifs analytiques Des faux-positifs analytiques sont possibles avec les techniques immunologiques de dosage de la troponine notamment à cause d’interférences avec certains anticorps et en cas d’hémolyse [33,34]. Il faut y penser devant une élévation chronique inexpliquée de la troponine et prendre contact avec le service de biochimie. Ils sont devenus rares avec les progrès technique de dosage.
4. Situations particulières 4.3. Rhabdomyolyse 4.1. Insuffisance rénale L’altération de la fonction rénale, depuis l’insuffisance rénale modérée (DFG < 60 mL/1,73 m2 ) à l’insuffisance rénale terminale et la dialyse, peut s’accompagner d’une élévation chronique
L’élévation de la troponine I ou T chez ces patients est indépendante du taux de CPK en l’absence d’insuffisance rénale aiguë. L’élévation de la troponine témoigne de la sévérité du tableau clinique et des comorbidités fréquente chez ces patients.
Pour citer cet article : Nallet O, et al. L’élévation de la troponine en dehors des syndromes coronariens aigus. Ann Cardiol Angeiol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.ancard.2016.09.006
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Il ne s’agit pas d’un faux-positif analytique lié à des interférences avec la troponine non cardiaque du muscle squelettique [4]. 4.4. Sujets âgés La population des patients de plus de 70 ans mérite une attention particulière : • l’HTA, une maladie cardiaque préexistante et les pathologies pouvant être responsable de douleurs thoraciques et poser des problèmes de diagnostic différentiel avec l’infarctus comme les pneumopathies, les maladies gastriques sont plus fréquentes chez le sujet âgé ; • l’ECG est plus souvent difficile à interpréter à cause d’antécédents cardiovasculaires, d’un bloc de branche gauche, d’un stimulateur cardiaque ; • la présentation clinique de l’infarctus peut être atypique. Dans une population communautaire suédoise de 1005 sujets de plus de 70 ans, la troponine I (valeur seuil dichotomique positive ou négative 0,01 g/L) était positive et supérieure à deux fois le seuil dans respectivement 21,8 % et 4,1 % des cas [3]. Le sexe masculin, une élévation du NT-proBNP et des anomalies ECG à l’inclusion étaient prédictives d’une troponine positive en analyse multivariée. Différents tests de troponine ont été évalués pour le diagnostic de NSTEMI dans une série multicentrique de 1098 patients avec une suspicion d’infarctus [35]. Les résultats montrent une précision diagnostique élevée des troponines sensibles après 70 ans. Mais les valeurs seuils déterminées à partir des courbes ROC sont plus élevées par rapport aux patients de moins de 70 ans, par exemple à 54 ng/L pour la cTnT HS (Roche) correspondant à environ 4 fois la valeur habituelle de 14 ng/L. Ces résultats doivent être connus mais il n’est actuellement pas recommandé de changer la valeur supérieure de la normale de la troponine chez le sujet âgé. 4.5. Insuffisance cardiaque La prévalence de l’augmentation de la troponine varie selon la population étudiée et le test utilisé. Elle est plus fréquente dans les cardiopathies évoluées et dans l’insuffisance cardiaque aiguë [36,37]. Différents mécanismes ont été proposés pour expliquer la libération de la troponine chez l’insuffisant cardiaque incluant l’augmentation de la tension pariétale, les cytokines inflammatoires, le stress oxydatif, l’hibernation myocardique, l’apoptose et une maladie coronaire associée. Ces mécanismes témoignent d’une évolutivité de la cardiopathie et l’élévation de la troponine est associée à un pronostic plus défavorable dans l’insuffisance cardiaque aiguë ou chronique mais sa pertinence pour différentier les étiologies ischémiques et non ischémiques est médiocre. 5. Conclusion L’interprétation d’une élévation de la troponine peut poser des problèmes difficiles aux urgentistes et aux cardiologues. La
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clinique, l’ECG, le taux de troponine et sa cinétique sont au centre du raisonnement qui permet de guider la prise en charge ultérieure. La troponine ne doit pas être utilisée comme variable de tri dans les services d’urgences. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Thygesen K, Alpert JS, Jaffe AS, Simoons ML, Chaitman BR, White HD, et al. Third universal definition of myocardial infarction. Eur Heart J 2012;33(20):2551–67. [2] Agewall S, Giannitsis E, Jernberg T, Katus H. Troponin elevation in coronary vs. non-coronary disease. Eur Heart J 2011;32(4):404–11. [3] Eggers KM, Lind L, Ahlstrom H, Bjerner T, Ebeling Barbier C, Larsson A, et al. Prevalence and pathophysiological mechanisms of elevated cardiac troponin I levels in a population-based sample of elderly subjects. Eur Heart J 2008;29(18):2252–8. [4] Newby LK, Jesse RL, Babb JD, Christenson RH, De Fer TM, Diamond GA, et al. ACCF 2012 expert consensus document on practical clinical considerations in the interpretation of troponin elevations: a report of the American college of cardiology foundation task force on Clinical expert consensus documents. J Am Coll Cardiol 2012;60(23):2427–63. [5] Jeremias A, Gibson CM. Narrative review: alternative causes for elevated cardiac troponin levels when acute coronary syndromes are excluded. Ann Intern Med 2005;142(9):786–91. [6] Haaf P, Drexler B, Reichlin T, Twerenbold R, Reiter M, Meissner J, et al. High-sensitivity cardiac troponin in the distinction of acute myocardial infarction from acute cardiac noncoronary artery disease. Circulation 2012;126(1):31–40. [7] Mochmann HC, Scheitz JF, Petzold GC, Haeusler KG, Audebert HJ, Laufs U, et al. Coronary angiographic findings in acute ischemic stroke patients with elevated cardiac troponin: the troponin elevation in acute ischemic stroke (TRELAS) study. Circulation 2016;133(13):1264–71. [8] White HD. Pathobiology of troponin elevations: do elevations occur with myocardial ischemia as well as necrosis? J Am Coll Cardiol 2011;57(24):2406–8. [9] Chenevier-Gobeaux C, Bonnefoy-Cudraz E, Charpentier S, Dehoux M, Lefevre G, Meune C, et al. High-sensitivity cardiac troponin assays: answers to frequently asked questions. Arch Cardiovasc Dis 2015;108(2): 132–49. [10] Narula J, Haider N, Virmani R, DiSalvo TG, Kolodgie FD, Hajjar RJ, et al. Apoptosis in myocytes in end-stage heart failure. N Engl J Med 1996;335(16):1182–9. [11] Bergmann O, Bhardwaj RD, Bernard S, Zdunek S, Barnabe-Heider F, Walsh S, et al. Evidence for cardiomyocyte renewal in humans. Science 2009;324(5923):98–102. [12] McDonough JL, Arrell DK, Van Eyk JE. Troponin I degradation and covalent complex formation accompanies myocardial ischemia/reperfusion injury. Circ Res 1999;84(1):9–20. [13] Nallet O, Arbaoui S, Grenier A, Michaud P, Safrano G, Sergent J. Troponin in emergency department: an overused test for patients screening without clinical suspicion of acute coronary syndrome? Arch Cardiovasc Dis Suppl 2011;3(1):109. [14] Roffi M, Patrono C, Collet JP, Mueller C, Valgimigli M, Andreotti F, et al. 2015 ESC guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation: Task force for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent st-segment elevation of the European society of cardiology (ESC). Eur Heart J 2016;37(3):267–315. [15] Kontos MC, Jesse RL, Tatum JL, Ornato JP. Coronary angiographic findings in patients with cocaine-associated chest pain. J Emerg Med 2003;24(1):9–13.
Pour citer cet article : Nallet O, et al. L’élévation de la troponine en dehors des syndromes coronariens aigus. Ann Cardiol Angeiol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.ancard.2016.09.006
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Pour citer cet article : Nallet O, et al. L’élévation de la troponine en dehors des syndromes coronariens aigus. Ann Cardiol Angeiol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.ancard.2016.09.006