Sarcomes des tissus mous : données moléculaires actuelles

Sarcomes des tissus mous : données moléculaires actuelles

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Cancer/Radiothérapie 10 (2006) 15–21 http://france.elsevier.com/direct/CANRAD/

Mise au point

Sarcomes des tissus mous : données moléculaires actuelles Soft tissue sarcomas: update on molecular data M. Bui Nguyen Binh a,*, F. Collin b, J.-M. Coindre a a

Département de pathologie, institut Bergonié et université Victor-Segalen, Bordeaux, France b Service d’anatomie et cytologie pathologiques, centre G.F.-Leclerc, Dijon, France Accepté le 19 septembre 2005 Disponible sur internet le 27 janvier 2006

Résumé Les sarcomes des tissus mous sont des tumeurs rares dont le diagnostic et la prise en charge peuvent s’avérer difficiles. Les anomalies génétiques rencontrées dans ces tumeurs sont de quatre types : translocations, amplifications géniques, mutations remaniements génétiques complexes. L’étude de ces anomalies génétiques peut avoir un intérêt diagnostique et/ou pronostique. La recherche de translocation spécifique est recommandée pour le diagnostic des synovialosarcomes, des tumeurs primitives neuroectodermiques (PNET) et rhabdomyosarcomes alvéolaires du fait des conséquences thérapeutiques qui en découlent ; dans le cadre de certaines tumeurs plus rares (sarcomes fibromyxoïdes de bas grade, sarcomes à cellules claires, fibrosarcomes infantiles), la recherche de translocation aidera le pathologiste à conforter son diagnostic. L’implication dans le pronostic de certaines translocations est démontrée (rhabdomyosarcome alvéolaire) alors qu’elle est discutée pour d’autres (synovialosarcome). La sensibilité des techniques utilisées pour la détection de ces anomalies est telle qu’elle permet de rechercher des métastases infracliniques (métastases médullaires des rhabdomyosarcomes alvéolaires par exemple). L’étude d’amplifications de MDM2 et CDK4 par FISH ou par PCR quantitative peut être une aide au diagnostic des liposarcomes bien différenciés ou dédifférenciés dans certains cas difficiles. La recherche de mutations géniques de KIT ou de PDGFRA a un rôle diagnostique dans le cadre des tumeurs stromales gastro-intestinales et le type de mutation est un facteur important de prédiction de la réponse au traitement. L’étude des sarcomes à génétique complexe n’a, pour l’heure, aucune place en pratique clinique courante et reste du domaine de la recherche. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Soft tissue sarcomas are rare and may be a source of problems for diagnosis and treatment. Four types of genetic disorders can be distinguished: translocations, gene amplifications, mutations and complex genetic imbalances. Detection of these disorders may help in diagnosis and in determining prognosis. Detection of specific translocation is recommended in synovial sarcoma, alveolar rhabdomyosarcoma or PNET diagnosis because of therapeutic consequences; in case of rarer histologic type (low grade fibromyxoid sarcoma, clear cell sarcoma, infantile fibrosarcoma…), it may confirm the diagnosis. In some cases, some translocations have a prognostic value (alveolar rhabdomyosarcoma) whereas it is discussed in others (synovial sarcoma). The techniques used to detect these translocations are very sensitive so it may be used to detect microscopical metastasis (bone marrow metastasis of alveolar rhabdomyosarcoma for example). Detection of MDM2 and CDK4 genes amplifications (FISH or quantitative PCR) may be sometimes useful in well differentiated and dedifferentiated liposarcomas diagnosis. Mutation detection of KIT or PDGFRA may help in GIST diagnosis and type of mutation is predictive of response to treatment. Study of complex genomic imbalances in sarcomas is not used in routine practice but remains useful in research. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Sarcomes des tissus mous ; Biologie moléculaire Keywords: Soft tissue sarcomas; Molecular biology

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Auteur correspondant. Département de pathologie, institut Bergonié, 229, cours de l’Argonne, 33000 Bordeaux, France.

1278-3218/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.canrad.2005.10.008

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1. Introduction

3. Méthodes d’étude en génétique des sarcomes

Le diagnostic anatomopathologique des sarcomes des tissus mous est difficile et sa reproductibilité entre pathologistes est loin d’être parfaite. Depuis un peu plus de 20 ans maintenant, un nombre croissant d’anomalies génétiques spécifiques de certains sarcomes est décrit, offrant un outil diagnostique dans de nombreuses situations. Ainsi, environ 25 à 30 % des sarcomes des tissus mous de l’adulte et de l’enfant présentent une translocation spécifique d’un type ou sous-type histologique, 80 à 90 % des tumeurs stromales du tube digestif présentent une mutation des gènes KIT ou PDGFRA et les liposarcomes bien différenciés–dédifférenciés présentent une amplification pratiquement constante des gènes MDM2 et CDK4. Parallèlement, les développements technologiques ont permis d’accéder à des études de biologie moléculaire en pratique de routine. L’évolution dans la connaissance et la prise en charge des sarcomes et l’arrivée de traitements ciblés spécifiques sont responsables d’une demande croissante d’un diagnostic précis de la part des oncologues.

Il s’agit de l’étude du caryotype et de différentes techniques de biologie moléculaire actuellement les plus utilisées. Les techniques de biologie moléculaire reposent toutes sur la loi d’appariement spécifique des bases (adénosine–cytosine ; thymine–guanine). La plupart nécessitent un fragment tumoral congelé qu’il conviendra de prélever à la moindre suspicion clinique. Certaines des recherches d’anomalies génétiques sont réalisables sur tissus fixés et inclus en paraffine, dans ce cas, le formol est le fixateur qui permet l’obtention des meilleurs résultats.

2. Les différentes anomalies génétiques rencontrées dans les cancers 2.1. Translocations Une translocation correspond à l’échange de matériel entre deux chromosomes. Un oncogène peut ainsi se retrouver sous la dépendance du promoteur d’un gène ubiquitaire (facteur de transcription par exemple) : cela est responsable de l’expression permanente de l’oncogène. Il peut aussi se former une fusion de deux gènes responsable de la production d’une protéine anormale. 2.2. Amplifications, délétions Il s’agit de gains ou de pertes de matériel génétique par la cellule tumorale. D’une façon schématique, les séquences amplifiées contiennent des oncogènes qui seront surexprimés alors que les séquences délétées contiennent des antioncogènes qui ne pourront plus être exprimés. 2.3. Mutations Une mutation ponctuelle est une modification de la séquence codante d’un gène (en général d’une à quelques bases). Cette mutation va modifier un acide aminé et donc la structure de la protéine. Les résultats peuvent être : une perte de la fonction de la protéine (mutations de P53 par exemple), une activation permanente de la protéine (mutation de KIT par exemple).

3.1. Caryotype (Fig. 1) Le caryotype est l’étude de la morphologie des chromosomes au moment de la métaphase. Cette technique nécessite un fragment de tumeur à l’état frais en milieu de culture afin d’obtenir des cellules tumorales en mitose. Les mitoses sont figées en métaphase à l’aide d’un poison du fuseau et les chromosomes colorés pour une étude microscopique. Cette technique permet de visualiser des anomalies chromosomiques de grande taille (translocation, perte ou gain de gros segments chromosomiques) mais ne permet pas l’étude d’anomalies plus fines (mutation) et ne permet pas forcément d’apprécier correctement des anomalies plus complexes (gains ou pertes multiples de matériel génétique). 3.2. Hybridation fluorescente in situ (FISH) [Fig. 2] Cette technique utilise une sonde fluorescente constituée de la séquence complémentaire du segment d’ADN cellulaire à étudier. La séquence étudiée devient ainsi visualisable à l’aide d’un microscope à fluorescence. Cette technique peut être couplée à l’étude du caryotype ou être réalisée sur des coupes de prélèvements frais ou congelés mais aussi, de façon plus aléatoire, sur des prélèvements fixés et inclus en paraffine. On peut ainsi visualiser une amplification (multiplication des signaux) ou une délétion (perte d’un ou des deux signaux). L’utilisation simultanée de deux sondes marquées avec des fluorochromes différents permet de détecter des translocations sous la forme de rapprochements ou d’éloignements anormaux de régions chromosomiques. 3.3. PCR quantitative Cette technique utilise un couple d’amorces (séquences d’ADN spécifiques d’une région du génome) et, par une séquence de dénaturations–élongations, amplifie le segment d’ADN compris entre ces deux amorces. En comparant le résultat à celui d’un gène témoin, il est possible d’évaluer le nombre de copies. Cette technique n’étudie que le segment d’ADN compris entre les amorces. Cette étude peut être réalisée sur de l’ADN obtenu à partir de fragments tumoraux congelés ou extrait de fragments fixés et inclus en paraffine. La PCR quantitative permet donc de détecter des amplifica-

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Fig. 1. Caryotype d’un liposarcome myxoïde montrant une translocation t(12 ; 16) responsable d’un gène chimérique TLS-CHOP.

Cette technique peut aussi être utilisée pour la recherche de micrométastases médullaires infracliniques impossible à diagnostiquer par l’examen anatomopathologique traditionnel (tumeurs d’Ewing–tumeurs primitives neuroectodermiques [PNET] par exemple). 3.4. Hybridation génomique comparative (CGH) [Fig. 3]

Fig. 2. FISH sur noyau interphasique à l’aide des sondes EWS (vert) et FLI1 (rouge). On observe un signal rouge et un signal vert séparés qui correspondent aux allèles normaux et un signal rouge et un signal vert qui fusionnent signant la présence d’une translocation.

tions ou des délétions. Cette technique permet aussi de détecter des translocations ; en effet, lorsque les amorces utilisées sont sur deux chromosomes différents, il n’est pas possible d’amplifier une séquence. En revanche, lorsqu’il existe une translocation, les deux amorces se retrouvent placées sur le même chromosome et la réaction de PCR donne un produit identifiable.

C’est une technique d’étude globale des gains et pertes de matériel génétique par une tumeur. L’ADN tumoral est marqué avec un fluorochrome et un ADN témoin normal est marqué avec un autre fluorochrome. Ces ADN sont hybridés sur des chromosomes métaphasiques normaux (ou une puce contenant de multiples fragments de chromosomes pour la CGH-array ou puce à ADN). L’hybridation compétitive des deux ADN va faire que celui présent de façon prédominante va s’hybrider de façon plus importante. L’étude du ratio de fluorescence le long des chromosomes permet ainsi de repérer les territoires amplifiés ou délétés. De l’ADN extrait d’un fragment tumoral congelé est nécessaire. C’est une technique qui permet une analyse globale du génome d’une tumeur sous la forme de gains et de pertes de matériel chromosomique. On ne peut pas, par cette méthode, étudier les translocations ou les mutations ponctuelles. 3.5. Séquençage Cette technique permet d’étudier la séquence d’acide nucléique d’un gène et de la comparer à la séquence de référence.

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Fig. 3. Résultat d’une CGH-array sous la forme graphique. Sur l’échelle horizontale, sont répartis les chromosomes. La valeur 1 sur les ordonnées est considérée comme une quantité de matériel génétique normal, une valeur inférieure à 0,8 correspond à une perte de matériel, une valeur supérieure à 1,2 à un gain. Sur cet exemple d’un liposarcome dédifférencié de la cuisse, on observe un gain de matériel du bras long du chromosome 1, des chromosomes 3, 6 et 8 et une amplification du locus de MDM2 et CDK4 sur le chromosome 12.

Elle nécessite de l’ADN tumoral extrait d’un fragment congelé ou d’un fragment fixé (tissus fixés en formol uniquement). Elle est utilisée afin de caractériser certaines mutations activatrices d’oncogènes ou inactivatrices d’antioncogènes susceptibles de prédire la réponse à certaines thérapeutiques spécifiques. 4. Sarcomes des tissus mous présentant une translocation spécifique (Tableau 1) Environ 25 à 30 % des sarcomes des tissus mous sont caractérisés par la présence d’une translocation spécifique, qui aboutit à la formation d’un gène chimérique codant pour un transcrit de fusion spécifique. Ces sarcomes sont habituellement des sarcomes pédiatriques ou de l’adulte jeune. D’un point de vue morphologique, ce sont tous des sarcomes constitués de petites cellules monomorphes. D’un point de vue cytogénétique, ces tumeurs présentent peu de modifications du caryotype si ce n’est la translocation elle-même. 4.1. Utilité de la recherche de translocation pour le diagnostic Un certain nombre de sarcomes est caractérisé par une translocation spécifique responsable de la formation d’un gène de fusion. Cette anomalie cytogénétique peut être recherchée par plusieurs techniques : caryotype de cellules tumorales, FISH ou RT-PCR (reverse transcription-polymerase chain reaction). Cette dernière constitue à l’heure actuelle la technique de référence. Dans un certain nombre de cas, la recherche du transcrit de fusion va apporter une aide décisive au diagnostic. En effet, ces différentes tumeurs présentent des caractères morphologiques et immunohistochimiques qui peuvent poser des problèmes de diagnostic différentiel avec d’autres cancers dont le pronostic et la prise en charge thérapeutique sont totalement différents. Pour certains types tumoraux, la recherche du transcrit devrait être systématique avant une mise en traitement. C’est le

cas des tumeurs d’Ewing–PNET [7], des rhabdomyosarcomes alvéolaires [15]. Pour les synovialosarcomes [5,11], la recherche de la translocation spécifique est fortement souhaitable, même pour les cas morphologiquement évidents, et indispenTableau 1 Tableau récapitulatif des différents sarcomes présentant une ou plusieurs translocations spécifiques Type tumoral Tumeur d’Ewing ; tumeurs primitives neuroectodermiques (PPNET)

Tumeur desmoplastique à petites cellules rondes Mélanome des tissus mous ; sarcome à cellules claires Liposarcome myxoïde à petites cellules rondes Chondrosarcome myxoïde extrasquelettique

Translocations t(11 ; 22)(q24 ; q12) t(21 ; 22)(q22 ; q12) t(2 ; 22)(q33 ; q12) t(7 ; 22)(p22 ; q12) t(17 ; 22)(q12 ; q12) t(1 ; 22)(p36 ; q12) t(11 ; 22)(p13 ; q12)

Gènes de fusion EWS–FLI1 EWS–ERG EWS–FEV EWS–ETV1 EWS–ETV4 (E1AF) EWS–ZSG EWS–WT1

t(12 ; 22)(q13 ; q12)

EWS–ATF1

t(12 ; 16)(q13 ; p11) t(12 ; 22)(q13 ; q12) t(9 ; 22)(q22 ; q12) t(9 ; 17)(q22 ; q11)

TLS (FUS)–CHOP EWS–CHOP EWS–TEC (CHN) TAFII68 (RBP56)– TEC (CHN) PAX3–FKHR PAX7–FKHR ETV6 (TEL)–NTRK3 (TRKC) SYT–SSX1 SYT–SSX2 SYT–SSX4 COL1A1–PDGFB

Rhabdomyosarcome alvéolaire Fibrosarcome congénital Néphrome mésoblastique Synovialosarcome

t(2 ; 13)(q35 ; q14) t(1 ; 13)(p36 ; q14) t(12 ; 15)(p13 ; q25)

Dermatofibrosarcome

r,t(17 ; 22)(q22 ; q13) t(7 ; 17)(p15 ; q21) t(1 ; 2)(q21.2 ; p23) t(2 ; 17)(p23 ; q23) t(2 ; 11)(p23 ; p15,5) t(2 ;2)(p23 ;q13) t(7 ; 16)(q33 ; p11)

JAZF1–JJAZ1 TPM3–ALK CLTC–ALK CARS–ALK RANBP2–ALK FUS–CREB3L2

t(X ; 17)(p11 ; q25)

TFE3–ASPL

Sarcome stromal endométrial Tumeur myofibroblastique inflammatoire

Sarcome fibromyxoïde de bas grade Sarcome alvéolaire des parties molles

t(X ; 18)(p11,2 ; q11,2)

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sable dans les cas difficiles (synovialosarcomes monophasiques de siège inhabituel et synovialosarcomes peu différenciés). Dans le cadre de sarcomes rares (sarcome fibromyxoïde de bas grade [27,32] notamment, ou, plus accessoirement sarcome à cellules claires [9,31], sarcome alvéolaire des parties molles [21], tumeur desmoplastique à petites cellules rondes [20,22] par exemple), une confirmation en biologie moléculaire aidera le pathologiste à appuyer ce diagnostic et devra être réalisée au moindre doute. Pour certains sarcomes (liposarcome myxoïde [1,2,34] et dermatofibrosarcome de Darier et Ferrand [26,28] notamment), les arguments cliniques et morphologiques sont suffisamment évocateurs pour n’avoir recours à la recherche d’une translocation que de façon rare, dans les cas les plus difficiles (siège atypique ou aspect histologique inhabituel). 4.2. Implications de la translocation dans le pronostic Pour certains types tumoraux, notamment dans le cadre des rhabdomyosarcomes, la présence d’une translocation spécifique des formes alvéolaires [33] ainsi que le type de transcrit retrouvé renseignent sur une tumeur de pronostic péjoratif et impliquent un traitement général systémique différent. La valeur pronostique du type de translocation dans les synovialosarcomes est discutée [10,18,19,25]. En effet certains travaux ont rapporté que les tumeurs avec transcrits de fusion de type SSX2 étaient de pronostic plus favorable alors que ces résultats n’ont pas pu être confirmés par d’autres équipes. La sensibilité des méthodes de biologie moléculaire pour la détection des transcrits de fusion spécifiques est telle qu’elle permet de chercher des métastases infracliniques, intramédullaires notamment, qui ont une signification pronostique péjorative (rhabdomyosarcome alvéolaire par exemple). 4.3. Implications pour l’avenir ? La caractérisation moléculaire des sarcomes peut avoir une utilité en recherche clinique. En effet, cet outil permet d’affiner le diagnostic et ainsi de mieux sous-classifier les tumeurs en vue de l’administration de traitements de plus en plus ciblés, voire spécifiques. 5. Sarcomes présentant des mutations spécifiques C’est le cas des tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) [6,14]. Ces tumeurs sont, pour la plupart, caractérisées par une mutation activatrice de gènes codant pour des récepteurs à activité tyrosine kinase : exons 11, 9, 13 ou 17 de KIT dans 80 % des cas et exons 18, 12 ou 14 de PDGFRA dans 7,5 % des cas. Ces mutations aboutissent à une activation permanente de la voie de transduction sous-jacente et à une activation de signaux mitogènes. Ces altérations peuvent être contrebalancées par l’utilisation d’un inhibiteur spécifique de c-kit (imatimib) [17,35]. Les tumeurs présentant une mutation de l’exon 11 de KIT sont les plus sensibles au traitement par imatimib avec moins de 10 % de résistance primaire [12]. Celles qui présentent une mutation de l’exon 9 de KIT présen-

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tent une résistance primaire dans environ 50 % des cas [12], tandis que les autres cas présentent une résistance primaire dans plus de 80 % des cas [12]. La caractérisation de la mutation par des techniques de séquençage peut donc avoir une utilité diagnostique (mutations de PDGFRA dans les GIST CD117 négatives), de prédiction de la réponse au traitement et joue dès à présent un rôle majeur dans la décision thérapeutique bien que certaines controverses existent. 6. Sarcomes des tissus mous présentant un profil génomique simple Les études de cytogénétique modernes telles que la CGH ont permis d’observer deux grandes catégories de sarcomes en se fondant sur leur profil génétique (exception faite des sarcomes à translocations). Certains présentent des profils génétiques peu remaniés et sont caractérisés par la présence d’amplifications de certaines régions chromosomiques. C’est ainsi que l’on a démontré que les liposarcomes bien différenciés et dédifférenciés présentaient une amplification de la région chromosomique 12q14 contenant systématiquement le gène MDM2 et très souvent le gène CDK4 [29,30]. Les liposarcomes bien différenciés–dédifférenciés représentent environ 10 à 15 % des sarcomes des tissus mous et s’observent principalement chez l’adulte après 40 ans. Ils méritent d’être isolés des autres sarcomes du fait de leur présentation clinique, des problèmes diagnostiques qu’ils posent, de leur pronostic surtout local [13,24], de leur profil génomique particulier et de ce fait, des possibilités thérapeutiques futures. Les liposarcomes bien différenciés s’observent principalement en régions profondes des membres et au niveau du rétropéritoine. Ils posent fréquemment un problème de diagnostic différentiel histologique avec des tumeurs adipeuses bénignes fréquentes, principalement les lipomes remaniés. Leur pronostic est dominé par la survenue fréquente de récidives locales, et l’absence de métastase tant qu’il n’existe pas de composante dédifférenciée [13,24]. Les liposarcomes dédifférenciés associent par définition des zones de liposarcome bien différencié et de zones de sarcome peu différencié de type histiocytofibrome malin, fibrosarcome, myxofibrosarcome ou parfois de type rhabdomyosarcome, léiomyosarcome, ostéosarcome, chondrosarcome. Ces tumeurs s’observent surtout en région rétropéritonéale ou paratesticulaire. Les problèmes de diagnostic différentiel histologique sont fréquents, en particulier avec les sarcomes peu différenciés [4], les rhabdomyosarcomes et léiomyosarcomes. Ainsi devant tout sarcome peu différencié ou de type rhabdomyosarcome du rétropéritoine ou de la région paratesticulaire, il convient d’envisager systématiquement le diagnostic de liposarcome dédifférencié. L’évolution de ces tumeurs est dominée là encore par les récidives locales avec cependant un potentiel métastatique de l’ordre de 10 à 15 %, bien moindre que celui des sarcomes peu différenciés, rhabdomyosarcomes et léiomyosarcomes. Les moyens pratiques de mettre en évidence cette amplification des gènes MDM2 et CDK4 en routine font appel à l’im-

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munohistochimie [3] aidée par la FISH et la PCR quantitative [16], toutes ces techniques étant utilisables sur tissus fixés et inclus en paraffine.

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7. Sarcomes des tissus mous présentant un profil génomique complexe Les autres sarcomes présentent des remaniements génétiques complexes sous la forme de gains et de pertes de matériel génétique. L’étude de ces tumeurs a cependant permis d’observer la présence d’anomalies récurrentes ; c’est le cas, par exemple, de la délétion du bras long du chromosome 13 intéressant le locus de l’antioncogène RB1 (gène du rétinoblastome) [8, 23]. Ce sont, le plus souvent, des sarcomes de l’adulte âgé de plus de 40 ans développés aux dépens des tissus mous des membres ou de la paroi du tronc. La plupart sont des sarcomes à cellules fusiformes et à cellules pléomorphes, principalement représentés par les sarcomes peu différenciés, encore appelés histiocytofibromes malins, mais aussi par les léiomyosarcomes, rhabdomyosarcomes pléomorphes, liposarcomes pléomorphes, fibrosarcomes et myxofibrosarcomes. Dans ce cadre-là, l’étude du profil génétique par CGH n’a, pour l’instant, qu’une utilité en recherche. En effet, il n’a pas été montré de profil génétique ayant une conséquence pronostique. En revanche, l’étude des sarcomes par cette approche permettra certainement, par la suite, d’affiner le démembrement d’un certain nombre de sarcomes difficiles à classer (histiocytofibromes malins, fibrosarcomes, myxofibrosarcomes…).

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8. Conclusion L’étude moléculaire des sarcomes est aujourd’hui souvent indispensable pour une prise en charge adaptée des patients, en permettant un diagnostic de plus en plus fiable et une décision thérapeutique pertinente. Cette étude moléculaire s’est simplifiée mais reste difficile nécessitant une expérience conjointe du diagnostic des tumeurs conjonctives et des techniques de biologie moléculaire. Le développement de nouvelles techniques de fixation avant inclusion en paraffine des prélèvements anatomopathologiques, pourrait offrir la possibilité d’obtenir du matériel de bonne qualité pour pratiquer les techniques de biologie moléculaire sans nécessiter un fragment congelé. Cependant, la congélation d’un fragment tumoral à la moindre suspicion clinique d’un sarcome doit, à l’heure actuelle, être considérée comme indispensable. Références [1]

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