Scorbut atypique associé à une anorexie mentale

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ARTICLE IN PRESS

ANNDER-2155; No. of Pages 5

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2016) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

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CAS CLINIQUE

Scorbut atypique associé à une anorexie mentale Atypical scurvy associated with anorexia nervosa R. André a,∗, A. Gabrielli a, E. Laffitte b, O. Kherad a,c a

Service de médecine interne générale, hôpitaux universitaires de Genève, 1206 Genève, Suisse b Service de dermatologie et vénéréologie, hôpitaux universitaires de Genève, 1206 Genève, Suisse c Service de médecine interne, hôpital de la Tour, 1217 Meyrin-Genève, Suisse Rec ¸u le 29 janvier 2016 ; accepté le 21 juin 2016

MOTS CLÉS Vitamine C ; Scorbut ; Maladie de Barlow ; Anorexie mentale ; Acide ascorbique



Résumé Introduction. — Le scorbut, ou « maladie de Barlow », est une maladie anciennement décrite qui comporte des lésions cutanées et muqueuses induites par une carence en vitamine C. Nous rapportons ici une observation de scorbut originale par sa présentation cutanéo-muqueuse atypique et par son association à une anorexie mentale chez une femme de 48 ans. Observation. — Une femme de 48 ans, suivie pour dépression depuis plusieurs années, était admise à l’hôpital pour une altération de l’état général. Elle avait depuis un an une éruption palmo-plantaire et des épisodes d’œdème péri-malléolaire. L’examen montrait une patiente cachectique avec un IMC de 11,9 kg/m2 , des œdèmes des membres inférieurs, une dermite palmo-plantaire fissuraire, une langue géographique, un effluvium télogène et un purpura pétéchial en regard du genou droit. En revanche, on ne constatait pas d’hémorragie gingivale ni de déchaussement de dents. Le reste de l’examen clinique était normal. Les analyses de sang montraient un taux de vitamine C effondré sans autre carence associée, ainsi qu’une cytolyse biologique et une cholestase anictérique sans syndrome inflammatoire. Le diagnostic d’anorexie mentale était posé par les psychiatres, malgré l’âge de survenue inhabituel. L’évolution clinique était rapidement favorable après substitution en vitamine C, à raison de 1 g par jour pendant un mois. Discussion. — L’absence des symptômes buccodentaires classiques et la présence d’une dermatose kératosique fissuraire et ulcérée des mains et des pieds sont atypiques pour un scorbut ;

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. André).

http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.005 0151-9638/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Pour citer cet article : André R, et al. Scorbut atypique associé à une anorexie mentale. Ann Dermatol Venereol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.005

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R. André et al. toutefois, l’existence d’un purpura évocateur de fragilité capillaire, le taux effondré de vitamine C et la guérison rapide des symptômes sous seule substitution par vitamine C orale permettent d’affirmer ce diagnostic. L’anorexie mentale était sans doute la cause d’une carence d’apports. Cette situation est rare : une revue systématique de la littérature dans Medline via Pubmed ne trouve que trois cas de scorbut associés à une anorexie mentale publiés depuis 1975. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

KEYWORDS Vitamin C; Scurvy; Barlow’s disease; Anorexia; Ascorbic acid

Summary Introduction. — Scurvy, or ‘‘Barlow’s disease’’, is a widely described disease involving cutaneous and mucosal lesions resulting from vitamin C deficiency. Herein, we report a case of scurvy in a 48-year-old woman that was unusual in its atypical cutaneous-mucosal presentation as well as its association with anorexia nervosa. Patients and methods. — A 48-year-old woman treated for depression for several years was admitted to hospital for her impaired general state of health. Over the last year, she had presented palmoplantar rash and episodes of perimalleolar oedema. The clinical examination showed the patient to have wasting syndrome, with a BMI of 11.9 kg/m2 , lower-limb oedema, palmoplantar fissures, geographic tongue, telogen effluvium and purpuric petechiae on her right knee. However, no gingival bleeding was noted and there was no loss of tooth enamel. The remainder of the clinical examination was normal. Blood tests revealed extremely low vitamin C levels without any other associated deficiencies, as well as laboratory signs of cytolysis and anicteric cholestasis without inflammatory syndrome. The diagnosis of anorexia nervosa was made by psychiatrists, despite the unusual age of onset. Favorable clinical outcome was rapidly achieved via a one-month course of vitamin C supplements at a daily dose of 1 g. Discussion. — The absence of classical buccal-dental symptoms and the presence of keratotic dermatosis with fissures and ulcers on the hands and feet are atypical in scurvy; however, this diagnosis was confirmed by the existence of purpura evoking capillary fragility, the patient’s drastically low vitamin C level and the rapid subsidence of symptoms following treatment with oral vitamin C alone. Anorexia nervosa was doubtless the cause of deficiency. This situation is rare and a systematic review of the literature in Medline via PubMed showed that only three reports of scurvy associated with mental anorexia have been published since 1975. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Le scorbut, ou « maladie de Barlow », est une maladie anciennement décrite qui comporte des lésions cutanées et muqueuses induites par une carence en vitamine C. Nous rapportons ici une observation de scorbut originale par sa présentation cutanéo-muqueuse atypique et par son association à une anorexie mentale chez une femme de 48 ans.

Observation Une femme de 48 ans, suivie depuis sept ans pour un état dépressif, était admise à l’hôpital pour une altération de l’état général. Elle avait perdu 17 kilos en un an, avec à l’admission un poids de 29 kg et un indice de masse corporelle (IMC) de 11,9 kg/m2 . Son traitement comprenait de la mirtazapine et de l’oxazépam. Elle décrivait une baisse de l’appétit et une importante asthénie en aggravation depuis trois semaines. Il n’y avait par ailleurs ni fièvre ni sueurs nocturnes.

Depuis une année étaient apparues des lésions cutanées, en particulier des crevasses aux mains, qu’elle traitait par des émollients en association à un corticoïde topique, ainsi que des plaies aux pieds qui avaient beaucoup de mal à cicatriser et quelques œdèmes péri-malléolaires. À l’admission dans le service, nous pouvions observer un état cachectique, des œdèmes des membres inférieurs symétriques prenant le godet, des plaies ulcérées non inflammatoires et quelques lésions pétéchiales ecchymotiques mais non péri-folliculaires en regard du genou droit (Fig. 1). Il existait aussi une dermite palmo-plantaire fissuraire, une langue géographique et un effluvium télogène. On ne trouvait pas d’hémorragie gingivale ni de déchaussement de dents. Le reste de l’examen clinique était normal. Aucun examen dermatoscopique n’a été réalisé. Les analyses de sang montraient peu de carences, puisque le taux d’albumine plasmatique était dans la norme tout comme le temps de prothrombine, le bilan lipidique, le dosage des vitamines B12 et B9. La ferritine était quant à elle augmentée. En revanche, il y avait une diminution de la préalbumine à 182 mg/L (N > 223), de la vitamine D à 23 mmol/L (N > 75) et des gammaglobulines à 4,7 g/L (baisse des IgG

Pour citer cet article : André R, et al. Scorbut atypique associé à une anorexie mentale. Ann Dermatol Venereol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.005

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Figure 1.

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Lésions purpuriques et nécrotiques péri-malléolaires (A) et du genou droit (B) ; fissures et érythème des mains (C et D).

à 5,9 g/L). Le dosage de la vitamine C était effondré à 8 ␮mol/L (N > 17), la pyridoxine était légèrement basse à 11 nmol/L (N > 12) et la zincémie était normale. La biologie hépatique était nettement perturbée avec une cytolyse (> 3 N) et une cholestase anictérique. Enfin, il n’y avait pas de syndrome inflammatoire, pas d’anémie, pas de trouble électrolytique ou phosphocalcique et le bilan thyroïdien était normal. La gastroscopie trouvait une gastropathie érythémateuse antrale et quelques érosions au niveau du cardia pouvant évoquer des efforts de vomissements ; l’histologie ne montrait qu’une légère gastrite antrale chronique sans atrophie glandulaire. L’échographie cardiaque, l’écho-doppler des membres inférieurs, l’échographie abdominale et la radiographie des poumons étaient normales. Devant ce tableau clinique, le diagnostic d’anorexie mentale était finalement posé par les psychiatres, malgré un âge de survenue inhabituel. Ce diagnostic expliquait la perturbation des tests hépatiques, banale au cours de l’anorexie et s’améliorant après renutrition. D’autre part, la carence en vitamine C expliquait les lésions cutanées et la fragilité capillaire dont témoignaient les pétéchies. L’évolution clinique était rapidement favorable après substitution en vitamine C, à raison de 1 g par jour pendant un mois. Malgré le caractère atypique du tableau clinique, avec notamment l’absence des atteintes muqueuse et dentaire, mais devant une amélioration rapide et spectaculaire

des lésions cutanées, le diagnostic de scorbut secondaire à une anorexie mentale inaugurale était finalement retenu.

Discussion La carence en vitamine C est à l’origine du scorbut, ou maladie de Barlow. Cette maladie, bien connue depuis le XVe siècle et responsable du décès de nombreux navigateurs, a finalement disparu progressivement après la découverte en 1753 du bienfait de certains fruits (Citrus spp.) par le chirurgien Sir James Lind, puis la découverte en 1931 par Albert Szent-Györgyi du facteur « anti-scorbut » dénommé plus tard « vitamine C », l’acide ascorbique [1]. L’acide ascorbique et son produit de dégradation, l’acide déshydro-ascorbique, sont biologiquement actifs et ont plusieurs rôles : la réticulation et le métabolisme du tissu conjonctif, l’absorption du fer non hémique et la conversion de la dopamine en noradrénaline [2]. Il s’agit d’une vitamine que l’on trouve dans les agrumes, les pommes de terre, les tomates et les légumes verts. L’être humain étant incapable de produire cette vitamine, un apport inférieur à 10 mg/j est susceptible d’entraîner une carence et le développement des premiers symptômes. Les manifestations cliniques sont résumées dans le Tableau 1 [1,3]. Le diagnostic peut parfois être étayé par le dermatoscope, qui peut révéler un aspect de poil en « tire-bouchon » [4].

Pour citer cet article : André R, et al. Scorbut atypique associé à une anorexie mentale. Ann Dermatol Venereol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.005

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R. André et al. Tableau 1

Manifestations cliniques du scorbut.

Manifestations cliniques

Systèmes

Glossite Gingivite hypertrophique et/ou hémorragique Déchaussement dentaire Hémorragies péri-folliculaires prédominant à la face antérieure des cuisses, avant-bras et abdomen Purpura ecchymotique Œdèmes péri-malléolaires Arthrites Alopécie Bande sombre des métaphyses osseuses en radiographie standard Asthénie Dysphagie

Muqueuses Muqueuses Muqueuses Peau

Peau Peau Articulations Peau Os

SNC GI

SNC : système nerveux central ; GI : gastro-intestinal.

L’incidence du scorbut n’est plus connue aujourd’hui mais probablement faible si l’on considère les douze cas colligés entre 1976 et 2002 par la Mayo Clinic [1]. Le traitement est simple et consiste à substituer le patient en vitamine C per os ou par voie intraveineuse. La dose n’est en revanche pas bien codifiée et varie en fonction des cas rapportés, entre 125 et 1000 mg par jour [1—3,5]. La durée du traitement n’est pas non plus très claire, variant entre 15 jours et 3 mois. L’évolution sous traitement est rapidement favorable. Chez notre patiente, les lésions ont finalement guéri en une dizaine de jours (Fig. 2) et la substitution a été poursuivie durant un mois. Outre la cachexie, le tableau clinique de notre patiente était dominé par les lésions cutanées, avec un érythème palmo-plantaire fissuraire associé à quelques lésions pétéchiales non péri-pilaires, sans atteinte des muqueuses ni de déchaussement dentaire. L’absence de ces signes cliniques est inhabituelle dans le scorbut. Malgré ces atypies, nous avons retenu le diagnostic sur l’évolution clinique spectaculaire en dix jours et l’absence d’autre carence que celle en vitamine C. Il est possible que le scorbut réalise des tableaux cliniques différents en fonction du degré de carence. Néanmoins, l’existence d’une autre carence non détectée chez notre patiente ne peut pas être exclue, bien qu’elle soit peu probable compte tenu de la rapidité d’évolution sans nutrition intensive. Le cas de notre patiente illustre l’association d’un scorbut et d’une anorexie mentale sévère (dénutrition de stade IV selon l’Organisation mondiale de la santé). Ces cas de scorbut sont devenus rares dans les pays développés, comme en témoigne le faible nombre de cas rapportés dans la littérature. Au total, après une recherche sur Medline, trois cas de scorbut associés à une anorexie mentale ont été décrits depuis 1975 [6—8]. Un autre cas a été rapporté chez un patient ne s’alimentant qu’avec du lait et des cookies, dans le cadre d’un trouble de la personnalité de type obsessionnel-compulsif [9]. Paradoxalement, la dénutrition

Figure 2. Évolution après 10 jours de substitution vitaminique : pied droit (A) et mains (B et C).

de notre patiente contrastait avec l’absence de carence en vitamine B12 et B9, et une hypoalbuminémie légère. Ce tableau biologique peut se rencontrer au cours de l’anorexie mentale mais reste rare. Certains estiment qu’une élévation du taux plasmatique de ces vitamines représente un signe de gravité de la maladie [10]. En conclusion, le diagnostic de scorbut est parfois difficile. L’absence de carence vitamino-protéinique classique et de manifestations buccales ne doit pas faire exclure le

Pour citer cet article : André R, et al. Scorbut atypique associé à une anorexie mentale. Ann Dermatol Venereol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.005

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Scorbut atypique associé à une anorexie mentale diagnostic. Devant l’innocuité du traitement, le dosage de la vitamine C plasmatique ne doit pas faire retarder la substitution en cas de doute.

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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Pour citer cet article : André R, et al. Scorbut atypique associé à une anorexie mentale. Ann Dermatol Venereol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.005