Transformation maligne d’un adénome hépatocellulaire chez l’homme

Transformation maligne d’un adénome hépatocellulaire chez l’homme

Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, 168—170 LETTRE À LA RÉDACTION Transformation maligne d’un adénome hépatocellulaire chez l’homme ...

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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, 168—170

LETTRE À LA RÉDACTION

Transformation maligne d’un adénome hépatocellulaire chez l’homme Malignant transformation of hepatocellular adenoma in men Introduction Les adénomes hépatocellulaires sont des tumeurs bénignes du foie qui ont un risque faible mais établi de transformation maligne sans qu’aucun élément prédictif ne soit connu. Les adénomes hépatocellulaires chez l’homme sont essentiellement inflammatoires et fréquemment ␤caténine-activés [1]. Ce dernier sous-type est caractérisé par une plus fréquente association à un carcinome hépatocellulaire [2]. Nous rapportons le cas d’un homme opéré pour un adénome hépatocellulaire dont l’examen anatomopathologique a révélé la présence de foyers de carcinome hépatocellulaire très bien différencié.

Cas clinique En mars 2008, un homme de 27 ans, sans antécédent, sportif, avec un indice de masse corporelle à 22 kg/m2 , consultait pour des douleurs abdominales associées à une diarrhée et une perte de poids de 10 %. Au scanner et à l’échographie, on notait une lésion nodulaire du foie droit, d’échostructure hétérogène, mesurée à 14,8 × 9 × 6,5 centimètres (Fig. 1). Le bilan hépatique et l’alpha-fœtoprotéine étaient normaux, les sérologies de l’hépatite C et de l’hépatite B étaient négatives et la C-réactive protéine était à 1 mg/L. A l’imagerie par résonance magnétique, la lésion, mesurée à 15 × 6,5 × 9 cm, était développée aux dépens des segments VI et VII, de signal hétérogène et d’allure encapsulée, en hyposignal aux séquences T1 et T2. Au temps portal, il existait une prise de contraste hétérogène avec un lavage du produit de contraste au temps veineux tardif (Fig. 2). Le diagnostic d’adénome hépatocellulaire était posé et il était effectué une cholécystectomie et une bisegmentectomie hépatique des segments VI à VII.

L’examen anatomopathologique mettait en évidence une lésion tumorale unique de 15 cm, bien limitée mais non encapsulée, développée sur foie non fibreux (Fig. 3). L’analyse histologique montrait une prolifération hépatocytaire correspondant dans sa majeure partie à un adénome hépatocellulaire non stéatosique avec architecture conservée. Les travées étaient composées d’hépatocytes réguliers sans atypie cytonucléaire. Il n’existait aucune surcharge stéatosique. Au sein de cet adénome, il existait cependant des secteurs différents faits de nodules expansifs constitués de travées hépatocytaires épaissies et irrégulières avec des ébauches acineuses sans formation pseudo-glandulaire authentique. Quelques légères atypies cytonucléaires étaient observées. La coloration de la trame réticulinique était diminuée voire absente dans ce secteur. Aucun remaniement télangiectasique n’était visible. Un tel aspect était en faveur de foyers de carcinome hépatocellulaire très bien différenciés au sein d’un adénome hépatocellulaire. Le foie sain était non stéatosique. Il n’existait pas d’embol vasculaire. L’exérèse était complète et le parenchyme adjacent était sain. En immunohistochimie, il n’existait pas de surexpression nucléaire de la ␤-caténine, mais une forte et diffuse expression intrahépatocytaire de la glutamine synthétase était observée. Aucune expression du glypican 3 par les cellules tumorales n’était trouvée. Le séquenc ¸age du gène de la ␤-caténine trouvait une large délétion de ce gène (delP17S318). L’interrogatoire à posteriori du malade ne trouvait pas de facteur favorisant. Le suivi clinique et remnographique à 12 mois ne montrait pas de récidive.

Discussion Les adénomes hépatocellulaires sont des tumeurs rares dont la prévalence est estimée à un pour 100 000. Cette lésion touche essentiellement la femme (80 % des cas), mais 9,3 à 20 % des adénomes concernent des sujets de sexe masculin [2,3]. L’évolution des adénomes hépatocellulaires est variable, se faisant vers la stabilité, l’augmentation de taille ou la régression notamment en cas de suppression de facteurs de risque [3].

0399-8320/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2010.01.002

Lettre à la rédaction

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Figure 3 Examen macroscopique de la pièce opératoire montrant une lésion tumorale unique de 15 cm, bien limitée mais non encapsulée, développée sur foie non fibreux.

Figure 1 Tomodensitométrie montrant une lésion nodulaire du lobe droit du foie, de structure homogène, mesurant 9 cm de diamètre.

La transformation maligne est un risque rare, évalué à 5 à 10 % des adénomes hépatocellulaires [3]. Les études moléculaires des cellules adénomateuses et carcinomateuses ayant un adénome hépatocellulaire avec des foyers de carcinome hépatocellulaire ont suggéré une origine clonale identique [2]. Ce risque de transformation maligne est supérieur en cas de prise d’androgènes, de diabète MODY 3 ou de glycogénose [4] et, selon certains auteurs, chez l’homme (taux de transformation maligne de 43 % chez l’homme et 0,92 %

Figure 2 Imagerie par résonance magnétique montrant une lésion développée aux dépens des segments VI et VII, de signal hétérogène et d’allure encapsulée.

chez la femme) [3]. Les adénomes hépatocellulaires chez l’homme sont inflammatoires ou inclassables dans plus de 80 % des cas [3]. Les adénomes hépatocellulaires ␤-caténine-activés sont surreprésentés chez l’homme (38 % contre 10 % chez la femme) [2]. Ils sont marqués par une plus fréquente association à un carcinome hépatocellulaire ou la présence de lésions dites limites entre adénome hépatocellulaire et carcinome hépatocellulaire (46 %) [2]. De plus, sur l’ensemble des adénomes hépatocellulaires associés à un carcinome hépatocellulaire, la moitié sont porteurs d’une mutation du gène de la ␤-caténine [2]. Dans les carcinomes hépatocellulaires, la mutation activatrice du gène ␤-caténine est trouvée dans 20 à 35 % des cas, laissant ce gène apparaître comme l’un des oncogènes le plus souvent activé [2]. Chez la souris, l’activation de la voie de signalisation ␤-caténine par invalidation dans le foie du gène APC (adenomatous polyposis coli), gène participant à la suppression de la ␤-caténine, conduit au carcinome hépatocellulaire [5]. De plus, la ␤-caténine entre en jeu dans plusieurs phénomènes physiologiques hépatiques, notamment prolifération, régénération, apoptose, différentiation cellulaire, transition épithélio-mésenchymateuse et adhésion cellulaire hépatique [2]. La tumorigenèse est à l’heure actuelle méconnue, mais cette activation du gène ␤-caténine pourrait prédisposer à la transformation maligne des adénomes hépatocellulaires [6], désignant ainsi ces adénomes hépatocellulaires ␤-caténine-activés comme de véritables lésions précancéreuses sur foie sain [1]. L’existence d’une association de deux mutations (mutation activatrice de la ␤-caténine et mutation activatrice de gp130) a été trouvée dans deux cas d’adénomes hépatocellulaires inflammatoires avec transformation maligne. Cependant, aucun cas de transformation maligne n’est retrouvé lorsque la mutation gp130 était isolée [7]. Le risque de transformation maligne des adénomes hépatocellulaires inflammatoires, avec ou sans activation de la voie de la ␤caténine, est de 4,7 à 10,6 % [3]. Ces résultats suggèrent une coopération entre la voie de l’interleukine-6 et celle de la ␤caténine dans le processus de la transformation maligne [7].

170 La mutation activatrice de la ␤-caténine dans les adénomes hépatocellulaires inflammatoires n’interviendrait que dans un second temps mais est un élément déterminant dans la tumorigenèse. L’ensemble de ces éléments souligne le risque accru de transformation maligne des adénomes hépatocellulaires chez l’homme [3] mais le rôle de l’association de ces deux oncogènes dans la population masculine est à préciser. Sur les deux plus importantes séries de la littérature, aucun cas de transformation maligne n’a été rapporté parmi les adénomes hépatocellulaires HNF1␣-inactivés ou stéatosiques [3]. Ces adénomes hépatocellulaires sont rares chez l’homme. Chez l’homme, les adénomes hépatocellulaires doivent relever d’une prise en charge chirurgicale étant donné le risque accru de complications [3]. Les récentes avancées dans le démembrement des adénomes hépatiques ont permis de mettre en évidence les risques de dégénérescence des adénomes hépatocellulaires inflammatoires et ␤-caténine-activés. Le cas que nous rapportons illustre le sur-risque de dégénérescence des adénomes hépatocellulaires chez l’homme. Les adénomes hépatocellulaires chez l’homme, quels que soient la taille ou le type, doivent être traités chirurgicalement.

Conflit d’intérêt Aucun.

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Y. Goudard a,∗ D. Rouquie a C. Bertocchi b H. Daligand a O. Baton a M. Lahutte c B. Terris d B. Baranger a a Service de chirurgie viscérale et vasculaire, HIA Val-de-Grâce, 74, boulevard Port-Royal, 75005 Paris, France b Service d’anatomie et cytologie pathologique, HIA Val-de-Grâce, 74, boulevard Port-Royal, 75005 Paris, France c Service de radiodiagnostic, HIA Val-de-Grâce, 74, boulevard Port-Royal, 75005 Paris, France d Service d’anatomie et cytologie pathologique, hôpital Cochin, 75005 Paris, France ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Goudard). Disponible sur Internet le 26 f´ evrier 2010