Médecine Nucléaire 33 (2009) 637–641
Cas clinique
Transformation maligne d’un goitre ovarien. À propos d’une observation Malignant stuma ovarii: A case report I. Slim *, I. El Bez, I. Yeddes, W. El Ajmi, B. Letaief, A. Mhiri, F. Ben Slimène Service de médecine nucléaire, institut Salah Azaiez, boulevard 9 Avril, Bab Saâdoun, 1006 Tunis, Tunisie Reçu le 10 juillet 2009 ; accepté le 27 juillet 2009 Disponible sur Internet le 12 septembre 2009
Résumé Le goitre ovarien (GO) est un tératome monodermique de l’ovaire, composé majoritairement de tissu thyroïdien. La rareté de la dégénérescence maligne de ces GO rend leur diagnostic et leur traitement non consensuels. Les cas de goitre ovarien malin (GOM) avec métastases sont encore plus rares. Nous rapportons le cas d’une récidive locale et métastatique d’un GO traité par chirurgie et considéré initialement comme bénin. La transformation maligne, 18 ans après, a conduit à une reprise chirurgicale et à une irathérapie complémentaire. # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Goitre ovarien malin ; Irathérapie
Abstract Struma ovarii is a monodermal variant of ovarian teratoma, which predominantly contains thyroid tissue. Malignant transformation and metastasis are very rare. The treatment of malignant struma ovarii remains controversial. We report the case of a patient with a recurrent struma ovarii, treated 18 years ago. The malignant transformation and metastases were treated with a combination of surgery and I131 ablation therapy. # 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Malignant struma ovarii; I131 therapy
1. Introduction Les goitres ovariens (GO) sont des tératomes unitissulaires de l’ovaire, composés majoritairement (plus de 50 % de la tumeur), voire exclusivement, (GO pur) de tissu thyroïdien [1]. Décrit pour la première fois par Von Kalden en 1895 [2], le GO représente moins de 3 % de l’ensemble des tératomes de l’ovaire. La fréquence de la transformation maligne des ces tumeurs a été estimée par le passé à 5 %, ce chiffre a été continuellement revu à la baisse, si bien qu’on parle actuellement de 0,3 % [2,3]. Les cas de goitre ovarien malin (GOM) avec métastases sont encore plus rares et seuls quelques cas ont été décrits dans la littérature [1,4–6].
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (I. Slim).
Nous rapportons le cas d’une récidive d’un GO avec transformation maligne et métastases ganglionnaires et pulmonaires, 18 ans après le diagnostic initial. 2. Observation Il s’agit d’une patiente âgée de 67 ans, traitée en 1988 par hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale pour une importante masse abdominopelvienne (27 20 cm) dont l’examen anatomopathologique avait conclu à un GO droit sans signe histologique de malignité. La surveillance clinique et échographique était négative jusqu’en 2003, date à laquelle la patiente a été perdue de vue. En janvier 2007, soit 18 ans après la chirurgie initiale, la découverte d’une masse de la fosse iliaque droite lors d’une échographie pour douleur abdominale ramenait la patiente au service de chirurgie carcinologique. Une exploration tomodensitométrique abdominopelvienne
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objectivait une masse latérovésicale droite de 7 cm se rehaussant après injection de produit de contraste. La patiente a bénéficié alors d’une reprise chirurgicale le 30 janvier 2007 avec tumorectomie et curage ganglionnaire iliaque droit. L’examen anatomo-histopathologique a trouvé une masse de 9 7 cm correspondant à du parenchyme thyroïdien avec présence d’un microfoyer de carcinome papillaire. Le curage iliaque antérieur droit a ramené six ganglions dont quatre étaient métastatiques. Devant ces résultats, un balayage diagnostique corps entier a été réalisé 72 heures après administration d’une activité traceuse d’iode 131 (74 MBq) dans le service de médecine nucléaire dans le cadre d’un bilan lésionnel préliminaire. Il objectivait alors la présence de plusieurs foyers iodophiles pathologiques, se projetant au niveau des chaînes ganglionnaires lombaire et pelvienne droites évoquant des métastases ganglionnaires lomboaortiques et iliaques (foyers en avant des structures osseuses sur la scintigraphie de repérage par injection de HMDPTc99m). Le reste du balayage était négatif, sous réserve d’une importante fixation thyroïdienne physiologique susceptible d’induire un faux négatif et d’atténuer la puissance diagnostique de l’examen (Fig. 1). La thyroglobuline sérique (Tg) a été dosée à 65 ng/mL avec une TSH à 1,6 mU/mL et des anticorps anti-Tg (Ac anti-Tg) négatifs. La décision de compléter le traitement par une thyroïdectomie totale avec curage ganglionnaire lomboaortique et pelvien droit suivie d’une irathérapie à dose ablative était arrêtée. En
mai 2007, une thyroïdectomie totale avec curage ganglionnaire lomboaortique et iliaque primitif droit est réalisée. L’examen histologique évoquait un goitre thyroïdien multi-adénomateux avec des métastases ganglionnaires. Le curage ganglionnaire abdominopelvien droit confirmait à son tour la diffusion métastatique d’origine thyroïdienne à ce niveau (neuf ganglions sur dix). Une irathérapie complémentaire était alors envisagée selon le protocole. La patiente bénéficiait en juillet 2007 d’une première cure d’iode 131 avec administration de 5,55 GBq (150 mCi), suivie d’une hospitalisation de trois jours en chambre dédiée à l’irathérapie à dose élevée. Le balayage corps entier post-cure mettait en évidence la présence d’un foyer cervical au niveau de la loge thyroïdienne, de multiples métastases pulmonaires macro-nodulaires et de multiples foyers hyperfixants abdominopelviens droits évoquant des adénopathies métastatiques résiduelles (Fig. 2). La thyroglobuline dosée en état de stimulation par la TSH endogène était pathologique à 50 ng/mL (Ac anti-Tg négatifs). Une seconde cure a été alors programmée et quatre mois plus tard, Mme A. D. bénéficia d’une cure de 7,4 GBq (200 mCi) d’iode 131. Le balayage, réalisé trois jours après, objectivait une carte blanche isotopique (Fig. 3). La Tg en état de stimulation était tombée à 5 ng/mL, corroborant ainsi l’imagerie métabolique de carte blanche isotopique. La Tg deviendra par la suite indétectable comme le montre le dosage réalisé après deux mois en état de suppression (LT4 à 2,5 mg/kg). La patiente est décédée six mois plus tard en raison d’un problème cardiaque sous-adjacent.
Fig. 1. Balayage diagnostique post-2 mCi I131 : multiples foyers d’hyperfixation abdominopelviens, en avant du rachis sur la scintigraphie osseuse de repérage réalisée en double fenêtre (non présentée ici), en faveur d’adénopathies métastatiques lombo-aortiques et iliaques droites. Hyperfixation thyroïdienne physiologique sans anomalie évidente au niveau des champs pulmonaires. Diagnostic scan with 2 mCi I131: multiple foci of intense uptake in the abdomino-pelvic regions, behind the lumbar spine on the bone scan with dual isotope acquisition (not shown), suggesting metastatic adenopathies. Intense physiologic uptake in the thyroid without pulmonary lesion.
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Fig. 2. Balayage post-dose ablative de 150 mCi I131 : multiples foyers iodophiles au niveau de la loge thyroïdienne, des deux champs thoraciques (métastases pulmonaires) et de la région abdominopelvienne droite (persistance des métastases ganglionnaires lombo-aortiques et iliaques droites après la reprise chirurgicale). Post-ablation scan with 150 mCi I131: foci of activity in the thyroid bed. Metastases in the two lungs and persistent para-aortic and right pelvic adenopathies after surgery.
3. Discussion La présence de tissu thyroïdien dans les tératomes ovariens est une éventualité fréquente qui se rencontre dans 5 à 15 % des cas [7]. De manière très exceptionnelle (moins de 3 % de tous les tératomes ovariens), ce tissu thyroïdien est majoritaire et l’on parle alors de GO. Dans plus de 90 % des cas, cette tumeur est unilatérale, le plus souvent localisée à gauche [8]. Les GO surviennent avant la ménopause, généralement dans la cinquième décennie [9]. La transformation maligne de ces tumeurs est extrêmement rare, sa fréquence est estimée à moins de 1 % [2]. Une dissémination métastatique peut survenir dans environ 5 % des GOM [1,10]. Ce taux a été estimé à 23 % par Makani et al. [3] dans leur revue de la littérature. La symptomatologie étant généralement pauvre, le diagnostic de masse ovarienne se fait soit par un examen systématique, soit devant l’existence de douleurs pelviennes, d’une masse abdominale ou de troubles du cycle menstruel [7]. Le diagnostic histologique des formes malignes du GO a longtemps été controversé et mal évalué en raison de l’absence de critères diagnostiques uniformes et de la rareté de la tumeur. Ces critères sont proches de ceux du cancer primitif de la thyroïde, en dehors de la notion de rupture capsulaire inapplicable à l’ovaire. Selon Devaney et al. [11], seules les tumeurs avec des critères cytologiques de malignité devraient être considérées comme réellement malignes et à risque métastatique (noyaux cellulaires irréguliers, chevauchant et en verre dépoli, activité mitotique intense ou signes d’invasion vasculaires).
Le diagnostic de GOM suppose, en outre, avoir éliminé une tumeur primitive thyroïdienne avec métastase ovarienne [12] ou une tumeur carcinoïde ovarienne. Dans les formes histologiques peu différenciées, l’immunomarquage par la thyroglobuline confirme la nature thyroïdienne du contingent [13]. Le facteur de transcription de la thyroïde (TTF1) peut être également utilisé, mais il est moins spécifique [14]. Sur le plan histologique, ces GOM sont le plus souvent des carcinomes papillaires et plus rarement des carcinomes folliculaires [8]. La dissémination métastatique des GOM est rare. Elle survient dans environ 5 % des cas. Cette dissémination peut se faire soit par voie lymphatique régionale aux ganglions pelviens et para-aortiques, soit par extension directe à l’épiploon, la cavité péritonéale, l’ovaire controlatéral ou bien par voie hématogène à l’os, aux poumons, au foie et au cerveau [15]. Malgré l’absence de consensus concernant la prise en charge thérapeutique des GOM, plusieurs auteurs [1,8] préconisent un traitement de type cancer thyroïdien plutôt que cancer ovarien, à savoir une chirurgie ovarienne, une thyroïdectomie totale suivie d’une irathérapie complémentaire par iode 131. La chirurgie ovarienne dépend de l’extension locorégionale et de l’âge de la patiente. Lorsque la tumeur est limitée localement, un traitement chirurgical conservateur (salpingo-ovariectomie unilatérale) semble justifié, surtout si la patiente est encore jeune et conserve un désir de fertilité. À un âge plus avancé, le traitement radical de principe associe hystérectomie totale, salpingo-ovariectomie bilatérale et omentectomie. Une lym-
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Fig. 3. Le balayage trois jours post-200 mCi I131 objective une carte blanche isotopique. The 3 days post-ablation scan with 200 mCi I131 was normal.
phadénectomie para-aortique et pelvienne est recommandée en raison du caractère lymphophile classique des cancers thyroïdiens [16]. De Simone et al. [15] préconisent une thyroïdectomie totale chez toutes les patientes ayant un GOM, ce qui permet non seulement d’écarter une tumeur thyroïdienne primitive métastasée à l’ovaire, mais aussi de réaliser un traitement complémentaire systématique par l’iode radioactif et de faciliter la surveillance ultérieure. Ils justifient leur attitude thérapeutique par le fait que dans leur revue de la littérature, toutes les patientes ayant bénéficié d’un traitement complémentaire par de l’I131 sont en rémission, alors que 50 % des patientes traitées uniquement par chirurgie ovarienne ont récidivé. D’autres auteurs [3,5,16] préconisent la réalisation de balayage diagnostique à l’I131 et le dosage de la thyroglobuline pour toutes les patientes. Un complément thérapeutique par des doses ablatives d’iode 131, après thyroïdectomie totale, est indiqué en cas d’extension tumorale locorégionale, de métastases à distance ou de récidive tumorale. Cependant, il est bien admis que la sensibilité du balayage à dose traceuse d’I131 est inférieure à celle du balayage après une dose
ablative. Cette sensibilité sera encore plus faible avant thyroïdectomie. Chez notre patiente, les métastases pulmonaires n’étaient visibles que sur l’examen après thyroïdectomie totale. Pour ce qui est de l’opothérapie, un traitement suppresseur est nécessaire dans tous les cas. La surveillance ultérieure est indiquée pour tous les GOM et même pour les goitres bénins du fait des difficultés d’affirmer avec certitude la bénignité. Ce suivi permet de détecter les récidives tumorales locales ou métastatiques et repose sur le dosage de la thyroglobuline circulante [17] en état de stimulation par la TSH (endogène ou exogène), le balayage corps entier à l’I131 ou I123 et éventuellement par TEP-TDM [18]. Le cas de notre observation conforte cette stratégie. En effet, la récidive pelvienne chez notre patiente est survenue 18 ans après la chirurgie initiale et l’histologie est essentiellement composée de tissu thyroïdien bénin avec un microfoyer de carcinome papillaire. Cela laisse supposer une récidive tardive du GO avec une transformation maligne. Cependant, la présence de foyer de carcinome thyroïdien au niveau du premier GO, passé inaperçu à l’examen anatomopathologique, ne peut être exclu.
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Le pronostic des GOM est difficile à apprécier en raison de la rareté de ces tumeurs. Cependant, les formes localisées sont de très bon pronostic. Makani et al. [3], dans leur revue de la littérature, estiment le risque de récidive à 15 %, survenant en moyenne quatre ans après le diagnostic initial. Mais des métastases très tardives ont été rapportées par certains auteurs. Toutefois, même la forme métastatique des GOM est compatible avec des survies prolongées, estimées en moyenne à 8,3 ans [10]. 4. Conclusion Une récidive tardive avec transformation maligne des GO est exceptionnelle mais possible d’où la nécessité d’une surveillance à long terme. En raison de la rareté des GOM, leur prise en charge doit être optimisée à l’aide d’une coopération multidisciplinaire. Références [1] Dardik RB, Dardik M, Westra W, Montz FJ. Malignant struma ovarii: two case reports and a review of literature. Gynecol Oncol 1999;73:447–51. [2] Rosenblum NG, Li Volsi VA, Edmonds PR, Mikuta JJ. Malignant struma ovarii. Gynecol Oncol 1989;32:224–7. [3] Makani S, Kim W, Gaba AR. Struma ovarii with a focus of papillary thyroid cancer: a case report and a review of the literature. Gynecol Oncol 2004;94:835–9. [4] Thomas RD, Batty VD. Metastatic malignant struma ovarii. Two case reports. Clin Nucl Med 1992;17:577–8. [5] Vadmal MS, Smilari TF, Lovecchio JL, Klein IL, Hajdu SI. Diagnosis and treatment of disseminated struma ovarii with malignant transformation. Gynecol Oncol 1997;64:541–6.
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