Annales d’Endocrinologie 68 (2007) 39–44
Article original
Un cas d’hyperthyroïdie par métastases sécrétantes de cancer thyroïdien différencié. Revue de la littérature A case of hyperthyroidism due to functioning metastasis of differentiated thyroid carcinoma. Discussion and literature review M. Tardya,*, E. Tavernierb, G. Sautotc, R. Nove-Josserandd, C. Bournaude, C. Houzarde, F. Borson-Chazote,f a Service de pédiatrie, centre hospitalier de Firminy, 42700 Firminy, France Institut de cancérologie de la Loire, avenue Albert-Raimond, 42270 Saint-Priest-en-Jarez, France c Service d’endocrinologie et médecine interne, hôpital de Villefranche-sur-Saône, Ouilly, 69400 Gleizé, France d Service de médecine interne, centre hospitalier Lyon Sud, 165, chemin du Grand-Revoyet, 69310 Pierre-Bénite, France e Centre de médecine nucléaire (CERMEP), hôpital neurologique Pierre-Wertheimer, 59, boulevard Pinel, 69500 Bron, France f Fédération d’endocrinologie et centre de médecine nucléaire, hôpital neurologique Pierre-Wertheimer, 59, boulevard Pinel, 69500 Bron, France b
Disponible sur internet le 09 février 2007
Abstract We report on a very rare case of hyperthyroidism due to multiple autonomously functioning bone metastasis of papillary thyroid cancer in a 79year-old woman. This situation remains extremely uncommon, as shown by our review of the literature; only 47 similar cases have been published from 1946 to 2005. The pathogenic mechanism remains largely unknown in spite of several hypotheses (conjunction in volume and differentiation, auto-antibodies). Hyperthyroidism can be severe, and often T3 levels are markedly more elevated than T4 levels. Apart from hyperthyroidism caused by the hormone-production, clinical features are similar to that of usual metastatic thyroid cancer, occurring in elderly women in most cases, and of follicular type on pathology. Metastases mostly occur in bones and lungs. Treatment relies mainly on radio-iodine (131I), which is efficient on hormonal disorders, and prognosis appears to be correlated with the ability of the metastatic sites to concentrate radio-iodine. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Résumé Nous rapportons un cas exceptionnel d’hyperthyroïdie par métastases osseuses sécrétantes autonomisées de cancer papillaire thyroïdien chez une femme de 79 ans. Il s’agit d’une situation exceptionnelle dont 47 cas ont été recensés dans la littérature, entre 1946 et 2005. La physiopathologie de ce phénomène reste incomplètement élucidée (conjonction volume–différenciation, auto-immunité). L’hyperthyroïdie, qui peut être importante, a souvent la particularité de prédominer sur la T3. Malgré la différence de présentation clinique liée au caractère sécrétant des métastases, il s’agit comme dans les autres formes de cancer thyroïdien métastatique de tumeurs plus volontiers observées chez la femme âgée, correspondant le plus souvent sur le plan histologique à des cancers différenciés de forme vésiculaire. Les métastases sont principalement osseuses et pulmonaires. Le traitement repose essentiellement sur la radiothérapie métabolique par l’iode 131 (131I) qui a généralement une bonne efficacité sur les perturbations hormonales et le pronostic apparaît surtout dépendant de la capacité des sites métastatiques à concentrer l’iode radioactif. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Keywords: Thyroid cancer; Hyperthyroidism; Secreting metastases Mots clés : Cancer thyroïdien ; Hyperthyroïdie ; Métastases sécrétantes
* Auteur
correspondant. Adresses e-mail :
[email protected] (M. Tardy),
[email protected] (E. Tavernier),
[email protected] (G. Sautot),
[email protected] (R. Nove-Josserand),
[email protected] (C. Bournaud),
[email protected] (C. Houzard),
[email protected] (F. Borson-Chazot). 0003-4266/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ando.2006.11.007
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1. Introduction Le cancer thyroïdien différencié est fréquent puisqu’il représente environ 1 % des cancers. Il est habituellement de bon pronostic, mais des métastases peuvent survenir dans environ 10 % des cas, grevant le pronostic [2,9]. Ces métastases peuvent être très exceptionnellement sécrétantes et responsables d’un tableau d’hyperthyroïdie [10,42]. Nous rapportons ici un de ces très rares cas, et nous analyserons ensuite, à partir des données de la littérature comportant 47 cas similaires publiés, les caractéristiques de ces tumeurs afin de tenter d’identifier des mécanismes physiopathologiques et des implications diagnostiques et thérapeutiques. 2. Cas clinique Une patiente âgée de 79 ans, suivie pour hypertension et glaucome chronique et dont les antécédents thyroïdiens sont représentés par une hyperthyroïdie par adénome toxique, traité par lobectomie thyroïdienne droite en 1990, consulte fin 2003 pour une récidive d’hyperthyroïdie avec nervosisme, thermophobie, amaigrissement et quelques palpitations contemporaines d’un passage en arythmie cardiaque par fibrillation auriculaire, évoluant depuis quatre mois. Biologiquement, la T3 libre (FT3) est à 22,4 pM (N = 2,8–7,1 pmol/l ou pM), T4 libre (FT4) à 47,7 pM (N = 9–23 pmol/l ou pM) et TSH indosable (N = 0,27–4,2 mUI/l). La palpation cervicale retrouve un nodule thyroïdien lobaire supérieur droit de 2 cm. Le corps thyroïde est globalement hypofixant en scintigraphie, alors qu’il n’existe pas de saturation iodée. L’échographie thyroïdienne visualise un nodule polaire inférieur droit de 18 mm, d’aspect hétérogène mais aux contours bien limités, sans anomalie du reste du lobe droit, ni de l’isthme, ni du lobe gauche ; il n’est pas visualisé d’adénopathie. Les anticorps antirécepteurs de la TSH (Ac a-r-TSH) sont négatifs, il n’y a pas de syndrome inflammatoire ; en revanche, la thyroglobuline (TG), réalisée pour éliminer une thyroïdite, est très élevée à 2943 μg/l (N < 35 μg/l). Après introduction de β-bloqueurs (propanolol 180 mg/j), l’hyperthyroïdie reste relativement bien tolérée sur le plan cardiovasculaire. La patiente est traitée par antithyroïdiens de synthèse (benzylthiouracile 150 mg/j) et corticothérapie à partir de janvier 2000 ; l’état général s’améliore transitoirement, avec également un retour temporaire en rythme sinusal, et l’hyperthyroïdie biologique s’amende légèrement (fin janvier 2004, FT3 à 16,7 pM, FT4 à 37,6 pM, TSH < 0,01 mUI/l), jusqu’à ce que la patiente bénéficie d’une thyroïdectomie totale en mars 2004 (traitement par iode radioactif non envisagé, car fixation de l’iode < 1 %). L’examen anatomopathologique montre que le nodule lobaire inférieur droit correspond à un carcinome papillaire d’architecture vésiculaire, encapsulé, de 2,5 cm de diamètre, sans embol vasculaire observé. La relecture des lames de la première intervention (1990) ne montre aucune lésion suspecte mais confirme l’existence d’un adénome vésiculaire de 2,5 cm.
La patiente est placée sous 100 μg/j de lévothyroxine à titre substitutif et freinateur. Un mois après, l’hyperthyroïdie persiste avec amaigrissement et asthénie majeure, tachyarythmie, diarrhée et douleurs « musculaires » diffuses. La FT3 est à 16 pM, la FT4 à 42 pM, la TSH indosable et la TG très élevée (> 3000 μg/l). La lévothyroxine est arrêtée et le benzylthiouracile repris à 300 mg/j, associé à une corticothérapie et au propanolol. Une scintigraphie corporelle totale à l’131I est alors réalisée, ne montrant aucune fixation cervicale résiduelle, mais des fixations osseuses diffuses, permettant de poser le diagnostic de métastases osseuses hypersécrétantes de cancer thyroïdien (Fig. 1). La patiente est traitée par l’administration de deux doses d’iode radioactif de 100 milliCurie (mCi) espacées de cinq mois (mai et octobre 2004). Elle reçoit en outre des perfusions mensuelles de bisphosphonates (acide zolédronique). Les foyers de fixation scintigraphique en octobre 2004 sont moins intenses qu’en mai, et la FT3 et la FT4 sont normalisées, toujours avec une TSH freinée. Puis l’évolution s’amorce vers l’hypothyroïdie avec en novembre 2004 FT3 à 1,3 pM, FT4 à 2,3 pM, TSH à 41 mUI/l, (et TG à 1638 μg/l). L’amélioration de l’état général est nette. Il existe une diminution des douleurs et une disparition des manifestations cardiovasculaires d’hyperthyroïdie. Le traitement par benzylthiouracile est stoppé en décembre 2004. En janvier 2005, la patiente est en hypothyroïdie avec FT3 à 3,59 pM, FT4 à 7,3 pM et TSH à 31,8 mUI/l, sous lévothyroxine 75 μg/j. Parallèlement, on assiste à une diminution de la TG passée de 3000 à 1054 μg/l. Une troisième dose d’131I de 150 mCi est administrée en avril 2005 avec au bilan du mois de juin la poursuite de l’amélioration de l’état général et l’installation d’une hypothyroïdie avec TSH à 3,76 mUI/l (motivant
Fig. 1. Scintigraphie corporelle totale réalisée avec une dose traceuse d’131I en avril 2004. Fig. 1. 131I whole-body scan performed before treatment in April of 2004.
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4. Physiopathologie
Fig. 2. Comparaison informatisée des zones de plus importante fixation, entre mai 2004 (deux silhouettes de gauche) et avril 2005 (deux silhouettes de droite), après deux doses thérapeutiques d’iode 131. L’analyse informatique est en faveur d’une réduction des surfaces scintigraphiques de 20 % (méthode basée sur la détermination des zones d’intérêt). Parallèlement, disparition de l’hyperthyroïdie et réduction de la TG de plus de 3000 à 187 μg/l. Fig. 2. Computed comparison of the principal places of radio-iodine uptake, between May 2004 (2 left silhouettes) and April 2005 (2 right silhouettes). Our patient received two courses of radio-iodine within this period. Computed analysis showed a 20% reduction in radio-iodine uptake in the lesions. During this time, hyperthyroidism had disappeared and serum thyroglobulin decreased from over 3000 to 187 μg/l.
l’augmentation de la posologie de lévothyroxine à 100 μg/j) et une diminution de la TG à 187 μg/l. La diminution de fixation des foyers scintigraphiques est estimée précisément à 20 % (Fig. 2). Deux ans et demi après le diagnostic initial, la patiente est toujours en vie avec un état général stable. 3. Discussion L’association entre cancer et hyperthyroïdie est rare et recouvre plusieurs entités distinctes. La situation la plus fréquente est la coexistence d’une hyperthyroïdie avec un cancer thyroïdien différencié découvert fortuitement à l’intervention chez 3 à 10 % des hyperthyroïdiens. Les hyperthyroïdies paranéoplasiques des tumeurs trophoblastiques productrices d’hormone chorionique gonadotrophique (môle hydatiforme, choriocarcinome) sont classiques, mais exceptionnelles. Il en est de même des hyperthyroïdies par néoplasie thyroïdienne vraie, qui peuvent correspondre à des tératomes ovariens cancéreux ou struma ovarii, des nodules toxiques cancéreux (40 à 50 cas décrits) ou comme dans cette observation à des métastases sécrétantes et autonomisées de cancer thyroïdien différencié. Il s’agit d’une situation rare dont la fréquence est mal évaluée : à titre d’illustration, dans la série d’Ishihara en 2002 [25] comportant 89 patients porteurs de cancer thyroïdien métastatique d’emblée, 6 % d’entre eux restaient euthyroïdiens ou hyperthyroïdiens après thyroidectomie totale.
Les mécanismes physiopathologiques sont incomplètement compris. L’hypothèse classique est l’hypothèse « morphovolumétrique » : il est admis que le tissu tumoral a une capacité fonctionnelle (captation iodée et biosynthèse) inférieure au tissu sain. Il faut donc un volume tumoral important pour rendre une métastase sécrétante [10,16,24,30]. Mais, il faut également que les métastases conservent un degré avancé de différenciation. Cela représente un apparent paradoxe, puisque, en cancérologie, les tumeurs volumineuses sont souvent dédifférenciées, et les tumeurs bien différenciées n’atteignent pas un gros volume. L’hypothèse d’Ober [33] est que la conjonction très rare des deux caractéristiques soit à l’origine des cas de métastases sécrétantes. Il faut également que les métastases soient autonomes et indépendantes de la TSH. Ainsi chez notre patiente, les métastases étaient clairement visualisées sur la scintigraphie corporelle totale diagnostique alors même que la TSH était indétectable. Ce phénomène, très proche de ce que l’on observe dans les adénomes toxiques, pourrait suggérer l’existence au sein des cellules tumorales d’une mutation somatique activatrice du récepteur de la TSH du même type que celles observées dans une large proportion d’adénomes toxiques [19]. Cette hypothèse aurait pu être confirmée, mais aurait supposé la biopsie d’un site tumoral, qui n’était pas éthiquement justifiée chez cette patiente. Cette hypothèse « morpho-volumétrique » est compatible avec la notion d’aggravation de l’hyperthyroidie, sous l’influence d’une saturation iodée, observée dans quelques cas [5,10,14,15,20,26,27,35,46]. Un deuxième mécanisme suggéré est l’hypothèse immunologique [6,14,16,26,30,34,38,41,44–46]. Plusieurs équipes japonaises évoquent le rôle des autoanticorps antirécepteurs de la TSH (Ac a-r-TSH) et thyréostimulants (TSA) dans la genèse et la croissance des métastases sécrétantes. Ces anticorps ont été retrouvés positifs dans 65 % des cas où ils ont été recherchés (mais ils n’ont été dosés que dans 17 observations). Leur genèse pourrait être le fait du stress chirurgical ou de la mise à nu d’antigènes thyroïdiens par l’131I ou l’irradiation externe. Dans plusieurs cas, l’évolution du taux des anticorps est parallèle à celle de l’hyperthyroïdie. Deux équipes [16,30] ont montré que ces anticorps pouvaient stimuler in vitro la croissance et le métabolisme des cellules tumorales thyroïdiennes par un mécanisme proche de celui observé dans la maladie de Basedow. Certains auteurs [16,44] suggèrent, chez les patients présentant des TSA circulants et chez qui la maladie progresse malgré l’131I, de réaliser une corticothérapie à forte dose à visée immunosuppressive. Quelques réserves sont néanmoins à émettre concernant la corrélation entre la présence de ces autoanticorps et celle des métastases sécrétantes : ils ont, en effet, été dosés dans un nombre limité d’observations alors que certains patients présentant des taux positifs d’Ac a-r-TSH avaient des antécédents de maladie de Basedow.
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Le mécanisme immunologique n’est pas en cause chez notre patiente dont les Ac a-r-TSH étaient négatifs. 5. Caractéristiques cliniques Les caractéristiques cliniques et évolutives des cancers avec métastases sécrétantes peuvent être dégagées des 47 cas cliniques certains d’hyperthyroïdie par métastases sécrétantes de cancer thyroïdien, recensés dans la littérature médicale entre 1946 et 2005 [1,4–8,10–12,14–18,20–35,38–41,43–47]. Nous n’avons retenu que les observations dans lesquelles l’hyperthyroïdie pouvait être attribuée de façon formelle aux métastases, soit parce que les patients avaient bénéficié d’une thyroïdectomie totale auparavant, soit parce que la captation cervicale de l’iode était inférieure à 5 %. Le sex-ratio est de 3 femmes pour 1 homme, donc conforme à la répartition habituelle observée dans les cancers thyroïdiens différenciés. L’âge moyen est de 59 ans, soit légèrement plus avancé que celui de la survenue des cancers thyroïdiens en général, mais similaire à celui au diagnostic des métastases. Tous les patients ont plus de 40 ans et 80 % ont plus de 50 ans. Sur le plan histologique, il s’agit d’un cancer thyroïdien vésiculaire dans 83 % des cas, papillaire dans 17 % des cas (l’histologie du cancer primitif étant disponible dans 88 % des cas). Lorsque l’on dispose des deux histologies : celle du cancer primitif et celle des métastases, les deux concordent dans 82 % des cas. Ces données sont à prendre avec précaution compte tenu de l’ancienneté de certaines observations et du fait que les classifications histologiques ont évolué avec le temps. Il est, en effet, vraisemblable qu’une partie des tumeurs vésiculaires serait maintenant classée dans le cadre des tumeurs papillaires à différenciation vésiculaire. Les cancers thyroïdiens vésiculaires qui ne représentent actuellement que 8 à 10 % des cancers thyroïdiens différenciés peuvent être très bien différenciés et structurellement très proches des cellules thyroïdiennes normales. La distribution observée reste cependant représentative du fait que ces tumeurs sont de moins bon pronostic que les cancers papillaires avec un risque de dissémination métastatique de 20 versus 10 % pour les cancers papillaires, retrouvé dans toutes les séries de cancers métastatiques [37]. Sur le plan clinique, la fréquence de l’existence d’antécédents thyroïdiens est particulièrement élevée (67 %), qu’il s’agisse de goitre dans 35 % des cas, de cancer thyroïdien dans 17 %, ou d’hyperthyroïdie dans 15 % (par adénome toxique, goitre multinodulaire, ou maladie de Basedow). La symptomatologie est dominée par le tableau clinique de l’hyperthyroïdie, sans signe oculaire. Dans plusieurs cas, l’hormonémie est très élevée, avec trois cas de décès par thyrotoxicose [4,32,35], et trois cas de cardiothyréose [4,20,39]. Dans le cas de notre patiente, l’intensité de l’hyperhormonémie périphérique traduit à la fois l’importance de la diffusion métastatique et l’importante capacité fonctionnelle des métastases. Parfois, sont présents des signes de dissémination métastatique : nodules sous-cutanés, douleurs diffuses ou fractures (en cas de métastases osseuses), insuffisance respiratoire ou pleurésie (en cas de métastases pulmonaires).
Biologiquement, un point marquant est la fréquence des hyperthyroïdies à T3 prédominant sur la T4, voire à T3 isolée : dans 65 % des cas où les deux hormones sont dosées (les dosages des deux hormones n’étant déjà disponibles que dans 65 % des observations). Cette constatation serait à rapprocher de la fréquence des hyperthyroïdies à T3 dans les adénomes toxiques. D’après Gross [21], une seconde particularité, au plan biologique, réside dans des taux de TG particulièrement élevés dans les cas de métastases sécrétantes, témoignant de la stimulation du tissu thyroïdien métastatique autonomisé. Le site métastatique le plus fréquent est l’os (79 % des cas, parmi lesquels 21 % de métastases osseuses uniques, 37 % de métastases osseuses multiples, et 42 % de métastases osseuses dans un contexte de métastases polyviscérales). Le second site métastatique le plus fréquemment atteint est le poumon (42 % des cas, parmi lesquels 45 % de métastases uniquement pulmonaires et 55 % de métastases pulmonaires et polyviscérales). Le foie, les parties molles, le tissu sous-cutané sont atteints chacun dans 6,3 % des cas. Ces données diffèrent légèrement de celles de la littérature où le site métastatique le plus fréquent est le poumon (50 à 55 %), puis l’os en seconde position (20 à 25 %), pour les cancers papillaires et vésiculaires thyroïdiens [2,13,36]. L’aspect radiographique des métastases sécrétantes ne revêt aucune particularité par rapport à celui des métastases non sécrétantes [10] (métastases osseuses ostéolytiques, métastases pulmonaires à type de lâcher de ballons, de miliaire, ou d’opacité unique). Concernant l’imagerie, 92 % des patients de notre série bénéficient d’une scintigraphie totocorporelle interprétable. Il est très intéressant de noter que parmi ceux-ci, 95,5 % ont des lésions métastatiques fixantes en scintigraphie, alors que dans les cas habituels de métastases non sécrétantes de cancer thyroïdien, la proportion de métastases fixantes est bien moindre, comprise entre 60 et 70 % [13]. Cette différence entre les deux séries [13,42] est très significative. Le fait que les métastases sécrétantes soient quasiment toujours capables de fixer l’Iode, par rapport aux métastases non sécrétantes, semble logiquement lié à leur capacité fonctionnelle. Il est difficile d’analyser les délais entre l’apparition du cancer et celle des métastases et/ou de l’hyperthyroïdie, car les données de la littérature sont imprécises : un cancer thyroïdien peut exister depuis longtemps et n’être diagnostiqué qu’à l’occasion d’une métastase, ou d’une hyperthyroïdie, par exemple en cas d’évolution lente. Dans notre revue, le délai moyen entre le diagnostic du cancer et celui des métastases est de 4,59 ans [0–33 ans], avec un délai médian de zéro année (découverte simultanée). Le délai moyen entre le diagnostic du cancer et l’apparition de l’hyperthyroïdie est de 6,09 ans [0–33 ans], avec un délai médian de quatre années. Dans 61 % des cas, le cancer est métastatique d’emblée. Et dans 29 % des cas, l’hyperthyroïdie est découverte en même temps que la néoplasie, ou précède sa découverte. L’hyperthyroïdie n’est observée qu’en cas de cancer métastatique
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alors qu’en pareil cas, les métastases ne sont pas toujours hyperfonctionnelles d’emblée. 6. Traitement Le traitement repose principalement sur l’administration d’iode 131, employé chez 85 % des patients. Les 15 % de patients restants (sept individus), n’ont reçu aucun traitement, soit en raison d’un décès trop rapide après le début de la maladie, soit car ils ont été perdus de vue. La dose unitaire moyenne est de 116 mCi (médiane à 100 mCi). La dose cumulée moyenne est de 340 mCi (médiane à 300 mCi). La dose cumulée la plus importante utilisée dans la série est de 950 mCi. Il a été montré récemment que plus de 95 % des rémissions complètes à l’imagerie (fixation de l’iode par les métastases) chez des patients présentant des métastases fixantes de cancers thyroïdiens papillaires et vésiculaires, étaient obtenues avec des doses d’131I comprises entre 100 et 600 mCi [13]. Une bonne préparation par antithyroïdiens de synthèse est indispensable avant un traitement par 131I, sous peine d’aggraver la thyrotoxicose, avec parfois un risque vital [26]. D’autres traitements sont utilisés de façon plus anecdotique, tels que la chirurgie des masses métastatiques, l’artérioembolisation, ou la radiothérapie externe [42]. Certains auteurs suggèrent, chez les patients présentant des TSA circulants, et chez qui la maladie progresse malgré l’131I, de réaliser une corticothérapie à forte dose à visée immunosuppressive [16,44]. 7. Évolution et facteurs pronostiques L’analyse précise des résultats objectifs du traitement, du nombre de guérisons, des taux de survie… est très difficile, voire impossible, en raison de très grandes disparités dans les durées du suivi après les traitements, et dans les recueils de données des observations. En effet, 21 patients sont suivis moins d’un an (dont six décédés avant tout traitement, deux décédés après le traitement, un perdu de vue, et 12 vivants avec un recul de moins d’un an) ; huit patients sont suivis un an (sept sont vivants à un an, et un est décédé) ; 19 patients sont suivis plus d’un an (15 sont vivants avec des reculs variables de deux, trois, cinq, neuf ans… Le suivi le plus long est celui d’un patient vivant à dix ans [45] ; et quatre sont décédés). Il est moins difficile d’évaluer l’efficacité symptomatique. Pour cela, nous avons pris en compte trois critères : l’amélioration de l’état clinique (diminution de douleurs, reprise de la marche…), le passage en hypothyroïdie (la persistance, sans traitement substitutif, d’une euthyroïdie ou d’une hyperthyroïdie était considérée comme des mauvaises réponses), et la diminution de la fixation scintigraphique des métastases. En utilisant ces critères, on retrouve dans la série : 52 % de bonne réponse au traitement, 33 % de mauvais répondeurs, et 15 % qui n’ont pu bénéficier d’aucun traitement (13 % décèdent trop rapidement en raison d’une maladie très évolutive, 2 % ont été perdus de vue).
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Il est difficile, à partir de ces éléments, de déterminer le pronostic des métastases sécrétantes. Dans les cancers thyroïdiens, les taux de survie varient de 40 à 80 % à cinq ans. Parmi les facteurs pronostiques clairement identifiés, figurent : l’âge, l’importance de la masse tumorale et de la dissémination métastatique, certaines caractéristiques histologiques (taille de la tumeur, degré de différentiation tumorale, envahissement vasculaire, extension extrathyroïdienne), et surtout la qualité du traitement (la fixation de l’Iode radioactif par les sites métastatiques ou leur exérèse chirurgicale complète) et la réponse au traitement [3,9,13,36]. En accord avec ces données, dans cette série, la bonne réponse au traitement par l’131I constituait un facteur de bon pronostic [35], comme en témoigne l’évolution favorable obtenue chez notre patiente malgré l’importance de la dissémination métastatique. Comme dans les cas de métastases non sécrétantes, les métastases osseuses semblent être, par ailleurs, de plus mauvais pronostic que les métastases pulmonaires [10,21,28]. Ces résultats suggèrent que le pronostic des métastases sécrétantes n’est pas différent de celui des métastases non sécrétantes, puisqu’il s’agirait de lésions assez bien différenciées, capables d’assurer une hormonogénèse thyroïdienne. 8. Conclusion La coexistence d’un cancer thyroïdien et d’une hyperthyroïdie est rare, mais non exceptionnelle. Il faut savoir ne pas repousser l’hypothèse éventuelle d’un cancer thyroïdien devant un tableau d’hyperthyroïdie. L’hyperthyroïdie néoplasique vraie, due au cancer lui-même ou à des métastases sécrétantes, demeure néanmoins exceptionnelle, avec une cinquantaine de cas décrits dans la littérature depuis les années 1945. Il faut donc savoir réaliser une scintigraphie corporelle totale à l’131I en cas d’hyperthyroïdie avec scintigraphie thyroïdienne blanche (en l’absence de surcharge iodée et de thyrotoxicose factice). Cette revue permet de mettre en évidence la fréquence importante des antécédents thyroïdiens présentés par les patients porteurs de métastases sécrétantes. On constate par ailleurs, comparativement au cas de métastases non sécrétantes, une répartition différente des sites métastatiques : l’os plus fréquemment dans les métastases sécrétantes, contre le poumon en premier lieu pour les métastases non sécrétantes. Enfin, si le pronostic de ces métastases sécrétantes de cancer thyroïdien orthoplasique demeure mal connu, on pourrait se demander s’il n’est pas plus favorable pour les métastases sécrétantes que pour les métastases non sécrétantes : en effet, la grande majorité des métastases sécrétantes (95,5 %) se révèlent capables de fixer l’iode, autorisant le traitement par l’131I, ce qui constitue habituellement un critère pronostique majeur. Références [1]
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