© Masson, Paris, 2004.
Gastroenterol Clin Biol 2004;28:509
5-aminosalicylés et cancer colorectal : rôle préventif au cours des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ? Pierre DESREUMAUX, Olivier ROMANO Service des Maladies de l’Appareil Digestif et de la Nutrition, Equipe INSERM-Université 0114, CHU Lille.
L
a rectocolite hémorragique (RCH) mais également la maladie de Crohn (MC) colique comportent un risque augmenté de cancer colorectal (CCR). On estime qu’environ 2 % des cancers colo-rectaux survenant dans la population générale sont associés aux maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) et inversement, que la prévalence globale du cancer colorectal est égale à 3-4 % au cours des MICI à localisation colique. Plus précisément, les malades atteints de MICI ont par rapport à la population générale un risque 5 fois supérieur de développer un CCR. Ce risque de CCR est notamment modulé par la durée d’évolution de la maladie et l’étendue de l’atteinte colique. Ainsi, dans la RCH, le risque de cancer est d’environ 2 % après 10 ans d’évolution, 10 % après 20 ans d’évolution et environ 20 % après 30 ans d’évolution. Plusieurs stratégies sont utilisées pour tenter de limiter le risque de survenue de CCR au cours des MICI. Les recommandations actuelles sont de proposer au patient une surveillance par coloscopie qui doit débuter après 8 à 10 ans d’évolution en cas de pancolite et après 10 à 15 ans d’évolution en cas d’atteinte limitée du côlon gauche. Grâce à la réalisation de biopsies systématiques étagées, cette coloscopie a pour objectif de détecter d’éventuelles lésions précancéreuses, les DALM (Dysplasies Associées à des Lésions ou à des Masses) ou un cancer à un stade précoce.
1,2 g par jour diminue de 3,4 fois le risque de dysplasie ou de CCR (p = 0,024). Récemment, une étude rétrospective publiée dans l’American Journal of Gastroenterology semble remettre en question l’efficacité du 5-ASA dans la prévention de la survenue de CCR au cours des MICI [3]. Cette étude réalisée par Bernstein et al. au Canada à l’Université du Manitoba a évalué l’influence du 5-ASA administré 2 ans avant la survenue d’un CCR au cours des MICI. Vint-cinq malades présentant un CCR compliquant une MC (n = 14) ou une RCH (n = 11) ont été appariés à 348 témoins selon les mêmes critères que l’étude précédente. Aucun bénéfice de l’utilisation du 5-ASA dans la prévention du cancer colorectal n’était mis en évidence dans cette étude. Plusieurs biais peuvent expliquer l’absence d’effet préventif du 5-ASA dans cette étude. Le premier est le manque de puissance de l’étude avec seulement 25 cas de CCR chez des malades atteints de MICI. Le second est la durée limitée à 2 ans de la prise de 5-ASA avant le diagnostic de cancer alors que l’on évalue la durée nécessaire pour la constitution d’un cancer à 5 ans. La troisième est l’absence de prise en considération des dysplasies légères et sévères qui sont des marqueurs précoces qui évoluent ou coexistent souvent avec un CCR au cours des MICI. L’interprétation de cette étude est donc difficile. L’analyse de l’ensemble des données de la littérature sur ce sujet suggère que le 5-ASA a probablement la capacité de prévenir la survenue de CCR au cours des MICI en intervenant à un stade précoce du processus néoplasique. D’autres études in vitro et ex vivo sont nécessaires pour mettre en évidence les mécanismes impliqués dans le contrôle de la prolifération et différenciation des cellules épithéliales par le 5-ASA.
Certaines études suggèrent également l’intérêt d’un traitement par 5-aminosalicylé (5-ASA) au long cours dans la prévention de la survenue de CCR chez des malades atteints de MICI. La première étude réalisée par Eaden et al. a recensé chez des malades atteints de RCH avec CCR et sans CCR (102 sujets par groupe) les traitements pris 5 et 10 ans avant la survenue du cancer. Il a été mis en évidence que la prise régulière de 5-ASA diminuait de 75 % le risque de CCR et de 90 % lorsque la posologie était supérieure ou égale à 1,2 g/j [1]. En cas de prise intermittente du traitement, le risque diminue alors seulement de 50 %. Dans ce travail, 2 autres facteurs diminuant le risque de CCR ont été identifiés : un suivi comportant plus de deux consultations par an et une surveillance endoscopique régulière. La seconde étude rétrospective réalisée par l’équipe de Chicago a comparé 26 malades présentant une RCH compliquée de dysplasie (n = 18) ou de cancer colorectal (n = 8) à 96 malades témoins atteints de RCH appariés sur l’âge, le sexe, la durée d’évolution et la localisation de la maladie [2]. Là encore, le traitement par 5-ASA à une posologie supérieure ou égale à
RE´FE´RENCES
1. Eaden J, Abrams K, Ekbom A, Jackson E, Mayberry J. Colorectal cancer prevention in ulcerative colitis : a case-control study. Aliment Pharmacol Ther 2000;14:145-53.
2. Rubin DT, Djordjevic A, Huo D, Yadron N, Hanauer SB. Use of 5 ASA is associated with decreased risk of dysplasia and colon cancer in ulcerative colitis (abstract). Gastroenterology 2003;124:279.
3. Bernstein CN, Blanchard JF, Metge C, Yogendran M. Does the use of 5-aminosalicylates in inflammatory bowel disease prevent the development of colorectal cancer ? Am J Gastroenterol 2003;98:2784-8.
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