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7. Le droit des derniers jours Résumé Comment bien vieillir ? Grande interrogation philosophique… qui intéresse aussi le droit, sous un angle plus limité : des procédés juridiques sont-ils envisageables pour garantir la dignité des derniers jours ? En effet, tout le monde souhaite mourir « en bonne santé », chez soi, entouré de ses proches, comme on s’endort après avoir épuisé toute la force de sa vie. Mais ce scénario idéal devient rare. L’allongement de la durée de vie, grand progrès de la civilisation s’il en est, a pour effet de médicaliser la fin de vie. Et le droit doit s’intéresser à l’altération des facultés intellectuelles et à l’accompagnement.
I – L’altération des facultés intellectuelles Libre et responsable, sans doute, tant que l’on a toute sa tête ; tant que l’on est, dans le langage du code civil, « sain d’esprit »124. Pour des causes physiques ou psychiques, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement liées à l’âge, peut survenir une altération des facultés intellectuelles. Le plein exercice des droits, acquis avec la majorité, est remis en cause. C’est la question de la protection de la personne majeure, qui résulte de la loi du 4 janvier 1968 modifiée par la loi du 5 mars 2007. La loi institue, sous le contrôle du juge, un procédé d’assistance ou de représentation de la personne. La personne elle-même, mais aussi tout proche, peut saisir le juge en vue du prononcé d’une telle mesure. S’ouvre alors une phase d’expertise : un médecin spécialisé examine la personne et dépose un rapport donnant au juge les éléments permettant d’apprécier les mesures nécessaires et leur évolution. Le juge rencontre la personne et se prononce par un jugement, lequel est révisable en cas d’élément nouveau. La loi institue deux degrés de protection, à la disposition du juge : la curatelle125, régime d’assistance et la tutelle126, mécanisme de représentation. La personne en curatelle conserve l’exercice de ses droits mais elle est, pour ce faire, 124. Th. FOSSIER, « Démocratie sanitaire et personnes vulnérables », JCP 2003, I, 135. 125. Code civil, art. 508 : « Lorsqu’un majeur (…) sans être hors d’état d’agir lui-même, a besoin d’être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile, il peu être placé sous un régime de curatelle. » 126. Code civil, art. 492 : « Une tutelle est ouverte quand un majeur (…) a besoin d’être représenté d’une manière continue dans les actes de la vie civile. »
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assistée par un tiers nommé par le juge, le curateur. La personne sous tutelle est représentée par un tiers, le tuteur, qui exerce les droits en son nom et en rend compte au juge. La compétence du tuteur concerne essentiellement la gestion du patrimoine, mais elle inclut quelques données de type personnel : mariage, divorce, adoption, consentement aux soins… Dans le schéma d’origine, le tuteur est choisi dans l’environnement familial, et il est assisté d’un conseil de famille : l’accent est mis sur la solidarité familiale127. Mais ce système a marqué ses limites, eu égard aux dissensions que l’on peut rencontrer dans les familles et à l’avantage qu’il y a à disposer d’un tiers clairement identifié comme gestionnaire du patrimoine, car la tutelle est et doit rester une tutelle des biens, et non pas une tutelle de la personne. Par souci de certitude, le passage vers une tutelle à la personne est une tentation permanente. C’est un système pratiqué dans d’autres pays et qui existe en Alsace-Lorraine. Le risque est de conduire à un dessaisissement de la personne, et quelles que soient les difficultés, il est bien préférable de gérer les incertitudes. Ce d’autant plus que dans la pratique, et notamment pour les personnes hospitalisées, ce sont souvent des services administratifs qui assurent la gestion des biens et n’entretiennent pas avec les personnes protégées une intimité qui justifierait une implication dans la vie personnelle. Un peu d’incertitude faisant peser sur les tiers un devoir d’attention est une excellente garantie alors qu’est en cause la dignité de la personne.
II – Les soins et la dépendance Comment consentir aux soins quand on ne dispose plus de toute sa lucidité ? Question essentielle, car qu’en serait-il de l’humanisme du droit, si le droit disparaissait quand il est le plus nécessaire ? La loi règle d’abord – et fort mal – la question de l’hospitalisation en cas de troubles mentaux128. Un proche, membre de la famille ou non, peut solliciter l’hospitalisation par une demande écrite accompagnée de deux certificats médicaux établissant que des soins sont nécessaires en milieu hospitalier. L’hôpital est alors tenu d’accueillir la personne, mais la poursuite de l’hospitalisation suppose un certificat de confirmation par un psychiatre de l’établissement. Lorsqu’existe un trouble à l’ordre public ou un danger pour la sécurité des personnes, le préfet peut, par arrêté, prononcer une hospitalisation d’office sur la base d’un certificat médical descriptif129. La décision s’impose à l’hôpital, mais le renouvellement de l’arrêté préfectoral est conditionné par la production de certificats émanant des psychiatres de l’établissement. Le dispositif de l’hospitalisation d’office s’avère d’un maniement lourd, et a conduit à détourner de son 127. C. Civ., art. 496 et 496-1. 128. Code de la santé publique, art. L. 321-1 et s. 129. Code de la santé publique, art. L. 3213-1 et s. Mars 2007, vol. 7, n° 1
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objet l’hospitalisation sur demande d’un tiers : l’intervention du tiers n’est plus spontanée, mais sollicitée, et si l’on ne trouve pas le tiers dans l’environnement de la personne souffrante, on s’adresse au personnel des services sociaux ou des services d’urgence des hôpitaux. Cet état du droit ne peut rester durablement en l’état. Le point-clé est de savoir si l’on maintient la compétence préfectorale, ce qui donne la prime à l’ordre public, ou si l’on transfère la compétence au juge, naturellement préoccupé de la défense des libertés individuelles et qui pourrait mieux adapter la mesure. En outre, pour la personne hospitalisée, dépendre d’une mesure de police ou de la décision d’un juge civil, ne signifie pas la même chose quand il s’agit d’être soigné contre sa volonté. Le souci de la paix publique s’efface devant la protection de la personne. Ainsi, la garantie judiciaire s’avère indispensable, car si la loi doit prévoir un cadre strict permettant de prodiguer des soins sans consentement, le caractère exceptionnel de cette pratique justifie un contrôle rigoureux. La loi ne prend pas non plus en compte la masse des hospitalisations décidées en lieu et place de la personne, par la famille, en accord avec le médecin, car la personne, du fait de l’âge ou de son affaiblissement physique, n’est pas en mesure de prendre elle-même la décision. En l’absence de statut légal, on reste dans le régime de l’hospitalisation libre : une hypocrisie. Le régime actuel, la fiction de l’hospitalisation libre ne peut satisfaire. Lorsqu’il s’agit de soins, la priorité est la recherche du consentement, même dans le cadre d’une hospitalisation d’office. La ligne et permanente : toujours chercher à convaincre, et quand cela n’apparaît plus raisonnable, prendre ses responsabilités, au regard de ce qu’il est digne de faire.
III – Le suicide Le suicide est un fait, fait que le droit déplore, mais qu’il ne peut que constater. C’est l’achèvement d’une liberté, la liberté d’une personne sur sa vie. Le droit respecte cette liberté, et la tentative de suicide n’est pas sanctionnée. Le suicide peut emporter des conséquences juridiques, notamment s’agissant de contrats d’assurance. Le suicide étant un fait volontaire, il ne peut créer d’obligation à l’encontre de la compagnie. Mais il peut arriver que le suicide puisse être pour partie imputé à un tiers, et soit considéré comme la conséquence dommageable d’une faute. Ainsi, dans le cadre d’une hospitalisation en psychiatrie, la survenance d’un suicide peut être analysée comme étant la conséquence d’une faute médicale, dans le diagnostic, le traitement ou la surveillance. De même, le suicide peut être imputable aux conditions de travail, et être alors reconnu comme un accident de travail. Quoi qu’il en soit, si le suicide peut être analysé comme une liberté, il ne deviendra jamais un droit, qui pourrait être revendiqué. Quelles qu’en soient les circonstances, est bien mal fondé en droit celui qui demande à bénéficier de 98
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moyens permettant de se suicider. L’actualité fait régulièrement état d’affaires dramatiques, une personne demandant que lui soient donnés les moyens de mettre fin à ses jours. Le droit s’y refuse et à juste titre. Sans doute, la question se situe-t-elle aux confins du droit et des interrogations humaines. Mais alors qu’un tiers est intervenu pour anticiper l’échéance de la mort, comment pourrait-on instituer au bénéfice de celui-ci un système d’exemption de responsabilité ? Le risque pénal doit rester. Quelle est la portée réelle de cet ardent désir de mourir quand, dans le même temps, on demande à la loi d’instituer un processus juridique d’irresponsabilité ? Où serait la dignité de la fin de vie pour celui qui attend, à côté de son téléphone, le délibéré du tribunal ? Aux dernières souffrances, au passage vers la mort, personne ne sait trouver la réponse ; mais au moins, que l’on se garde, par respect pour l’existence humaine, d’agiter l’insignifiance et que l’on se rappelle, pour l’admirer, l’extraordinaire volonté de combattre que crée la confrontation avec la maladie.
IV – L’accompagnement et les soins palliatifs Jusqu’où soigner ? Tant que les soins sont raisonnables130. C’est davantage vers la raison que vers le droit qu’il faut s’orienter lorsque l’on est si près de l’essentiel131. Pour autant, le droit n’abdique pas et défend la cohérence : il ne peut être de soin que scientifiquement et humainement raisonnable. Ainsi, le rôle du droit est de permettre le respect de la méthode. Tant qu’une action thérapeutique sur la maladie est possible, c’est-à-dire tant que les moyens scientifiques, techniques et humains permettent d’agir sur le mal, de le traiter, d’en combattre les effets, l’option est la thérapeutique. Les équipes qui entourent le patient sont tenues par un véritable devoir de conviction qui puise dans la confiance en leur fonction, et dans l’efficacité de ce qu’ils peuvent entreprendre comme thérapeute. Et les décisions se prennent en équipe. Ainsi, c’est cette équipe pluridisciplinaire qui sera en mesure de dire quand les soins deviennent déraisonnables, c’est-à-dire quand l’analyse scientifique, l’observation clinique, le compte-rendu des examens établissent que l’action contre la maladie devient vaine. Pour les soignants, constater que la maladie l’emporte est une chose difficile. Mais si elle continue d’agir alors qu’elle n’est plus efficace, l’équipe n’est plus raisonnable et se place éthiquement et juridiquement en faute. Elle adopte un mauvais comportement professionnel. Ce qui lui est demandé, c’est de rester toujours thérapeute, d’agir là où elle peut être efficace. Si la seule efficacité est la prise en charge de la douleur, la qualité de la relation, il faut alors s’y engager sans réserve. Pratiquant ainsi, le soignant agit au mieux de la science. Il agit d’autant mieux qu’il a su prendre le temps du dialogue avec le malade ou son entourage ; qu’il a su par une réflexion personnelle faire ce travail de recul ; 130. Code de la santé publique, art. L. 1111-4, L. 1111-10 et s. 131. N.AUMONIER, B. BEIGNER, P. LETTELLIER, L’euthanasie, PUF, Que sais-je ?; 2001 Mars 2007, vol. 7, n° 1
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qu’il tient pour acquis l’importance de ce lien relationnel, témoignant jusqu’au dernier souffle de l’exigence que crée l’existence humaine. Lorsque le consentement ne peut plus être exprimé, le principe de dignité prend le relais, et si l’on ne sait pas toujours ce qui est digne, on sait en tout cas ce qui serait indigne : priver une personne de soins salutaires ; manquer à ce devoir d’accompagnement quand le soin prend toute son ampleur. Et à ce stade, le droit peut-il imaginer mieux que l’engagement de responsabilité ? Toutes les lois et les décrets ne seront rien si l’on ne trouve pas des soignants pour s’engager. La véritable garantie pour celui qui part est de savoir qu’il est entouré d’une équipe scientifiquement aguerrie, disposant des moyens techniques et matériels adaptés pour pouvoir assumer les décisions nécessaires à ce passage, avec science et humanité. Ce risque est-il insupportable pour les soignants ? Non, car la démarche concilie le savoir professionnel et la conscience humaine. Dans la mesure où la démarche a été sérieuse, on ne connaît aucune poursuite qui ait été engagée parce qu’une équipe aurait refusé l’obstination thérapeutique pour s’orienter vers la qualité de la relation. Ceci étant, le risque existe. Il signifie condamnation des automatismes et refus de la banalisation.
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