G Model
AMEPSY-2241; No. of Pages 9 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2016) xxx–xxx
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Me´moire
« C¸a peut toujours servir ! » Syndrome de Dioge`ne et ne´vrose obsessionnelle ‘‘There is no place like home!’’ Diogenes syndrome and obsessional neurosis Franc¸ois-David Camps c,d,*, Jeanne Le Bigot a, Didier Henneton b, Jonathan Laboutique c, Benoıˆt Verdon c a
EPS Roger-Pre´vot, poˆle de Gennevilliers/Villeneuve-la-Garenne, 52, rue de Paris, 95570 Moisselles, France Centre Croix-Rouge, EPS Roger-Pre´vot, poˆle de Gennevilliers/Villeneuve-la-Garenne, 52, rue de Paris, 95570 Moisselles, France c Centre Henri Pie´ron, 71, avenue Edouard-Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt cedex, France d Centre de recherche en psychopathologie et psychologie clinique (CRPPC, EA 653), institut de psychologie, universite´ Lumie`re Lyon II, 5, avenue PierreMende`s-France, 69676 Bron cedex, France b
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Rec¸u le 26 fe´vrier 2016 Accepte´ le 13 mars 2016
Les e´tudes sur le syndrome de Dioge`ne, dans une perspective psychanalytique et de psychologie projective, sont rares. Nous avons cependant pu faire une e´valuation comple`te (psychiatrique et psychologique) de deux patients, une femme de 66 ans et un homme de 60 ans, qui souffraient d’un syndrome de Dioge`ne, qui sont pre´sente´s ensemble du fait de leurs similitudes : tous les deux avaient un fonctionnement psychopathologique de type obsessionnel, sans trouble obsessionnel compulsif. Ils ont e´te´ teste´s par la WAIS-IV, le Rorscharch et le Thematic Apperception Test (TAT). Ils pre´sentaient tous deux un niveau cognitif dans les variations de la normale. Les tests projectifs confirment chez ces deux patients un fonctionnement obsessionnel ainsi qu’une fragilite´ narcissique sous-tendue par un manque affectif. Il nous a semble´ inte´ressant de pre´senter l’e´tude de leur fonctionnement intrapsychique et psychopathologique. Cette e´tude met en lumie`re la puissance et la force des mouvements pulsionnels chez ces sujets vieillissants mais e´galement les difficulte´s de traitement de la perte. De plus, ces deux cas viennent confirmer l’he´te´roge´ne´ite´ e´tiologique du syndrome de Dioge`ne et remettre une fois de plus en question son individualisation. ß 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
Mots cle´s : Cas clinique Ne´vrose obsessionnelle Nosographie psychiatrique Syndrome de Dioge`ne Test Rorschach Test TAT
A B S T R A C T
Keywords: Clinical case Diogenes syndrome Obsessional neurosis Psychiatric nosography Rorschach test TAT test
Objectives. – Diogenes syndrome or senile squalor syndrome is characterized by severe self-neglect, domestic squalor with generally syllogomania, social withdrawal, refusal of help and sometimes, they cannot live their place at all. Diogene syndrome is quite common but these patients are difficult to investigate because they are generally not asking for help and they stay at home. Our objectives were to give a multidisciplinary analysis (psychiatric and psychologic, psychanalytic) and highlight some mechanisms in this syndrome with 2 clinical cases. Patients and methods. – The first patient was a 66-year-old woman who suffered from hoarding for at least ten years. The second one was a 60-year-old man who was reported by the socials services two years ago for an insanitary apartment. They were both living in Parisian region. The woman was hospitalized and was evaluated by a psychiatrist. The man was evaluated by another outpatient psychiatrist. A psychology has tested the two patients with the WAIS-IV, the Rorscharch test and the Thematic Apperception Test (TAT). They also were evaluated by a psychologist who then analysed the tests. The Rorscharch test and the TAT were analyzed by the principles of the Paris School or French School from the psychoanalytic baselines. Results. – Except for the hoarding, we did not find any psychiatric diagnosis. An organicity was excluded. The WAIS-R test results shows for both subject a normal result (116 for the woman and 99 for
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F.-D. Camps). http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.03.020 0003-4487/ß 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
Pour citer cet article : Camps F-D, et al. « C¸a peut toujours servir ! » Syndrome de Dioge`ne et ne´vrose obsessionnelle. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.03.020
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the man); the Rorscharch test shows an obsessive neurotic mental functioning with several mechanisms of defense for the woman: intellectualization, undoing, displacement, anticathexis, doubt, isolation. The TAT test confirmed this functioning: she described the pictures instead of telling stories. For the man, the Rorscharch test shows a lot of aggressiveness with sadism and sometimes isolation. The TAT test shows more neurotic defenses: doubt, negation, undoing, isolation. Conclusions. – We present 2 clinical cases of patients with Diogene syndrome. They both had a neurotic mental functioning without any obsessive compulsive disorder. We did not find any physical nor psychiatric pathology, which can explain the syndrome. It seemed interesting to present the study of their intrapsyche working. This study highlights the power and the strength of aging people instinctual movements but also the difficulty to deal with loss. This article allows understanding better the Diogenes syndrome but it also shows his heterogeneity. We can ask ourselves if it really can be individualized as a syndrome. ß 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction La prise en charge par les professionnels soignants de personnes pre´sentant un syndrome dit de Dioge`ne pose toujours question sur un plan me´dical, social, psychologique, juridique, et meˆme parfois e´thique et philosophique. Si les situations rencontre´es ne sont pas rares (1,6 pour 10 000 habitants selon J.-C. Monfort et al. [32]), les personnes pre´sentant un syndrome de Dioge`ne se laissent cependant difficilement approcher et coope`rent peu ou pas avec ceux qui tentent les aider. Elles confrontent les intervenants a` des sentiments contradictoires, le plus souvent des sentiments de ˆ t ou d’effroi, de fascination ou de rejet, te´moignant d’une de´gou ve´ritable clinique de l’extreˆme, voire de l’obsce`ne. Nous avons eu l’occasion, dans le secteur de psychiatrie ou` certains d’entre nous interviennent, de prendre en charge, au meˆme moment, deux patients ayant de´veloppe´ un syndrome de Dioge`ne. Outre une prise en charge psychiatrique et sociale1, ils ont be´ne´ficie´ d’un bilan psychologique (WAIS IV, Rorschach et TAT) permettant une appre´hension approfondie de leur fonctionnement psychique. A` notre connaissance, il n’existe pas dans la litte´rature d’e´tude de cas de syndrome de Dioge`ne be´ne´ficiant de l’approche de la psychologie projective, analyse´e de surcroıˆt selon une approche psychanalytique. Les deux sujets que nous avons rencontre´s rele`vent clairement d’un fonctionnement psychique ne´vrotique obsessionnel. Il nous a semble´ inte´ressant de proposer une lecture du fonctionnement intrapsychique de ces deux patients graˆce aux me´thodes projectives permettant de mieux comprendre la singularite´ de cette solution radicale qu’est le syndrome de Dioge`ne. 2. Le syndrome de Dioge`ne : description et de´limitation Le syndrome de Dioge`ne de´signe un trouble, la plupart du temps chez le sujet aˆge´, qui se caracte´rise par une incurie, un faible soin apporte´ au domicile, ce dernier devenant insalubre, entraıˆnant « une clochardisation a` domicile » selon la formule de C. MartinHunyadi et M. Berthel [31]. Le domicile peut se caracte´riser par un e´quipement domestique re´duit au minimum ou, au contraire, par un entassement d’objets ou de de´tritus qui rend le logement impropre a` l’habitation. Cette accumulation peut se faire avec un ordre particulier, me´thodiquement, ou au contraire dans le plus grand de´sordre qui se diffe´rencie des comportements pathologiques de collection [35]. Au sein de l’habitation, le pe´rime`tre de vie se restreint, certaines pie`ces peuvent eˆtre rendues inaccessibles par des amoncellements divers. L’e´tat du logement est l’œuvre d’un processus actif de l’habitant qui aboutit a` une de´gradation [37]. La plupart des sujets ne se plaignent pas de l’insalubrite´ de leur logement : ils de´nient tout besoin d’aide et n’expriment aucune honte de leur e´tat. Ils vivent dans un isolement social et 1
Et psychologique pour l’un des cas.
relationnel majeur pouvant aller jusqu’a` une forme de re´clusion au domicile. L’hygie`ne corporelle est souvent ne´glige´e. La premie`re description de telles situations est celle d’E. Dupre´ [11] qui, en 1913, propose l’appellation de « mendiants the´sauriseurs ». Les Anglo-Saxons vont ensuite s’inte´resser a` ces situations a` partir des anne´es 1950 avec les e´tudes de D. MacMillan [28] en 1957, de D. MacMillan et P. Shaw [29] en 1966. Et c’est en 1975, avec l’e´tude d’A. Clark et al. [6], qu’apparaıˆt, pour la premie`re fois, le terme de « syndrome de Dioge`ne » pour de´signer ce trouble. Force est de constater que le syndrome de Dioge`ne pre´sente une grande he´te´roge´ne´ite´ clinique et recouvre des situations psychopathologiques trans-nosographiques varie´es [13] qui ne permettent pas de l’isoler comme une entite´ nosologique inde´pendante. La plupart des auteurs, en particulier anglo-saxons, conside`rent que la moitie´ des patients pre´sentant un syndrome de Dioge`ne souffrent d’une pathologie psychiatrique associe´e telle que de´mence, alcoolisme, psychose paranoı¨aque ou schizophre´nique, trouble neurologique, trouble obsessionnel compulsif. Certains auteurs distinguent un syndrome de Dioge`ne primaire, sans pathologie explicative [38] et un syndrome de Dioge`ne secondaire [34] associant des pathologies psychiatriques diverses. Il existe e´galement des situations de Dioge`ne a` deux ou a` plusieurs [16]. C. Hanon et al. [22] distinguent un syndrome de Dioge`ne « actif », dans lequel les personnes entassent ce qu’elles re´coltent au dehors, et un syndrome de Dioge`ne « passif », ou` elles se font envahir et de´border passivement par les objets et/ou leurs de´chets. L’e´tude de J.-C. Monfort et al. [32], en 2010, met e´galement en e´vidence la relativite´ des crite`res cliniques qui fondent le diagnostic de syndrome de Dioge`ne. En effet, pour ces auteurs, les proble`mes d’hygie`ne corporelle et d’entassement ne sont pas toujours constate´s. Le DSM 5 [9] ne mentionne pas le syndrome de Dioge`ne mais reconnaıˆt un « hoarding syndrom », syndrome d’accumulation ou syllogomanie, se traduisant par l’entassement, actif ou passif, d’objets au domicile, et un stress important a` se se´parer des objets accumule´s, en l’absence de toute atteinte psychiatrique, neurologique ou ge´ne´tique pouvant expliquer par ailleurs un tel comportement. Le DSM 5 pre´cise enfin que la pre´sence d’obsessions et de troubles compulsifs exclut le diagnostic de syndrome d’accumulation. On le voit, il n’existe pas de consensus dans la litte´rature scientifique sur l’e´tiologie du syndrome de Dioge`ne. Si l’on exclut les syndromes de Dioge`ne ayant une e´tiologie de´mentielle ou neurologique, pour certains auteurs il s’agit d’une re´action du sujet aˆge´ a` des stress de vie, physiques, psychologiques ou sociaux. S. Chebili [5] e´voque la fre´quence des proble´matiques de deuils pathologiques dans l’histoire personnelle des sujets atteints du syndrome de Dioge`ne, pertes plus nombreuses avec l’avance´e en aˆge et qui exposent ces sujets a` des blessures narcissiques. S. Chebili analyse le syndrome de Dioge`ne dans une perspective psychopathologique re´fe´re´e a` la psychanalyse, en s’appuyant sur le
Pour citer cet article : Camps F-D, et al. « C¸a peut toujours servir ! » Syndrome de Dioge`ne et ne´vrose obsessionnelle. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.03.020
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concept de Moi-peau2 propose´ par D. Anzieu [2] : lorsqu’une blessure narcissique intervient, le Moi-peau s’alte`re et perd sa fonction de contenant. Les objets accumule´s viendraient « suturer » ce Moi-peau et le logement, me´taphore de l’enveloppe corporelle, retrouverait son e´tanche´ite´ au prix d’un renforcement des limites et d’un comblement de l’espace qui empeˆcheraient toute intervention exte´rieure ve´cue comme intrusion effractante. L’accumulation reveˆt donc une fonction de « colmatage » narcissique, un ame´nagement vital pour la survie de la personne. Pour V. Le´on et al. [27], les troubles de l’accumulation refle´teraient e´galement des difficulte´s de traitement de la perte et de la se´paration. L’accumulation des objets aurait une fonction de re´assurance face aux pertes re´currentes ve´cues par le sujet vieillissant. L’accumulation pourrait alors traduire une incapacite´ a` perdre, a` laˆcher, a` se se´parer, a` entrer dans un travail de deuil et de renoncement inhe´rent a` la vieillesse. J.-G. Veyrat, commentant l’article de F Maes-Bie´der et J. Bie´der [30], note que si le syndrome de Dioge`ne peut recouvrir un tableau me´lancolique, il peut aussi renvoyer a` certains e´tats ne´vrotiques. De leur coˆte´, A. Barrata et M. Be´ne´zech [3] pre´cisent que la re´clusion volontaire permet au sujet d’e´viter le regard des autres, de s’en prote´ger en s’enfermant chez soi et en accumulant des objets comme pour soutenir un sie`ge, comportement sous-tendu par un de´lire paranoı¨aque. Enfin, l’accumulation peut renvoyer potentiellement a` un ve´cu schizophre´nique de morcellement corporel [10,24] : chaque objet contient alors une partie du corps du sujet projete´. De nombreux auteurs ont montre´ que le syndrome de Dioge`ne pouvait faire partie du tableau clinique des troubles obsessionnels compulsifs [26,36], en particulier le comportement d’entassement [21]. Certains auteurs contestent cependant ce rapprochement [8]. A. Henzen, A. Zermatten, O. Sentissi [23] et S. Devinos-Hodbert et al. [8] ne retrouvent pas d’obsessions dans les cas qu’ils ont e´tudie´s. Pour eux, la symptomatologie principale qu’est l’accumulation d’objet ne s’inscrit pas dans une symptomatologie typique du trouble obsessionnel compulsif, mais ils s’attachent uniquement aux troubles compulsifs comme symptoˆmes observables, au lieu d’envisager le fonctionnement psychique dans son ensemble. Ils cherchent ainsi a` faire de cette accumulation pathologique une entite´ diagnostique a` part entie`re, inde´pendante, en l’isolant nosologiquement. Les deux cas que nous pre´sentons ici rele`vent d’un fonctionnement ne´vrotique obsessionnel, sans trouble obsessionnel compulsif et sans obsession psychique, l’obsessionnalite´ du fonctionnement psychique se traduisant par le syndrome de Dioge`ne. Le bilan psychologique et, en particulier, les tests projectifs3 donnent un e´clairage global du fonctionnement psychique, de ses mouvements des plus apparents aux plus subtils. 3. Pre´sentation du cas de Mme D. Mme D. est une femme de 66 ans. Elle a e´te´ amene´e, a` sa demande, aux urgences apre`s avoir exprime´ des ide´es de de´fenestration. Les pompiers e´taient intervenus a` son domicile suite au de´bordement de ses toilettes qui avaient inonde´ son appartement. Elle s’e´tait elle-meˆme « sentie de´borde´e » a` l’ide´e de laisser un plombier pe´ne´trer chez elle. En effet, elle ne faisait entrer personne chez elle depuis de nombreuses anne´es en raison d’une grande accumulation d’objets divers. A` son arrive´e a` l’hoˆpital psychiatrique, sa pre´sentation e´tait ne´glige´e. Le contact e´tait cependant bon et elle e´tait en demande d’aide. Elle critiqua rapidement ses ide´es suicidaires et son angoisse s’apaisa. Dans le 2 Repre´sentation du moi dans sa dimension d’enveloppe psychique permettant notamment la diffe´renciation interne/externe et se´curisant de fait la possibilite´ des e´changes entre espaces. 3 Le Rorschach et le TAT ont e´te´ analyse´s selon les principes de l’E´cole de Paris.
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service, elle e´tait discre`te et mettait un point d’honneur a` prendre soin a` nouveau de son hygie`ne corporelle. Mme D. e´voquait une enfance sans proble`me. Elle notait cependant que ses parents avaient tendance a` conserver beaucoup de choses en espe´rant qu’elles puissent servir un jour. Elle quitte sa famille a` l’aˆge de 20 ans pour occuper un poste jusqu’a` sa retraite. Elle a perdu son chien, son seul compagnon, quelques mois apre`s son de´part a` sa retraite. Ce dernier, tre`s aˆge´, e´tait incontinent et l’obligeait, selon elle, a` maintenir un ordre relatif chez elle afin de pouvoir nettoyer ses de´jections. Elle e´tait brouille´e avec sa sœur unique qu’elle jugeait trop intrusive, sa seule famille puisque ses parents sont de´ce´de´s. Pour rompre sa solitude, elle s’e´tait beaucoup investie dans une association de retraite´s ou` elle participait a` de nombreuses activite´s tout en restant au stade de la simple cordialite´ avec les autres adhe´rents. Ses relations amoureuses ont e´te´ courtes et souvent a` distance : la premie`re, a` 20 ans, avec un homme marie´ et la dernie`re a` 48 ans. Dans sa dernie`re relation, elle a eu le sentiment d’avoir e´te´ « pie´ge´e » car elle avait preˆte´ de l’argent a` cet homme, argent qu’il ne lui a jamais rendu. Elle expliquait n’avoir jamais e´te´ tre`s me´ticuleuse dans son rangement mais cela s’est aggrave´ progressivement a` son arrive´e dans son appartement actuel qui ne lui plaisait pas. Elle n’a de fait jamais comple`tement de´fait ses cartons. Elle disait s’eˆtre cependant sentie plus a` l’aise depuis qu’elle avait commence´ a` accumuler e´norme´ment. Mme D. avait l’habitude d’acheter beaucoup d’objets par correspondance ; elle ne de´ballait pas les cartons qui restaient entrepose´s dans sa cuisine. Il lui arrivait e´galement de re´cupe´rer des objets destine´s a` eˆtre jete´s, tels que des livres ou des veˆtements, en pre´cisant qu’elle ne les lisait pas ni ne les portait jamais. Elle vivait sans e´lectricite´ depuis deux ans, a` la suite d’une panne e´lectrique, bien que payant toujours ses factures et ce afin d’e´viter de faire entrer le re´parateur chez elle. Elle raconte ne pas se pre´occuper de son hygie`ne corporelle par « flemme », ce que les autres n’auraient pas remarque´ pas selon elle. Souffrant d’incontinence urinaire (comme son chien), elle souillait son canape´ et son lit. Elle pre´fe´rait alors acheter de nouvelles culottes par correspondance et enfermer celles qui e´taient souille´es dans des sacspoubelles qu’elle accumulait. Dans l’entre´e de son appartement se trouvait un re´frige´rateur dont le contenu e´tait comple`tement pourri : Mme D. n’avait pas de´barrasse´ les denre´es pe´rissables lors de sa coupure d’e´lectricite´ il y a deux ans. Les feneˆtres e´taient habituellement ferme´es « pour e´viter que des mouches ne rentrent et ne pondent ». La cuisine et la salle de bains e´taient inaccessibles car trop encombre´es. Le reste de l’appartement e´tait jonche´ de sacs poubelles contenant soit des de´chets, soit des veˆtements ou du linge. L’encombrement des pie`ces contrastait fortement avec le vide des placards. Mme D. he´sitait beaucoup ; jeter certains objets e´tait une action des plus difficiles a` faire pour elle, elle pre´fe´rait alors conserver plutoˆt que jeter en cas d’he´sitation : « c¸a peut toujours servir » disait-elle, reprenant l’expression parentale. Apre`s le nettoyage de son appartement, elle expliqua que ce qui l’avait le plus marque´e e´tait la sensation de « vide » et le fait que « c¸a re´sonne », ne parlant que d’achats pour son inte´rieur afin de l’embellir. L’e´vocation de son appartement encombre´ s’ave´rait particulie`rement marque´e par un sentiment de honte qui l’avait empeˆche´ de demander de l’aide. Mme D. ne pre´sentait pas de signes cliniques de de´pression. L’efficience intellectuelle de Mme D. peut eˆtre conside´re´e comme de niveau normal fort4. Les re´sultats a` la WAIS IV montrent
4 Le QI total se situe a` 116 (QIT re´el entre 111 et 120). L’Indice de Compre´hension Verbale se situe au-dessus de la moyenne a` 114 (ICV re´el entre 107 et 120). L’Indice de Raisonnement Perceptif est a` 122 (IRP re´el entre 115 et 127). L’Indice de Me´moire de Travail est a` 109 (IMT re´el entre101 et 116). L’indice de Vitesse de Traitement est 102 (IVT re´el entre 93 et 111). L’intervalle de confiance choisi est de 95 % pour toutes les e´chelles. Les re´sultats intra- et inter-e´chelles sont homoge`nes.
Pour citer cet article : Camps F-D, et al. « C¸a peut toujours servir ! » Syndrome de Dioge`ne et ne´vrose obsessionnelle. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.03.020
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des re´sultats tout a` fait satisfaisants et parfois meˆme supe´rieurs aux re´sultats de la population de re´fe´rence de sa tranche d’aˆge. Ils excluent toute pathologie de´mentielle ou neurologique, les troubles cliniques ne peuvent donc pas eˆtre mis sur le compte d’un trouble cognitif de´ficitaire. 3.1. Analyse du protocole de Rorschach de Mme D. Le test de Rorschach montre clairement un fonctionnement psychique ne´vrotique de type obsessionnel chez Mme D. Les me´canismes de de´fenses pre´dominants sont tous du registre de l’obsessionnalite´ : intellectualisation, annulation, de´placement, contre-investissement, mise a` distance, doute et tout particulie`rement l’isolation entre repre´sentations et entre affects et repre´sentations. Ces de´fenses mobilise´es pour empeˆcher l’apparition de l’angoisse visent e´galement a` ne pas laisser e´merger a` la conscience la fantasmatique sexuelle qui pourtant domine tout le protocole, envahissant le fonctionnement psychique. Ainsi, a` la planche II, qui sollicite particulie`rement la proble´matique de castration, Mme D. re´pond de fac¸on lapidaire « Le rouge et le noir » puis « French Cancan ». Le refoulement mobilise´ via l’intellectualisation se le`ve dans le second temps de l’enqueˆte5 et elle peut pre´ciser « C’e´tait le rouge et noir, ce sont les couleurs qui m’ont fait penser au livre. » Rappelons que l’ouvrage de Stendhal e´voque les amours passionnelles et adulte`res de Julien Soral ainsi que sa punition ! Mme D. ajoute : « Le French Cancan c’est un flash avec les femmes qui ont un truc sur la teˆte. » Cette re´ponse, dont la dimension sexuelle est e´vidente, e´voque une danse provocante, « canaille », dans laquelle les danseuses le`vent la jambe et montrent les dessous de leurs robes sur un rythme endiable´. La castration est contre-investie ici par le fait que les danseuses sont dote´es d’un attribut phallique, un « truc sur la teˆte » ! Face a` l’excitation e´rotique que provoque cette repre´sentation, la de´fense par isolation apparaıˆt comme l’ultime recours : Mme D. va en effet se centrer sur un de´tail minuscule qui devient : « La poule est la`, le plus fonce´ c’est la creˆte », mettant la` encore l’accent sur un attribut phallique. Si, comme nous l’avons dit, l’efficience intellectuelle de Mme D. est supe´rieure a` sa classe d’aˆge, ce sont les modalite´s d’utilisation de sa pense´e qui interrogent. Celle-ci est en effet entrave´e par les me´canismes de de´fense que nous avons de´crits plus haut, ne lui permettant pas de de´ployer sa richesse, enfermant la patiente dans un questionnement sans fin. Ainsi, une grande partie de la pense´e est utilise´e a` refouler les conflits internes et l’angoisse associe´e. Malgre´ tout, ces de´fenses s’ave`rent trop peu protectrices face a` la monte´e des fantasmes : les tensions entre repre´sentations phalliques/chaˆtre´es saturent de fac¸on ite´rative sa dynamique psychique. Les repre´sentations fe´minines/passives sont une source d’angoisse particulie`rement pre´gnante et de fait incessamment contre-investies, mais la dialectique entre phallique/chaˆtre´e, masculin/fe´minin se re´ve`le prise dans une hypervolativite´, un choix impossible, comme le montre la planche III. Si la re´ponse spontane´e apparaıˆt relativement banale : « Deux messieurs qui se parlent », le refoulement se le`ve a` l’enqueˆte et Mme D. peut comple´ter son propos : « Les deux personnages, leur attitude est bizarre, ils ont des chaussures a` talon et discutent. » L’accent est ainsi mis sur l’ambiguı¨te´ de l’attribut « chaussure a` talon », au plan manifeste a` valence fe´minine mais dont la symbolique e´vidente renvoie de fac¸on fe´tichique au sexe masculin. Ce de´tail, dans une condensation serre´e, associe ainsi symbolisme sexuel fe´minin et masculin de fac¸on assez transparente et permet conjointement d’e´viter la reconnaissance de la castration et de critiquer a` bas bruit la repre´sentation masculine. Ce conflit 5 Il s’agit de la partie de la passation ou` apre`s avoir recueilli sans intervenir les re´ponses du sujet, on e´change avec lui pour lui demander de localiser ses re´ponses et de pre´ciser ce qui les a de´termine´es (forme, couleur. . .).
provoque une angoisse qui s’exprime clairement par un sentiment dysphorique a` la planche suivante, qui sollicite des repre´sentations de la puissance phallique et ou` Mme D. mobilise une meˆme the´matique associative : « Un personnage atroce avec des chaussures a` talon, un personnage pas beau du tout », pre´cisant a` l’enqueˆte, « Et le gros bonhomme qui fait peur avec ses bottes a` talon ». Le symbolisme sexuel omnipre´sent dans le protocole, mais ˆ t lie´ a` engageant des conduites de formation re´actionnelle (de´gou l’attraction), traduit l’envahissement obsessionnel des pense´es autour de ces the´matiques parfois de fac¸on explicite : « Un string », planche VIII ; « un soutien-gorge », planche X ; mais le plus souvent par voie de de´placement sur des repre´sentations d’animaux ou d’objets dont la valeur symbolique sexuelle est tout a` fait transparente : « Une teˆte de dragon qui crache du feu dans pas longtemps » a` la planche IV ou « Une peau de beˆte. Une chemine´e ! La peau de beˆte est devant la chemine´e. C’est quelque chose de romantique », planche VI, ou encore a` la planche VII : « Une petite fille. Non, deux petites filles. Un de´but de fermeture e´clair. Une queue d’un animal, d’un chat. C’est un chat avec une teˆte de lapin. Une trompe d’e´le´phant. Un lapin avec des oreilles un peu grandes. » La dimension objectale des repre´sentations de relations est tre`s marque´e dans le protocole de Rorschach, en particulier la dimension agressive. Ainsi, a` la planche VIII, Mme D. re´pond : « Deux beˆtes fe´roces qui vont foncer, un lion, non des lionnes. » A` l’enqueˆte de la planche X, ce sont « deux petits oiseaux et ils se chamaillent ». L’ambivalence pulsionnelle, dans sa valence agressive, imprime sa marque au fonctionnement psychique. E´le´ment non ne´gligeable de`s lors qu’est de´gage´e de l’analyse la proposition diagnostique d’une organisation ne´vrotique obsessionnelle ; on peut noter que l’expression des affects n’est pas absente du protocole de Mme D. Mobilisables, ils subissent toutefois une isolation de´fensive comme le re´ve`lent le peu de re´ponses inte´grant les couleurs. L’isolation, la minimisation des affects sont au premier plan de son syste`me de´fensif. L’affect de´pressif, en particulier, ne peut eˆtre aborde´ et s’observe dans les commentaires et non dans les re´ponses proprement dites : ainsi, la planche I est la moins appre´cie´e par Mme D. « parce qu’elle est noire ! ». La pre´sence des couleurs apporte un soulagement manifeste dans une tonalite´ (presque) hypomane : « Une fe´erie des couleurs et des formes. Une envole´e de couleur et de peinture » (planche XI) et « toujours cette fe´erie des couleurs ! C’est le bonheur » (planche X). 3.2. Analyse du protocole de TAT de Mme D. Le TAT confirme l’organisation ne´vrotique de facture obsessionnelle du fonctionnement psychique de Mme D. Si le doute obsessionnel s’observe particulie`rement bien a` cette e´preuve, les de´fenses obsessionnelles sont plus varie´es qu’au Rorschach, avec le recours a` la de´ne´gation qui permet ainsi d’annuler la dimension agressive et la conflictualite´ dans la relation a` l’autre, comme a` la Planche 4, planche qui sollicite la question de l’ambivalence amour/haine dans la relation : « . . . Il a une bonne teˆte le monsieur, il n’a pas l’air en cole`re. Il veut partir et elle veut le retenir. Mais ils ne se disputent pas car personne n’a l’air en cole`re. » Doute, isolation, remaˆchage, annulation, de´ne´gation empeˆchent fre´quemment le de´ploiement de la dimension conflictuelle et fantasmatique des re´cits comme a` la planche 5, planche qui sollicite, entre autres, la question de la curiosite´ et de l’interdit : « Alors c’est une femme qui ouvre la porte d’une pie`ce. Elle rentre dans une pie`ce ou` elle cherche quelqu’un ou quelque chose. Elle semble inquie`te. [Qu’estce qu’elle cherche ?] Elle pourrait chercher un enfant, je ne sais pas, ou le mari. Elle n’est ni inquie`te ni joyeuse donc elle doit rentrer et voir s’il y a quelqu’un. Apre`s si c’est un objet c¸a pourrait eˆtre n’importe quoi. Peut-eˆtre un chien ou un chat. » Mais d’autres traitements de planches laissent percevoir une diversite´ des conduites psychiques ou` domine cependant l’agressivite´, comme le
Pour citer cet article : Camps F-D, et al. « C¸a peut toujours servir ! » Syndrome de Dioge`ne et ne´vrose obsessionnelle. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.03.020
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de´voile le re´cit donne´ a` la Planche 13MF qui sollicite l’ambivalence dans les relations de couple : « Cet homme-la` est rentre´ chez lui et je pense qu’il a trouve´ sa femme morte. Elle est de´shabille´e. Tiens c’est vrai c¸a, pourquoi elle est de´shabille´e ? Est-ce qu’il l’a tue´e ? Ou est-ce qu’elle est morte toute seule ? Il a l’air de se dire ‘‘Mon Dieu, qu’ai-je fait ?’’. » Nettement, si ce n’est massivement utilise´es, les de´fenses obsessionnelles laissent ne´anmoins transparaıˆtre un fantasme de se´duction œdipien qui te´moigne de fac¸on bienvenue de la pre´sence d’un noyau hyste´rique chez Mme D. Ainsi, a` la Planche 6GF qui e´voque la question de la se´duction, Mme D. propose le re´cit suivant : « Encore le cine´ma des anne´es 1930. J’aime beaucoup. Ici, le monsieur la surprend. Il a l’air sympathique. Est-ce qu’elle est surprise de le voir ou est ce qu’il lui demande quelque chose ? Je ne sais pas. En tout cas il a une bonne teˆte ce monsieur. C¸a pourrait eˆtre son pe`re, son mari ou son fre`re. » Certes, on le voit, le doute interpre´tatif demeure, mais il permet, sous couvert de nonengagement et de non-de´ploiement de l’histoire, d’affleurer la valence incestuelle du fantasme œdipien. La relation a` la figure maternelle est empreinte d’une rivalite´ peu abordable, a` peine esquisse´e a` la Planche 7GF, qui la sollicite pourtant de fac¸on prononce´e : « La jeune fille e´coute et tient quelque chose dans les bras. [. . .] Elle e´coute sa me`re qui lui lit quelque chose qui la fait reˆver, ou elle s’en fiche. » Ainsi, le TAT confirme la place majeure de la proble´matique de castration et d’ambivalence dans le fonctionnement psychique de Mme D. La dimension de´pressive apparaıˆt plus clairement qu’au Rorschach, comme a` la Planche 3BM qui sollicite particulie`rement cette proble´matique : « C’est quelqu’un au de´sespoir et qui pleure. C’est peut-eˆtre une femme ou un homme de couleur, je n’arrive pas a` savoir. Une femme plutoˆt. [Pourquoi pleure-t-elle ?] Bonne question, pourquoi pleure-t-elle ? C’est un de´sespoir amoureux car quelqu’un est mort et c¸a lui fait beaucoup de peine. Elle est contre une chaise. C’est marrant car on peut penser a` un homme de couleur. Soit c¸a vient de se passer, soit. . . voila`. » Dans ce re´cit, les affects de´pressifs sont mis a` distance par une centration sur les de´tails physiques et un remaˆchage qui empeˆchent le re´cit de se de´ployer au-dela` de ce qui peut quand meˆme eˆtre repre´sente´ : la liaison entre l’affect de tristesse et la repre´sentation de la perte de l’objet d’amour. A` de rares moments, la proble´matique de´pressive est de´celable par l’expression de fragilite´s narcissiques, telle que permet de le saisir la Planche 19, planche sollicitant les limites interne/externe : « C’est un paysage d’hiver parce qu’il y a de la neige. [. . .] C’est peut-eˆtre un sous-marin, on dirait aussi que c’est sous l’eau. Non c¸a ne m’inspire pas. En tout cas, c’est une sacre´e masure tre`s pauvre sous la neige. On voit la neige la` et la`. Je ne sais pas, c¸a pourrait aussi eˆtre un sous-marin. . . » Mais c’est un objet a` forte valence phallique qui permet a` Mme D. de se de´gager de cette repre´sentation narcissique de´pressive. L’apport comple´mentaire du Rorschach et du TAT nous permet de conclure de fac¸on convaincante au fait que Mme D. pre´sente des modalite´s de fonctionnement psychique tout a` fait congruentes avec l’hypothe`se d’une organisation ne´vrotique de facture obsessionnelle, certes sans symptomatologie de type TOC ou de pense´es intrusives obse´dantes, mais plutoˆt avec une nette « obsessionnalisation » du fonctionnement psychique. 4. Pre´sentation du cas de Monsieur K. La situation de M. K., 60 ans, est signale´e par les services sociaux il y a deux ans. Il est a` cette e´poque menace´ d’expulsion s’il ne se mobilise pas pour nettoyer son logement insalubre. Une enqueˆte sociale et une mise sous sauvegarde de justice sont de´cide´es. Un premier signalement du bailleur, apre`s des plaintes du voisinage, avait entraıˆne´ un premier nettoyage et une de´sinfection de son logement. Depuis, l’appartement est a` nouveau encombre´ d’objets, de de´tritus, encrasse´ et infeste´ de cafards mais avec tre`s peu de
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meubles. M. K. ne comprend pas pourquoi son bailleur souhaite l’expulser. Il met en avant une difficulte´ a` entretenir son logement depuis un accident vasculaire ce´re´bral sans se´quelles. Lors de sa premie`re venue au Centre me´dico-psychologique, il se pre´sente avec une mise peu soigneuse mais non de´sordonne´e ou atypique. Il ne donne a` voir ni confusion ou troubles du cours de la pense´e, ni de´ficit cognitif ou propos de´lirants. Il est suivi en neurologie depuis un accident vasculaire ce´re´bral cause´ par son HTA primaire6 survenu il y a seize ans. Lors d’une hospitalisation pour re´e´valuation de son HTA primaire il y a trois ans, l’examen neurologique ne re´ve´lait toujours aucun de´ficit sensitivomoteur ni se´quelles physiques. Il n’a cependant pas be´ne´ficie´ d’un bilan neuropsychologique mais, comme nous le verrons plus loin, il ne pre´sente aucune de´te´rioration cognitive aux tests psychome´triques. Il souffre e´galement d’une geˆne respiratoire et de diabe`te. Son me´decin traitant lui a, en outre, prescrit un antide´presseur et un somnife`re depuis quelques anne´es. Il travaillait dans une grande entreprise mais s’est ve´cu « placardise´ ». Il avait e´galement une activite´ de syndicalisme au sein de cette entreprise. Il est actuellement en arreˆt de travail et subit une proce´dure de licenciement. En dehors de ses anciennes activite´s syndicales, M. K. ne semble pas avoir de liens affectifs ou sociaux ni de centres d’inte´reˆt. Il est arrive´ du Maroc a` l’aˆge de 10 ans avec son pe`re. Sa me`re est reste´e au pays avec ses autres enfants. Son pe`re de´ce`de quand il a 25 ans. E´voquant ce pe`re, il pre´cise qu’il n’a jamais remis les pieds au Maroc et qu’il avait comple`tement perdu l’usage de l’arabe ainsi que ses liens familiaux. Pendant quelques mois, M. K. fre´quente une femme d’origine africaine qui lui donnera un fils. Ce dernier, aˆge´ d’une trentaine d’anne´es aujourd’hui, vit actuellement en Afrique et n’a aucun contact avec lui. M. K. reste tre`s laconique sur son histoire. Pour expliquer l’e´tat de son appartement, il e´nonce de fac¸on tre`s rationalise´e des re´flexions ge´ne´rales : « J’ai beaucoup de veˆtements et d’archives. . . pourquoi jeter ce qui peut servir ? . . . quand je veux sortir quelques sacs, l’ascenseur est toujours utilise´. » Pour parler de son bailleur, il dit : « Ce sont des pitbulls qui ne laˆchent pas leur proie . . . le bailleur a trouve´ un pigeon . . . avant, ceux qui m’embarrassaient j’avais du pouvoir sur eux, maintenant je m’e´crase. » Il peut meˆme faire preuve d’une sensitivite´ projective : « La pe´tition des voisins a e´te´ initie´e par le fils du maire. » La responsabilite´ de la situation est de´place´e ou projete´e sur les autres, il serait face a` un « acharnement ». Il confie « un sentiment d’impasse de sa vie » : « Je suis en creux de vague, j’arrive a` un point ou` on ne voit plus comment faire quand on a les pieds dedans. » Il pourra peu a` peu reconnaıˆtre « une de´prime de longue date », sans paraıˆtre eˆtre tre`s en contact avec ses e´motions. Son discours reste centre´ sur les dysfonctionnements de la socie´te´, les vices de proce´dures qui le concernent, scotomisant sa responsabilite´ dans l’insalubrite´ de son logement et son expulsion annonce´e. Il ne supporte aucune remarque, entendue comme des critiques a` son e´gard. Il est toujours dans une grande exigence de re´ciprocite´, sensible a` l’impolitesse et a` l’incivilite´ : « Si vous me respectez, je vous respecte. » Une prescription neuroleptique sera sans effet sur cette sensibilite´ confinant a` la sensitivite´. Sa reconnaissance du statut de travailleur handicape´ n’entraıˆne pas chez lui de re´action, seule l’expulsion de´finitive de son logement provoquera un effondrement anxiode´pressif important (au point qu’une hospitalisation sera envisage´e) mais qui s’efface rapidement quand les services sociaux lui trouvent un hoˆtel. Les phe´nome`nes d’entassement se reproduisent dans ce nouveau logement dont il est a` nouveau expulse´. Il e´voque alors l’ide´e de vivre dans une maison de retraite : « C¸a fait un moment que l’aˆge me turlupine. On n’est plus dans le vent quand vous eˆtes constamment de´c¸u par les gens » dit-il. 6
Localisation de la lacune ische´mique dans la protube´rance me´diane 3.
Pour citer cet article : Camps F-D, et al. « C¸a peut toujours servir ! » Syndrome de Dioge`ne et ne´vrose obsessionnelle. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.03.020
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Les re´sultats de M. K. a` la WAIS IV peuvent eˆtre conside´re´s comme normaux7 et homoge`nes. Ils montrent une efficience intellectuelle dans la moyenne de sa classe d’aˆge et permettent d’e´carter toute pathologie de´mentielle ou neurologique. 4.1. Analyse du protocole de Rorschach de M. K. Ce qui frappe d’emble´e a` la lecture du protocole, c’est la violence et la crudite´ de certaines re´ponses, donne´es apre`s un long temps de re´flexion, violence et crudite´ qui montrent la force de la charge pulsionnelle agressive mal refoule´e qui peut e´clater brusquement. Cette agressivite´ peut ne´anmoins eˆtre module´e par les me´canismes d’isolation, comme a` la planche II ou` il e´nonce, « Un sanglier. Une tache de sang ». Mais a` l’enqueˆte, l’isolation ne fonctionne plus et l’agressivite´ s’exprime plus clairement, sous couvert cependant de pre´cautions verbales : « Le sanglier serait peut-eˆtre ensanglante´, touche´ par la balle d’un chasseur, il est en train de saigner. Le sang est incruste´ au sanglier. » Par moments, l’agressivite´ est plus franche, comme a` la planche IX qui sollicite fortement des repre´sentations re´gressives lie´es a` la fonction d’un contenant, M. K. propose « une sorte de babouin, comme un babouin qui sort d’un volcan ». A` l’enqueˆte, il se de´fend de sa propre repre´sentation en discre´ditant le psychologue qui lui rappelle sa re´ponse, re´ponse entre-temps refoule´e : « Non ! C’est de la lave, vous avez mal entendu, c’est de la lave qui sort d’un volcan ». A` cette planche qui renvoie a` l’archaı¨que maternel ute´rin, la repre´sentation condense´e, symbolique, re´ve`le un fantasme d’accouchement a` valence narcissique ne´gative (« babouin »), imme´diatement refoule´. Les capacite´s de de´placement symbolique sont certes pre´sentes mais ne permettent pas de masquer totalement la fantasmatique sexuelle-sadique, comme le montre e´galement la re´ponse a` la planche VI qui sollicite la bisexualite´ psychique. Spontane´ment, il voit « une sorte de fruit de mer sur le bas. C’est tout » et comple`te sa re´ponse lors de l’enqueˆte en pre´cisant « je vois aussi un harpon avec ses fle`ches qui s’accrochent pour pas sortir facilement de la chair. Un coquillage qu’on ouvre ». Cette re´ponse, sous couvert de symbolisme transparent, associe a` la fois repre´sentation phallique agressive (« harpon avec ses fle`ches ») et repre´sentation symbolique du sexe fe´minin (« coquillage ouvert »), le tout te´moignant d’une dynamique fantasmatique ou` la dimension agressive, voire sexuelle sadique, affleure ainsi au niveau pre´conscient, indiquant des contraintes internes a` penser, a` de´sirer et des interdits conse´quents qui s’e´rigent. Au coˆte´ de la proble´matique sexuelle, on peut e´galement de´gager une proble´matique narcissique plus fragilise´e, comme en te´moignent plusieurs re´ponses marque´es par l’association de la passivite´ et de l’e´tayage : « C’est des poumons, une carcasse pendue a` un croc de boucher », planche X. Le lien a` la re´alite´ externe reste cependant tout a` fait satisfaisant. L’identite´ est assure´e mais le narcissisme apparaıˆt chez M. K. particulie`rement mis a` mal, comme l’illustrent plusieurs re´ponses anatomiques qui ne traduisent pas ici l’e´mergence d’angoisses de morcellement compatibles avec un registre de fonctionnement psychotique mais sont re´ve´latrices d’une repre´sentation de soi de´valorise´e et attaque´e par sa propre agressivite´, comme a` la planche VIII, planche ou` apparaissent pour la premie`re fois des couleurs et mobilisant chez le sujet une position passive potentiellement de´stabilisante : « Dans l’ensemble, dit M. K., moi je verrais un squelette de mouton, ce serait une teˆte un peu de´charne´e avec encore de la chair. » Globalement, le registre de´fensif qu’il de´ploie face au test de
7 Son QI Total se situe a` 99 (QIT re´el entre 94 et 104). L’Indice de Compre´hension Verbale se situe a` 106 (ICV re´el entre 99 et 112). L’Indice de Raisonnement Perceptif est a` 102 (IRP re´el entre 96 et 108). L’Indice de Me´moire de Travail est a` 103 (IMT re´el entre 96 et 110). L’indice de Vitesse de Traitement est a` 81 (IVT re´el entre74– 92). L’intervalle de confiance choisi est de 95 % pour toutes les e´chelles.
Rorschach apparaıˆt a` la fois plus pauvre et plus resserre´ que celui de Mme D. La de´pressivite´ transparaıˆt dans son protocole avec le retour de la meˆme re´ponse aux planches dites « noires » (planches I, IV et VI) dans une tonalite´ presque me´lancolique, « une feuille morte ». Il a e´te´ montre´ que dans d’autres contextes psychopathologiques, celui de la schizophre´nie, comment la perse´ve´ration au Rorschach et au TAT e´tait le signe d’une e´bauche de traitement me´lancolique de la perte, processus qui ne pouvait eˆtre mene´ a` terme [4]. Il est tout a` fait inte´ressant, dans cette re´flexion sur la dimension transnosographique du syndrome de Dioge`ne, qu’une meˆme dynamique puisse eˆtre ponctuellement observe´e au sein d’un meˆme fonctionnement psychique, organise´e par une conflictualite´ ne´vrotique. 4.2. Analyse du protocole de TAT de M. K. Le protocole du TAT apparaıˆt moins rigide que celui du Rorschach. M. K. semble ainsi plus a` l’aise, tirant be´ne´fice du caracte`re figuratif du test qui sollicite moins les repre´sentations du corps. Les de´fenses obsessionnelles sont davantage mobilise´es au TAT qu’au Rorschach, comme chez Mme D. Le doute s’y exprime plus clairement. Il use e´galement souvent de de´ne´gations et d’annulations, de descriptions avec attachement a` des petits de´tails. Les pre´cautions verbales, l’emploi intensif du conditionnel alourdissent particulie`rement les re´cits qui sont souvent peu conflictualise´s comme l’illustre la Planche 1, qui sollicite fortement la proble´matique de castration : « Je vois un enfant un peu reˆveur avec son violon, il doit eˆtre suˆrement eˆtre en train d’e´tudier une composition. C’est son moment de pause parce qu’il a l’air un peu. . . entre deux, songeur sur comment c¸a va se de´rouler. C’est un enfant d’une dizaine d’anne´es. » Les relations entre les personnages sur les planches qui en comportent plusieurs sont peu explore´es comme si le lien a` l’autre s’ave´rait trop troublant ou dangereux. Ainsi M. K. peut lutter contre les relations, comme la Planche 2 ou` il les fige avec force : « Je vois une femme avec ses deux livres au muse´e qui passe devant un tableau avec deux travailleurs des champs qui labourent. La femme sur la droite patiente. C’est la femme du travailleur. Elle a l’air enceinte. C’est le tableau et la jeune femme est au muse´e. » Le fantasme de maternite´ (comme la planche IX du Rorschach), la proble´matique de rivalite´ (avec son potentiel agressif), le renoncement a` la satisfaction du de´sir, sont ici mis a` distance par le me´canisme de « mise en tableau » qui fige les possibilite´s de sce´narii relationnels. La relation a` l’autre est a` la fois porteuse d’excitation mais aussi du risque qu’elle implique, de la menace qu’elle porte, d’ou` la mobilisation d’une de´fense narcissique visant a` se prote´ger de toute rencontre, de toute expe´rience susceptible d’exciter, de frustrer, de confronter aux interdits, a` la perte, etc. Conse´quemment, les proble´matiques de l’impuissance et de la castration sont au premier plan de la dynamique psychique ainsi que l’impossible renoncement a` l’objet de´sire´. Ainsi a` la Planche 16, dernie`re planche du test, planche blanche, M. K. livre un long re´cit, dont la dimension transfe´rentielle est e´vidente : « Qu’est-ce que je raconte comme histoire ? Je peux dire que je suis au CMP et que je suis en face d’un psychologue mais c¸a n’a pas grand inte´reˆt. Je peux raconter quoi ? [relance de la consigne] Tout a` l’heure en venant en bus ici a` mon rendez-vous au CMP, j’e´tais assis au-dessus d’une personne qui jouait avec son smartphone. Elle s’en servait bien. Elle tapait bien. Je ne voyais pas son visage, je me demandais si elle e´tait jeune ou aˆge´e, a` quoi elle ressemblait. Elle a fait un copier-coller d’e´le´ments qu’elle a copie´s dans le premier texte. C¸a m’a intrigue´ de voir la connaissance de son appareil et moi je suis loin d’en eˆtre arrive´ la`, a` utiliser cet outil moderne, plus tout a` fait nouveau parce que tout le monde a c¸a. Et il faut que je m’y mette. Ensuite elle est partie et je n’ai pas vu son visage. Elle e´tait ˆ rement une jeune femme de 25 ou 30 ans, vu sa corpulence. C¸a su
Pour citer cet article : Camps F-D, et al. « C¸a peut toujours servir ! » Syndrome de Dioge`ne et ne´vrose obsessionnelle. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.03.020
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m’a remis en place parce que je dois utiliser ces outils-la`. J’en ai un mais je ne l’utilise pas a` la performance utilise´e. » Les dimensions de rivalite´ envers le psychologue (nettement plus jeune), mais aussi de de´sir envers cet objet inaccessible (a` la fois la jeune femme et le te´le´phone, symbole phallique qui mobilise chez le patient un ve´cu d’impuissance) sont e´voque´es ici clairement. Or, on sait combien le vieillissement mobilise la reviviscence de la question de la castration [7,40]. Le renoncement a` l’objet de satisfaction peut entraıˆner un ve´cu fort douloureux qui renvoie a` la proble´matique de castration aborde´e dans un ve´cu de´pressif d’exclusion et de passivite´. La proble´matique de´pressive s’inscrit donc ici dans une incapacite´ a` accepter l’impact de la castration lie´e au vieillissement et a` l’impossibilite´ de recourir a` un autre dont il faut toujours se me´fier, craindre qu’il ne de´posse`de ou frustre et qui ne peut eˆtre un recours ou un secours8. La fragilite´ narcissique apparaıˆt plus importante chez M. K. que chez Mme D. et laisse entrevoir une proble´matique archaı¨que lie´e a` une impossibilite´ de de´pendre de l’autre qui renvoie a` une passivite´ insupportable mais aussi a` une identite´ primaire plus fragilise´e. Ces e´le´ments ne sont pas incompatibles avec l’organisation ne´vrotique de facture obsessionnelle de´gage´e par l’analyse approfondie du Rorschach et du TAT. 5. Discussion Si l’habitat, chez tout un chacun, parle de soi, de son organisation psychique, comme l’a soutenu A. Eiguer [12], qu’en est-il chez nos sujets dont l’investissement de l’espace de vie se re´ve`le des plus singuliers ? Quelles hypothe`ses sur l’e´tude de leur fonctionnement psychique nous permettent-elles d’avancer pour saisir la complexite´ et l’originalite´ des proble´matiques a` l’œuvre dans le syndrome de Dioge`ne ? 5.1. Le syndrome de Dioge`ne : un destin de la ne´vrose obsessionnelle ? On pourrait de prime abord penser, peut-eˆtre trop simplement, que le syndrome de Dioge`ne, dans les cas e´tudie´s ici, rele`verait d’un TOC ou plus exactement d’une forme particulie`re de ne´vrose obsessionnelle. Nous en proposons une lecture plus complexe. Le syndrome de Dioge`ne se re´ve`le la` le te´moin d’une re´gression libidinale–face a` une de´ception narcissique–a` des fixations anales, a` l’e´rotisme anal mis en lumie`re par S. Freud [18] : l’amour de l’ordre allant jusqu’a` la me´ticulosite´, une parcimonie tournant a` l’avarice et une obstination allant jusqu’a` un enteˆtement violent. K. Abraham [1] distinguait e´galement deux destins de la pulsion sadique : destructeur ou possessif selon que l’e´rotisme anal se re´ve`le lie´ a` l’e´vacuation ou a` la re´tention. Cette re´gression de la ge´nitalite´ a` l’analite´ permettrait une mitigation du conflit intrapsychique mais surtout un e´vitement du conflit dans le rapport a` l’autre. Sous couvert d’un gigantesque chaos, les appartements de Mme D. et M. K. sont « range´s », « arrange´s » dans un ordre qui leur est propre, ou` rien ne doit bouger. L’analite´ organise ici de manie`re quasi exclusive la maıˆtrise des choses, leur ordonnancement. Les sujets pre´sentant un syndrome de Dioge`ne, dans ce contexte psychopathologique, jouiraient ainsi des deux formes de l’e´rotisme anal : l’accumulation des objets (objets qui « peuvent servir un jour »), la re´tention, la maıˆtrise, le plaisir de conserver sous couvert d’une formation re´actionnelle au service d’un ide´al surmoı¨que d’e´conomie et dans une dynamique de lutte contre la perte. Un « bon sens » qui prend des formes folles et masque une jouissance bien plus secre`te et scandaleuse, celle d’accumuler les de´tritus, te´moins du plaisir infantile de jouer avec 8 Lors de la restitution des conclusions du bilan a` M. K., celui-ci s’ave`re particulie`rement angoisse´ a` l’ide´e qu’on ne lui communique pas les meˆmes conclusions qu’a` l’e´quipe me´dicale et soignante.
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les selles. Les conduites d’e´conomie coexistent ainsi avec le plaisir de la salete´, typique de la ne´vrose obsessionnelle. 5.2. Le syndrome de Dioge`ne : un repli narcissique face au vieillissement ? M. Fain [14] propose de penser la re´gression anale, non plus seulement comme re´gression devant le danger que repre´sente le complexe d’Œdipe pour le sujet, mais aussi comme de´fense contre les excitations traumatiques qui menacent le moi, liant ainsi analite´ et narcissisme. Chez le sujet aˆge´, chaque blessure impose´e par l’environnement est ve´cue comme une atteinte de soi irre´parable qui retentit sur le sentiment d’identite´. Le syndrome de Dioge`ne, avec la re´gression a` l’e´rotisme anal qu’il implique, peut eˆtre conside´re´ comme une solution invente´e par nos deux sujets pour faire face a` des pertes narcissiques trop importantes : ne pas se se´parer c’est ne jamais perdre, tout garder, annuler le temps qui passe. Alors que certains auteurs voient dans l’accumulation une contrepartie aux pertes ve´cues, nous nous proposons d’aller plus loin dans cette interpre´tation. En effet, si elle renvoie a` une forme de contre-investissement face aux pertes ve´cues, l’accumulation nous semble aussi dans une forme de repli narcissique, prote´geant le sujet de l’autre. D’un autre excitant, se´duisant mais toujours trompeur, voire toujours de´cevant comme chez Mme D.9 ; autre de´cevant e´galement chez M. K., mais parce que rival et dont on risque toujours de subir l’emprise. Pour Mme D., l’e´tat de son appartement la prote`ge d’avoir a` inviter quelqu’un chez elle et imaginairement d’avoir a` investir une relation d’intimite´. Comme l’a montre´ A. Green [20], la re´gression de la ge´nitalite´ a` l’analite´ a pour but de de´placer la libido du poˆle objectal au poˆle narcissique, dans une valence a` la fois contraphobique et autoe´rotique. Les renoncements lie´s a` l’avance´e en aˆge intriquent chez la plupart des personnes qui vieillissent, et tout particulie`rement chez ces deux sujets, angoisse de castration et atteinte narcissique. La vulne´rabilite´, voire l’inse´curite´, intimement ve´cue ou fantasme´e au plan somatique, relationnel, cognitif, mobilise des de´fenses qui s’ave`rent la` d’une redoutable ampleur : le domicile est surinvesti, avec l’e´dification de barrie`res artificielles avec les objets accumule´s et les de´tritus non e´vacue´s pour prote´ger des limites interne/ externe fragilise´es et pour conjointement se prote´ger de l’autre et de sa pe´ne´tration potentielle au sein de l’espace de vie, confondu avec l’espace psychique. Ainsi, si la proble´matique narcissique est bien pre´sente (la confrontation a` la finitude est plus qu’exacerbe´e avec l’avance´e en aˆge), elle ne doit pas faire oublier la place des fantasmes sexuels et agressifs dont le sujet tente de se prote´ger et dont on omet trop souvent la valeur fonctionnelle dans la dynamique psychique des personnes qui vieillissent [39]. Si l’accumulation est un symptoˆme important dans le syndrome de Dioge`ne, il ne doit pas masquer le repli narcissique que marque l’auto-exclusion du commerce relationnel avec l’autre. Escamoter cette dynamique psychique ou` la psychosexualite´ joue un roˆle majeur dans le traitement des tensions, des excitations, des interdits et des inhibitions risque de conduire les cliniciens a` me´connaıˆtre la dimension pourtant tre`s ne´vrotique, fragilise´e au plan narcissique, du fonctionnement psychique de certains patients. 5.3. L’impossibilite´ a` jeter est lie´e a` une inhibition de l’agressivite´ Le ne´gatif de ce comportement d’accumulation dans le syndrome de Dioge`ne est l’impossibilite´ de jeter, de se de´barrasser des objets. Or, vivre ne´cessite de garder et de s’approprier mais aussi de jeter, de perdre, dialectique complexe qui anime la vie 9 Planche 16 du TAT, dernie`re planche du test, sans image, elle commence en disant : « Ah je savais qu’il y aurait un pie`ge ».
Pour citer cet article : Camps F-D, et al. « C¸a peut toujours servir ! » Syndrome de Dioge`ne et ne´vrose obsessionnelle. Ann Med Psychol (Paris) (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.03.020
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psychique. Or, le syndrome de Dioge`ne vient re´ve´ler cette impossibilite´ a` jeter, a` se se´parer, a` perdre. Ce que la rencontre clinique et l’analyse des protocoles de Rorschach et de TAT permettent de saisir, c’est que si la perte ne peut eˆtre supporte´e, c’est qu’elle entraıˆne non seulement des affects de tristesse, mais qu’elle ravive e´galement une proble´matique majeure de culpabilite´, lie´e a` l’intense conflit d’ambivalence sous-jacent. Freud [19] a explique´ que la perte de l’objet est envisage´e dans l’inconscient comme la conse´quence du meurtre de l’objet, re´ve´lant la dimension latente a` la culpabilite´, a` savoir la satisfaction de voir l’objet disparaıˆtre. Cette loi de l’ambivalence, pourtant ne´cessaire dans le travail de deuil, ne peut eˆtre inte´gre´e chez nos deux patients pour qui le difficile et e´prouvant traitement de la perte s’ave`re donc majore´ par l’incapacite´ a` supporter l’ambivalence. Jeter, se de´barrasser, e´vincer, mettre a` la poubelle, aux ordures, aux toilettes se re´ve`le ici un acte d’une intensite´ de´mesure´e de ne´gation et d’agressivite´ de l’objet, proble´matique retrouve´e de fac¸on patente dans les protocoles de Rorschach et de TAT de nos deux patients. La perte ne peut eˆtre reconnue par le moi que dans la mesure ou` il ne se sent pas trop responsable de cette perte, autrement dit que les sentiments de culpabilite´ lie´s a` l’attaque fantasmatique contre l’objet ne soient pas trop importants. Si la culpabilite´ est trop importante, le moi a alors tendance a` de´nier la tristesse [25]. L’objet perdu parce que de´truit est irre´cupe´rable, de´finitivement. Chez les sujets pre´sentant un syndrome de Dioge`ne, se se´parer de l’objet s’ave`re e´quivalent fantasmatiquement a` le de´truire irre´me´diablement. « L’agressivite´ chez les Dioge`ne semble souvent re´prime´e par l’effroi que suscite la perte. On les voit parfois retourner chercher les objets jete´s dans la poubelle, dans un mouvement de remords, comme si l’objet abandonne´ ‘‘reprochait’’ au sujet de l’avoir laisse´ » e´crit A. Pichon [33,p. 23]. Objets fantasmatiques et objets re´els entretiendraient des liens par trop serre´s, noue´s par voie d’e´quivalence. « Jeter l’objet porterait ainsi atteinte a` la personne elle-meˆme, lui ferait du mal » pre´cise A. Pichon (ibid., p. 23) mettant ainsi l’accent sur le fait d’une pense´e reste´e secre`tement animiste. 5.4. Le syndrome de Dioge`ne serait l’expression d’une de´pression inabordable Nous retrouvons chez nos deux sujets, qui ne sont pas de´prime´s cliniquement, une dimension de´pressive sans possibilite´ de constituer une de´pression re´elle du fait de l’isolation franche entre affects et repre´sentations, comme nous l’avons montre´ dans notre analyse des protocoles de Rorschach et de TAT. On pourrait postuler qu’il y a la` une impossibilite´ a` constituer une de´pressivite´ au sens ou` l’entend P. Fe´dida [15] pour qualifier la capacite´ normale, bienvenue meˆme, a` se de´primer pour traiter au plan repre´sentationnel et affectif les expe´riences de perte. L’accumulation pathologique d’objets associe´e au retrait au domicile lutte contre une menace de´pressive/narcissique ainsi que contre le risque potentiel que fait courir le lien a` l’autre. On peut proposer l’ide´e que la de´pression a e´te´ chez ces sujets clive´e, encapsule´e, encrypte´e.
6. Conclusion Nous avons e´tudie´ le fonctionnement psychique de deux sujets pre´sentant un syndrome de Dioge`ne. Le cas de patients souffrant d’un syndrome de Dioge`ne et pre´sentant des traits importants d’une personnalite´ obsessionnelle mais sans pre´senter de TOC par ailleurs n’a pas e´te´ rapporte´ jusqu’a` pre´sent dans la litte´rature, a` notre connaissance. Chez eux, l’accumulation et l’auto-exclusion fonctionnent comme un environnement paradoxalement protecteur qui, d’une part e´vite l’intimite´ potentielle dans la rencontre
avec l’autre et, d’autre part, satisfait une sexualite´ qui ne passe plus par la ge´nitalite´ et la recherche de l’autre mais par une re´gression aux satisfactions de l’e´rotisme anal masque´ par une rationalisation justificative d’e´conomie, d’e´pargne ou de the´saurisation prudente. Si le syndrome de Dioge`ne vient re´ve´ler une impossibilite´ a` traiter la proble´matique de perte, s’il repre´sente meˆme, pour reprendre l’expression d’A. Pichon [33], un « deuil fige´ dans la matie`re de l’habitat », ou` il s’agit certes de ne rien perdre et de ne rien laˆcher, alors que se profile la dernie`re partie de la vie, il s’ave`re important de ne pas ne´gliger qu’un tel ame´nagement comportemental participe aussi d’une dynamique psychique ou` est e´galement mobilise´e la queˆte de jouissance, secre`tement, sans l’autre, par les voies de l’e´rotisme anal. Notre e´tude confirme bien que des adultes vieillissants et aˆge´s, et tout particulie`rement les deux patients de cette e´tude cible´e, te´moignent, a` leur fac¸on, d’une intense activite´ fantasmatique et de´fensive pour laquelle il s’ave`re impossible de conclure a` un appauvrissement du travail psychique a` l’œuvre. Freud [17] a repe´re´, comme pouvant participer aux difficulte´s the´rapeutiques chez les adultes avance´s en aˆge, ce qu’il a appele´ « viscosite´ de la libido » pour dire, de fac¸on image´e presque, la difficulte´ a` ope´rer, avec souplesse, de nouveaux investissements d’objets, a` supporter la passivite´ et les changements. Organise´ par la patine des ans passe´s et les e´quilibres internes trouve´s, cependant plus ou moins de´gageant, le fonctionnement psychique ne de´ploie par les meˆmes potentialite´s de changement, tant au plan quantitatif que qualitatif, que chez l’enfant, l’adolescent et le jeune adulte ; le vocable « viscosite´ » est alors demeure´ dans la litte´rature analytique sur le vieillissement psychique comme le caracte´risant. Mais avec la clinique du syndrome de Dioge`ne, ce signifiant prend un sens renouvele´ qui te´moigne de la fe´conde intuition de Freud, sensible aux effets de loupe des processus pathologiques par rapport aux processus normaux : avec le Dioge`ne, ce n’est en effet pas la faiblesse libidinale qui se de´voile mais, au contraire, son intense viscosite´, interne par les re´sistances patentes a` la perte, aux changements et aux re´ame´nagements, externe par la singularite´ de cette clinique potentiellement marque´e par le gluant et le collant, le poisseux et l’adhe´sif, qui impre`gne les sens et les ressentis, et ˆ t. La` ou` d’aucuns verraient suscite volontiers re´pulsion et de´gou paresse et inertie, incurie de´mentielle ou de´pressive, il importe de souligner au contraire l’intense participation psychique qui ope`re la`, tentant de conforter le patient dans les conflits existentiels qui sont les siens face au temps qui passe, emporte et tue, et dans ses conflits psychiques, ou` le paradigme de la ne´vrose, on l’a vu, peut demeurer d’une terrible actualite´ heuristique pour comprendre les tourments qui, toujours et encore, peuvent agiter et miner les femmes et les hommes d’aujourd’hui. ˆ ts De´claration de liens d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts. Re´fe´rences [1] Abraham K. Esquisse d’une histoire du de´veloppement de la libido fonde´e sur la psychanalyse des troubles mentaux. 1924. In: Œuvres comple`tes II 1915– 1925. Paris: Payot; 2000. p. 170–226. [2] Anzieu D. Le Moi-peau. Paris: Bordas; 1985. [3] Barrata A, Be´ne´zech M. Claustration et collectionnisme : re´flexions a` propos d’un cas de syndrome de Dioge`ne avec vols kleptomaniaques et vengeurs. Ann Med Psychol 2010;168:367–72. [4] Camps FD. Un processus me´lancolique dans la schizophre´nie. Psychol Clin Projective 2015;21:115–35. [5] Chebili S. Le syndrome de Dioge`ne : e´tat pathologique ou` expression du libre arbitre ? Synapse 1998;144:35–8. [6] Clark A, Mankikar GD, Gray I. Diogenes syndrome. A clinical study of gross neglect in old age. Lancet 1975;15:366–8. [7] Danon-Boileau H. De la vieillesse a` la mort. Point de vue d’un usager. Paris: Calmann-Levy; 2000.
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